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›› Politique intérieure

Réunions des assemblées. Les réformes sont confirmées. Les doutes persistent

Le 13 mars, le premier ministre Li Keqiang a donné la traditionnelle conférence de presse du chef de gouvernement après la session annuelle des deux assemblées que les Chinois appellent Liang Hui 两会. L’exercice clôturait l’événement ouvert le 5 mars par trois longs rapports de Li Keqiang, du président de la Commission de la Réforme et développement, Xu Shaoshi, ancien ministre des ressources foncières et du ministre des finances Lou Jiwei, qui fut également Président du fonds souverain chinois.

Même si nous savons que ce rassemblement annuel monstre de plus de 3000 personnes, ne donne pas lieu à une véritable contestation politique - les votes négatifs ou abstentions, il est vrai en augmentation, restant très minoritaires -, tandis que les grandes orientations sont largement décidées ailleurs et que le travail législatif s’organise toute l’année de manière opaque entre le comité permanent de l’ANP et le secrétariat du Comité Central, l’événement mérite attention pour au moins deux raisons.

Comme c’est le cas chaque année, dans une tendance qui s’amplifie, l’exercice laisse filtrer des débats et commentaires qui donnent une indication sur l’état des controverses internes, les pessimismes ou les optimismes qui dessinent les limites des factions, des groupes d’intérêt et finalement des réformes.

Cette fois, il y avait un intérêt supplémentaire à observer la grand-messe annuelle : il s’agissait de la première mise en ordre de bataille du gouvernement et de l’appareil législatif après le troisième plenum de novembre qui avait défini les objectifs du long terme, la plupart à 2020 : en somme une occasion de vérifier comment le gouvernement commencerait à décliner pour l’année en cours les grandes orientations concoctées par le Comité Central et le Bureau Politique, véritables centres nerveux du pouvoir.

Une première indication est le budget (dont les chiffres sont comme à l’habitude à prendre avec précaution) fixant les priorités de l’année qui vient, avec deux postes nettement au-dessus des autres : la défense et les affaires sociales, qui à eux seuls concentrent plus de 50% des ressources financières. En deuxième position viennent les dépenses au profit de l’agriculture, des campagnes, des ressources hydriques et des infrastructures de transport avec 30%. Les 20% qui restent sont dédiés en priorité à l’éducation, la santé et à l’environnement.

Une autre approche consiste à passer en revue les sujets abordés par le Premier Ministre à la fois lors de son rapport d’ouverture et lors de sa conférence de presse.

On y retrouve la réaffirmation de l’intention réformiste avec les sujets centraux que sont le contrôle macro-économique de la croissance, arrêtée à 7,5%, la maîtrise de la masse monétaire, avec cependant un œil sur le niveau de l’emploi, l’augmentation de la part du privé dans les entreprises publiques, assortie de mesures permettant une meilleure séparation de l’État et du privé, la mise en ordre des finances publiques – banques et administrations provinciales - avec la mise sur pied d’un mécanisme de gestion des faillites et la création d’une assurance des dépôts. A quoi il faut ajouter la priorité accordée à l’environnement qui ne transparaît cependant pas dans le budget, puisque les ressources attribuées à ce poste ne représentent que 8% l’exercice 2014.

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Réformes. Espoirs et interrogations.

Dans les déclarations du premier ministre plusieurs points méritent des développements particuliers, qui renvoient aussi à quelques uns des principaux obstacles sur la route des réformes. Il s’agit des relations de l’État et des banques avec les entreprises publiques ; de la remise en ordre du système financier, des finances des administrations locales et du contrôle de la dette ; du processus d’urbanisation massive en cours, un des principaux défis socio-politiques du régime lié à la suppression du Hukou et à la réforme du foncier ; et enfin de la lutte contre la corruption endémique de l’administration, talon d’Achille du Parti qu’il est impossible de dissocier de la quadrature du cercle de l’indépendance de la justice, que Zhou Qiang le président de la Cour Suprême a évoqué avec prudence.

Banques et groupes publics, bastions des corporatismes.

Le premier thème qui mérite attention concerne le cœur même du fonctionnement de l’actuel système qui mêle intimement la politique, les affaires et la finance par le truchement d’une connivence historique entre les banques, le pouvoir et les grandes entreprises publiques. 24 heures après le début des sessions, Li Yining, titulaire de la chaire d’économie à l’université de Pékin et doyen de l’école de gestion, apportait quelques bémols à l’occasion d’une conférence de presse.

Pour lui, après 30 années de réformes faciles, la Chine abordait aujourd’hui le noyau dur de son entreprise de modernisation. Il ajoutait, reprenant les termes du rapport d’ouverture du Premier ministre, que la somme des intérêts corporatistes retranchés dans les anciens enchevêtrements des affaires et du pouvoir constituait des grands obstacles : « pour les surmonter, il y faudra la résolution déterminée d’un homme qui se coupe le bras pour se sauver de la morsure d’un serpent ». Au cœur de cette réforme se trouve la gestion des actifs de l’État par des fonds d’investissement et la prise de participation de capitaux privés dans les groupes publics.

Autant dire que la rupture vers une réelle économie ouverte et transparente ne se fera pas en un jour, si tant est que les intentions réelles du pouvoir correspondent à ses annonces. Tout indique en effet que, pour l’heure, il entend bien rester aux commandes directes de l’économie, avec comme priorité – c’est en tous cas ce qu’indique la répartition budgétaire – le social et le niveau de l’emploi. La réalité pourrait bien prendre à contrepied ceux ces groupes étrangers trop prompts à prendre au pied de la lettre le discours chinois sur son « ouverture au marché », stipulant que, désormais, le pouvoir « interviendra moins et régulera plus ».

Ce qui n’exclut pas les réformes pour moins de gaspillages (bataille contre les surproductions) et plus d’efficacité (obligation de résultats, abandon de l’obsession de croissance quantitative, mise en place de normes qualitatives et généralisation des contrôles). Celles-ci sont déjà entamées dans l’administration et le secteur productifs avec la réorganisation des bureaucraties, la suppression des groupes industriels non rentables et la lutte contre les monopoles. Cette dernière étant, au passage, l’occasion de harceler les concurrents étrangers notamment dans les secteurs de la pharmacie et de l’informatique – cf. : affaires GSK, Sanofi, Qualcomm -.

Les finances à l’épreuve de la concurrence étrangère.

Le deuxième axe majeur des réformes, cheval de bataille du premier ministre, vise la remise en ordre du système financier, vaste chantier où l’on retrouve le souci de mieux contrôler la dette et les « finances grises », la transformation des banques en véritables organismes commerciaux efficaces, la convertibilité de la monnaie chinoise, l’allègement du contrôle des changes et, là aussi, la réduction des interventions publiques. La méthode est à la fois simple et, à terme, très agressive pour le système tel qu’il existe : soumettre, d’abord à titre d’expérimentation dans des zones économiques spéciales ou de libre échange, le système chinois à la concurrence étrangère.

L’affaire est en cours dans la zone de Libre échange de Shanghai par une rupture avec les anciennes habitudes très pesantes de contrôle administratif, où les innombrables autorisations bureaucratiques sont les leviers de l’arbitraire des pouvoirs locaux. Dans ce contexte, le nouveau principe « d’autoriser tout ce qui n’est pas strictement interdit », constitue une petite révolution dans le paysage des investissements étrangers.

A terme, la transformation des banques et le création de fonds d’investissements dûment agréés, à quoi s’ajouteraient la libéralisation des taux d’intérêt, une plus grande liberté d’accès à la bourse des entreprises en dehors de quotas restrictifs et enfin, une gestion plus transparente des bascules de budgets du Centre vers les provinces, devraient éliminer les dangereux dérapages de la finance grise, souvent initiés dans les provinces et générateurs de dettes toxiques.

Il est évident qu’il y faudra aussi une volonté politique sans faille pour casser les mécanismes routiniers qui entretiennent des avalanches de crédits uniquement accordés pour couvrir les dettes mal garanties contractées par les administrations locales au nom de la puissance publique auprès de structures de financement grises, à l’assise financière aléatoire. Il est également facile de prévoir que la préoccupation sociale focalisée sur l’emploi et la paix sociale qui favorise « l’esprit de relance », constituera un frein à la remise en ordre des finances.

Le défi de l’urbanisation. Intégrer les migrants.


Harmoniser la propriété foncière.

Le troisième coup de projecteur de cette note s’attarde sur le difficile défi de l’urbanisation massive du pays qui bouleverse rapidement le paysage de la Chine et véhicule les considérables problèmes que sont l’intégration des migrants et la question foncière, elle-même liée au droit de propriété. L’intégration de la population des migrants indissociable de l’urbanisation s’articule autour d’une refonte de la protection sociale, dont on a vu qu’elle était une priorité budgétaire pour 2014.

Il s’agit de garantir d’ici 2020 une sécurité sociale minimum à tous grâce à une carte de droits ouverts. La réforme qui assouplira la circulation de la main d’œuvre dans le pays a un coût considérable dont une partie sera pris en charge par des taxes aux entreprises publiques, qui s’inscrira dans une réforme générale du système fiscal avec la généralisation de la TVA et de la taxe foncière.

Mais la remise en ordre du foncier et notamment l’harmonisation entre, d’une part, la propriété rurale obéissant à un principe collectif local et, d’autre part, la propriété urbaine toute entière aux mains de l’État, constitue un autre point d’achoppement majeur des réformes. Elle touche en effet à l’équilibre politique de la transition urbaine en cours qui pousse à la transformation des terres agricoles appartenant aux paysans organisés en exploitations collectives, en zones de développement industrielles, moteurs de l’ancien schéma de croissance axé sur l’export ou en terrains à bâtir immobiliers, les uns et les autres étant les principales sources de revenus des administrations locales.

Avec la question des migrants, le problème foncier constitue le plus grand défi du régime confronté à l’urbanisation puisque les autorités locales hésiteront, tant que d’autres revenus ne leur seront pas garantis, à se laisser dépouiller par l’État de principaux moyens d’abonder leurs budgets.

Sans compter que l’actuel schéma, par ailleurs cause de nombreux conflits sociaux entre les paysans, les municipalités et les développeurs, est aussi le canal classique de la corruption des fonctionnaires. A terme le pouvoir envisage de développer une culture de contrôle du foncier par les parlementaires, pour l’instant improbable, tant sa mise en œuvre reste handicapée par la collusion des députés non élus avec les hommes d’affaires et les fonctionnaires locaux.

Photo L’entrée de la zone pilote de libre échange de Shanghai.

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La lutte contre la corruption et l’indépendance de la justice.

Il faut enfin s’intéresser à la lutte contre corruption plusieurs fois évoquée dans le rapport du PM et par les questions de la conférence de presse. Devenue aujourd’hui un des thèmes majeurs de l’actualité politique chinoise puisque, la lutte contre la corruption a, pour la première fois depuis longtemps, bousculé le tabou de l’immunité des anciens membres du comité permanent par la mise en résidence surveillée de Zhou Yongkang.

En ciblant l’ancien n°9 du régime qui fut président de la Commission législative du Parti, ayant eu pendant 5 ans la haute main sur le système judiciaire chinois et l’appareil de sécurité intérieure de la Chine, le Parti met à jour – sans cependant communiquer clairement sur le sujet -, l’un des plus grands scandales politiques qui aient jamais secoué le régime.

Compte tenu des anciennes fonctions de supervision du système légal tenues par Zhou Yongkang, l’affaire pose aussi la question de l’indépendance de la justice, clé ultime de l’efficacité de la lutte contre les corrompus abrités dans les hautes strates du pouvoir politique.

Elle renvoie aussi, in fine, à l’autorité de Xi Jinping et à la somme des soutiens dont il peut se prévaloir. Depuis de nombreuses années le régime chinois se débat en effet avec la contradiction contenue dans le dogme « du rôle dirigeant du Parti », opposé à l’obligation maintes fois mises en avant de respecter sa propre constitution articulée autour du respect du Droit auquel le Parti devrait se soumettre.

Selon Reuter cette question a été abordée en marge des conférences avec l’intention de réduire le rôle de la commission législative. A la manœuvre Zhou Qiang, 53 ans, le jeune président de la Cour Suprême nommé il y a un an. L’objectif est pour l’heure de limiter le nombre de cas justiciables de la peine de mort et de réduire l’ingérence des autorités locales et des antennes provinciales de la Commission des lois dans les procès.

Officiellement il s’agit de réduire le nombre des erreurs judiciaires, stigmatisées par Xi Jinping lui-même. Selon un rapport établi par le Cour Suprême, le politique, y compris la Commission de discipline du Parti n’aura plus son mot à dire pour arrêter les jugements à l’avance.
Lire notre Coup d’œil sur l’appareil judiciaire.

Beaucoup de juristes chinois sont cependant sceptiques. « On n’en est pas encore à l’indépendance de la justice » constate Jiang Ming’an auteur d’un livre sur le système administratif et judiciaire chinois. De fait dans son rapport rendu public le 10 mars, Zhou Qiang précise que le Parti gardera la haute main sur les affaires politiquement sensibles, catégorie dans laquelle s’inscrit le cas de Zhou Yongkang.

Les appuis de Xi Jinping. Entre défiance et optimisme.

Le scepticisme est aussi de mise pour apprécier l’efficacité des réformes en général et même la volonté politique du Régime de les mettre en œuvre. L’incrédulité et le doute se nourrissent de la longue histoire des annonces passées restées lettre morte.

D’autres analyses plus optimistes soulignent que la mise en ordre de bataille du Parti avec la création d’une commission de réforme centrale, démultipliée localement, à quoi s’ajoutent des organismes de suivi avec des obligations de résultat, est inédite. Ils constatent aussi qu’en prenant la tête de la Commission centrale de réformes et en poussant sans faiblir l’attaque contre Zhou Yongkang et son réseau, Xi Jinping a considérablement renforcé sa position dans le Parti.

A cet égard, Cheng Li, Docteur en Sciences politiques, Directeur du Comité Chine – Etats-Unis, livre dans la dernière édition de China Leadership Monitor une intéressante analyse de la mouvance politique susceptible d’appuyer Xi Jinping, rassemblée dans un groupe qu’il a baptisé le « clan du Shaanxi. ». Sa capacité d’influence est considérable avec des alliés de choix qui tous, comme Xi Jinping lui-même, sont nés, ou ont exercé des responsabilités au Shaanxi.

Le réseau est présent au sommet du Parti avec Yu Zhengsheng, n°4 du régime président de la CCPC, Wang Qishan n°5, président de la Commission de discipline, Li Zhanshu, membre du BP et président du secrétariat du Parti, Zhao Leji, membre du BP, et président de la Commission d’organisation. On le retrouve aussi à l’Ecole Centrale du parti avec He Yiting, n°2.

La coterie est également active dans l’APL avec Chang Wenquan, ministre de la défense, Fang Fenghui, chef de l’état-major général, Zhang Youxia, Directeur général de l’Armement, Liu Xiaojiang, commissaire politique de la marine. Au total sur les 14 membres de ce groupe d’influence 9, dont Xi Jinping lui-même sont nés ou ont grandi au Shaanxi.

Quelques autres y ont été affectés de longues années, soit comme officiers (Chang Wanquan et Fang Fenghui) soit comme Secrétaire général du parti (Zhao Leji, Li Zhanshu et Li Jianguo, l’actuel vice-président de l’ANP). Dans son article Li Cheng consacre un très long développement à la connivence spéciale de Xi Jinping avec Wang Qishan, à la tête de la Commission de discipline et dont l’action énergique contre la corruption a contribué à consolider la position de Xi Jinping dans le Parti et à l’extérieur.

La question est de savoir ce que le Président fera de cette machine d’influence dans le paysage politique chinois et jusqu’où il poussera les limites de l’indépendance de la justice avec le jeune et dynamique président de la Cour Suprême. De l’avis des apparatchiks les mieux connectés à Xi Jinping, cette génération se contentera du nouvel état d’esprit créé par la limitation des pouvoirs de la Commission Législative du Parti et de ses antennes locales. Avec deux objectifs : réduire les effets les plus dangereux pour le Parti de la corruption et de la pollution.

Voir le document PDF Xi Jinping’s Inner Circle.

Photo Zhou Qiang président de la Cour Suprême.

 

 

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