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Les arrières pensées de la relation entre la Chine et l’Iran

En octobre, le commandant de la marine iranienne l’Admiral Habibollah Sayyari était à Pékin où il rencontrait le ministre de la défense Chang Wanquan.

Le 24 novembre les négociations de Vienne des P5+1 avec l’Iran sur son programme nucléaire étaient prorogées jusqu’au 30 juin 2015. Après les tensions de 2013 qui semblèrent le prélude à une action militaire de Tsahal, la détente fait l’affaire de la Chine. Installée en novembre il y a un an à Genève, la stratégie qui privilégie la négociation et relâche les sanctions entre exactement dans les vues de Pékin qui, avec Moscou, s’est toujours méfié des raidissements arc-boutés porteurs d’affrontements.

S’il est vrai que la Chine a, au Conseil de Sécurité, parfois voté les sanctions contre Téhéran, elle s’est toujours arrangée pour les contourner ou les alléger. En tous cas, jamais elle ne les a considérées comme un obstacle à ses relations bilatérales avec Téhéran, à ses affaires ou à ses importations de pétrole. Et si parfois les relations sino-iraniennes se sont tendues, parallèlement à la réduction des livraisons brut, la raison en fut le plus souvent un durcissement conjoncturel de la négociation sur les prix du baril.

Aujourd’hui, la fluidité du paysage stratégique de la région et le surgissement meurtrier de l’ISIS en Irak et en Syrie regroupe potentiellement nombre de pays de la région dans une alliance contre la barbarie de l’Islam radical qui, entre autres, menace la puissance des États. Le radicalisme religieux sanguinaire n’est pas sans inquiéter Pékin dont les frontières jouxtent des zones traversées par des mouvances terroristes en Asie Centrale, en Afghanistan et au Pakistan.

Du coup, pour Washington, Téhéran deviendrait, au moins provisoirement et sous certaines conditions, un moindre mal et un partenaire potentiel de la lutte contre l’ISIS, tandis qu’aux yeux de la Maison Blanche, il pourrait être possible d’enrôler Pékin dans ce combat. De son côté la Chine surveille avec une extrême vigilance les ambiguïtés pro-radicales des militaires pakistanais et le développement des affrontements religieux sectaires entre les Chiites iraniens et les Sunnites pakistanais.

L’ambiance d’ouverture…

Ces arrières pensées où se mêlent l’espoir d’une solution à la question iranienne et la crainte des contagions religieuses radicales, domineront les négociations sur le nucléaire iranien dans les 7 mois qui viennent. Non pas que les tractations sur l’ouverture aux inspecteurs de l’AEIA des installations nucléaires, sur l’exigence de réduire le rythme d’enrichissement ou sur le rythme du relâchement des sanctions perdront de leur âpreté, mais des brèches sont ouvertes dans les murailles des positions retranchées.

...offre une nouvelle marge de manoeuvre à Pékin

Aux États-Unis, les milieux du Département d’État ont pris la mesure de l’apaisement en cours, sans cependant ignorer les difficultés à venir dont la plus lourde est peut-être l’incertitude qui pèse sur la marge de négociation conférée à la délégation iranienne par l’Ayatollah Ali Khamenei, le Guide Suprême.

Obama aurait même saisi l’occasion des bouleversements stratégiques en cours pour tendre la main à Téhéran, sans cependant perdre l’objectif des P5+1. La démarche paraîtra très naïve à nombre d’experts des stratégies iraniennes, mais selon un article du Diplomat publié le 23 novembre, le président américain aurait adressé une lettre à Khameni pour lui suggérer de coopérer contre l’ISIS, à condition que la question nucléaire soit résolue.

Au milieu de ces ambiguïtés auxquelles il faut ajouter les frappes américaines contre l’ISIS sur les marges de la Syrie, soutien objectif à Bashar el Assad, la Chine bénéficie d’une nouvelle marge de manœuvre dans sa stratégie au Moyen Orient.

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AFP : La question du nucléaire iranien. Progrès et obstacles. Les Occidentaux accepteraient relâcher les sanctions financières et pétrolières à condition que Téhéran réduise d’au moins 20% ses capacités d’enrichissement, arrête la construction du réacteur d’Arak et réduise son stock d’uranium enrichi. Pékin se pose en « arbitre, proche de Téhéran ».

Modification radicale du contexte.

Alors qu’il y a deux ans la Chine était, avec la Russie, accusée par l’Occident non seulement de soutenir avec cynisme le régime de Damas qui massacre sa population, mais également d’appuyer Téhéran dont les ambitions nucléaires portent le risque de faire exploser le régime de non prolifération, la voilà aujourd’hui à nouveau en phase avec ses collègues membres permanents et avec Berlin.

Pékin se pose en « arbitre, proche de Téhéran ».

Mais ce serait une erreur de croire que Pékin s’est rallié au camp occidental contre l’Iran. S’il est vrai que la Chine ne souhaite ni la contagion terroriste qui la menace au Xinjiang, ni la prolifération nucléaire dont l’ombre se profile depuis la péninsule coréenne, elle tient néanmoins à conserver une position médiane, se donnant à l’occasion le rôle d’avocat de Téhéran.

Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères chinois qui participe aux négociations et s’est entretenu en tête à tête avec son homologue iranien Mohammad Javad Zarif en marge de Vienne, l’a rappelé : « la Chine cherche un règlement global qui satisferait les intérêts de la communauté internationale, y compris ceux de l’Iran ». Il s’agit, soulignait l’agence Xinhua, de « modifier la teneur même des pourparlers ». On ne pouvait pas mieux dire.

De très anciennes relations…

Les relations entre la Chine et l’Iran ne sont pas le résultat d’un opportunisme tactique, mais plongent leurs racines dans plus de 20 siècles d’histoire commune. Elles datent des contacts entre les premiers Han et les Parthes de la Perse antique, 126 ans av JC, jusqu’aux actuelles relations entre la République Islamique et le Parti Communiste chinois qui, dans les années 90, apporta son soutien technique au programme nucléaire de Téhéran par des transferts de savoir-faire pour la séparation du plutonium, l’exportation de réacteurs de recherche et la vente d’uranium concentré destiné à l’enrichissement.

Quelques 3 siècles plus tôt, les VIIe et VIIIe siècles avaient même ouvert une ère de riches échanges culturels, économiques, politiques et militaires avec l’installation près de Xian, capitale des Tang de la cour impériale perse chassée par conquête arabe. Lire notre article Les très anciennes relations entre la Chine et la Perse.

…de plus en plus denses.

Aujourd’hui, alors que Téhéran est confronté à un bloc occidental dont l’ouverture est toujours freinée par des conditions drastiques, ses relations avec Pékin s’accélèrent au point qu’aux États-Unis certains y voient un brouillage de la stratégie de négociations des P5+1.

La connivence chinoise offre d’abord à l’Iran assez sévèrement boycotté à l’Ouest, des alternatives diplomatiques par le truchement de sa participation comme observateur ou membre à l’Organisation de Coopération de Shanghai, au processus d’Istanbul, à la conférence pour les mesures de confiance en Asie et à la nouvelle Banque d’Investissements pour les Infrastructures. Surtout, cette proximité tous azimuts donne le sentiment d’un renforcement rapide de la relation, non seulement économique et commercial, mais également militaire.

Au cours du premier semestre 2014, à la suite de l’allègement des sanctions, les importations chinoises de pétrole iranien ont augmenté de 48% par rapport à l’année dernière pour atteindre un rythme moyen de livraison de 2,3 millions de tonnes/jour, soit 26% du total des importations chinoises de brut. Entre 2012 et 2013 le commerce bilatéral a progressé de 10% pour atteindre 40 Mds de $ et, au premier semestre 2014, les échanges hors pétrole ont atteint 13 Mds de $.

Cet élan vers le Moyen Orient et l’Iran, point de passage vers l’Europe, s’inscrit dans le discours de Pékin évoquant les « nouvelles routes de la soie » maritimes et terrestres, artères commerciales qui relieront la Chine, l’Asie du Sud-est, le Moyen Orient et l’Europe.

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Meng Jianzhu, membre du Bureau Politique, président de la Commission des lois, en charge de la lutte anti-terroriste était à Téhéran du 15 au 17 novembre où il a rencontré le vice-président Eshaq Jahangiri, le ministre de l’intérieur Abdolreza Rahmani Fazl et le président du Conseil National de sécurité Saeed Jalili (sur la photo).

Prémisses d’un accord anti-terroriste sino-iranien.

Le rapprochement économique s’accompagne d’une accélération des relations politiques et militaires sur fond de discussions autour d’une coopération anti-terroriste. Le 21 mai, Hassan Rouhani le président iranien rencontrait Xi Jinping à Shanghai lors de la conférence sur les mesures de confiance en Asie ; en octobre, le ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif venu à Pékin pour le « processus d’Istambul » sur l’Afghanistan promettait avec Yang Jiechi d’augmenter la coopération bilatérale (Lire aussi Le pragmatisme chinois et le bourbier afghan).

Avant et après ces deux rencontres au sommet eurent lieu plusieurs événements dont il est impossible de minimiser l’importance dans la conjoncture actuelle marquée par le glissement tectonique des stratégies planétaires. A la mi-novembre, Meng Jianzhu, membre du Bureau Politique, président de la Commission des lois, en charge de la lutte anti-terroriste était à Téhéran.

Confronté à l’insécurité au Xinjiang, nourrie des tensions ethnico-religieuses dont Pékin craint l’aggravation par le truchement de la nébuleuse radicale en Asie centrale, au Pakistan et dans les zones tribales limitrophes de l’Afghanistan, le responsable chinois de la sécurité a indiqué à son homologue le Ministre de l’intérieur Abdolreza Rahmani Fazl, la disponibilité de Pékin à s’engager dans une coopération anti-terroriste avec Téhéran.

Des manœuvres navales, symbole du rapprochement.

Tout juste trois semaines avant, le commandant de la marine iranienne l’Admiral Habibollah Sayyari était à Pékin où il rencontrait le ministre de la défense Chang Wanquan et le commandant de la marine chinoise Wu Shengli. Ces entrevues faisaient suite au premier exercice naval conjoint de l’histoire récente entre les deux marines, le 22 septembre dans le golfe persique.

La présence du destroyer lance missile Changchun, de la classe Luyang et de la frégate Changzhou de la classe Jiankai dans le port méridional iranien de Bandar Abbas à l’entrée du détroit d’Ormuz, au moment même où les 4 pays occidentaux des P5+1 s’interrogent encore sur le bien fondé d’une stratégie de patience à l’égard de Téhéran, lance un puissant message sur le positionnement résolument pro-iranien de Pékin, opposé aux sanctions dans les négociations sur la question nucléaire.

C’est dans cet esprit que la direction chinoise pousse les parties en présence à « plus de volontarisme et plus de créativité dans les négociations » pour que « chacun accepte d’accomplir la moitié du chemin, condition du succès » (porte parole du Waijiaobu).

Le défi de la sécurité intérieure…

En arrière plan : la sécurité intérieure de la Chine dont les anciens repères sont aujourd’hui ébranlés. Négociations nucléaires ou pas, ce défi est aujourd’hui la plus grande priorité du régime. Même si les discours officiels chinois restent calibrés par la nécessité d’afficher les équilibres immuables dont ils affirment l’irrévocable stabilité, le risque terroriste interne pèse désormais sur la nature des relations avec Téhéran, Islamabad, New-Delhi et Washington.

Au moment où s’accélère le rapprochement chinois avec l’Iran, lui-même considéré – terrorisme de l’ISIS oblige - avec moins d’agressivité par Washington, surgissent des tensions entre Téhéran et Islamabad, tandis que Pékin commence à s’inquiéter du rôle de certaines factions militaires pakistanaises en arrière plan de la menace terroriste.

…sur fond de luttes religieuses importées du Moyen Orient.

A la fin octobre, les deux grands alliés de la Chine dans la région se sont affrontés dans un incident de frontière meurtrier.

Le 23 octobre, l’armée iranienne qui doit assurer la sécurité de plus de 700 km de frontière commune avec l’Afghanistan et presque autant avec le Pakistan, agacée par l’activisme de groupes terroristes sunnites dans les provinces iraniennes du Balutchistan et du Sistan et piquée au vif par les ambiguïtés de l’armée pakistanaise incapable de mettre fin aux meurtres sectaires de musulmans chiites, a déclenché un tir de mortier contre un village frontière du district de Shagai au sud-ouest du Pakistan. Le lendemain une unité iranienne pénétrait en territoire pakistanais.

Le 24 octobre, les médias de Téhéran annonçaient que deux gardes frontières iraniens avaient été tués dans l’incident. Côté pakistanais on déplorait également un mort, tandis que, le 23 octobre, deux hommes armés faisaient irruption dans un bus et assassinèrent huit Chiites pakistanais membres de la minorité des Hazara dont le dialecte est d’origine persane.

Si on se souvient qu’à l’exception des Tadjiks d’origine persane et d’obédience Chiite, la majorité de la population ouïghour du Xinjiang est sunnite, tandis que d’importantes factions de ce groupe ethnico-religieux, à l’origine modéré, donne des signes de radicalisation extrémiste attisée par la répression et les influences religieuses voisines, on comprend l’attention que Pékin porte à ses relations avec l’Iran Chiite, en dépit de son passé terroriste, mais dont les frontières jouxtent les foyers instables de l’Asie Centrale, de l’Afghanistan et du Pakistan.

 

 

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