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›› Chronique

Les Chinois en France

« Quand la Chine investit en France, enquêtes et portraits », c’est le titre d’une récente étude qu’il convient de saluer, sur les investissements chinois en France conduite par Hubert Testard et Brigitte Dyan. Ces derniers ont allié leurs compétences pour dessiner une image très complète et bien mise en perspective des investissements chinois en France. Journaliste, Brigitte Dyan a travaillé au Groupe Expansion, puis elle a été directrice de rédaction de Courrier Cadres, où elle a acquis une expérience approfondie du dialogue social et du management en entreprise.

Spécialiste de l’Asie grâce à une longue expérience de conseiller économique dans les ambassades de France au Japon, en Corée, à Singapour et en Chine où il a œuvré pendant 5 ans, Hubert Testard est aussi un expert des arcanes administratives françaises grâce à ses postes antérieurs à la Direction des Relations économiques extérieures et au cabinet d’Elisabeth Guigou aux affaires européennes.

Voir le document PDF Quand la Chine investit en France, ENQUÊTE ET PORTRAITS.

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Persistance des trompe-l’œil

Pourtant, le document s’ouvre sur une préface très convenue rédigée par Ramon Fernandez, Directeur Général du Trésor et David Appia, Président de l’Agence Française pour les Investissements Français Internationaux. Spéculant toujours sur la perspective devenue illusoire de relations France – Chine exceptionnelles, elle place aussi à tort la récente prise de participation de Dongfeng dans le capital de PSA sur le même pied que les partenariats franco-chinois très anciens et très maîtrisés dans l’aéronautique et le nucléaire civil piliers emblématiques de la relation qui, eux aussi, abordent une nouvelle phase.

Commencés dans le contexte aujourd’hui introuvable d’une coopération à forte implication émotionnelle dans le sillage de la reconnaissance gaullienne, les échanges dans les secteurs de l’énergie et des moteurs aéronautiques (avions et hélicoptères) sont aujourd’hui entrés dans les turbulences plus inconfortables de la compétition high-tech sur le marché mondial qui, d’ailleurs, concerne autant le nucléaire et l’aéronautique à moyen terme, que PSA et l’automobile à court terme.

Imaginer que les transferts des hautes technologies de l’automobile mises au point, à grands renforts d’études dans les centres de R&D de PSA en France sur la propulsion, la sécurité, le confort et l’ergonomie ne serviront qu’à équiper les véhicules destinés au marché chinois et ne concurrenceront pas les véhicules français dans le monde et en Europe, y compris sur le marché français, est une dangereuse illusion.

Il ne s’agit pas de s’interdire les échanges avec les constructeurs chinois, mais de les aborder en ayant bien conscience que l’état d’esprit de Dongfeng, n°2 étatique de l’automobile chinoise fondé à l’époque de Mao qui vient d’entrer dans le capital de PSA tout en entretenant des JV avec Honda, Kia Motors, Nissan et Daimler Benz, est très éloigné du schéma sentimental qui fonde l’illusion de la « relation privilégiée ».

C’est pourquoi, au lieu de tabler une fois de plus sur « l’exception française », la préface auraient été plus utile et mieux en phase avec l’étude si en quelques mots elle avait évoqué les moyens concrets et opérationnels de perpétuer des échanges en effet très riches dans ces domaines d’excellence de l’industrie française, mais qui, à l’évidence, ont changé de nature évoluant naturellement de la coopération amicale et intéressée vers la haute compétition sur le marché mondial aux moyens de technologies transférées.

Et, puisque nos dirigeants répètent sans cesse leur accablement face à nos 26 Mds d’€ de déficit commercial avec la Chine, peut-être faudrait-il aussi tirer les leçons opérationnelles de l’expérience décousue de Peugeot en Chine qui, après une première tentative malheureuse de 1985 à 1997 et un retour 5 ans plus tard, affiche un bilan de ventes 5 fois moins important que Volkswagen ou General Motors, les athlètes toutes catégories du secteur automobile en Chine, pourtant arrivés sur le marché plus de 10 années plus tard.

Les investissements chinois futurs ciblent l’Est de l’Europe

Il est aussi vrai que l’approche des auteurs, résolument tournée vers l’avenir, adoptant un parti pris presque toujours optimiste, s’applique à démontrer l’hypothèse – qui se vérifiera peut-être, mais peut-être pas - que les Chinois sont tout autant intéressés par la France que par la Grande Bretagne ou l’Allemagne qui, pour l’instant, tiennent la corde des destinations des capitaux chinois en Europe. Pour l’heure en tous cas, les projets du régime rendus publics à l’occasion de la récente visite de Xi Jinping à Bruxelles, confirment l’analyse des auteurs qui annoncent le développement massif des investissements chinois en Europe et dans le monde.

Pour autant, selon les dirigeants chinois eux-mêmes, l’effort d’investissement qui semble vouloir approcher le cœur européen par une stratégie circulaire ciblant d’abord ses limites orientales, ne se ferait pas à l’Ouest, mais, après la Grèce, vers les pays de l’est de l’Europe où la Direction chinoise a annoncé 200 Mds d’€ d’engagements d’ici 2015. Cet afflux quadruplerait le stock des investissements chinois dans le Vieux Continent. La réalité d’un fort potentiel de rattrapage qui serait d’abord dirigé ailleurs que chez nous, rend le travail de Hubert Testard et de Brigitte Dyan d’autant plus pertinent et opportun.

Photo Le 26 mars, signature sous les yeux des présidents de français et chinois de l’accord PSA - Dongfeng. De gauche à droite Robert Peugeot, Xu Ping, le président de Dongfeng, Philippe Varin PDG sortant de PSA et Pierre Moscovici. Avec un apport d’argent frais de l’État français et du chinois (1,6 mds d’€ au total pour DF et Paris), il s’agissait de sauver PSA de la faillite et d’améliorer son implantation sur le marché chinois. L’objectif est de vendre 1,5 million d’unités en Chine pour 2020 (modèles PSA et Dongfeng confondus. Le constructeur chinois bénéficiant des transferts technologiques du centre de R&D conjoint établi en Chine).

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Une étude concrète et opérationnelle

Sans ignorer les difficultés et les embuches culturelles, techniques ou de management, l’étude qui a l’immense mérite de plonger de manière exhaustive dans le détail des projets chinois en France, tord le cou à quelques clichés sur la faible capacité de travail des Français ou leur complexité administrative, principales sources d’inquiétudes des Chinois. En même temps, elle relativise sérieusement à la fois le volume des investissements chinois en France et les craintes françaises sur les risques de délocalisation ou le vol de technologies.

Surtout, elle présente sans fard – et c’est une première en France – une galerie de portraits de sociétés et d’entrepreneurs français et chinois ainsi que leur cheminement parfois compliqué ponctué de malentendus, de différences culturelles et de craintes réciproques sur la route d’une coopération équitable où tous les Chinois expriment une même détermination pro-française. Une réalité démontrée à force d’exemples appuyés sur des étudiants chinois bilingues ayant réussi en France, intermédiaires efficaces de la relation, qui a aussi la vertu revigorante de mettre un peu de baume sur les plaies du pessimisme français.

La relation humaine sincère, condition du succès

Peut-être s’agit-il là des deux principaux messages de cet intéressant opuscule qui vaut peut-être autant ailleurs qu’en Chine : 1) les français qui n’ont pas toujours conscience de leurs atouts, tablent un peu trop sur une connivence politique aujourd’hui évanouie ; et 2) il ne peut y avoir de relation opérationnelle efficace dans l’industrie, l’agriculture, la haute technologie, le luxe, le tourisme, l’immobilier, le vignoble ou le commerce sans des échanges humains les plus riches et les plus approfondis possibles, gages de l’indispensable confiance.

Toutes les difficultés et les échecs évoqués par l’étude paraissent avoir le point commun que ces complicités personnelles capables de dépasser le cynisme étatique, n’ont pas existé ou étaient par trop superficielles, dans une relation où la partie française affaiblie par des soucis financiers était peu renseignée sur l’origine et les intentions des capitaux chinois et/ou avait mal négocié ses avantages culturels, technologiques ou commerciaux.

Les tribulations de l’amitié authentique

A ce propos, il faut ici dénouer quelques malentendus tenaces à l’origine de bien des déboires. Porteurs d’une culture sociale d’ordre « théâtral », maîtrisant parfaitement les apparences de la convivialité rituelle, les interlocuteurs chinois ont développé à l’extrême l’art de l’hospitalité qui donne rapidement l’illusion d’une proximité amicale.

La formule convenue, sans cesse répétée par les négociateurs chinois entre deux « 干杯 ganbei (cul sec) », « - 我们 是 好 朋友 – women shi hao pengyou – nous sommes de bon amis - » est cependant fort éloignée de la complicité humaine intense et durable qui fonde la véritable amitié et la confiance.

La vérité est que la principale motivation des Chinois est toujours leur intérêt bien compris. Ceux qui l’oublient se mettent en danger. L’analyse de H. Testard et Brigitte Dyan a le rare mérite de ne pas éluder cet aspect, délicat passage obligé de toute négociation. Il est même très concrètement évoqué au travers du témoignage de Pierre Delarbre, de retour en 2009 chez SOMAB le fabricant français de machines outils de 3e génération, après un passage chez un équipementier allemand.

Cet ingénieur responsable des études mécaniques habitué aux clarifications allemandes abruptes « non c’est non », explique « qu’en Chine c’est toujours oui, mais qu’au final c’est non, car ce n’est pas forcément suivi d’effet ».

Mais à ce commentaire désabusé qui évoque un fossé culturel où s’affronteraient d’un côté une machine étatique protéiforme dont les contours sont mal identifiés et de l’autre un opérateur industriel français isolé et démuni, les auteurs décidément animés d’un souci d’objectivité qui leur fait honneur, opposent l’expérience très positive de Gérard Deman, le très lucide président du conseil d’administration d’Adisseo qui négocia le rachat de sa société par Chemchina, n°1 public de la chimie chinoise.

« On dit souvent que l’on est ami avec les Chinois dès le début, ce qui n’est pas tout à fait vrai, mais en revanche, ils mettent en place toutes les conditions pour que l’on devienne amis. Ce qui se produira 5 ans plus tard, lorsqu’on aura construit ensemble ».

Ces témoignages qui évoquent à la fois les tempéraments français et allemand opposés chacun à leur manière au style chinois, le Français « plus méditerranéen », l’Allemand plus « opérationnel » et le Chinois plus « oblique et ambigu » font irrésistiblement penser à une réflexion du général De Gaulle, qui, s’agissant des relations avec la Chine, semble peut-être plus proche de la vérité. Elle est sans doute à mi-chemin entre les échecs rédhibitoires qui émaillent les descriptions négatives de la relation et les succès sans tâche, arguments souvent illusoires de la langue de bois.

En janvier 1963, alors qu’il préparait la reconnaissance de la Chine un an plus tard, le président français, constatant que le Bundestag avait vidé le traité franco-allemand d’une partie de sa substance politique, laissa tomber cette formule lapidaire : « quand les Allemands disent non c’est non ; quand les Chinois disent non, ça commence ».

Rester lucide. Faciliter l’accès pratique à la France

Enfin, l’étude a aussi l’immense mérite de disséquer les pistes d’amélioration possibles. Presque toujours il est question de simplification des procédures d’accueil et de visa, de rationalisation des circuits administratifs d’approbation des projets, de lutte contre les préjugés et – peut-être une des mesures les plus importantes pour dépasser les craintes réciproques – de désigner des interlocuteurs qualifiés à la fois dans le contact interculturel et la coordination opérationnelle et technique des projets. Une proposition très opérationnelle qui rejoint d’ailleurs l’exigence de créer des relations humaines personnalisées dépassant les exercices de convivialité convenue des banquets à la chinoise.

Pour conclure cette recension on insistera sur l’importance des efforts de connaissance et de compréhension des partenaires chinois, permettant d’abord de se mettre en mesure d’identifier les bons investissements de ceux dont la pertinence, la conviction et le financement sont aléatoires ; ensuite de distinguer les sociétés authentiquement privées de celles qui tentent de s’en donner l’allure, mais sont en réalité des entités manipulées au moyen de prête-noms par des grands groupes publics.

A ce sujet les auteurs reviennent sur le cas Huawei, le géant chinois des télécoms ostracisé aux États-Unis et accueilli ailleurs avec ferveur pour ses potentiels d’investissements et de création d’emplois, mais dont l’image en France est encore troublée par des soupçons d’espionnage. Ces derniers avaient été ravivés par le rapport Bockel publié en juillet 2012, qui conseillait d’interdire les routeurs en provenance de Chine considérés par le rapport comme une menace pour la sécurité nationale.

Huawei avait contre attaqué par la voix de son représentant en France, François Quentin, en proposant de fournir au gouvernement le code source de ses logiciels et en rappelant que la compagnie était une entreprise privée appartenant à ses salariés, n’ayant rien à voir avec l’armée ou le régime chinois. Ses détracteurs font cependant remarquer que la compagnie est chargée par le gouvernement chinois de contrôler l’absence de dispositifs intrusifs dans les ambassades chinoises à l’étranger et qu’à ce titre elle est forcément liée au système de sécurité chinois.

Photo Le 3 juillet, à Isigny, Daniel Delahaye, directeur général d’Isigny Ste Mère et Luo Fei, PDG de Biostime, ont signé un partenariat. Les deux entreprises construisent une nouvelle usine de poudre de lait infantile. Ouverture en 2015 à Isigny. Photo Ouest France.

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