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›› Chronique

Entre raison, émotions et rivalités stratégiques, la marine chinoise participe à RIMPAC

La marine de l’APL a, pour la première fois, participé à l’exercice naval RIMPAC avec trois bâtiments de surface de premier rang : le navire logistique Qiandaohu au centre, et les navires lance missiles Haikou à droite et Yueyang à gauche.

Dans le Pacifique occidental se déroule du 26 juin au 1er août la 24e édition de l’exercice « RIMPAC » organisé par la marine des Etats-Unis où ont été invités 21 pays. Fait très exceptionnel, la marine chinoise figure sur la liste des acteurs de l’exercice.

Ayant dépêché les bâtiments lance missiles Haikou et Yueyang, le navire logistique Qiandaohu, 2 hélicoptères, une unité de commandos et des équipes de plongée, soit plus de 1000 hommes, la Chine participe avec plus de moyens que toutes les autres nations invitées pour la première fois à une manoeuvre navale de grande ampleur organisée par le Pentagone autour de Hawaï et San Diego éloignés de 2200 nautiques.

Cette année l’exercice met en œuvre 250 000 hommes, 49 navires de surface, six sous marins et plus de 200 aéronefs appartenant à 22 pays (Australie, Brunei, Canada, Chili, Chine, Colombie, Corée du sud, États-Unis, France, Inde, Indonésie Japon, Malaisie, Mexique, Pays, Bas Nouvelle Zélande, Norvège, Pérou, Philippines, Singapour, Tonga).

Récemment, une polémique a éclaté dans les médias et au Congrès des États-Unis autour de l’invitation de la Chine par la Maison Blanche et de l’envoi par la marine de l’APL pour observer l’exercice, d’un navire de surveillance électronique dans les eaux proches de Hawaï. La controverse qui renvoie à la fois à l’espionnage électronique et à la liberté de navigation, donne l’occasion de revenir sur les positions divergentes de Pékin et Washington à propos des opérations de reconnaissance aériennes et navales dans les ZEE et aux abords des eaux territoriales.

Ces divergences qui, dans un passé récent furent les causes directes de graves incidents navals et aériens sont aussi l’occasion d’analyser non seulement le potentiel d’aggravation des tensions, mais également les signes d’une normalisation de la relation entre les deux marines. En arrière-pensée et au-delà du soulagement né d’une évolution des attitudes chinoises, subsiste cependant à Washington la crainte que Pékin cherche, par une manœuvre à double face, à fragiliser les alliances américaines en Asie.

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Le 8 mars 2009, dans la ZEE de Hainan, le navire de guerre électronique américain USNS Impeccable a été harcelé par une flottille de 5 bateaux chinois. L’intérêt de la marine américaine pour cette zone réside dans le fait que l’île de Hainan abrite la première base chinoise de sous marins nucléaires stratégiques lanceurs d’engins (SNLE).

Polémique et risques d’incidents graves.

Le 21 juillet, Reuter publiait une dépêche sur la présence dans les eaux internationales - mais à l’intérieur de la ZEE de l’archipel américain de Hawaï - du navire de surveillance électronique chinois Dongdiao lancé en 2004 par des chantiers de Shanghai, jaugeant 6000 tonnes, armé d’un canon de 37 mm et de deux mitrailleuses doubles de 14,5 mm et équipé de 3 radômes « sigint » – abréviation pour « Signal Intelligence » - capables d’écouter les signaux électroniques.

Après que le porte parole de l’US Navy eût précisé que c’était la première fois dans l’histoire de RIMPAC qu’un pays invité se livrait à des activités d’espionnage sur l’exercice, une controverse est née au Congrès sur le bien fondé d’une invitation de la Chine. Les détracteurs s’appuyaient sur les restrictions légales à la coopération avec l’APL destinées à protéger les technologiques sensibles.

La plupart stigmatisaient aussi les attitudes agressives de la marine et de l’aviation chinoises qui depuis 2001 provoquèrent une série d’incidents maintes fois commentés par les médias américains. Parmi les plus célèbres, deux ont eu lieu à proximité de l’île de Hainan dans la ZEE chinoise et dans l’espace aérien international qui borde l’espace aérien chinois.

Différences d’interprétation des lois de la mer.

A l’origine, un décalage d’interprétation de la convention sur le droit de la mer à propos de la navigation dans les ZEE et dans l’espace aérien au-dessus d’elles. Pour les États-Unis, dont le Congrès n’a toujours pas ratifié la convention, les ZEE et les espaces aériens qu’elles délimitent sont des zones internationales où la navigation est libre. Pour la Chine, qui se réfère à l’article 300 de la convention qu’elle a signée et ratifiée, les missions d’espionnage constituent un « abus » de la liberté de navigation et une « menace non pacifique » prohibée par l’article 301.

S’il est vrai que la grande majorité des pays considèrent la ZEE comme la haute mer quand il s’agit d’activités de surveillance, 16 pays dans le monde dont le Bangladesh, le Myanmar, le Cambodge, l’Inde, la Malaisie, les Maldives, la Thaïlande et le Vietnam observent la même attitude que la Chine, considérant que les opérations militaires assimilables à de l’espionnage devraient préalablement obtenir l’autorisation des riverains.

Mais les experts américains considèrent que si l’US Navy observait ces restrictions, sa liberté de manoeuvre serait réduite de 30% sur l’ensemble des mers du globe. C’est bien là une des raisons pour lesquelles le Congrès des États-Unis, puissance navale de premier rang, n’a pas ratifié la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, entrée en vigueur en 1994 et signée par la France en 1996.

La revue Armateurs de France indique qu’à l’exception des États-Unis, la plupart des grands pays industrialisés ont ratifié la Convention. 20 pays signataires n’ont pas encore ratifié : Afghanistan, Bhoutan, Burundi, Cambodge, République centrafricaine, Tchad, Colombie, Salvador, Éthiopie, Iran, Corée du Nord, Thaïlande, Libye, Liechtenstein, Malawi, Niger, Rwanda, Swaziland, Émirats arabes unis, États-Unis. 17 pays n’ont pas signé : Andorre, Azerbaïdjan, Équateur, Érythrée, Israël, Kazakhstan, Kirghizistan, Pérou, Saint-Marin, Syrie, Tadjikistan, Timor oriental, Turquie, Turkménistan, Ouzbékistan, Vatican, Venezuela.

Dans les ZEE Pékin assimile les patrouilles sans autorisation de navires ou d’avions espions à une intrusion illégale. Il est assez souvent arrivé que s’estimant dans leur droit, la marine et l’armée de l’air chinoises se livrent à des manœuvres de harcèlement dangereuses pouvant provoquer ou ayant provoqué des accidents graves.

Manœuvres dangereuses autour de Hainan

Tel fut le cas de deux incidents restés dans les mémoires : le 1er avril 2001, un avion de reconnaissance EP-3 de l’US Navy, endommagé par la collision avec un chasseur chinois J-8 qui le harcelait et dont le pilote a disparu dans l’accident, fut contraint de se poser en catastrophe sur l’île chinoise de Hainan où l’équipage américain fut retenu en otage pendant 11 jours.

L’autre incident fut spectaculaire, mais bien moins dramatique. Le 8 mars 2009, à 75 nautiques des côtes de Hainan, le USNS Impeccable, navire de 5300 tonnes équipé d’un sonar basse fréquence de lutte anti sous marine a, dans la ZEE de Hainan qui abrite une base de sous marins stratégiques chinois, été longuement harcelé par 5 navires chinois, dont un bâtiment de guerre électronique, un patrouilleur du ministère des pêches, un bâtiment océanographique et deux chalutiers.

Selon une mise au point de la marine des États-Unis, « les navires chinois qui enjoignaient à l’Impeccable de quitter la zone l’ont encerclé à une distance de moins de 20 m, l’obligeant à mettre en œuvre ses lances à incendie pour se protéger (…). Alors que l’Impeccable quittait la zone il a été obligé de stopper en urgence, bloqué par 2 navires chinois qui lancèrent des troncs d’arbres en travers de sa route ».

Plusieurs autres péripéties ont eu lieu par la suite, en grande majorité dans les mers de Chine de l’Est et du Sud, avec des survols à basse altitude des navires américains par des avions de patrouille maritime Y-12, des manœuvres menaçantes de la marine chinoise accompagnées d’injonctions à quitter la zone, diffusées par haut parleur.

Plus largement, la controverse oppose deux visions : celle des nations continentales qui plaident en général pour un contrôle strict des activités maritimes dans les ZEE par les pays côtiers ; celle des nations maritimes attachées à l’entière liberté de navigation et au droit à la surveillance électronique. Enfin, s’il est vrai que les risques d’incidents graves demeurent élevés, on observe à Pékin comme à Washington une volonté de compromis et un intérêt de plus en plus affirmé de part et d’autre pour la mise en place de procédures destinées à éviter les dérapages néfastes.

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En avril 2014 les commandants des marines chinoise et américaine Wu Shengli et Greenert se sont rencontrés à Qingdao, siège du Commandement de la Flotte de l’Est. A l’occasion du Symposium naval du Pacifique occidental, ils ont signé en même temps que 21 autres nations, un code règlementant les réactions des équipages en cas de rencontres fortuites en mer ; en anglais « Code for Unplanned Encounters at Sea – CUES - »

La crainte de l’engrenage nourrit la prudence.

Du 15 au 18 juillet l’Amiral Greenert commandant la marine américaine a, à l’invitation de l’Amiral Wu Shengli, effectué une visite officielle en Chine d’une durée inhabituelle à ce niveau dont le but était clairement d’apaiser les tensions entre les deux marines et de prévenir de futurs incidents, principal souci des voisins de la Chine qui craignent une escalade. Un sondage effectué dans 11 pays asiatiques par le Pew Research Center montre que plus de la moitié des personnes interrogées craignent que les querelles territoriales avec Pékin débouchent sur un conflit. En Chine même la proportion des pessimistes était de 60%.

Les échanges s’inscrivent dans une intention d’apaisement également exprimée par le Chef d’état-major de l’armée de terre américaine venu en Chine en février 2014, tandis que le 14 juillet dernier, le Président Obama téléphonait au président Xi Jinping pour l’assurer qu’il aborderait de manière constructive les divergences sino-américaines sur le commerce, l’espionnage électronique, ainsi que celles, très sensibles en Chine, concernant les alliances militaires des États-Unis avec le Japon et les Philippines.

C’était la 4e rencontre en une année entre Greenert et Wu Shengli qui, en septembre 2013, avait déjà fait 8 propositions de coopération dont l’une était la participation de la Chine à l’exercice RIMPAC aujourd’hui mise en œuvre par la Maison Blanche. Une autre concernait des échanges de stagiaires entre les académies navales. Une troisième enfin visait l’organisation sur courts préavis d’exercices simples dans le golfe d’Aden, en Méditerranée et en Mer de Chine du sud.

Mais les échanges les plus en phase avec les risques d’incidents concernèrent les modalités d’application du code règlementant les réactions des équipages en cas de rencontres fortuites en mer, en anglais « Code for Unplanned Encounters at Sea – CUES - », signé par 21 nations asiatiques du Pacifique en avril dernier à Qingdao lors du Symposium naval du Pacifique occidental. Parmi les signataires : Pékin, Tokyo, Manille et Washington.

Éviter les incidents navals.

Le code qui est l’aboutissement de 10 années de négociations définit les procédures automatiques à adopter en cas de rencontre imprévue et fortuite. Prévu pour des événement se situant hors des eaux territoires et des espaces aériens nationaux, l’accord qui n’est pas juridiquement contraignant, constitue selon l’Amiral Wu Shengli « une étape hautement significative pour la promotion des communications, la dissipation des malentendus et la réduction des erreurs de jugement ». « Il devait », a t-il ajouté, « inciter tous les responsables à encourager les commandants de bateaux et les pilotes à développer leurs capacités à communiquer, leur maîtrise opérationnelle et leur bonne volonté ».

Bien que n’éliminant pas l’intention de nuire, le code qui prévoit une communication en anglais, définit les fréquences radio des communications d’urgence entre navires et avions de combats et établit un système d’identification par signaux du type d’activités en cours conduites par les navires (tirs réels, opérations logistiques, manœuvres de sous marins faisant surface ou en plongée peu profonde etc.).

Un article de l’accord recommande aux commandants de bateaux d’éviter de braquer des projecteurs allumés vers la passerelle d’un autre navire et vers le cockpit d’un avion ou encore de pointer ostensiblement des armes ou un faisceau radar vers un autre bâtiment ou aéronef.

Enfin, la volonté d’apaisement se traduit également par la placidité des responsables militaires de la marine américaine et la modification de l’attitude des officiers de marine chinois lors de rencontres ou d’incidents.

Volonté d’apaisement américaine et séductions chinoises.

Au plus fort de la controverse soulevée par le Congrès et les médias sur la présence d’un navire espion chinois non invité lors de l’exercice RIMPAC, la marine américaine, prenant le contrepied des critiques, a constamment souligné que le bâtiment de l’APL ne gênait pas les opérations et se trouvait dans les eaux internationales en accord avec les lois sur la liberté de navigation.

Côté chinois, récemment plusieurs témoignages rapportés par le Wall Street Journal attestent d’un changement d’attitude des équipages des navires de combat de l’APL. Quand, courant février en mer de Chine du sud, le lance missiles USS Spruance fut pourchassé par un navire civil chinois qui lui adressait des messages agressifs en anglais et en chinois lui enjoignant de quitter la zone, une frégate de l’APL a pris contact avec le Spruance et s’est interposée.

Une autre expérience de séduction chinoise est racontée par le commandant du destroyer USS Curtis Wilbur basé au Japon. En octobre 2013, en mer de Chine de l’est, son bâtiment a été approché à 20 mètres par la frégate chinoise Putian. Les deux commandants se sont salués par radio et entamèrent une longue conversation sur le climat, les caractéristiques de leurs bâtiments, leurs familles, leurs expériences culinaires, la musique et le basket.

En décembre 2013, lors des incidents qui émaillèrent la mission de renseignement effectuée en mer de Chine du sud sur une route parallèle à celle du porte-avions Liaoning par le lance missiles USS Cowpens, dont la trajectoire fut soudain bloquée par un des navires d’escorte du Liaoning qui se mit en travers, la situation s’apaisa lorsque le commandant du Liaoning et du Cowpens communiquèrent en anglais.

L’amiral Greenert cite tous ces exemples pour témoigner que l’attitude générale des marins chinois à l’égard des Américains est en train d’évoluer.

Mais remarquant qu’à l’égard des Philippines et des Japonais, les Chinois restent plus agressifs, certains au Pentagone en déduisent que l’attitude traduit une stratégie à double face. L’une, plus conciliante à l’usage de l’US Navy, l’autre plus brutale contre les marines du Japon et des pays riverains de la mer de Chine du Sud, le contraste pouvant avoir comme objectif de désolidariser les Américains de leurs alliés.

La responsabilité majeure des politiques.

Ces controverses politico-militaires font aussi apparaître la dichotomie du système politique américain et le poids considérable des lobbies du Congrès à la fois opposés à la ratification de la Convention sur le droit de la mer et très critiques de la moindre interaction entre les armées chinoise et américaine, craignant les fuites de secrets militaires et les captations par la Chine de technologies sensibles.

Quant à la Chine, crispée sur ses positions très nationalistes qui lui enjoignent de contrôler sa ZEE comme s’il s’agissait d’un espace inviolable, elle vient de mettre de l’eau dans son vin en avouant, lors du dernier « Shangrila Dialogue », qu’elle aussi espionnait les États-Unis en postant des navires de guerre électronique aux limites des eaux territoriales américaines.

Enfin, les péripéties décrites plus haut, les contacts étroits établis entre les amiraux Wu Shengli et Greenert et aux échelons subalternes révèlent une connivence entre militaires Chinois et Américains, d’autant plus intéressante à observer qu’elle semble heurter de plein fouet la paranoïa des médias et du Congrès.

On s’interroge souvent sur les causes des dérapages qui conduisent aux conflits majeurs. Peut-être faudrait-il s’intéresser aux irresponsabilités du jeu politique et de celui des médias qui, chacun pour des raisons différentes, mais parfois voisines, agitent plus souvent les leviers émotionnels que ceux de la raison. En arrière plan de ces jeux de rôles et de ces surenchères plane toujours l’ombre des rivalités stratégiques entre Washington et Pékin, foyer de discordes qui couve doucement, alimenté par les nationalismes qu’il est très dangereux d’attiser.

 

 

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