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›› Editorial

Li Keqiang en Eurasie. Les quelques fausses notes de la « grande musique »

Photo : Li Keqiang à Berlin. C’était son 2e voyage en Allemagne depuis 2012 et le 3e sommet sino-allemand en 2014.

Le premier ministre était en Europe et en Russie du 10 au 17 octobre, pour un voyage à double effet à la fois stratégique et commercial.

Coïncidant avec le 6e sommet de Hambourg créé en 2004, qui rassemble tous les deux ans dans le grand port autonome de l’Allemagne du nord plusieurs centaines d’experts chinois et européens des affaires, de la politique et du monde académique, le voyage de Li Keqiang s’est terminé les 16 et 17 octobre à Milan où avait lieu le 10e sommet Europe – Asie (ASEM), né en 1996, vaste exercice diplomatique qui réunissait 51 délégations (28 pays de l’UE et la Suisse, 10 pays de l’ASEAN + Chine, Japon, Corée du Sud, Inde, Pakistan, Bangladesh, Kazakhstan, Russie, Mongolie, Australie, auxquels s’ajoutèrent les délégations de l’ASEAN et de Bruxelles).

Entre les deux, Li Keqiang a fait un crochet par Moscou, officiellement pour réaffirmer la force du partenariat stratégique Chine – Russie et signer de nouveaux accords commerciaux. En arrière plan cependant, en Chine l’atmosphère était subtilement ternie par des rumeurs faisant état de difficultés dans la mise en œuvre du contrat gazier du siècle annoncé à grands renforts de publicité à Shanghai le 22 mai dernier.

Aux arrières pensées chinoises venant troubler la sérénité du partenariat stratégique sino-russe, s’ajoutèrent quelques discrètes fausses notes dans la musique des bonnes intentions de la relation avec l’Allemagne et l’Europe. Même la relation entre Berlin et Pékin, qui fait l’objet de l’attention soutenue des dirigeants chinois et allemands, n’a pas été exempte de suspicions alors que le sommet de Hambourg coïncidait avec les échauffourées autour du suffrage universel à Hong Kong. A Milan enfin, au sommet Asie Europe, l’Asie a été éclipsée par Putin et la question ukrainienne.

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L’Europe, une priorité chinoise

Photo : Li Keqiang entre Martin Schulz président du parlement européen à gauche et Frank Walter Steinmeier, ministre des Affaires étrangères allemand. Alors que Martin Schulz disait vouloir faire de la Chine la priorité extérieure de son mandat, Steinmeier a rappelé à Pékin ses obligations de grande puissance économique.

C’est peu dire que le Vieux Continent et l’Allemagne sont une priorité pour Pékin et Li Keqiang qui, pour son premier voyage à l’étranger, s’était rendu à Berlin et en Suisse ; après quoi il avait, en novembre 2013, assisté en Roumanie au sommet entre la Chine et l’Europe Centrale et Orientale avant de visiter le Royaume Uni en juin 2014.

Ces fréquents périples s’inscrivent dans le rôle imparti au Premier ministre en charge des réformes financières économiques et industrielles, dont le prolongement naturel est la quête de marchés, de technologies et de cibles pour les investissements chinois. Au point que l’Allemagne, devenue le point d’entrée privilégié de Pékin en Europe est aujourd’hui reliée par 4 lignes de chemin de fer à la Chine (Huhehot (Mongolie) – Francfort, Shenyang – Leipzig, Chongqing – Duisburg et Hambourg – Hangzhou).

Les malentendus des relations entre l’UE, l’Allemagne et la Chine.

Lancée par Angela Merkel en 2005 qui a depuis rencontré 7 fois les dirigeants chinois, resserrée en 2012, la proximité franco-allemande porte l’espoir que les investissements chinois seraient une opportunité pour toute l’Europe. Mais elle véhicule aussi le risque de désolidariser l’Allemagne de l’UE en brouillant les stratégies chinoises de Bruxelles au moment où celle-ci tent de fédérer une improbable vision commune des intérêts européens en Chine.

En 2012, une étude réalisée par l’European Council of Foreign Relations soulignait le risque que Berlin, tout à la gestion de ses propres difficultés économiques et préoccupé par sa recherche de débouchés, fasse passer ses intérêts économiques avant les priorités stratégiques de l’UE, compliquant encore plus la difficile marche vers l’intégration politique.

Discrètes fausses notes du partenariat Berlin – Pékin.

Alors que le commerce bilatéral a atteint 138 Mds d’€ en 2013, représentant 50% des exportations européennes vers la Chine et 25% des exportations chinoises vers l’UE, le sommet du 10 octobre entre les deux gouvernements était le troisième cette année, après la visite de Xi Jinping en Allemagne en mars et le voyage d’Angela Merkel à Pékin en juin. Cette fois la rencontre visait à intensifier le partenariat dans les secteurs de la recherche scientifique, de l’agriculture, de l’éducation et de l’énergie.

Mais quelques fausses note sont apparues quand Sigmar Gabriel, le ministre allemand de l’économie et de l’énergie a plaidé pour plus de réciprocité dans la relation marquée par les obstacles posés par la Chine aux entreprises allemandes : « nous voulons un partenariat loyal avec la Chine et nous espérons en retour un traitement équivalent ».

En dépit de l’affirmation du président allemand du parlement européen Martin Schulz qui dit vouloir faire de la Chine la priorité de son action extérieure durant son mandat, ces inquiétudes et agacements étaient présents au sommet de Hambourg où Li Keqiang a présenté les restructurations chinoises et où les participants ont planché, entre autres, sur le défi d’un accord Chine - Europe sur les investissements, l’urbanisation et la coopération avec l’Ouest et les défis environnementaux en Chine.

Au milieu des échanges techniques sur la coopération économique et commerciale, le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank Walter Steinmeier a tenu à rappeler ses responsabilités politiques à la Chine devenue une grande puissance économique. « La politique doit prendre le pas sur l’économie ».

Dans l’ombre planaient en effet la question des droits de l’homme et celle des émeutes de Hong Kong avec le harcèlement par la policie chinoise d’Angela Köckritz. La correspondance de l’hebdomadaire Die Zeit est devenue la cible de Pékin pour avoir publié un article critique sur l’arrestation de Zhang Miao, une journaliste chinoise auteur d’un reportage sur la situation dans la R.A.S., sujet sensible et soumis à la censure officielle. Le 10 octobre jour de l’arrivée en Allemagne de Li Keqiang, Christiane Wirtz, porte parole d’A. Merkel jugeait la situation de la journaliste allemande et de sa collègue chinoise « préoccupante ».

Le même jour, Mathias von Hein, un analyste de la Deutsche Welle, paraphrasant André Fontaine (« Histoire de la détente, un seul lit pour deux rêves », Fayard 1981), publiait un article désabusé et critique portant le même titre, dans lequel il insistait sur le contraste entre, d’une part la densité des liens économiques entre Pékin et Berlin (des milliards de contrats d’affaires, 10 accords gouvernementaux et un rapport de 35 pages sur les investissements réciproques) et, d’autre part l’absence de démocratie en Chine, rappelant au passage qu’au moment où le Parti Communiste Chinois déclenchait la répression de Tian An Men, l’Allemagne faisait tomber pacifiquement le mur de Berlin.

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Putin en vedette à Milan. Ombres sino-russes.

Photo : Li Keqiang cède la préséance à Putin, ancien premier ministre redevenu Président de la République.

A Milan, les 16 et 17 octobre au sommet de l’ASEM, Li Keqiang qui avait auparavant fait un crochet par le siège de la FAO à Rome où il a offert une contribution de 50 millions de $, a développé un vaste projet de coopération entre la Chine et l’Europe, insistant sur la disponibilité chinoise pour densifier les connections et les échanges de toutes sortes au sein de la communauté eurasiatique, dans un environnement pacifique. Pourtant, le sommet placé sous le thème de la responsabilité de chacun pour la « croissance et la sécurité », a été préempté par la sécurité en Europe et la question de l’Ukraine, dans laquelle la Chine n’a que peu d’influence sinon celle d’appuyer discrètement la position de Poutine.

ASEAM à Milan. L’Asie sur la touche.

Au point que l’Asie a été marginalisée au milieu du chassé-croisé des mini-sommets entre le président russe, vedette du sommet et Porotchenko chaperonné par Angela Merkel, François Hollande, David Cameron et les dirigeants européens Barroso et Van Rompuy. Surtout, à Milan où il était plus spectateur qu’acteur, Li Keqiang a pu à nouveau mesurer la fermeté et l’habileté tactique de Poutine qui, avant son arrivée à Milan, avait menacé les Européens de leur couper les livraisons de gaz, si l’Ukraine continuait à ne pas payer ses notes et à détourner le gaz au passage. C’est bien cette inflexible intransigeance de Moscou qui inquiète les Chinois, alors que les discours officiels continuent à faire l’éloge du partenariat stratégique sino-russe.

Doutes chinois sur la fiabilité russe.

L’ombre du malaise a peut-être assombri l’ambiance de l’étape de Li Keqiang à Moscou du 12 au 14 octobre. Certes les communiqués officiels et les discours louaient le « potentiel inépuisable » de la relation (Li Keqiang) et faisaient état d’une trentaine d’accords signés dans les domaines des investissements et de la finance, du pétrole, du nucléaire civil, de la téléphonie mobile, de la construction de chemins de fer et d’automobiles avec Dimitri Medvedev, redevenu premier ministre après avoir été président. Surtout, on parla beaucoup de l’accord intergouvernemental du 13 octobre sur la livraison de gaz à la Chine, à la suite de l’accord signé en mai dernier.

Le tout baignait dans l’arrière plan stratégique où Moscou et Pékin se retrouvent sur nombre de sujets brûlants de l’actualité globale, en général en opposition aux États-Unis, sur la Crimée, le Xinjiang, l’Iran, la Syrie, avec en tête le projet d’une refonte de l’ordre mondial dans le cadre des BRICS, pour plus de multipolarité et plus d’équité dans les relations internationales aujourd’hui dominées par Washington et ses alliés.

Pourtant trois jours à peine après la visite de Li Keqiang à Moscou, le magazine Caixin publiait un article à contre courant de l’optimisme ambiant, intitulé : « Y a t-il un malaise dans le paradis sino-russe ? ». Signé de Chen Weidong, 59 ans, maître de recherche à l’institut de politique énergétique de groupe public pétrolier CNOOC, l’argument commentait une réflexion du vice-premier ministre russe Abramovich pour qui il existait encore des points d’achoppement entre Pékin et Moscou sur le contrat de gaz, dont la mise en œuvre serait encore incertaine. La controverse porterait sur le pré-paiement chinois que Pékin dit être déjà inclus dans la construction des gazoducs.

Tout en reconnaissant que le contrat finirait par être mené à bien, Chen mettait cependant en garde contre une relation trop exclusive avec Moscou, dont la fiabilité était en question. Le raisonnement prenait appui sur les actuelles difficultés financières des grandes compagnies d’hydrocarbures russes à la fois engagées dans nombre de projets dans l’Arctique et la Sibérie orientale et incapables de lever des fonds à la suite des sanctions occidentales. Le problème touchait surtout Rosneft Oil, croulant sous les dettes.

Dans ces conditions, dit l’auteur, « il est hautement improbable que le « contrat du siècle » avance sans difficultés. ». Par là, il laissait entendre que Moscou usera de tous les procédés pour tenir hors de l’eau la tête de ses groupes d’hydrocarbures, héritiers de l’URSS chère à Poutine et devenus le principal levier tactique de sa politique étrangère.

Rappel des pressions et chantages de Putin en Europe orientale.

A l’appui de ses inquiétudes, Chen rappelait qu’en janvier 2009 au cours d’un hiver très froid, Putin avait déjà menacé de couper le gaz à l’Europe Occidentale restée passive lors des controverses entre Moscou et Kiev. Ce n’était pas la première pression de ce type exercée par le Kremlin.

En 2006, la tactique punitive avait été employée contre l’Ukraine pour l’obliger à payer ses dettes ; elle fut répétée contre la Lituanie en représailles de l’attribution par Vilnius à une compagnie polonaise d’un contrat de construction d’une raffinerie plutôt qu’à Rosneft. En 2007, c’est l’Estonie qui fit les frais des pressions pétrolières de Putin après la décision de Tallin de détruire un monument soviétique commémorant la guerre.

Les méfiances réciproques du partenariat sino-russe.

Chen note enfin avec justesse que le « contrat du siècle » a été signé sous la pression des événements d’Ukraine et des tensions avec l’Ouest, alors qu’une partie des contentieux sur les prix n’étaient pas réglés. Dès lors, l’auteur prend le contrepied des analyses qui, à la faveur des contentieux stratégiques en cours, anticipent une dépendance croissante de Moscou à l’égard de Pékin.

La conclusion qui renvoie à de vieilles rancunes culturelles est à l’exact contre courant des hypothèses actuellement les plus en vogue sur le renforcement de l’axe Pékin – Moscou : « la Chine ne sera jamais la priorité stratégique de Moscou avant l’Europe et les Etats-Unis. Ne rêvons pas. Il est notoire que les Russes se considèrent supérieurs aux Orientaux. Restons vigilants. L’Europe s’est mise dans une situation délicate par sa trop grande dépendance à l’égard du gaz russe. Sachons tirer les leçons de ses erreurs ».

A contrario, rappelons que les arrières pensées russes nourrissent les mêmes inquiétudes à l’égard des Chinois, dans un contexte où, paradoxalement, la méfiance réciproque croit en même temps que le rapprochement économique et commercial.

Signé en mai pour faire contrepoids aux pressions américaines et européennes et alléger la dépendance russes aux exportations vers l’Europe, l’accord sur le gaz n’est pas vraiment à l’avantage de Moscou. Au-delà des bonnes paroles, ce déséquilibre continuera à plomber discrètement la relation, en même temps que subsistent les inquiétudes russes à propos des basculement démographique en Sibérie orientale ou des captations de technologies de défense.

 

 

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