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Retour sur la santé publique en Chine

En septembre 2013 le gouvernement annonçait que 90% des ruraux en Chine étaient couverts par l’assurance santé selon le nouveau schéma de coopérative rurale médicale. Sur la photo, un docteur partie du projet des experts volontaires ausculte un moine tibétain au monastère de Mindrolling dans le district de Zhanang (Reuters).

Ces derniers mois le magazine Caixin a publié une série d’articles faisant le
point des réformes du système de santé lancées en 2009 par un investissement massif de 125 Mds de $. L’effort financier avait notamment permis de décupler les dépenses par tête par rapport à 1994, les investissements dans les zones rurales ayant même été multipliés par 17.

Même si les couvertures restent encore très faibles, les premières phases de la réforme ont été menées à terme : l’accès aux soins de base et à l’assurance ont été élargis à 90% de la population ; une liste de médicaments protégés des hausses abusives a été établie ; la gestion des hôpitaux publics est en cours de réforme avec des essais de séparation des consultations et de la pharmacie ; afin d’augmenter la densité de la couverture médicale du pays, un programme de formation à mener à bien d’ici 2020 a été lancé pour 15 000 médecins et plus de 500 000 infirmiers ou auxiliaires de santé.

Mais en dépit des efforts un point clé qui conditionne l’équilibre général du système tel qu’il fonctionne aujourd’hui est resté en plan : l’amélioration de la rémunération des médecins dont la faiblesse est aujourd’hui à l’origine de plusieurs effets pervers : une désaffection des jeunes diplômés pour la profession, génératrice de pénuries de médecins à l’origine des engorgements des hôpitaux publics et indirectement de la très mauvaise relation entre les patients et les praticiens qui provoque régulièrement des agressions des médecins et des personnels soignants. Beaucoup de freins financiers, bureaucratiques et politiques sont à l’origine du blocage des réformes.

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Le 28 octobre 2013, les médecins et personnels médicaux de l’hôpital de Wenling manifestaient pour protester contre les agressions par des patients et le décès de l’un des leurs tué à coup de couteau.

Tensions entre médecins et patients.

En octobre 2013, plusieurs centaines de médecins et infirmières s’étaient rassemblés devant l’hôpital de Wenling dans la province du Zhejiang après qu’un malade avait poignardé 3 docteurs dont l’un était décédé ; l’année précédente un autre médecin avait été attaqué par un patient mécontent à l’hôpital Tongren de Pékin.

En mars 2012 dans un hôpital de Harbin, une interne âgée de 28 ans avait été assassinée à coups de couteau par un jeune patient qui a également blessé deux auxiliaires de santé. Le 29 mars 2012 quelques semaines après, le China Daily publiait un article expliquant qu’en 2010, 17 000 incidents violents avaient affecté 70% des établissements de santé. La même semaine, le ministère de la santé révélait qu’en 2011 plus de 5000 personnels de santé avaient été blessés au cours d’altercations avec des malades.

Peu après l’incident de Harbin, le ministère de la santé avait fait installer des systèmes de surveillance et publiait une circulaire recommandant d’améliorer la relation avec les patients. Mais Caixin explique que compte tenu de la pénurie de médecins et de spécialistes ces derniers reçoivent jusqu’à 70 à 80 patients chaque jour ce qui leur laisse à peine 5 à 6 minutes par malade. Les autres effets pervers des faibles rémunérations sont la sur-prescription sur laquelle les médecins touchent un pourcentage dont le poids alourdit considérablement la facture de l’assurance santé, tandis que d’autres choisissent purement et simplement de quitter la profession pour devenir représentant médical dans des grands groupes pharmaceutiques étrangers.

La réalité des rémunérations des médecins.

En mars 2014, le Quotidien du Peuple a lancé une enquête anonyme pour connaître les véritables rémunérations des médecins en Chine (y compris les pots de vin sur les consultations et les actes chirurgicaux ainsi que les pourcentages sur les prescriptions). L’enquête a été conduite aux trois niveaux de qualité des hôpitaux de 1 (petit niveau) à 3 (qualité supérieure), chaque niveau étant lui-même divisé en sous-niveaux A,B,C, avec une tendance à l’inflation des classifications avec certains hôpitaux d’élite classés 3 A+. A la base un praticien d’un grand hôpital de la capitale touche officiellement 46 000 Yuan par an soit 5600 €.

Ces revenus sont substantiellement augmentés par des bonus offerts par l’hôpital, des commissions sur les prescriptions de médicaments et d’examens (également à la source de 50% des revenus des hôpitaux), des dessous de table offerts par des patients pour un traitement privilégié et enfin des extras effectués le week-end dans des cliniques privées. De cette manière les émoluments des docteurs peuvent atteindre 180 000 Yuans, soit 22 000 € par an. Un chef de département peut toucher jusqu’à 300 000 Yuans soit 36 000 €. Mais il est probable que les revenus réels de certains médecins vont bien au-delà.

Il existe des disparités entre les spécialités reines très bien payées (chirurgie, cardiologie, orthopédie) et les laissées pour compte (pédiatrie), ainsi que des différences entre médecins des grands centres urbains et ceux de l’arrière pays dont les revenus ne dépassent pas 10 000 Yuans par mois (1200 €). Un médecin d’une clinique de quartier ne touche que 600 € mensuels.

Sous évaluation financière du temps de travail des médecins…

Mais l’un de problèmes le plus ardus à résoudre est la sous évaluation économique du temps de travail des médecins dans les hôpitaux. L’enquête du Quotidien du Peuple donne l’exemple d’une opération du genou qui nécessite deux chirurgiens, deux infirmières et deux anesthésistes pour une durée d’une à trois heures, que l’hôpital n’estime qu’à 25 € par médecin en moyenne. Mais les « compléments » payés par les patients prenant en compte l’expertise des chirurgiens, le coût des équipements et celui des médecines, sont laissés à l’évaluation des équipes médicales, ce qui induit de fortes disparités de prix à « la tête du client », fonction de la cupidité des chefs d’équipe et de l’hôpital.

…à l’origine des revenus parallèles.

Selon certains pharmaciens interrogés par le journal « les plus audacieux des médecins prescrivent toujours les remèdes les plus chers, même s’ils ne sont pas toujours les plus appropriés et quand un nouveau médicament arrive sur le marché ils se précipitent pour l’ordonner, ajoutant une batterie d’examens très chers et pas toujours utiles ».

La situation, qualifiée d’explosive par le journal, marquée par une pénurie de médecins, de longues files d’attente et des prescriptions très onéreuses, crée une ambiance qui peut aller du mécontentement des patients à une vraie hostilité. Elle est résumée par une suite de formules abruptes : « kanbing nan » (il est difficile de consulter) ; « houzhen chang » (les attentes sont longues) ; « kanbing duan » (la consultation est brève) ; « kanbing gui » (les consultations coûtent cher) ; « jiancha duo » (il y a beaucoup d’examens) ; « yaofei duo » (les médicaments coûtent cher).

Lire notre article « Kan Bing Nan, Kan Bing Gui ». Malaise dans les hôpitaux chinois.

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Les essais de privatisation…

Huang Shu (à droite) est un chirurgien du cerveau célèbre qui en 2002 a quitté l’hôpital public pour créer un hôpital privé à Pékin. Il reçoit 300 patients par jour. Pour lui l’État doit aider le hôpitaux privés. Photo China Daily

La conclusion du Quotidien du Peuple espère que les réformes du système de santé, y compris celles liées aux prix des médicaments permettront d’assainir la situation. Selon le Dr Huang Jiefu formé en Australie, à la fois célèbre et controversé (il est accusé d’abuser des prélèvements d’organes sur la population carcérale) qui fut aussi vice-ministre de la santé pendant 12 ans, la solution pour « restaurer l’honneur des médecins » serait d’ouvrir le système au marché et à la concurrence et d’autoriser les praticiens à pratiquer où et quand ils le souhaitent.

Selon Huang, une telle réforme établirait une échelle des valeurs des services des médecins qui supprimerait les « pratiques grises » assez peu conformes à l’éthique, destinées à améliorer leurs revenus. Le Quotidien du Peuple conclut en souhaitant que les nouvelles assurances de santé prévoient des systèmes de bonus cumulés pour les bien portants, permettant d’amasser un pécule à utiliser pour choisir les meilleurs médecins et traitements en cas de maladie grave.

…soulèvent des critiques…

Pourtant, l’ouverture complète du système au marché n’est pas sans effets pervers. Un autre article de Caixin paru en avril dernier faisait état des vives critiques du public à la suite de l’ouverture à Shanghai du « Centre Médical International (Shanghai Medical International Center – SMIC - ) », un établissement privé aux prix très au-dessus de ce qui se pratique ailleurs en Chine.

Alors qu’une consultation de base dans un hôpital normal de Shanghai ne dépasse que rarement 50 Yuans (6 €) et qu’un rendez-vous avec un spécialiste se paye au plus 35 €, au SMIC, une simple consultation est facturée 1200 Yuans (145 €). L’opinion publique qui s’exprime sur les réseaux sociaux craint que ces nouveaux établissements drainent les meilleurs médecins au profit des actionnaires et d’une élite fortunée.

Pour Pékin, l’expérience qui éloigne encore un peu la Chine de son arrière plan politique socialiste, doit tester la possibilité officiellement donnée aux médecins d’exercer dans plusieurs établissements ce qui diffuserait leur expertise plus largement. Mais l’article conclut que la réforme ne réussira que si la multiplication des hôpitaux privés est accompagnée par le développement des établissements « low-cost » de qualité, subventionnés par le gouvernement. Enfin une autre étude de Caixin évoque à travers un cas concret les obstacles bureaucratiques aux réformes.

Le poids de la bureaucratie et le bon docteur Liao.

Le 7 juillet le journal racontait l’histoire du Dr Liao Xinbo devenu populaire sur les réseaux sociaux pour avoir dénoncé les freins bureaucratiques aux changements de mentalité dans le système de soins.

Âgé de 58 ans, Liao était depuis 10 ans le n°2 du Bureau de la santé et du planning familial de la province de Canton. Mais en avril il a été muté au bureau des inspections par une décision administrative que lui-même considère comme une sanction après qu’il ait constamment dénoncé sur Weibo les blocages bureaucratiques et administratifs qui continuent de plomber le système de soins chinois. Dans l’actuelle ambiance de semi-hostilité contre les insuffisances du système, son compte Weibo, alimenté par plus de 2000 interventions de sa part, accueillait plus de 3 millions de fidèles.

Contrairement à ses collègues de la hiérarchie administrative, le Dr Liao parlait ouvertement des dysfonctionnements avec la presse et le public, sur des sujets allant de la santé à la recherche académique et ne se gênait pas pour critiquer les politiques publiques néfastes au système de soins. Marginal sympathique, il se comportait à l’exact opposé d’un bureaucrate, acceptant de recevoir tous ceux qui demandaient à le voir, souvent sans rendez-vous. Il était plus amical avec la presse que n’importe quel agent public, au point qu’en mars dernier, il a fait la une des journaux lors d’un incident impliquant un groupe de femmes enceintes de leur deuxième enfant.

L’affaire qui – dit l’auteur - fut peut-être le dernier clou fermant son cercueil administratif, enfla quand les protestataires qui demandaient que soit appliquée la décision prise lors du 3e Plenum d’autoriser un deuxième enfant par couple, s’emparèrent du bureaucrate qu’on leur avait envoyé pour leur signifier une fin de non recevoir.

Alerté Liao se rendit sur place pour rassurer les femmes leur promettant un action officielle en leur faveur. Mais peu après un fonctionnaire du département de la propagande téléphonait à Caixin pour expliquer qu’aucune des promesses de Liao serait tenue, conseillant au journal de ne pas faire état de l’incident et de son intervention auprès des femmes enceintes : « en publiant vous compliquerez notre travail. Et ce n’est pas dans l’intérêt de Liao. »

Prendre la mesure de l’ampleur des réformes et contrôler les prix…

Par le passé au moins deux incidents du même type avaient tendu les relations du bon docteur avec sa hiérarchie. En mars 2007, lors de la réunion annuelle de l’ANP, Liao critiquant une déclaration du ministère de la santé, affirma que, contrairement à une annonce officielle, la réforme de la médecine publique ne serait pas prête avant la fin de l’année.

Le lendemain les bureaucrates furent choqués de voir leurs déclarations trop optimistes publiées dans les journaux en regard de celle de Liao. Pour ce dernier il s’agissait dit-il d’informer le public sur l’ampleur et la complexité des réformes qui touchent à 16 ministères ou départements spécialisés, parmi lesquels le Ministère de la santé n’était pas prépondérant.

En 2010, nouvelle levée de boucliers contre lui quand le Ministère de la santé, un an après le lancement des grandes réformes de 2009 était accusé d’avoir provoqué une hausse brutale du prix des médicaments. Cette fois Liao prit la défense du ministre Chen Zhu, seul membre du gouvernement non affilié au Parti et riposta en expliquant que les causes de l’envolée des prix étaient à rechercher à la Commission de la Réforme et développement et aux pouvoirs locaux qui contrôlaient les prix et non pas à la santé.

Les commentaires de Liao mirent en porte à faux le gouvernement de Canton qui lui adressa une mise en garde. Liao reconnut plus tard qu’il avait dépassé ses prérogatives. Mais à l’époque il fut le seul officiel chinois à s’exprimer sur les prix du système de santé.

Lire aussi Santé publique : Chen Zhu dénonce les blocages.

…promouvoir la privatisation et la liberté d’exercer.

Au cours des dix années en poste à Canton, le très loquace Dr Liao n’a jamais obtenu la moindre promotion, alors que ses subordonnés grimpaient les échelons et le doublaient dans la hiérarchie. Mais son bilan est loin d’être négligeable.

Il fut notamment le relais de deux réformes majeures qui restent à mettre en œuvre et dont il ne verra pas la réalisation : celle qui autorise les médecins à exercer dans plus d’un hôpital, pour l’instant bloquée à Shenzhen par le refus de la mairie ; celle qui encourage les privés à investir dans le système de soins chinois. En novembre 2013, après le 3e Plenum, il décida de pousser plus avant ces projets, publiant le schéma des réformes sur son compte Weibo pour avis du public. Une manière comme une autre de mettre la bureaucratie au pied du mur. Mais depuis sa mutation Liao semble avoir renoncé à sa pugnacité.

 

 

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