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Li Keqiang à Belgrade : les affaires chinoises au milieu des tensions entre la Russie, l’Europe et l’OTAN

Li Keqiang avec le premier ministre serbe Aleksandar Vucic (R) après la 3e conférence des PECO avec la Chine, le 15 décembre à Belgrade. Photo : PAP/EPA/ANDREJ CUKIC -

On entend souvent dire par les Européens eux-mêmes que le Vieux Continent est « sorti de l’histoire. » Sous l’angle de la puissance stratégique, l’affirmation désabusée n’est pas sans fondement. Pour autant, l’Europe que le Premier Ministre chinois Li Keqiang ne cesse de parcourir dans tous les sens reste incontestablement l’un des grands centres d’intérêt de Pékin. Il y a exactement deux mois, le n°2 chinois terminait à Milan, au sommet de l’ASEM, un périple qui l’avait aussi conduit à Hambourg et Berlin, avec, au passage, un crochet par Moscou.

Belgrade : 3e sommet Chine - PECO

L’équipée faisait suite à un chassé-croisé du premier semestre 2014 au cours duquel Xin Jinping et Li Keqiang se sont partagés les rôles pour, au printemps et à l’été, visiter Londres, Bruxelles, Paris, Berlin et Athènes.

Le 15 décembre, le n°2 chinois était de retour dans les parages de l’UE, cette fois à Belgrade sur le flanc Est de l’Europe, pour le sommet annuel entre la Chine et l’Europe Centrale et Orientale (PECO) auquel il avait déjà participé es-qualités en novembre 2013, 8 mois après sa prise de fonctions comme Premier Ministre. La visite fut sans surprise articulée autour des standards de la diplomatie chinoise que sont la coopération économique et commerciale, la recherche de contrats d’infrastructure (transports et énergie) et la quête de débouchés pour les capitaux et les produits manufacturiers chinois.

Mais cette fois la présence de la Chine à Belgrade au milieu des anciens tributaires de l’URSS s’inscrivait dans un environnement stratégique en plein bouleversement marqué par les fortes tensions entre l’Union Européenne et la Russie sur la question ukrainienne. La crise est l’enjeu d’un bras de fer stratégique entre la Russie et les alliés européens des États-Unis, ponctué par l’annexion pure et simple de la Crimée par Moscou et par des combats entre pro-russes et pro-européens à l’Est de Kiev qui ont déjà fait plusieurs milliers de victimes civiles et menacent l’unité de l’Ukraine.

Même si aucun médias n’en parle, la visite d’un premier ministre chinois dans la capitale de l’ancienne Yougoslavie est précisément chargée de réminiscences conflictuelles entre l’OTAN et la Chine qui, avec la Russie s’étaient opposées à l’intervention au Kosovo, tandis qu’une bonne partie des pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO), y compris les nouveaux membres de l’Alliance comme la Pologne, la Hongrie ou la République Tchèque étaient réticents.

Cette note qui traite de la dernière réunion entre la Chine et 16 pays des PECO, alors que resurgissent les tensions issues des complexités culturelles de l’histoire longue, dangereusement ignorées par les uns et manipulées par les autres, est aussi l’occasion de faire point sur la position chinoise dans la question ukrainienne.

Vladimir Poutine, admiré par l’opinion, inquiète le régime.

A cet égard l’analyse incite à penser que la popularité en Chine de Vladimir Poutine, considéré par l’opinion et nombre de responsables politiques comme un exemple flamboyant d’homme d’État fort et efficace est tempérée au sein de la machine politique du régime par la crainte de dérapages militaires.

Les ingérences occidentales à la racine de la crise ukrainienne

Pour les Centres de recherche chinois, dont l’analyse rejoint celle de Moscou, l’origine de la crise ukrainienne plonge ses racines dans les menées occidentales aux marches de l’ancienne URSS pour plus de démocratie et en faveur de l’intégration de l’Ukraine à l’Alliance Atlantique.

Comme Moscou, Pékin estime que les tensions se sont récemment exacerbées à la suite du renversement illégal de Yanoukovitch traité avec mépris, étincelle ayant entraîné l’annexion de la Crimée. Une manœuvre que le Bureau Politique, partagé entre sa proximité avec la Russie et l’exigence de non ingérence, épine dorsale de sa politique étrangère, n’a jamais approuvé que du bout des lèvres.

Aujourd’hui, consciente que les surenchères en cours où se croisent sanctions occidentales et contre-sanctions russes, sur fond de pressions pétrolières ponctuées par des menaces militaires de l’Alliance portent le risque d’un dérapage, la Chine qui sait bien que ses stratégies d’influence économique sont handicapées par les tensions appelle toutes les parties à engager des négociations sans conditions.

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Escalade vers une guerre froide entre l’Europe, l’OTAN et la Russie.

Angela Merkel et Vladimir Poutine se serrent la main à l’occasion d’une rencontre à Deauville en juin 2014. Photo AFP.

Récemment et en amont de la visite de Li Keqiang, les tensions sont montées d’un cran quand, même la très pragmatique Angela Merkel a, le 17 novembre, en marge du G20 à Sidney, mis en garde contre les risques de guerre froide portés par les tactiques de Vladimir Poutine.

S’exprimant au « Lowy Institute for International Policy » et tout en rappelant sa confiance dans les mécanismes de conciliation européens nés après le deuxième conflit mondial, elle a sitgmatisé la menace que « l’annexion illégale de la Crimée » et la « violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par Moscou » faisait peser sur la paix en Europe, rappelant au passage la destruction au-dessus de l’Ukraine du vol MH 17 de la Malaisian Airlines, le 17 juillet 2014.

La prise de position de la chancelière allemande faisait suite à une autre déclaration martiale lors de sa visite le 19 août en Lituanie reprise par l’agence Chine Nouvelle et nombre de médias internationaux. Angela Merkel y rappelait la clause de solidarité de l’Article 5 de l’OTAN qui, en cas de menace directe contre un État membre, déclencherait une réaction militaire automatique de l’Alliance : « l’Article 5 » a t-elle dit, « n’est pas seulement théorique. C’est un accord contraignant. Il faut nous y préparer ».

Ce qui, soit dit en passant, nous rapproche un peu plus des enchaînements tragiques de la première guerre mondiale qu’Angela Merkel allait elle-même évoquer dans la première partie du discours prononcé au « Lowy Institute for International Policy » trois mois plus tard.

Le projet « Southstream », victime collatérale.

Le projet de gazoduc « South Stream », prévu pour passer sous la Mer Noire qui devait acheminer le gaz russe vers l’Europe en contournant l’Ukraine, a été déclaré « mort-né » le 1er décembre par Vladimir Poutine à Ankara. L’annonce surprise a semé l’inquiétude en Hongrie, en Bulgarie, en Roumanie, en Serbie et en Autriche.

Les « bruits de ferraille » otaniens de la chancelière allemande n’ont pas désamorcé la crise au contraire. Li Keqiang est en effet arrivé à Belgrade tout juste deux semaines après que Vladimir Poutine ait, lors d’une visite officielle en Turquie, définitivement mis un terme au projet « Southstream », la branche sud du réseau d’hydrocarbures qui devait approvisionner l’Europe en gaz russe en contournant l’Ukraine par le sud.

Une solution qui faisait, entre autres, l’affaire de la Hongrie, de l’Autriche, de la Serbie et de la Bulgarie. Tous parties au sommet de Belgrade avec la Chine, ils voyaient dans Southstream le moyen d’échapper aux aléas d’approvisionnement créés par un gazoduc traversant l’Ukraine. En revanche, Bruxelles échaudée par le chantage russe le considérait comme un facteur pouvant aggraver la vulnérabilité de l’Europe face aux pressions de Moscou.

Présentée comme une riposte russe à l’UE, l’annulation est probablement aussi le résultat des réticences de Bruxelles, soucieuse de ne pas accentuer sa dépendance à la Russie, de la baisse des cours du pétrole et d’un assèchement des capitaux de Gazprom, incapable de lever des fonds après les sanctions européennes. Nabucco, projet alternatif est aujourd’hui en état de mort clinique faute de financements. Le projet TAP (Trans Adriatic Pipeline) de la Caspienne par la Turquie vers l’Italie du sud et TANAP - Trans Anatolian Natural Gas Pipeline Project) est encore dans les limbes.

Ébranlement des anciennes lignes stratégiques.

Que l’annonce de l’annulation de Southstream ait eu lieu à Ankara, un des grands alliés de l’OTAN, mais dont le premier ministre Erdogan a les mêmes raisons que Poutine de se plaindre de l’UE qui vient de stigmatiser les manquements de la Turquie à la liberté d’information, tandis que l’attitude d’Ankara a l’égard de la Syrie est tout de même radicalement inverse de celle de Pékin et de Moscou, montre bien que les lignes stratégiques ont bougé et que l’Alliance Atlantique pourrait avoir perdu sa pertinence dans la rivalité d’influences en cours à l’Est de l’Europe entre Moscou, Bruxelles et Washington.

L’arrière plan des rancoeurs chinoises contre l’OTAN.

Le 15 décembre, à son arrivée à Belgrade, le Premier Ministre chinois n’aura pas manqué de constater que les lourdes fractures stratégiques n’ont pas disparu à l’Est de l’Europe depuis que, le 7 mai 1999, lors de la guerre dans les Balkans, l’ambassade de Chine dans ce qui était encore la capitale de la Yougoslavie, avait été frappée par trois missiles de croisière Tomahawk tirés par un chasseur de combat américain. L’attaque dont on sait aujourd’hui qu’elle était intentionnelle, faisait suite à un succès retentissant de la défense aérienne serbe qui, 6 semaines plus tôt, avait abattu un F.117 américain à 60 km au nord-ouest de Belgrade.

C’est également en 1999 que Vladimir Putin succéda à Boris Yeltsine démissionnaire, marquant le début du retour de la Russie dans le jeu stratégique régional, grâce au levier des hydrocarbures. 15 ans plus tard, la renaissance nationaliste russe a conduit aux effervescences en cours marquées par l’annexion de la Crimée et l’amorce d’une partition de l’Ukraine qui, du point de vue de Moscou, ne furent que les réactions légitimes aux tentatives européennes et occidentales pour affaiblir la Russie. (Discours de Vladimir Poutine, le 4 décembre dernier au Kremlin devant l’Assemblée de la Fédération de Russie).

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Pékin condamne les ingérences, mais « comprend » Moscou.

A la mi-mai 2014, après 10 ans de négociations la Chine et la Russie ont signé un accord gazier pour la fourniture annuelle de 38 Mds de m3 par la Russie. Conclu sous la pression des tensions avec Bruxelles, il est probable que la Russie a accepté un compromis de prix en-dessous de ses espérances. Les premières livraisons prévues pour 2018 - 2019 modifieront la situation du marché de l’énergie.

La Chine - dont chacun voit bien que les intérêts sont à cheval entre Moscou, pourvoyeur d’hydrocarbures et l’Union européenne cible des exportations et du jeu d’influence chinois -, répugne à prendre trop clairement partie dans une querelle qui gène ses stratégies articulées autour des bénéfices mutuels de coopérations économiques « équilibrées à l’avantage de tous ». Certes la Chine est sensible aux discours et aux actions du Kremlin qui réaffirment le nationalisme russe et rejettent les ingérences extérieures.

En juin dernier, Wang Jisi, expert des relations avec les États-Unis à l’université de Pékin disait dans une interview au magazine Caijing que Poutine était un des chefs d’États étrangers que les Chinois admiraient le plus pour sa « diplomatie de fer ». En juillet, dans un article d’une revue militaire, le Colonel Fang Bing, professeur à l’université de la défense nationale relevait que, pour la Russie, l’Ukraine avait une importance historique et culturelle supérieure à celle qu’avait Taïwan pour la Chine. Historiquement et culturellement, elle était assimilable aux provinces centrales du Shaanxi et à la vallée du Fleuve Jaune.

Surtout, il soulignait que l’expansion de l’OTAN dans la région était vue par Moscou comme une dangereuse contraction de son espace stratégique. Une observation qui renvoyait aux reproches que la Chine fait aux stratégies américaines dans le Pacifique occidental. Même si, fidèle au principe chinois de non ingérence, il n’approuvait pas l’annexion de la Crimée, il disait pouvoir la comprendre, compte tenu de la manière illégale dont l’opposition avait pris le pouvoir à Kiev.

L’OTAN reste la bête noire des Chinois…

D’un colloque à l’Institut International des Études Stratégiques de l’Université de Pékin (en Anglais : IISS ; en Chinois 北京大学国际关系学院), organisé à la mi-octobre, il ressort que la Chine voit l’affaire ukrainienne dans la perspective longue des pressions récurrentes exercées par l’Occident et l’OTAN aux approches stratégiques de la Russie et de la Chine en Europe de l’Est et dans l’ex-Asie Centrale soviétique.

Dans ce contexte où les agacements se sont accumulés au fil du temps depuis la fin des années 90, Pékin estime comme Moscou que l’humiliation subie par le gouvernement de Yanukovitch dont la souveraineté n’a pas été respectée, a constitué l’élément déclencheur d’un crise qui couvait depuis longtemps.

…en partie responsable de l’escalade.

Pour autant, la Chine, opposée aux pressions contre Moscou, est mal à l’aise dans cette atmosphère d’escalade. Pour déployer sa stratégie tous azimuts de constructions d’infrastructures, d’investissements et de prêts bancaires, Pékin doit en effet pouvoir compter sur un environnement normalisé. C’est pourquoi elle souhaite que l’Europe la Russie et l’OTAN s’engagent dans des négociations sans conditions accompagnées d’une réduction graduelle des sanctions.

Mais selon les chercheurs chinois de l’IISS eux-mêmes, la perspective d’apaisement est peu probable à court terme. Tout indique en effet que les États-Unis et leurs alliés européens attendent que les sanctions fassent leur effet sur l’économie russe déjà affaiblie par la chute du prix du pétrole. Selon Mikhail Korchemkin fondateur et animateur de la société de consulting « East European Gas Analysis », l’annulation du projet Southstream était inscrite dans l’annexion de la Crimée, tandis que les sanctions occidentales ont détruit la capacité de Gazprom de rassembler les capitaux.

Au milieu des tensions, l’apaisement des affaires.

Le siège de la Bank of China à Budapest.

Tel est le contexte de la visite de Li Keqiang en Serbie dans un pays qui n’est pas sujet aux strictes règlementations de Bruxelles et où il a rencontré les représentants de 16 pays d’Europe centrale et orientale.

Accompagné d’une forte délégations d’hommes d’affaires il a présenté une stratégie orientée autour de prêts à longs termes à quoi s’ajoutent des projets d’investissements dans l’industrie, l’énergie, les transports et l’agriculture. La construction de voies ferrées proposées à plusieurs partenaires est destinée à améliorer la connectivité Est – Ouest et vers le port du Pirée dont deux terminaux sont aujourd’hui gérés par la société chinoise COSCO.

Au profit des économies en mal de « cash »…

En arrivant, Li a annoncé la création d’un fond d’investissements de 3 Mds de $ destinés à soutenir les économies de la région en mal de cash. La promesse fait suite à celle déjà faite en 2012 de 10 Mds de $, dont une partie seulement a été débloquée. Elle s’accompagne de l’intention du gouvernement d’inciter les entrepreneurs chinois à ouvrir des usines dans des parcs industriels dont la multiplication devrait, a dit Li Keqiang, à la fois créer des emplois en Europe, améliorer les savoir-faire chinois et faciliter le rééquilibrage des économies entre l’Est et l’Ouest de l’Europe.

Concrètement, un certain nombre de réalisations sont déjà dans les tiroirs, en cours ou terminées. En 2013, au deuxième sommet des PECO avec la Chine à Bucarest, 80% des 38 projets ont été mis en route. Cette année en marge du sommet, le premier ministre a inauguré en Serbie le premier grand projet d’infrastructure construit par la Chine en Europe : un pont d’1,5 km sur le Danube à Belgrade dont la valeur est de 136 millions d’€.

En même temps, la Serbie et la Chine ont signé un contrat d’1 milliard d’€ pour la reconstruction de la principale centrale thermique du pays à Obrenovac et la mise en chantier d’une nouvelle unité à Kostolac. La réalisation d’un réseau ferré de trains rapides entre la Grèce et la Hongrie et vers le port du Pirée ainsi que la construction de centrales nucléaires chinoises font également partie des projets annoncés par Li Keqiang.

…et dans l’intérêt de la Chine.

Les cibles est-européennes sont le terrain idéal de l’approche circulaire des marchés de l’Union Européenne pour les entreprises chinoises encore sans expérience ou inquiètes des coûts trop élevés du travail à l’Ouest de l’Europe. La démarche vise aussi à investir les réserves de devises chinoises à l’extérieur, une tendance qui ne fera que s’amplifier. Pour l’heure, le commerce entre les 16 et la Chine augmente de 7 à 8% par an, mais avec un net excédent au profit de la Chine.

Dans ce contexte, des pays comme la Pologne qui souffrent des contre-sanctions russes appliquées aux exportations de fruits et légumes européens, espèrent remplacer leurs exportations effondrées vers la Russie par des parts de marché en Chine.

 

 

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