Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Lectures et opinions

« La société chinoise est une société de basse confiance. »

Récemment la Chambre de commerce de l’UE en Chine protestait contre les harcèlements dont étaient victimes les sociétés européennes accusées d’infraction à la loi sur les monopoles alors que leurs homologues chinoises étaient beaucoup moins visées.

Simultanément on perçoit un recul de l’investissement étranger avec un retrait discret des Américains qui créent des entités à Singapour, suivis par les Japonais dont l’intérêt se porte plus vers l’Asie du Sud-est ; l’Allemagne redoute comme les autres les enquêtes en cours dans les secteurs pharmaceutique et automobile, tandis que le conflit en Ukraine pèse sur sa croissance et lui laisse peu de marge manoeuvre.

Hormis Michelin qui protège ses marges, les Français de Carrefour à Schneider ne sont pas mieux lotis, mais, font pour l’instant bonne figure et affirment que la baisse des marges est passagère.

C’est dans ce contexte morose marqué par un déficit de confiance que Thibaud André (daxueconsulting.com) a réalisé l’interview qui suit auprès de Stéphane Grand, fondateur et associé gérant de S.J. Grand Financial and Tax Advisory. Mettant l’accent sur la différence d’approche culturelle entre les hommes d’affaires chinois et occidentaux, il éclaire une nouvelle fois les conditions difficiles du marché financier en Chine et la quasi impossibilité pour une PME non chinoise d’obtenir un prêt bancaire.

On notera que les PME étrangères ne sont pas les seules à souffrir du manque des souplesse du système financier. Les PME chinoises sont plus ou moins logées à la même enseigne. Elles ont elles aussi du mal à obtenir des financements des banques publiques qui préfèrent prêter aux grandes entreprises nationales, y compris au risque d’augmenter le taux des créances toxiques.

C’est un système. Précisément celui que la direction politique du régime, Li Keqiang en tête, tente de faire évoluer. La vision pessimiste mais réaliste de Stéphane Grand éclaire aussi les obstacles dressés sur la route des réformes, freinées en sous main par nombre d’intérêts acquis auxquels une partie de l’oligarchie refuse de renoncer.

++++

Obtenir un prêt auprès d’une banque chinoise est presque impossible

Question : Nous parlons du financement de l’actif étranger, quel problème cela peut poser en Chine ? Quelles vont être les pièges à éviter pour une entreprise française en Chine ?

Stéphane Grand : Quand une WFOE (wholly-foreign owned entreprise) ou une joint-venture étrangère, s’implante légalement en Chine, elle doit donner à l’administration de l’industrie et du commerce un dossier incluant un plan de financement précisant le montant du capital enregistré.

En fonction du montant de ce capital, l’administration chinoise accorde à la société une capacité d’emprunt à l’étranger en monnaie étrangère permettant à la société établie en Chine, d’obtenir du fond de roulement pour faire fonctionner son activité sans avoir à bloquer les sommes dans un capital enregistré.

Par exemple, vous créez une société de production avec un million d’€ quelque part en Chine qui vous ouvre la possibilité de demander à l’administration de l’industrie du commerce l’autorisation d’emprunter quatre cent mille € en devise. Vous utilisez ce million d’euro pour acheter des machines et de l’immobilier ainsi que payer le loyer du terrain et réorganiser l’usine. Ensuite il vous faut quatre cent mille euros d’emprunt pour payer les salaires, les matières premières, etc. L’argent est viré en Chine.

Mais si avez encore besoin par exemple de trois cent milles euros cela devient très compliqué : les banques chinoises, qui sont les seules autorisées à prêter de l’argent directement à des sociétés commerciales, ne prêtent en général pas à de petites sociétés étrangères.

Une question culturelle et une règle tacite

Question : Les banques chinoises ne prêtent-elles vraiment jamais aux entreprises étrangères ?

Stéphane Grand : Attention, il n’y a pas de règlementation contre cela. Si vous approchez une banque commerciale chinoise, elle vous demandera de remplir des documents, de préparer des plans de trésorerie, des plans de financements etc. Mais, j’en suis sûr à 100%, elle ne vous donnera pas accès à un prêt. Je vous dis ça avec une certaine certitude, bien qu’il n’y ait rien d’écrit là-dessus.

Nous avons fait un test, il y a quelques années de ça, avec deux sociétés étrangères, qui étaient à la recherche de financements. Et nous avons présenté à différentes banques les dossiers, sachant qu’il n’y avait aucune chance de réussir quoi que ce soit. Nous voulions juste tester les systèmes. Et ces tests ont montré que nous avions raison, c’est-à-dire, les banques chinoises ne prêtent pas à des PME étrangères.

Question : Comment explique t-on cela ? Est-ce que c’est une règle tacite, ou cela reste-t-il du cas par cas ?

Stéphane Grand : C’est une règle tacite. La société chinoise est structurée d’une telle façon que les relations personnelles sont beaucoup plus fortes que les relations d’autorité ou les relations commerciales. Sachant qu’il y a très peu de possibilités d’exécutions obtenues en justice, comme par exemple celle de forcer l’exécution d’une dette par les moyens légaux, les banques préfèreraient ne pas prêter. Elles se contentent de recevoir des dépôts, d’ailleurs très mal rémunérés, tout en tirant profit du différentiel de la rémunération qu’elles peuvent elles-mêmes obtenir sur ces dépôts en les plaçant ailleurs.

Seulement, les gens qui travaillent dans les grandes banques, quels que soient les niveaux, sont fonctionnaires personnellement liés à des gens plus ou moins du même niveau au sein des grandes entreprises publiques. Quand le patron de ZTE (ndlr : entreprise de télécoms, concurrente de Huawei) sollicite un prêt, il n’est pas accordé sur la base de la viabilité ou de la pertinence stratégique du projet, mais sur la base de sa relation personnelle avec son interlocuteur.

Telles sont les raisons pour lesquelles les banques chinoises ont eu, et ont peut-être encore aujourd’hui de très mauvaise performances. Lorsque ABC, l’Agricultural Bank of China, a été cotée sur une place financière étrangère, il est apparu que 25% de créances étaient douteuses ! Un quart ! C’est énorme, c’est absolument incroyable !

Une logique différente

Question : On voit très bien cette importance moindre accordé au rationnel et au pragmatisme en comparaison des banques occidentales.

Stéphane Grand : C’est pour ces raisons qu’il ne faut pas confondre les systèmes. C’est un monde complètement différent. Un monde où les aspects financiers ou opérationnels, si importants en Occident n’ont pas le même sens logique pour les chinois. Les étrangers arrivent souvent très confiants pour ces demandes de prêt : « je vais pouvoir obtenir mon prêt et produire avec un partenaire chinois, parce que c’est bien pour tout le monde ; pour le système ; pour le pays pour la banque qui va me prêter de l’argent. » Sauf que les Chinois ne pensent pas de cette façon.

Bien sûr, ils reconnaissent qu’il y a beaucoup plus d’intérêts à financer un entrepreneur qui a une bonne idée ou quelqu’un qui a une société, déjà stable avec des contrats stables etc., que de prêter de l’argent à une société d’État, qui de toute façon le perd.

Mais c’est un système qui, dans la réalité, est basé sur les relations personnelles, beaucoup plus fortes que toutes les règlementations et tous les mots d’ordre idéologiques ; plus puissantes que les lois et les administrations. Un exemple : 15 et 20% du produit national brut chinois est basé sur la fabrication et la distribution de produits contrefaits aujourd’hui. Il faut qu’il y ait quand même à la base des relations personnelles qui permettent la protection de tout ça.

Ce système basé sur les relations interpersonnelles avant toute logique pragmatique est donc un véritable obstacle pour les investisseurs étrangers, qui comprennent très mal ces pratiques.

++++

Des réseaux fermés où les étrangers pénètrent rarement

Photo : En septembre 2012, la Caisse des Dépôts et la China Development Bank avaient confié à Cathay Capital Private Equity la gestion d’un fonds commun franco-chinois pour les PME de 150 millions d’euros.

Question : Et est-ce que l’on a malgré tous des exemples, sans citer de noms, d’investisseurs étrangers qui ont réussi à pénétrer ce microcosme. On dit souvent que lorsque l’on ne nait pas chinois, on ne devient jamais chinois, est ce ça veut dire que c’est complètement fermé, même pour les investisseurs ?

Stéphane Grand : C’est un réseau complètement fermé. L’erreur est de croire que de l’extérieur il est possible de comprendre et de pénétrer ce réseau. Certains tentent de le faire par leur épouse chinoise. Mais ça ne fonctionne pas toujours.

Ça peut marcher pour des coups ponctuels, mais en fait, le système ne peut fonctionner que si la partie chinoise estime qu’elle contrôle toute la procédure. Et les gens ne sont contrôlables que lorsqu’on les comprend. Or les étrangers sont incompréhensibles aux chinois, comme les chinois le sont aux étrangers. Dès lors la présence d’un étranger, même marié à une chinoise risque de devenir un handicap.

Le contrôle s’effectue par des liens familiaux et par les liens dits du Guanxi ; c’est-à-dire, lorsque l’on a accès à quelqu’un qui a plus de puissance au sein de la société chinoise que la personne que l’on souhaite contrôler. Cette circonstance offre la possibilité pour le plus puissant, « d’excommunier » la personne subordonnée en l’excluant de son Guanxi, ce qui lui faire perdre son rang dans l’échelle sociale très hiérarchisée.

La menace est extrêmement forte, et les entreprises étrangères ne peuvent en jouer. Aucune entreprise étrangère n’a eu accès à des financements grâce à ce Guanxi. Ça n’existe pas.

Un problème de confiance

Question : N’est-ce pas également un problème de confiance envers les sociétés étrangères, renforcé par des cultures qui s’opposent et donc qui peuvent entrainer des clashs. Les occidentaux accusent souvent les chinois de fraude et ont une confiance vraiment minimum, qu’en est-il des partenaires chinois ?

Stéphane Grand : La société chinoise est de toute façon une société de basse confiance, où personne ne fait confiance à personne. Tout le monde agit donc d’une manière défensive en permanence. Elle s’oppose sur ce point très nettement avec les sociétés occidentales, qui sont des sociétés de haute confiance où l’on va accepter de travailler sur la base d’un contrat, sachant que s’il n’y a pas exécution de ce contrat, on pourrait aller en justice. Dans la société chinoise, on sait que s’il y ait une mauvaise exécution d’un contrat ou d’un accord, les chances d’obtenir des actions en justice sont extrêmement limitées.

Du coup, quand une entreprise étrangère vient en Chine et cherche de l’investissement auprès de banques chinoises ou de fonds d’investissements chinois, la première chose qui passe à l’esprit de votre interlocuteur ne seront pas les termes du contrat, les assurances et les cautions, mais l’identité du créancier. S’il s’agit d’un étranger qui va quitter la Chine, le banque estime qu’elle prend un risque.

Améliorer la gestion du fond roulement. Emprunter à l’étranger

Question : Alors comment faire, si on est une entreprise étrangère ?

Stéphane Grand : Souvent, les entreprises étrangères se financent sur des fonds propres, ou par des emprunts à l’étranger.

Question : Comment SJ Grand peut intervenir un petit peu dans ce genre de processus. Est-ce que vous arrivez quand même à trouver des solutions pour certaines entreprises ou votre rôle n’est-il que de faire comprendre que justement les financements ne sont pas possibles ?

Stéphane Grand : Nous agissons en plusieurs niveaux. Il y a dans le cabinet une compétence qui nous permet de guider les entreprises étrangères dans leurs business plan, dans la façon dont elles vont planifier leurs activités, et donc, d’évaluer de manière plus sûre leurs besoins de financements de démarrage. Ainsi, elles ne seront pas dépendantes d’un prêt qu’elles n’obtiendront jamais.

D’autre part, nous avons une activité dédiée, où nous avons développé des systèmes pour l’optimisation du besoin en fond de roulement. La faiblesse des fonds de roulement tue beaucoup d’entreprises étrangères en Chine, car les financements rapides et faciles sont impossibles.

Les fournisseurs réclament des paiements rapides, tandis que les clients tentent d’étaler leurs factures. Par ailleurs, le coulage dans les stocks est très supérieur à celui observé à l’étranger. A quoi s’ajoutent toutes sortes de problèmes techniques de qualité de la main d’œuvre ou de la qualité des machines ou de l’approvisionnement en électricité etc., qui peuvent vous conduire à perdre du temps dans la production. Tout ces facteurs augmentent le besoin en fonds de roulement, un capital immobilisé
dans la société.

Nous analysons toutes les fonctions de la société, de la fonction achat, à la production en passant par de la branche commerciale. La synthèse des problèmes et opportunités nous permet souvent de réduire la taille du fond de roulement immobilisé. C’est une façon de se financer avec ses propres fonds qui a l’air extrêmement simple, mais très difficile à réaliser en Chine, quand on ne sait pas comment le système fonctionne exactement.

Propos recueillis par Thibaud André, consultant pour un cabinet de conseil à Shanghai.

 

 

Depuis le conflit à Gaza, Pékin confirme son nationalisme antioccidental

[13 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Subjuguer Taiwan : les cinq options de coercition du parti communiste

[23 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Le Parti met en examen Terry Gou, candidat à la présidentielle taiwanaise

[26 octobre 2023] • La rédaction • Louis Montalte

L’impasse énergétique de Tsai Ing-wen

[11 septembre 2023] • Angelica Oung

Un expert japonais de la Chine explore les arrière-pensées stratégiques de Xi Jinping

[20 juillet 2023] • Jean-Paul Yacine