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›› Economie

Soubresauts de la bourse et perspectives de réformes. Entre volontarisme et prudence

La bourse chinoise reste soumise à l’influence plus ou moins directe du pouvoir. Elle est aussi l’objet de fluctuations brutales, assez souvent provoquées par les mouvements grégaires des investisseurs. Depuis l’automne 2013, les pouvoirs publics tentent d’y mettre de l’ordre.

Il faut se rendre à l’évidence, même si on s’applique à suivre au jour le jour les grands médias occidentaux il est très difficile de se faire une idée exacte de la situation de l’économie chinoise. Depuis que les grands centres de recherche recadrés par le Bureau de la propagande hésitent à donner publiquement de la voix comme ils le faisaient du temps de Hu Jintao, la difficulté d’une appréciation objective s’est même accentuée.

Au total, l’impression qui domine aujourd’hui est celle de la méfiance à l’égard des informations économiques sur le vieil empire, qu’elles viennent de Chine ou d’ailleurs. Les observateurs noyés par des informations parcellaires et répétitives balancent sans cesse entre un pessimisme excessif et un optimisme parfois illusoire. Il est vrai que la caricature des informations est souvent accentuée par les appréciations à l’emporte pièce des spéculateurs qui investissent plus que de raison dans les secteurs à risques.

Négligeant assez souvent les mises en perspective, certains commentateurs financiers glosent sur les derniers chiffres des bourses de Shenzhen ou Shanghai puis, selon la tendance, anticipent soit une catastrophe, soit un miracle. Pendant ce temps, le régime continue d’afficher ses coups de boutoir plus ou moins efficaces contre les féodalités des Banques publiques et des grands groupes d’État.

Il faudra attendre encore pour enregistrer plus de résultats sur l’ouverture du capital, le développement d’une culture de responsabilité financière des prêteurs grands et petits, privés et publics ou encore la privatisation de secteurs entiers de l’industrie encore contrôlés par l’État dont l’omniprésence freine la productivité ou l’innovation. Mais il est incontestable que c’est bien sur ces voies réformistes que le régime affirme avoir engagé le pays.

La réussite de l’entreprise n’est pas garantie. La marche vers la modernisation est en effet marquée, du côté des pouvoirs publics par un mélange insolite de volontarisme affiché et de prudence qui jette une ombre sur sa détermination ; quant aux acteurs économiques soumis aux restructurations et aux remises en ordre, ils continuent à manifester de très fortes réticences corporatistes qui freinent la privatisation des grands groupes publics.

Les montagnes russes de la bourse chinoise.

Début décembre, les grands journaux occidentaux d’analyse financière y compris le Wall Street Journal spéculaient sur les risques posés par les dettes des administrations provinciales et pointaient du doigt le recul du RMB et les baisses « record » des places boursières de Shenzhen et Shanghai, les plus fortes depuis 2009. La plupart mettaient en garde contre la fragilité du système financier chinois.

Mais la chute suivait de peu une envolée grégaire due à l’engouement des investisseurs pour le commerce en ligne. La hausse fut parfois commentée avec force dithyrambes qui venaient pourtant après une série d’analyses pessimistes sur un autre recul des valeurs boursières, en partie provoqué par les difficultés des fonds d’investissements, dans le collimateur du pouvoir depuis un an.

Une semaine après les dernières baisses, on constate un nouveau pic d’investissements dans les montagnes russes de la bourse chinoise, « en dépit de la montée des risques financiers » précisait l’AFP, le tout accompagné par l’information du FMI que la Chine était devenue la première économie de la planète en parité de pouvoir d’achat. A la mi-décembre l’indice de Shanghai atteignait des sommets, propulsé par un recul des taux d’intérêts décidé le 21 novembre par la Banque de Chine qui déclencha un nouveau mouvement moutonnier des investisseurs soucieux de ne pas manquer une opportunité boursière et pressés de fuir les faibles taux de rémunération des banques.

Même le secteur immobilier, longtemps une des destinations favorites des investisseurs, mais aujourd’hui sérieusement ralenti, a lui aussi participé à l’enthousiasme à l’origine de l’envolée. Le 11 décembre, à la fermeture, la bourse de Shanghai avait enregistré une hausse de 27% des transactions en trois semaines, avec un index à 2938, en hausse de 20,9% depuis début novembre.

Les sollicitudes de Chine Nouvelle

L’agence officielle Xinhua n’est pas complètement étrangère aux mouvements en dent de scie de la bourse que ses dépêches anticipent. A la fin de l’été, au milieu d’une grande morosité des places de Shenzhen et Shanghai, elle avait publié pas moins de 9 articles en 4 jours pour souligner la nécessité de relancer le marché financier. Une initiative qui avait suffi à convaincre beaucoup de traders que le gouvernement ferait le nécessaire pour redynamiser la bourse.

Aujourd’hui, en pleine euphorie, Chine Nouvelle soumet au contraire ses lecteurs au régime de la douche froide, mettant en garde contre les « risques cachés d’une folle spéculation ». Évoquant une probable inversion de tendance, elle prévoit d’importantes pertes pour ceux des « Hedge funds » qui auraient pris des risques inconsidérés. Dans la foulée, la commission de régulation des opérations boursières appelait elle-même les investisseurs à plus de « rationalité ».

Dans ce paysage heurté, le recul permet de décrypter les intentions chinoises à moyen terme. Depuis le 3e Plenum, elles affichent clairement deux directions prioritaires. La première est la remise en ordre du système financier, avec ses corollaires de la lutte contre la finance grise et contre les dérapages des institutions financières locales, à quoi s’ajoutent la libéralisation des taux d’intérêts et l’ouverture du marché des changes. La deuxième priorité du régime vise à accélérer la privatisation des groupes publics.

Les deux intentions prennent de front les intérêts corporatistes des banques d’État et des conglomérats encore contrôlés par le pouvoir, souvent évoqués par Question Chine. S’il est vrai qu’il est trop tôt pour évaluer les résultats, une récente étude du cabinet d’avocats d’affaires Gide Loyrette Nouel doute de la détermination du régime à mettre en œuvre une authentique privatisation des grands groupes publics chinois.

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Les réformes financières avancent lentement.

Avec Li Keqiang, les principaux acteurs de la réforme financière, lors d’une conférence de presse en mars 2014. De gauche à droite : Yi Gang n°2 de la banque de Chine et directeur du bureau de contrôle des changes ; Xiao Gang, président de la Commission de régulation boursière ; Zhou Xiaochuan, président de la Banque Centrale ; Shang Fulin, président de la Commission de régulation bancaire ; Xiang Junbo, président de la Commission de régulation des assurances.

Dans le secteur financier, en plus des efforts d’ouverture du marché financier – il est vrai soigneusement mesurés – déjà consentis par le pouvoir, comme les expériences en partie étendues au reste de la Chine des zones sous douane de Shanghai et de Qianhai (nord-ouest de Hong Kong), ou encore la décision de connecter les bourses de Shanghai et de Hong Kong, il faut signaler la décision prise le 8 décembre par la Banque de Chine de créer des certificats de dépôts – titres de créance négociables d’un montant minimum de 50 millions de RMB (8,2 millions de $) – destinés à fluidifier le marché interbancaire.

Tous les experts considèrent unanimement que la mesure installe une souplesse nouvelle permettant aux banques d’assurer des financements plus stables avec un éventail de sources de capitaux plus large, pouvant aller d’opérateurs individuels à des institutions non financières (tels que les grands noms de l’internet chinois), en passant par les pouvoirs publics.

La décision, anticipée depuis le printemps est un pas important vers la mise en place nécessaire d’un système d’assurance des dépôts, puis vers la très difficile libération des taux d’intérêt. Envisagées depuis longtemps, ces mesures que le pouvoir hésite à prendre, portent le risque de heurter les intérêts des banques publiques et compliquera le contrôle des flux monétaires entrants, favorisant la hausse de la devise, les spéculations et l’inflation.

Contrôle de la finance grise.

Parallèlement aux mesures macro-économiques, la vigilance nouvelle du régime s’exerce sur les institutions financières publiques locales dont les dérapages comptables ont été jusqu’à présent tolérés par le régime dans le sillage des administrations provinciales.

Mais, le 12 décembre dernier, la société Changzhou Tianning Construction Development Co, basée dans le Jiangsu a été contrainte d’annuler la mise sur le marché de 200 millions de $ d’obligations après que les pouvoirs publics aient refusé de les garantir. La sanction est directement liée à l’intention du pouvoir de corriger les habitudes de crédit facile à l’origine de la montagne de dettes des administrations locales évaluées à 2700 Mds de $ en juin 2013 et dont 90 Mds arriveront à maturité en 2015 (Bloomberg).

Dettes toxiques et craintes d’un crash financier.

Simultanément, le gouvernement soucieux de se prémunir contre un accident, projette de créer un fond alimenté par les versements des institutions financières elles-mêmes, à hauteur de 1% de leurs avoirs pour renflouer leurs collègues en cas de crash. L’inquiétude du Premier Ministre en charge des réformes du secteur financier se nourrit de l’accumulation des dettes des provinces en augmentation constante depuis 2010, qui, selon la Commission des opérations bancaires elle-même, portent des risques aggravés depuis l’été 2013.

Selon les autorités chinoises, il y aurait en Chine 397 « produits financiers » à risque d’une valeur totale de 82,4 Mds de RMB (13 Mds de $). Ce total représente 28% des capitaux détenus par les 68 institutions financières locales capitalisant 288 Mds de RMB (46 Mds de $) dont les fonds s’investissent en marge des banques publiques, pour l’essentiel dans les groupes manufacturiers, l’immobilier, l’industrie minière, l’énergie et l’infrastructure.

Les risques financiers de la dette sont réels, mais, en général, surestimés par les commentateurs. En juin 2013, la dette globale de la Chine était de 56,2% du PIB, dont 23% attribués au gouvernement Central et 33,2% aux administrations locales, en hausse de 6,5% depuis 2010. Comparée aux dettes des autres pays, la caractéristique essentielle de la dette chinoise est la surexposition des entreprises, notamment les entreprises publiques, dont la rentabilité est clairement en baisse. A la fin 2013, le retour moyen des groupes publics rapporté aux actifs était de 4,2% contre 10,5% pour le privé.

La longue marche vers la privatisation.

Le deuxième grand chantier économique en cours est la privatisation des groupes publics, cependant handicapée par de nombreux freins y compris au sein même de la machine bureaucratique chargée de la conduire.

L’intention de privatisation n’est pas nouvelle puisqu’elle date du milieu des années 90. Selon une étude menée par le Cabinet Gide Loyrette Nouel, présent en Chine depuis 2 décénies, des dizaines de milliers de petites et moyenne entreprises ont été restructurées, fermées ou vendues et privatisées. Pour les grands groupes, le rythme a été moins expéditif et seulement une partie de leur capital a été ouvert, les plaçant assez souvent dans une position hybride.

Nombre d’entre elles sont toujours gérées par les ministères eux-mêmes ou des conseils d’administration entièrement contrôlés par l’État, sur lesquels les investissements privés chinois eux-mêmes, n’ayant qu’un accès limité aux crédits publics, ne peuvent avoir aucune prétention de rachat. La situation entraîne quantité de gaspillages, en même temps qu’elle génère des freins à l’innovation et aux progrès qualitatifs. C’est précisément ces dysfonctionnements que le 3e plenum a déclaré vouloir corriger en accélérant l’ouverture du capital des grands groupes.

La suite de l’analyse montre que la manœuvre sera compliquée, non seulement à cause des obstacles générés par les états-majors des grands groupes, mais également du fait de la prudence de Bureau Politique qui, au-delà de l’affichage, semble lui-même réticent à sauter le pas.

La réforme financière dont il a été question plus haut est vue comme un adjuvant de ces restructurations dont le projet est explicité dans les directives n°6, 7 et 8 du Comité Central publiées après le 3e Plenum qui appelle au développement d’une « économie mixte », incitant les groupes publics à améliorer leur gestion et militant pour le développement d’une économie financée à la fois par des investisseurs privés, des institutionnels publics et des sociétés d’actionnaires mixtes publics et privés.

Les « groupes cobayes » sont désignés…

Le mouvement est lancé avec la restructuration et les évaluations plus ou moins complètes des actifs du rail chinois déjà commencées en mars 2014, de ceux du groupe pharmaceutique Sinopharm (中国国际医药卫生公司), de China National Building Materials Group (en Anglais CNBM, en Chinois 中国建材集团), de la Compagnie nationale d’investissements et de développement (En Anglais SDIC, en Chinois : 国家开发投资公司), du Groupe agro alimentaire COFCO (en Chinois : 中国粮油食品(集团)有限公司), du Groupe de conservation d’énergie et de protection de l’environnement (en Anglais CEPEP, en Chinois 中国节能环保集团公司) et Xinxing Cathay International (en Anglais XXCIG, en Chinois : 新兴际华集团).

Simultanément, le gouvernement donnait l’autorisation à Alibaba, Tencent (2 sociétés Internet), Fosun (actionnaire du Cleb Med, en Chinois 复星国际有限公司), Wangxiang, pièces détachées automobiles (en Chinois : 万向集团) et 6 autres groupes de créer des banques privées.

…pour être les acteurs de l’expérience…

Avec cet arrière plan financier rénové et adoptant une démarche pragmatique et expérimentale, le pouvoir qui insiste sur l’équité, la transparence, l’intérêt public et la conformité au droit, a défini 3 processus de privatisation à mettre en œuvre après une étude de faisabilité et l’approbation d’un plan social de reclassement de la main d’œuvre : 1) la mise aux enchères, 2) l’appel d’offres et 3) la négociation directe. Mais s’il est vrai que des opérateurs étrangers peuvent prétendre à participer, l’État chinois se garde néanmoins la possibilité de mettre fin à une privatisation à n’importe quel moment, avec l’appui des tribunaux chinois.

…où perce une extrême prudence.

Derrière cette démarche prudente perce le souci de maîtriser les conséquences sociales et politiques du processus et celui d’éviter le chaos survenu à l’effondrement de l’URSS et après la chute du mur de Berlin en Europe de l’Est.

Mais il y a pire. Selon l’étude de GIDE, la lourdeur des procédures, l’absence de transparence, l’existence d’une voie de négociations directes sans appel d’offre, jettent une ombre sur la volonté réelle de l’État chinois de mettre en œuvre sans arrières pensées une privatisation authentique de ses grands groupes. Par ailleurs, la complexité des éventuels recours légaux en cas d’iniquité des pouvoirs chinois publics à l’égard d’un investisseur, semble avoir été mise en place pour décourager les éventuels candidats.

A ces obstacles administratifs générés par le système lui-même qui paraît réticent à aller jusqu’au bout du concept de privatisation, s’ajouteront les manœuvres dilatoires des entreprises « cibles » des privatisations dont les responsables ne paraissent pas prêts à abandonner la position privilégiée conférée par un grand groupe public bénéficiant le plus souvent d’un monopole d’État et de la protection des pouvoirs publics.

Entre pessimisme et perspectives à terme.

S’il est exact qu’il est prématuré de préjuger des capacités de blocage des féodalités conservatrices, l’appréciation de Gide au fait des arcanes compliqués du droit chinois, mérite attention. Les auteurs de l’étude, constatant la complexité des procédures doutent en effet de la volonté même du régime d’aller plus avant sur la voie de la privatisation.

Une manière de moduler le pessimisme de l’analyse serait de rappeler le caractère collégial du régime et de souligner que les manifestations de prudence exprimées par les directives prennent en compte les réticences internes à l’appareil.

Mais elles ne permettent pas de préjuger du succès ou de l’échec de l’entreprise à moyen terme, d’autant qu’à l’échéance fixée à 2020 pour la plupart des réformes, la direction politique du régime sera assurée par un Comité Permanent dont au moins 4 membres auront été renouvelés par le 19e Congrès.

Lire aussi Stress financier et volonté réformiste. Le marché contre les conservatismes.

 

 

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