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›› Politique intérieure

Les dépenses militaires. Entre équilibre budgétaire et volonté de rattrapage

En attendant l’analyse à venir de la réunion annuelle des deux assemblées, cette note propose une mise en perspective des chiffres des dépenses militaires communiqués avec ceux du budget général. Ce dernier se monte à 2450 Mds de $. Sans surprise, le premier poste qui fait couler beaucoup d’encre, est celui des armées en forte augmentation avec 132 Mds de $ ou 95 Mds d’€ soit 2,25 fois le budget de la défense français, mais 5,3 fois moins que le budget du Pentagone.

Le deuxième poste en hausse notable est celui de affaires sociales avec 114 Mds de $ ou 82 Mds d’€, suivi de l’agriculture 107 Mds de $ (77 Mds d’€) également en hausse, suivi par les transports et l’éducation, presque stables à 70 Mds et 67 Mds de $, la santé en forte augmentation à 49 Mds de $. Sauf le budget de la culture et des sports, les autres sont stables ou en très légère hausse : sciences et techniques à 46,5 Mds de $, logements sociaux à 41 Mds de $, environnement (en hausse, après une baisse l’année dernière) à 32,6 Mds de $, sécurité publique, stable à 32,6 Mds de $, culture, sports et médias, parent pauvre des finances publiques en légère baisse à 8 Mds de $.

Gardant en mémoire que la précision des chiffres officiels est souvent sujette à caution on peut néanmoins tirer quelques conclusions de l’affichage. Si on considère l’ampleur de la hausse par rapport à l’exercice précédent, on note que les priorités du régime sont la santé : + 20%, la défense : + 12,6% et, dans une moindre mesure les services sociaux : + 8,4%, la hausse des deux premiers postes étant nettement supérieure à celle du budget général estimée à + 9,5%.

Les dépenses militaires : 1er poste budgétaire du pays.

En valeur absolue et sur une durée de 10 ans, la palme revient cependant à la défense avec un triplement des dépenses depuis 2005 et un pourcentage de hausse compris entre 12 et 17% de 2005 à 2009. La seule année où la hausse était descendue en-deçà de 10% fut lors de la crise financière de 2010. En 2011, le budget de l’APL était reparti à la hausse avec + 12%. Depuis la progression est restée au-dessus de 10%.

Il est cependant peu probable que les chiffres du budget militaire publiés par le régime qui n’incluent pas le coût de tous les programmes d’équipement, représentent la totalité des dépenses de défense. Certains experts l’estiment plutôt, toutes dépenses confondues, à 240 Mds de $ en 2013, soit 2,5 fois le chiffre officiel. Quoi qu’il en soit, la communication de l’ANP signale au moins une augmentation soutenue et régulière des dépenses militaires.

Parmi les grands pays, seule la Russie a augmenté son budget de la défense d’un pourcentage équivalent, tandis que la plupart des occidentaux ont réduit le leur. Une exception parmi les grands alliés des États-Unis : dans la zone, effet direct des querelles territoriales avec la Chine, le Japon est le seul à avoir consenti une hausse des dépenses de défense, après 10 années de baisse consécutives. Encore la progression n’a t-elle été que de 2,2%.

Pour continuer les mises en perspective dans la région, l’Institut International des Etudes Stratégiques de Londres a estimé il y a un mois, prenant comme référence le budget 2013, que la Chine dépensait 3 fois plus que l’Inde pour sa défense et plus que les budgets militaires cumulés du Japon, de la Corée du Sud, de Taïwan et du Vietnam.

Premier budget militaire asiatique. Deuxième mondial.

Ainsi, malgré les dénégations de la Chine qui relativisent l’importance de son budget militaire en arguant – ce qui n’est pas faux – de la taille du pays, de l’ampleur de ses missions de défense (longueur des frontières, dimension des espaces maritimes et aériens, masse des effectifs), l’APL, toujours prioritaire dans les budgets, est devenue de loin, quel que soit l’angle de vue, la première puissance militaire asiatique et la deuxième de la planète en termes de dépenses. A titre de comparaison le budget militaire 2014 du Japon est de 47, 4 Mds de $.

Faute d’éléments de comparaison objectifs, on s’abstiendra cependant d’extrapoler la différence budgétaire aux capacités de combat réelles des deux pays. Au passage, il est intéressant de consulter la communication du Japon sur son budget militaire. Impressionnante par les détails sur la modernisation en cours des équipements et de leur entretien, ainsi que par la précision des rubriques, elle est à elle seule une dissuasion.

A cet égard on songe à la réflexion de Deng Xiaoping dans un de ses écrits des années 90 répondant à ceux qui critiquaient la faible transparence de la Chine sur les questions militaires : « on est toujours plus empressé d’étaler sa puissance que de faire état de ses faiblesses ». (Lire le Plan for Defense Programs and Budget of Japan, document PDF).

Pour autant, la conjonction des manœuvres d’intimidation de la marine de l’APL en mer de Chine et les tensions avec l’Inde et le Japon, ajoutée aux incertitudes sur les sommes réellement consacrées à la défense, créent l’angoisse des voisins de Pékin. Mécaniquement, par le jeu des alliances à quoi s’ajoutent les mesures de précaution des autres, la tendance conforte la présence militaire américaine dans la zone du Pacifique occidental et induit la hausse substantielle des budgets militaires des pays riverains qui, le plus souvent, financent non pas une posture guerrière prête à en découdre, comme l’affirment certains commentaires excessifs, mais plutôt une remise à hauteur d’équipements navals et aériens obsolètes.

Une compétition de puissance de plus en plus coûteuse.

La réalité – quoi qu’on en dise un des éléments les plus inquiétants du « rêve chinois » - est que la Chine s’est engagée dans une compétition militaire avec les États-Unis, homothétique de son rang de 2e puissance économique globale. L’intention est en phase avec sa volonté de mieux protéger ses lignes de communication logistiques et de tenir la dragée haute à l’aéronavale américaine, afin, au minimum, de l’obliger à prendre des risques si elle voulait faire pièce aux projections de puissance de l’APL dans son espace stratégique direct, à l’Ouest de la chaîne d’îlots qui relient le Japon à Taïwan et dans toute la mer de Chine du Sud qu’elle revendique presqu’en totalité.

Lors d’une conférence de presse récente le porte parole du gouvernement chinois a mieux que tout autre commentaire exprimé cet état d’esprit qui renvoie à la fois à un légitime orgueil de puissance et à des souvenirs anciens d’humiliations jamais effacées : « L’APL n’est pas une armée de boy scouts. Certains étrangers espèrent toujours que la Chine restera un enfant scout. Mais comment croient-ils que la Chine assurera sa sécurité ? ».

Dans son rapport d’ouverture de l’ANP, le premier ministre Li Keqiang a exprimé les intentions de Pékin en termes plus académiques : « à l’ère des nouvelles technologies de l’information, nous allons opérer une mutation de la nature révolutionnaire de l’APL afin de moderniser et améliorer ses capacités de dissuasion et de combat ».

Notons que le glissement d’une armée révolutionnaire vers une force aux capacité technologiques et opérationnelles plus moderne est à l’œuvre depuis de longues années. Mais la mue n’est pas facile tant pour des raisons technologiques que politiques, l’armée étant d’abord un outil au service du Parti dont la mission, encadrée par des commissaires aux ordres de la machine politique du régime, est aussi de « garantir le rôle dirigeant du Parti Communiste ».

Quoi qu’il en soit, l’effort de rattrapage pèse de plus en plus lourd sur le budget du pays, dans un contexte où les ressources financières sont sévèrement sollicitées par ailleurs. Il suppose en effet la création d’unités de combat à vocation aéroterrestre et le développement puis la maîtrise d’une longue série d’équipements balistiques, spatiaux, navals, cybernétiques et aériens, y compris une flotte de porte avions, de sous marins, de chasseurs de combat, d’avions ravitailleurs et d’avions-radars, dont les coûts de recherche et développement augmentent rapidement.

A mesure de sa modernisation, la Chine sera confrontée au même dilemme que les pays développés : calculer ses dépenses militaires au plus juste pour à la fois faire face aux risques de sécurité proches et lointains, tout en évitant de plomber ses finances. Il est évident que dans cette recherche d’équilibre raisonnable, les émotions nationalistes et l’obsession du rattrapage de puissance constituent en Chine comme ailleurs d’importants facteurs perturbants.

Photo : Les 15 janvier dernier le Capitaine de Vaisseau Pyschklov (2e à gauche) commandant la force navale russe en Méditerranée a visité la frégate lance-missiles Yangcheng affectée à la protection de l’opération de désarmement chimique de la Syrie. Il a été accueilli à bord par le Commandant Li Pengcheng (3e à gauche), commandant la flottille chinoise.

 

 

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