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›› Politique intérieure

Xi Jinping, entre Mao, Deng Xiaoping et société civile

Beaucoup d’observateurs dressent aujourd’hui un portrait de Xi Jinping, le président chinois, en rupture avec la vieille exigence de l’après-maoïsme de se tenir à distance des dérives du pouvoir personnel.

Le nouveau secrétaire général du Parti aurait contrairement à ses prédécesseurs saisi toutes les commandes du régime dans un style que certains n’hésitent pas à comparer à la méthode au pouvoir concentrée de l’ère maoïste pour conduire avec une exceptionnelle vigueur la lutte contre la corruption et la pollution tout en mettant en œuvre une longue suite de réformes – rendues publics lors du 3e Plenum - dont 30% touchent à l’économie, avec les 70% restants dédiées à des réformes légales, culturelles, sociales, écologiques ou militaires.

La réalité est probablement plus prosaïque. En charge de la pérennité du Parti, le Secrétaire Général, dont l’autorité naturelle et donc l’aptitude à la synthèse politique et à l’action sont en effet plus efficaces que celles de son prédécesseur, est contraint de tenir compte des courants contradictoires qui tissent la trame politique du régime. En même temps, soucieux d’éviter la paralysie consubstantielle aux « grands écarts », le Comité Permanent du Bureau Politique dont les vastes projets de réforme sont, en sous main, freinés par la cohorte des féodalités et des intérêts acquis, développe à grands renforts de publicité une double campagne de lutte contre la pollution et la corruption.

Mais cette stratégie porte en elle ses propres limites, tracées par l’absence de transparence de la haute direction du Parti et la crainte qu’elle éprouve face à l’activisme de plus en plus percutant de la nouvelle société civile née dans le sillage de l’urbanisation. S’il est vrai que cette dernière peut être instrumentalisée pour dénoncer la corruption des cadres et les industries rebelles aux mesures anti-pollution, les incendies qu’elle pourrait allumer en réaction aux injustices et aux arbitraires ne sont pas sans risques pour la machine politique du régime.

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Le nouveau style du pouvoir chinois

A l’appui de la thèse de la rupture avec le système collégial, on cite le style moins rigide et plus convivial du nouveau secrétaire général aidé par la popularité de son élégante épouse Peng Liyuan, étonnamment investie sur le terrain des relations avec Washington. C’est peu dire que cette manière modernisée attire les projecteurs sur le couple présidentiel et constitue déjà un contraste radical par rapport au règne fade et sans relief de Hu Jintao que nombre d’intellectuels chinois considèrent comme une « décennie perdue ».

Le large éventail desréformes envisagées par le 3e plenum - finances, appareil productif, administration, justice, pollution, « Laojiao », enfant unique etc. -, attesterait aussi que les commandes du pouvoir auraient été resserrées par rapport aux exercices des précédents Plenum qui, en général, limitaient leurs intentions à un seul secteur, le plus souvent économique ou socio-économique (banques et finances, groupes publics, taxes, commerce extérieur).

Nationaliste prudemment réformiste…

Fréquemment présenté comme excédé par les incessantes critiques antichinoises des Européens et des Américains à partir d’une de ses remarques à Mexico en 2009 – « ces Occidentaux bedonnants qui n’ont rien de mieux à faire que de pointer notre pays du doigt », Xi Jinping est également volontiers placé par nombre de commentateurs en opposition politique par rapport aux idées de Xi Zhongxun, son père, ancien vice-premier ministre fervent des réformes économiques décédé en 2002, aujourd’hui auréolé d’une réputation de réformateur politique, auquel le régime a rendu un hommage exceptionnel en octobre 2013, à l’occasion du centenaire de sa naissance.

Avec un parfum populiste…

Ayant adopté un style plus moderne, proche du peuple, n’hésitant pas à se mêler aux clients d’un restaurant modeste de Pékin – événement qui avait provoqué l’effervescence, en général très positive, des réseaux sociaux chinois -, Xi Jinping avait, lors de sa mandature de vice-président, prêté attention aux projets socio-économiques de Bo Xilai à Chongqing. Après quoi, une fois aux commandes du Parti, il avait exhorté l’appareil à la frugalité, à l’honnêteté et à l’éthique du pouvoir, accompagnant par un verbe moralisateur la sévère répression contre les corrompus de haut rang engagée pour restaurer l’honnêteté publique et la probité.

L’allure bonhomme et la manière du nouveau Secrétaire Général, qui tranchent avec les anciennes raideurs, l’écoute qu’il consacre à la mouvance de la « Nouvelle Gauche » critique des effets pervers de la dictature de l’argent et de la croissance économique cynique, destructrice de la cohésion sociale et de l’environnement, ont contribué à lui coller un étiquette « populiste » attentive aux survivances du Maoïsme. Pourtant ce procès d’intention court alors même que Bo Xilai, le porte drapeau supposé des Maoïstes, est en prison à vie, que son épouse est condamnée à mort avec sursis et que son plus fidèle appui Zhou Yongkang est en résidence surveillée, tandis qu’un grand nombre des féodaux proches de l’appareil de sécurité et de CNPC, le monstre industriel des hydrocarbures, ancien fief de Zhou Yongkang, sont sous les verrous.

Soucieux d’efficacité, mais inquiet des influences la société civile

Le nouveau secrétaire général est également rendu responsable exclusif de la tendance récurrente du régime de tenir sous un boisseau durement répressif la société civile, les médias et les ONG. A cet égard, on cite la récente bavure politique ayant provoqué la mort par manque de soins, alors qu’elle était en prison, de Cao Shuni (52 ans), militante des droits de l’homme atteinte de tuberculose et arrêtée en septembre dernier pour « troubles à l’ordre public et incitation au désordre » après avoir manifesté pendant deux mois devant le ministère des Affaires étrangères. Son but : exhorter le pouvoir à prendre en compte les critiques onusiennes contre les abus aux droits de l’homme en Chine. Pourtant, rien ne dit que Xi Jinping qui doit composer avec une mouvance violemment conservatrice ait été à l’origine de la décision de refuser des soins à Cao Shuni.

Enfin, les observateurs étrangers et chinois voient comme le signe ultime d’un retour au pouvoir personnel, secouant l’exigence de gouvernance collective imposée par le style Deng Xiaoping, la prise de contrôle par Xi Jinping des comités directeurs des réformes (sécurité nationale, internet et réseaux sociaux, réformes économiques et financières, chapeautés par la Commission des réformes) créés pour piloter et coordonner les bouleversements socio-économiques engagés depuis le 18e Congrès.

Que Xi Jinping ait à la fois plus d’audience et plus d’autorité que son prédécesseur, rigide et assez souvent apathique et muet, c’est un fait. Qu’il ait pris à bras le corps son rôle de supervision et de coordination de la réforme y compris dans l’APL, restée depuis Deng Xiaoping et jusqu’à Jiang Zemin le domaine réservé et intouchable du Secrétaire Général sortant, c’est également une évidence. Mais il s’agit là, non pas de la manifestation d’un excès de pouvoir personnel, mais de la correction d’une tradition insolite où les retraités conservaient un pouvoir discrétionnaire sur l’appareil militaire, brouillant l’exercice du pouvoir par la nouvelle équipe. Au demeurant, que ce soit encore le Secrétaire Général, Président institutionnel de la Commission Militaire Centrale qui porte le fer dans la plaie ouverte de la corruption au sein de la haute direction des armées, n’a rien d’anormal.

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La direction collégiale toujours à l’œuvre

Récemment, Hu Angang, Directeur du centre de recherche sur les affaires politiques nationales de l’université Qinghua et auteur d’un livre sur la direction collégiale, a critiqué les jugements des observateurs extérieurs spéculant sur la fin du consensus et la concentration de tous les leviers de pouvoir dans les mains de Xi Jinping, accusé d’avoir marginalisé les autres membres du Comité Permanent. Selon lui, le nouveau Comité Central a établi des règles claires définissant le partage du travail et le caractère collectif des prises de décision avec tous les membres du Comite Permanent du Bureau Politique systématiquement présents dans les Commissions et sous-commissions de la réforme.

Équilibre des influences

On y retrouve par exemple Li Keqiang le n°2 de l’appareil dans les structures chargées de la réforme de l’économie et des finances. Lui-même avait imprimé sa marque réformiste à portée globale alors qu’il n’était encore vice-premier ministre, parrainant une étude iconoclaste concoctée en liaison avec la Banque mondiale. L’exigence de mettre à bas les féodalités conservatrices, une des conclusions les plus dures du rapport et politiquement les plus sensibles, a récemment été reprise par Xi Jinping qui exhortait la direction politique au courage et à l’audace face à la dureté des temps et à la complexité des réformes entravées par les blocages corporatistes.

Que Liu He, proche de Li Keqiang, le maître d’œuvre de cette étude et principal artisan des feuilles de route publiées par le 3e plenum ait été promu en 2013 au poste stratégique de n°2 de la Commission pour la Réforme et le Développement National, ne plaide pas non plus pour une concentration des pouvoirs aux mains du seul Xi Jinping.

Dans les Commissions sont également présents des responsables aux sensibilités politiques diverses comme les conservateurs Zhang Gaoli n°7 du Comité Permanent (CPBP), en charge du schéma global des réformes économiques et Ma Kai proche des féodalités des grands groupes publics. Ils sont flanqués du réformateur Wang Yang. Tous trois sont vice-premiers ministres et membres du bureau politique (BP).

D’autres courants ultra conservateurs, fermés aux réformes qui font contraste avec le couple Li Keqiang – Liu He, sont également parties prenantes des décisions de la tête du régime, comme celui représenté par Liu Yunshan, président de l’Ecole Centrale du Parti, n°5 du Parti. Avec Liu Qibao, n°11 du Bureau Politique, il est responsable des « réformes culturelles » et membre du groupe dirigeant pour la Sécurité Internet. Leur influence se perçoit dans le durcissement idéologique et les crispations de la censure. Le raidissement, aujourd’hui assez général de la direction politique, transparaît aussi dans l’évocation récurrente du « socialisme aux caractéristiques chinoises », récusant la démocratie à l’occidentale et l’indépendance de la justice.

Mais leur mainmise conservatrice est contrebalancée par la présence aux commandes de réformateurs, comme le Vice-président Li Yuanchao, n°2 des « groupes dirigeants » sur les Affaires étrangères et la sécurité nationale, ce dernier coordonnant les questions sensibles du Tibet, du Xinjiang, de Taïwan et la réaction aux attaques terroristes. Yu Zhengsheng, n°4 du Comité Permanent, au passé et à la famille connectés à la fois à la dissidence par son frère, le transfuge Yu Qiangsheng et au KMT par son grand-père, est aussi le maître d’œuvre de la politique au Tibet et au Xinjiang, à la tête du groupe dirigeant pour les affaires religieuses, une position qui lui donne bien plus de pouvoirs que n’en avaient ses prédécesseurs à la présidence de la Conférence Consultative du Peuple Chinois. Lui aussi exerce un poids non négligeable sur Xi Jinping.

Zhang Dejiang n°3 du CPB, président de l’ANP et vice-président de la nouvelle commission de sécurité président du groupe dirigeant pour Hong Kong et Macao, diplômé d’économie de l’université Kim Il Sung à Pyongyang, loyal au Parti et profondément conservateur, vient récemment de faire peser l’influence du Bureau Politique sur l’avenir de la Région Administrative Spéciale périodiquement agitée par des protestations contre l’invasion des touristes venus en masse dans la RAS faire leurs emplettes – allant du lait en poudre aux appartements – et dont les habitants craignent la disparition progressive des libertés sous l’influence politique de Pékin.

La prise de position de Zhang qui mettait en garde contre les risques d’une élection « totalement démocratique » en 2017, revenait sur une promesse du Bureau Politique faite en juin 2010 par le Parti et Hu Jintao d’accepter un amendement de la loi sur l’élection du Conseil Législatif qui marquait un assouplissement du régime sur la question du système politique de la RAS.

Mais le raidissement de Zhang était en phase avec les vieilles craintes de contagion démocratique qui ne datent pas de l’avènement de Xi Jinping. Elles remontent au moins au mouvement pour la démocratie des années 70, à qui l’espoir d’une contagion déclenchée par le retour de Hong Kong à la Chine en 1997 a redonné de la vigueur.

Photo Le Comité Permanent du Bureau Politique en visite sur le terrain. De gauche à droite Wang Qishan, Liu Yunshan, Zhang Dejiang, Xi Jinping et Li Keqiang. Au 2e rang Zhang Gaoli (à gauche) et Yu Zhengsheng.

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Le « grand écart » de Xi Jinping

Plutôt qu’un retour du pouvoir personnel ou un durcissement sytématique dont Xi Jinping serait l’initiateur, la réalité, moins manichéeene, renvoie à la volonté du Secrétaire Général d’asseoir le plus largement possible son audience en donnant des gages à toutes les tendances politiques, y compris la faction politiquement très régressive de la « Nouvelle Gauche ». Le retour aux fondamentaux de la pureté maoïste, explique Joseph Fewsmith dans la dernière livraison de China Leadership Monitor (Université de Stanford), signale au minimum une crise morale dans un Parti aujourd’hui peuplé de « fils de princes » dont certains rêvent aussi de plus de discipline et d’une meilleure éthique pour plus d’efficacité, avec en arrière plan le rappel des origines authentiques et idéalisées de la lutte révolutionnaire.

En même temps, Xi Jinping donne des gages aux tenants de la constitution et de l’État de droit. Cette mouvance politique réformiste qu’il a lui-même contribué à promouvoir, s’est récemment exprimée par le nouveau Président de la Cour Suprême Zhou Qiang qui, lors de la session annuelle des Assemblées à Pékin, a annoncé la fin de l’influence des administrations locales sur les juges. Même si on est encore très loin de l’indépendance de la justice, Zhou Qiang a tout de même précisé que, sauf dans les cas politiques sensibles, le politique, y compris la Commission de discipline du Parti n’aura plus son mot à dire pour arrêter les jugements à l’avance.

Priorité à la survie du Parti. Lutte contre la pollution et la corruption

Mais, au Parti chacun a conscience que l’affaiblissement du contrôle de la justice par l’appareil porte en lui les ferments de la remise en cause du « rôle dirigeant du Parti ». C’est pourquoi, sauf à accepter une dérive à la Gorbatchev, un Secrétaire Général soucieux de la pérennité du Régime n’a probablement pas d’autre choix que de tenter le grand écart de la cohésion du Parti entre les techniciens de la finance et des réformes de structures représentés par Li Keqiang et Liu He, les réminiscences populistes de la « Nouvelle Gauche » et les voltigeurs de l’État de Droit qui donnent régulièrement de la voix contre l’arbitraire. Pour éviter l’écueil de l’immobilisme généré par ces contradictions, la machine politique chinoise s’est donc regroupée derrière Xi Jinping autour de la lutte contre deux fléaux liées l’un à l’autre, talons d’Achille de l’appareil : la pollution et la corruption.

Contre ces deux plaies ouvertes qui menacent l’existence même du Parti, le régime a, depuis le 18e Congrès, commencé à appliquer des remèdes drastiques. Ces derniers sont visibles dans les premières mesures assorties des obligations de transparence – une première - appliquées aux industriels pour tenter de corriger la situation catastrophique de l’air des grands centres urbains. Surtout, le Bureau Politique a engagé la plus féroce lutte contre la corruption des responsables depuis la création de la République Populaire avec la mise en accusation et les condamnations d’une exceptionnelle liste de responsables de haut niveau, y compris en s’attaquant au bastion jusque là largement protégé de l’APL et en brisant le tabou d’immunité des membres du Comité Bureau Politique à la retraite.

Les limites politiques de l’exercice

Mais la poursuite de ces campagnes d’épuration menées avec diligence avec Wang Qishan n°6 du CPBP, meilleur allié de Xi Jinping se heurtera assez vite à deux obstacles. Alors que le 10 mars le Parti a encore annoncé la mise en examen de 5 hauts responsables locaux, le soutien des apparatchicks dont les avantages acquis sont désormais menacés pourrait vaciller, d’autant que la tête du régime et Xi Jinping lui-même se sont soustraits à l’obligation de transparence sur leur fortune ou celle de leurs proches.

Quant au levier de l’opinion publique que Wang Qishan manipule pour mettre à jour la culpabilité des cadres, son utilisation par le Parti sur le thème de la probité sent le souffre au moment où à Taïwan les étudiants occupent le Yuan législatif pour protester contre l’absence de transparence du KMT sur le projet de pacte sur les services. C’est bien la raison pour laquelle, inquiet des possibilités de contagion, le Parti se méfie des effervescences politiques agitées par la société civile.

NOTE DE CONTEXTE

Dans une article intitulé « L’ombre de Mao », paru dans China Leadership Monitor, Joseph Fewsmith, professeur de relations internationales à l’université de Boston et expert de la Chine, explique que 37 ans après la mort de Mao, le Parti continue à se battre avec le fantôme du « grand timonier ». Alors que périodiquement des intellectuels tentent de réévaluer positivement son règne, le Bureau Politique s’est toujours refusé à reconsidérer le jugement porté sur Mao après sa mort.

Une fois pour toutes le Parti considéra que le bilan du despote n’était positif qu’à 70%. Cette proportion qui semble confortable aux yeux d’un Occidental, habitué aux sondages serrés, révèle en fait une sévère remise en cause par la haute hiérarchie du Parti. La dernière intervention connue pour bloquer une inversion de ce jugement fut une lettre adressée par Jiang Zemin au Bureau Politique après son départ en 2002, dans laquelle il réaffirmait que les réformes engagées depuis 1978 avaient eu un effet vertueux sur la Chine, tandis que le bilan des 30 années précédentes avaient été mitigé. (Lire notre article Schizophrénie maoïste).

Mais l’analyse et l’évaluation n’ont jamais pris fin, comme si le Parti répugnait à couper le fil de son histoire et à tourner le dos à celui que nombre de Chinois continuent à vénérer pour avoir rétabli la fierté de la Chine et lavé les humiliations infligées au pays après la chute du système dynastique. Dans la plupart des discours politiques, la référence à Mao est toujours présente, y compris dans ceux qui justifiaient la théorie des « trois représentations » de Jiang Zemin, pourtant radicalement opposée au Maoïsme, puisqu’elle ouvrait la porte du Parti aux entrepreneurs capitalistes.

Plus encore, après le 18e Congrès un débat à l’Ecole Centrale du Parti relayé par le magazine Qiu Shi est né autour de l’exigence de ne pas trancher dans le vif des racines de l’histoire du Parti avec des articles qui rejetaient les appréciations négatives sur Mao laissées par les mémoires de Li Zhisui son médecin personnel et par la biographie très iconoclaste de Jun Chang. L’argument repris par le centre de recherches historiques du Parti et publié dans le Quotidien du Peuple renvoyait à la crainte existentielle du Régime d’avoir un jour à subir le sort de l’URSS. « La raison essentielle de la chute de l’Union Soviétique fut la négation de l’histoire du Parti Communiste de l’Union Soviétique, de Lénine ainsi que des autres figures du Parti, accompagnée par un nihilisme historique qui installa la confusion dans l’esprit des populations ».

Ce jugement débouche logiquement sur le rejet en bloc de la démocratie à l’Occidentale, de la primauté de la Constitution et de l’indépendance de la justice, auxquelles le Parti préfère le « socialisme aux caractéristiques chinoises », qui prône « le rôle dirigeant du Parti ». Mais parallèlement à ces prises de positions, l’Ecole Centrale a également laissé s’exprimer les idées des défenseurs d’un État de droit. En juillet 2013, publié par le « Study Times », un article faisait l’apologie de la citoyenneté et de la société civile, parties prenantes du pouvoir politique et mettait en exergue les avantages du respect de la constitution, véritable fondement du nouveau « rêve chinois ».

Depuis son accession au pouvoir Xi Jinping a navigué entre ces deux extrêmes. Pour répondre aux principales critiques adressées à la Chine sur le caractère encore rétrograde de son État de droit et réaffirmer les intentions réformistes du nouveau secrétaire général, le 12 décembre 2012, le Quotidien du Peuple, qui prenait prétexte d’un discours de Xi Jinping à l’occasion du 30e anniversaire de la constitution de 1982, publiait en première page une revue critique des lacunes du droit en Chine.

A cette occasion il reprenait une phrase du discours Secrétaire Général : « une constitution qui n’était pas appliquée n’est qu’un « bout de papier, sans vie et sans autorité ». En préambule le journal rappelait que l’efficacité des institutions résidait d’abord, comme l’avait souligné le rapport du 18e Congrès, dans l’équilibre des contre pouvoirs et dans le fait qu’aucun groupe, ni aucun individu n’était au-dessus des lois, et que personne n’était autorisé à la manipuler, par ses paroles ou ses actions.

Mais deux semaines plus tard, Xi Jinping, s’adressant à un séminaire organisé à l’occasion du 120e anniversaire de la naissance de Mao, proposa une synthèse entre les 30 premières années de la République Populaire et la période qui suivit, sous l’égide de Deng Xiaoping : « Notre expérience socialiste avant la réforme, qu’elle soit positive ou négative, a permis au Parti de se confronter à la réalité. Elle a établi la plateforme à partir de laquelle nous avons construit le futur d’une nouvelle période historique. Sans les succès idéologiques, institutionnels et pratiques accumulés au cours de cette période, l’ouverture n’aurait pu avoir lieu sans heurts ».

Le 5 janvier 2013, s’adressant au nouveau Comité Central, il précisait sa pensée à propos des « deux périodes » de la République Populaire, avant et après mort de Mao. « Même si ces deux phases étaient sous-tendues par deux orientations politiques différentes avec d’importants contrastes dans la manière de construire le socialisme, elles ne peuvent pas être dissociées ». Il ajoutait que les deux périodes n’étaient pas en opposition, mais complémentaires : « il n’est pas possible de se servir de l’une pour nier l’autre ».

Après l’incident du Nanfang Zhoumou à Canton où, le 3 janvier 2013, la Commission de propagande avait censuré l’éditorial du journal qui appelait au respect de la Constitution, provoquant une semaine de conflit ponctuée par une grève des journalistes, le secrétariat du Comité Central publia la « directive n°9 » destinée à préciser la ligne idéologique du régime sur cette question qui, en substance, répétait les termes du discours du 5 janvier du secrétaire général : Nier la période maoïste revient à menacer l’existence du Parti.

 

 

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