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Stress financier et volonté réformiste. Le marché contre les conservatismes
Le premier trimestre 2014 a été marqué par une série de stress financiers dont le premier est survenu tout juste deux semaines avant la réunion annuelle des assemblées quand, le 28 février, le fabricant de panneaux solaires Shanghai Chaori Solar Science & Technology s’est déclaré incapable de payer les intérêts s’élevant à 89,8 millions de Yuans (10 millions d’€), d’un emprunt d’une valeur totale de 145 Millions d’€, tandis que, simultanément, on apprenait, contrairement aux errements antérieurs, qu’aucune banque ne viendrait à sa rescousse. La faillite, quoique de faible ampleur, constitue un événement car c’est la première fois qu’un groupe chinois se déclarait en cessation de paiement sur un emprunt local.
La surprise d’une faillite annoncée
Jusqu’à présent le gouvernement et les banques publiques avaient, soit au moyen de nouveaux prêts soit par un étalement de la dette, systématiquement tenu la tête hors de l’eau des groupes débiteurs imprudents. Eux-mêmes en étaient arrivés à considérer que le schéma serait indéfiniment reconduit par le pouvoir d’abord préoccupé par le maintien du plein emploi. Dans cette logique, les prêts accumulés aux entreprises depuis 2007 auraient, selon le Wall Street Journal du 6 mars, atteint un total de 8700 Mds de Yuan (1000 Mds d’€).
Ce dépôt de bilan survenait au milieu de deux séries d’inquiétudes contradictoires : d’une part le ralentissement de l’économie incitant le pouvoir à relâcher la rigueur et, d’autre part, l’accumulation des dettes des entreprises qui, selon Standard & Poor, pourraient atteindre 13 800 Mds Yuans en 2014 (1600 Mds d’$). Une tendance boulimique déjà ancienne qui plaide à l’inverse pour continuer le resserrement du crédit entamé par le gouvernement depuis un an.
C’est bien dans cette optique que les crédits moyens et long terme ont été ralentis, alors que nombre d’acteurs économiques réclamaient une relance. Ces contradictions expliquent amplement les hésitations du pouvoir partagé entre, d’une part, l’exigence de s’en tenir à sa politique de remise en ordre clé de la modernisation et, d’autre part, la crainte que la montée du chômage bouscule son audience au sein de la classe moyenne urbaine, sa base politique traditionnelle.
Panique financière
La deuxième expérience de forte tension financière s’est produite dans une grande ville du Jiangsu après qu’au sortir de la réunion des assemblées, le premier ministre ait prévenu que d’autres faillites se produiraient. Il n’y a peut-être pas de relation de cause à effet, mais le fait est que la déclaration de Li Keqiang venait dans une ambiance d’inquiétude où montait la crainte que l’esprit réformiste du pouvoir le conduirait à une rigueur désormais inflexible pour résorber les excès de crédits et les dettes toxiques.
Le lundi 24 mars, les résidents de Yancheng, grosse agglomération du Jiangsu de plus de 8 millions d’habitants dont le nom qui signifie « cité du sel » rappelle l’importance historique dans l’économie de la Chine depuis les Han de l’Ouest, 111 ans avant JC, ont été saisis d’une angoisse propagée par la rumeur non vérifiée qu’une succursale d’une banque locale aurait été incapable d’honorer un retrait de 200 000 Yuan (23 000 €). Après une période de développement d’industries agroalimentaires, la ville, située à 50 km de la mer de Chine de l’Est et 260 km au nord-ouest de Shanghai, exemple de dynamisme industriel ouvert sur l’étranger et créateur d’emplois, est, depuis 2002, le siège d’une JV automobile entre le Coréen Kia motors et le Chinois Dongfeng, bien connu des Français et de Peugeot.
La panique bancaire restée strictement circonscrite fut cependant spectaculaire. Attisée par l’ambiance générale d’inquiétude née autour des freins au crédit mis en œuvre par le Centre et les faillites dans la même région en janvier de 3 coopératives de crédit mal gérées, l’alarme des clients agglutinés en files compactes devant les banques fit le tour des réseaux sociaux.Le branle bas des autorités qui mobilisèrent des véhicules blindés de la Police Armée Populaire pour protéger le cash massivement livré en urgence aux deux banques commerciales locales soupçonnées par la rumeur de faillite imminente, indique le degré d’alerte politique des autorités et, au passage, la difficulté et la sensibilité sociale des réformes.
Le 26 mars, le gouverneur du district de Sheyang, 40 km au nord, déclarait en ligne que la Banque de Chine et les réseaux des banques rurales étaient en mesure de répondre à tous moments à n’importe quelle demande de retrait.
Photo Le 24 mars les clients d’une banque agricole de Yancheng se pressent pour retirer leur argent.
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Test de solvabilité des banques et ouverture à la concurrence privée
En réponse à l’épisode dont il faut rappeler qu’il fut à la fois brutal, très localisé et de très faible ampleur, le gouvernement central s’est livré à une opération de communication dont la portée pratique sur la réalité des désordres de la finance grise sera marginale. Début avril, la Commission de régulation bancaire a annoncé que les banques chinoises allaient être soumises à une nouvelle série de tests de solvabilité, déjà mis en œuvre depuis 2011.
Rassurer les épargnants...
La manœuvre engagée depuis 3 ans et avant tout destinée à éviter que l’angoisse des petits épargnants se répande comme une trainée de poudre, a abouti à un résultat insolite : l’opacité des réseaux financiers enchevêtrés avec le pouvoir, à la source de considérables conflits d’intérêts inexpugnables n’a pas été levée. De même que n’ont pas été éradiqués les liens des grandes banques publiques avec la « finance grise », consubstantiels du système politique chinois.
Mais en même temps a surgi une contradiction : la force des exigences de solvabilité imposées aux institutions financières officielles a fait qu’aujourd’hui les grandes banques chinoises protégées de la concurrence sont devenues des champions mondiaux en terme de rentabilité et de capitalisation boursière, tandis que les services offerts à leur clientète moyenne dont l’épargne n’est pas rémunérée, sont toujours très en deça des performances exigées par la compétition internationale.
Les deux visages de la machine financière
Le système financier chinois donne donc l’image contrastée d’une tête élitiste en bonne santé financière, épine dorsale des féodalités opposées aux réformes, à la fois en cheville avec les entreprises publiques et peu préoccupées des petits épargnants comme des PME, tandis qu’au bas de l’échelle, les institutions grises, jusque là tolérées par le pouvoir, restent engluées dans les priorités contradictoires du clientélisme politique, de l’assainissement financier et du soutien à l’activité.
Mais ce tableau rassurant de la situation des grandes banques publiques, doit être relativisé par l’absence d’informations crédibles sur l’ampleur des dettes toxiques qu’elles abritent.
Dans ce contexte, le nouvel exercice de contrôle de solvabilité annoncé par le pouvoir début avril, apparaît aussi comme une manœuvre préparatoire à la mise en œuvre d’un des plus anciens projets du gouverneur de la banque centrale Zhou Xiaochuan, dont on se souvient qu’à l’occasion du 18e Congrès en novembre 2012, il avait été repéché par Xi Jinping et Li Keqiang, alors que le Comité Central influencé par la mouvance conservatrice l’avait ostracisé.
Porter le fer dans le cœur des prébendes financières
Déjà en janvier dernier la Commission de Régulation Bancaire avait annoncé que 2014 verrait l’ouverture du système financier chinois à la concurrence de 5 banques privées, avec en arrière pensée l’idée de faire contrepoids au monopole des banques publiques.
Le 11 mars, Zhou Xiaochuan a répété cette intention, ajoutant aussi sa volonté connexe de libéraliser les taux de rémunération de l’épargne dans un délai de « un à deux ans. ». Dans le même temps, le Conseil des Affaires d’État a depuis un an empiété sur le domaine réservé de la puissance des grandes banques publiques en autorisant la vente sur internet de « produits financiers » rémunérés jusqu’à 7% , contre les 3% proposé par le système financier étatique dont les avoirs ont atteint 18 000 Mds d’€ en décembre 2013, soit deux fois plus qu’en 2008.
Les futures banques privées en partie financées par l’étranger
Shang Fulin, président de la Commission de régulation a annoncé que les 5 banques privées seraient créées dans les zones sous douane de Shanghai, Tianjin et celles de la province de Canton. Sans préciser l’éventail des activités financières ouvertes aux nouvelles banques, il laissa aussi entendre que les investissements à l’origine de la manœuvre viendraient, entre autres, des deux athlètes chinois du commerce en ligne Alibaba et Tencent, dont il faut rappeler que le capital est lui-même en grande partie détenu par des investisseurs étrangers.
Ces derniers sont Américains, Japonais et Singapouriens pour Alibaba, dont le PDG Jack Ma ne possède que 7,4% du capital, détenu par l’Américain Yahoo avec 24% et le Japonais Softbank Corp avec 37%, à qui il faut ajouter les minoritaires américains Silverlakee et Tiger Global Management complétés par le fonds Singapourien Temasek ; Pour Tencent, propriétaire du réseau de messagerie QQ -, le capital est détenu à 34% par la compagnie sud-africaine de médias Naspers. Voir à ce sujet l’étude des services économiques de l’Ambassade de France en Chine (document PDF).
Dans l’opération « banques privées », Alibaba et Tencent seraient alliés au holding financier China Wanxiang 万向集团, le géant chinois des composants automobiles qui vient de racheter pour 149 millions de $ Fisker Automotive, le n°1 américain des voitures de sport hybrides. Le même Wanxiang avait en 2013 racheté pour 256 millions de $ la licence de batteries au lithium pour voitures électriques ou hybrides d’un producteur américain basé au Massachusetts.
Un test significatif de la dynamique réformiste
La phase ouverte par les récentes déclarations des autorités financières chinoises constitue une mise à l’épreuve des réformes qui prennent de plein fouet les avantages corporatistes des banques et des entreprises d’État. Il est évident qu’il y faudra aussi une volonté politique sans faille pour briser la suprématie des banques publiques qui se nourrissent de l’épargne sans la rémunérer et pour casser les mécanismes routiniers qui entretiennent des avalanches de crédits uniquement accordés pour couvrir les dettes mal garanties contractées par les administrations locales ou les groupes industriels au nom de la puissance publique auprès de structures de financement grises, à l’assise financière aléatoire.
Il est également facile de prévoir que la préoccupation sociale focalisée sur l’emploi et la paix sociale qui favorise « l’esprit de relance », contre l’adaptation de la machine financière au marché et aux compétitions internationales, constituera un frein à la remise en ordre des finances.
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