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Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam

La plateforme pétrolière chinoise installée à proximité des îles Paracel par la Chine dans une zone revendiquée par Hanoï a joué le rôle d’un détonateur. Attisée par le régime vietnamien ulcéré par la manoeuvre, la fibre patriotique de la frange nationaliste s’est brutalement enflammée.

Depuis le 9 mai, avec une soudaine montée de la violence le 13, des foules en colère se déplaçant en mobylette et agitant des drapeaux rouge frappés de la grande étoile jaune ont mis à sac des zones de développement, abritant non seulement des intérêts d’affaires chinois, mais également taïwanais, coréens, japonais singapouriens et malaisiens. Les cibles principales étaient apparemment d’abord les commerces ou des établissements portant des enseignes en caractères chinois. Une quinzaine d’usines ont été brûlées et une centaine pillées.

Pour expliquer la violence des pillages qui eurent lieu dans au moins deux endroits du Vietnam : la province de Ha Tinh, à 300 km au sud de Hanoï et la région de Saïgon, un analyste taïwanais estime que la vindicte a fini par déraper vers un ressentiment général contre les écarts de niveau de vie, les captations de richesse au profit d’une oligarchie corrompue et la présence étrangère rendue responsable des stagnations de salaires très en retard sur l’inflation.

Mais, selon Radio Free Asia (RFA), en général très bien renseignée, nombre de policiers en uniforme ont d’abord laissé faire, tandis que certains s’affairaient même à mobiliser les protestataires, attestant au minimum une complaisance du pouvoir lors du déclenchement des émeutes, dont il faut bien admettre qu’elles ont d’abord éclaté en riposte à la provocation de Pékin en mer de Chine.

Le bilan provisoire officiel n’est que de 2 tués. En réalité il pourrait être beaucoup plus lourd. Selon RFA, il serait de 16 morts. Un médecin de la région Ha Tinh fait état de 21 morts et d’au moins 100 blessés uniquement dans son voisinage. Les émeutes ont également déclenché des exodes. Selon un officiel du consulat taïwanais au moins 3000 de ses compatriotes ont quitté le pays en catastrophe et plus d’un millier de Chinois ont franchi la frontière cambodgienne.

Avec un tel bilan, à quoi s’ajoute l’exode des ressortissants chinois et taïwanais qui renvoient à de très sombres épisodes de l’histoire de la région, les querelles en mer de Chine du sud viennent de changer de nature et les développements de ces derniers jours posent la question des stratégies chinoises.

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La « ligne en 9 traits » et le grignotage de la mer de Chine

A l’origine, la revendication globale sur la quasi totalité de la mer de Chine exprimée par la « ligne de base en 9 traits » de Pékin dont l’origine remonte à 1947, mais qu’aucune instance juridique internationale n’a jamais reconnue et que plusieurs pays riverains ont rejetée, y compris l’Indonésie qui pourtant n’a aucun litige territorial avec la Chine. A quoi s’ajoutent l’appropriation rampante des îles Paracel dès 1947, achevée par une action de vive force de la marine chinoise en 1974, suivie en 1988 de la conquête militaire qui coûta la vie à 64 marins vietnamiens, des Îlots Johnson dans l’archipel des Spratly également revendiqué par Taïwan, les Philippines, la Malaisie et Brunei.

Alors que Hanoï n’a jamais reconnu la souveraineté chinoise sur les îles Paracel et nie que leurs abords où CNOOC a déployé sa plateforme, puissent être contrôlés par Pékin, la Chine a récemment accéléré sa stratégie de « grignotage » par les « zones contigües » autour des îlots sur lesquels elle affirme sa souveraineté. En janvier 2014 l’administration de Haïnan a en effet publié une nouvelle régulation sur les pêches vivement rejetée par le Vietnam, appliquée à une zone qui couvre une superficie voisine de 2 millions de km2, soit près de 60% de la surface de la mer de Chine du sud.

« L’étage supérieur » de la rivalité sino-américaine

Mais ces guérillas territoriales à l’œuvre depuis plus de 30 ans s’inscrivent aussi dans la rivalité sino-américaine de l’étage supérieur exacerbée depuis la décision américaine de basculer son épicentre stratégique vers le Pacifique Ouest, que Pékin interprète comme un défi public à son influence dans la zone. Dès lors, l’incident de la plateforme pétrolière agitée comme un chiffon rouge sous le nez de Hanoï, pourrait avoir été imaginé comme une réponse aux mises en garde américaines de plus en plus musclées.

Déclenchée après la visite en Chine du Secrétaire d’État américain à la défense Chuck Hagel qui donna lieu à des mises au point sans nuance et très martiales du ministre chinois Chang Wanquan, la provocation chinoise, mise en scène par le truchement du n°1 chinois offshore - dont le Waijiaobu explique qu’il se livrait à une opération de routine dans des eaux chinoises -, suivait immédiatement la tournée en Asie de Barack Obama.

En réponse aux postures guerrières du Pentagone avec les Philippines et le Japon, le message chinois semble dire en substance que Pékin ne cèdera pas aux menaces et que la Chine passera outre ce qu’elle considère comme une tentative pour freiner sa montée en puissance et limiter son influence dans la zone.

Les militaires américains et l’US Navy indésirables dans la zone

Dans la rivalité d’influence sino-américaine qui se joue en Asie, Pékin met l’administration Obama et son discours de neutralité à propos des querelles territoriales au pied du mur. En substance : « puisque vous dites que seule la liberté de navigation vous importe, la querelle à propos des Paracel qui est un conflit territorial, ne vous concerne pas ».

Plus généralement, la provocation s’inscrit dans la stratégie chinoise de marginalisation des États-Unis dans la zone et - ce qui n’est pas sans risque - obligera la Maison Blanche à imaginer une réaction pour ménager sa crédibilité auprès des pays de l’ASEAN qui, mis à part Manille et Hanoï, se tiennent dans une prudente expectative.

A l’appui de l’hypothèse d’une manœuvre chinoise dirigée contre Washington, d’abord évoquée par Carl Tayer dans un article publié dans « The Diplomat » du 12 mai [1], Peter Lee chroniqueur des affaires stratégiques qui analyse régulièrement les trajectoires conflictuelles entre Pékin et Washington pour Asia Times, examine les réactions du porte parole du Waijiaobu les 12 et 13 mai derniers.

Tout en affirmant la volonté de Pékin de négocier et d’adopter un code de conduite en mer de Chine du sud avec les pays riverains, Hua Chunying rappelle que les querelles territoriales doivent être réglées par des négociations bilatérales entre les pays concernés, sans intervention de l’ASEAN ou des Etats-Unis. Et quand la Chine est accusée de « provocation », il répond que les tensions se nourrissent d’abord des initiatives américaines qui incitent les pays riverains à se durcir contre Pékin.

Photo Une usine taïwanaise de cycles incendiée le 14 mai dans la ville de Di An Town, province de Binh Duong. Les intérêts taïwanais que les émeutiers ont confondu avec ceux de Chine, ont payé un lourd tribut

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Le Pentagone « fauteur de troubles »

Cette partition a été rejouée le 15 mai à Washington lors de la visite du général Fang Fenghui, chef de l’état-major général de l’APL, 4e plus haut gradé de l’APL, venu rencontrer le général Dempsey, à la tête du comité des chefs d’état-major américain. Commentant le déploiement de la plateforme par CNOOC, Fang a rejeté la responsabilité des incidents sur Hanoï et répété que la Chine n’était pas prête à céder un pouce de son territoire, avant d’expliquer que la bascule stratégique américaine vers l’Asie décidée par l’administration Obama avait encouragé le Japon, les Philippines et le Vietnam à affronter Pékin.

Le 17 mai, Xinhua publiait une dépêche faisant état de pourparlers avec des émissaires vietnamiens à Pékin. Mais la position chinoise sur la souveraineté et les responsabilités de Hanoï restait inchangée. La plateforme se trouvait dans les eaux chinoises à 17 nautiques des Paracel et à 150 nautiques à l’est des côtes du Vietnam et il appartenait au Vietnam de contrôler les violences de sa population.

Les effets imprévus de la provocation chinoise

Il reste que la provocation chinoise dont Pékin n’avait probablement pas anticipé les conséquences brutales aggravées par un lourd bilan humain qui mettent aussi le Vietnam en porte à faux vis à vis des donneurs d’ordres industriels et des pays d’Asie touchés par les émeutes, ont placé les relations sino-vietnamiennes à un niveau catastrophique jamais vu depuis 1979. La violence de la réaction vietnamienne qui suit celle de Manille au tribunal du droit de la mer, constitue peut-être un sérieux obstacle à la stratégie de grignotage chinoise.

Le 11 mai, 48 heures avant le début des pillages au Vietnam, les ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN réunis à Naypyidow au Myanmar avaient, dans un rare communiqué commun séparé de la déclaration finale, appelé à la mesure et exhorté les protagonistes à ne pas prendre d’initiatives pouvant menacer la paix.

La suite des réunions de l’ASEAN notamment celles sur la sécurité prévues au mois de mai (des ministres de la défense à Naypyidow au Myanmar du 19 au 21 mai ; et de l’ARF (ASEAN Regional Forum)- sur la sécurité maritime les 22 – 23 mai en Indonésie et les 28 – 29 mai à Manille) permettront de mesurer l’évolution de la situation et les perspectives d’apaisement. Le 25e sommet de l’ASEAN + 3 (Chine, Japon, Corée du Sud) avec les Etats-Unis, l’Australie et l’Inde aura lieu 9 au 11 novembre au Myanmar, en même temps que le sommet des ministres de la défense.

Une certitude : les violents dérapages observés au Vietnam obligeront chacun à ajuster ses positions. Les futures réunions de l’ASEAN et de l’ARF permettront de prendre la mesure des progrès. Il est cependant impossible que Pékin accepte de prendre en compte les revendications vietnamiennes sur les Paracel. Le mieux que Hanoi puisse espérer est un développement partagé des ressources.

Mais les tensions subsisteront tant que Washington et Pékin n’auront pas réussi à trouver un modus vivendi entre les irréductibles obsessions territoriales chinoises et le désir d’influence et de sécurité globale des Américains que la Maison Blanche et le Pentagone considèrent comme la condition de la défense des Etats-Unis.

Photo Le 15 mai, en pleine effervescence anti-chinoise au Vietman, le Général Fang Fenghui n°4 de l’APL et le général Dempsey président du comité des chefs d’état-major américain ont tenu une conférence de presse au Pentagone. Pour Fang, l’activisme militaire américain en mer de Chine est un facteur de troubles.

Lire aussi :
- Les embarras compliqués de la puissance chinoise.

- Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global.

Mise à jour le 20 mai

4 bateaux affrétés par la Chine pour évacuer ses ressortissants sont arrivés le 19 mai à Vung Ang dans la province de Ha Tinh où ont eu lieu les plus violentes attaques contre des intérêts chinois. Selon les autorités chinoises 3000 expatriés ont déjà été évacués après les violences des 13 et 14 mai. Xinhua précise sans donner de détails que 16 personnes très gravement blessées ont été rapatriées en Chine par voie aérienne.

Le retour en Chine des expatriés a eu lieu alors que Pékin a établi une zone d’exclusion de 3 nautiques autour de la plateforme de CNOOC à proximité des Paracel pour la protéger des harcèlements des navires vietnamiens qui tentent de stopper les opérations de forage.

Si l’agence Xinhua a rendu compte des opérations d’évacuation après les émeutes, tandis que le 20 mai le China Daily publiait un long reportage commenté des violences avec photos des fugitifs chinois vers le Cambodge ou arrivant en Chine, on ne peut que remarquer l’absence de précisions sur le bilan humain des révoltes.

Officiellement la Chine reconnaît 2 tués et « plus de 100 blessés » (Xinhua 19 mai). Mais Reuter et Radio Free Asia, reprenant les témoignages d’un médecin vietnamien avaient d’abord fait état d’au moins une vingtaine de morts. Mais, en l’absence de confirmation officielle de Pékin ou de Hanoi, ils ont cessé de relayer l’information.

La même omerta existe au Vietnam où il est évident que les émeutes d’abord organisées par le pouvoir ont échappé à leurs mentors au point de saccager des intérêts singapouriens, taïwanais japonais ou sud-coréens.

Un débordement que certains attribuent non pas à une colère anti-chinoise mais à de lourds ressentiments d’ordre social, où le pouvoir politique est mis dans le même sac que les donneurs d’ordres étrangers accusés d’être à l’origine du blocage ses salaires et des écarts de richesse qui plombent la cohésion sociale et politique du pays.

Mise au point du Waijiaobu et « Déclaration de conduite »

Le 19 mai le porte parole du Waijiaobu a répondu aux commentaires du Secrétaire Général de l’ASEAN, le vietnamien Le Luong Minh, ancien ambassadeur de Hanoi aux Nations Unies qui, dans le Wall Street Journal, a accusé la Chine d’avoir violé la Déclarations sur le Code de conduite adoptée par l’ASEAN en 2002 à Phnom-Penh, après quoi il a demandé à Pékin de « quitter les eaux territoriales vietnamiennes, seul moyen de restaurer la confiance ».

Après une admonestation à connotation morale et protocolaire qui enjoignait au Secrétaire Général de ne pas se livrer à des « commentaires qui dépassaient ses prérogatives », Hong Lei a rappelé la position à la fois inflexible et insolite de la Chine selon laquelle les questions de souveraineté en mer de Chine du sud ne sauraient être du ressort de l’ASEAN qui ne devait pas se mêler d’un conflit territorial en particulier. Il concluait que le respect de la neutralité en la matière par l’Association était la condition de ses bonnes relations avec Pékin.

La Chine qui est le premier partenaire commercial du Vietnam n’y est que le 15e investisseur avec un stock de 11 Mds de $ et un flux qui varie de 4 Mds de $ en 2010 – l’année la plus riche depuis 2005 - à seulement 0,5 Mds en 2013 (l’information doit cependant être corrigée du flou qui enveloppe les capitaux en provenance de Hong Kong et des paradis fiscaux).

En tête des engagements étrangers on trouve Taïwan, Singapour, la Corée du sud et le Japon. La violence des réactions vietnamiennes et les dérapages qui suivirent inciteront Pékin et Hanoi à chercher de discrets compromis, difficiles à rendre publics face à l’exacerbation des sentiments nationalistes attisés par les machines politiques des deux pays.

Le 4 novembre 2002, les 10 pays de l’ASEAN avaient signé à Phnom-Penh, lors de la précédente présidence du Cambodge, une « Déclaration sur la conduite des parties en Mer de Chine du sud ».

Le document répète à plusieurs reprises : « dans l’attente d’un règlement des différends » ; il est facile d’imaginer qu’ils ne le seront jamais, tant que les parties, et en particulier la Chine, ne modifieront pas leurs positions inconciliables sur les questions de souveraineté.

La déclaration, qui n’est pas un code de conduite, n’a pas force de loi et n’est appuyée par aucune autorité ou force indépendante qui pourrait imposer sa mise en œuvre. Surtout, elle élude la question centrale de la souveraineté.

Note(s) :

[1Dans le même article Tayer cite - révélées par des diplomates en poste à Pékin - les réactions initiales de CNOOC très hostiles à la manoeuvre de la plateforme, techniquement inutile et financièrement très coûteuse. S’ils étaient exacts ces témoignages contrediraient la thèse d’une opération de routine et confirmeraient celle de la provocation.

 

 

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