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›› Chronique

Des Chinois à Blagnac : une faillite française

Le 4 décembre, le gouvernement français a annoncé l’ouverture de 49,99% du capital de Toulouse Blagnac à un consortium sino-canadien, baptisé Symbiose, à majorité financière chinoise qui a mis sur la table 308 millions d’€.

Le 30 décembre 2014, le Conseil d’État a rejeté la demande de suspension de la procédure de vente à un consortium sino-canadien de 49,99% des parts appartenant à l’État de l’aéroport de Toulouse Blagnac, déposée par un collectif de riverains et d’associations. Ces derniers étaient soutenus par Martin Malvy, président de la région Midi-Pyrénées, Jean-Louis Chauzy, président du Conseil économique, social et environnemental et Pierre Izard, le président socialiste du Conseil général de Haute-Garonne.

Le juge des référés a estimé dans son ordonnance qu’il n’y avait pas urgence à stopper une procédure dont il a considéré « qu’en l’état de l’instruction » elle était légale : « aucun des moyens soulevés par les requérants n’est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette décision administrative, sur le respect de la réglementation ni sur une erreur d’appréciation du Gouvernement ».

Mais le Conseil d’État précise que « le rejet est sans incidence sur l’issue de la demande d’annulation des mêmes décisions formée par les requérants ». Autrement dit, la réponse sur le fond du dossier ne sera connue que plus tard dans l’année.

Compte tenu de la polémique qui enfle et de la démarche semi-opaque et peu consensuelle des pouvoirs publics, il est raisonnable de s’interroger sur la nature du problème, en dépassant le soupçon d’une cabale anti-chinoise, évoquée par le ministre Emmanuel Macron.

L’analyse révèle en effet que le projet est entaché d’une série d’erreurs et de faux pas aggravés par un manque flagrant de communication entre Paris et les collectivités locales. Si le pouvoir politique français se donnait les moyens de ne pas avoir à négocier sous une insupportable contrainte financière, il pourrait peut-être tirer profit de l’élan européen des Chinois pour mettre en œuvre la décentralisation attendue par plusieurs aéroports locaux du trafic aérien international français.

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Investissements chinois : Blagnac une exception controversée.

Le Premier ministre et le ministre des finances ont garanti que l’État ne vendra pas les 10,01% d’actions qui lui restent et que les acteurs locaux garderont le contrôle de l’entreprise. Médiapart affirme le contraire dans un article mis en ligne le 7 décembre, signé Laurent Mauduit.

Les investissements chinois en France plusieurs fois répertoriés par Question Chine ne sont pas une nouveauté. Naturellement ils augmentent au rythme du dernier plan quinquennal établi par le Bureau Politique. Mais pour l’heure, ils ne représentent que 10% du stock des engagements américains (93,7 Mds d’€ en 2013) et 2,6% du total des investissements étrangers (371 Mds d’€ - Chiffre Banque de France fin 2012, hors immobilier -). Aujourd’hui estimés à près de 10 Mds d’€, certains engagements chinois sont nettement plus importants que les 308 millions engagés par le consortium sino-canadien pour le rachat de presque la moitié des parts de l’aéroport de Blagnac.

En 2011, le fonds souverain Chinois (CIC) avait injecté 2,3 Mds d’€ dans le réseau exploration – production gaz et pétrole de GDF-SUEZ dont il s’était approprié 30% du capital. A l’époque l’important volume de la transaction, qui plus est dans un secteur stratégique, n’avait pas soulevé de controverses. L’affaire était transparente et sans ambiguïté. Récemment Synutra, un industriel du lait du Shandong a mis sur la table 90 millions d’€ investis dans une usine de lait pour bébé à Carhaix (Finistère) ; deux autres chinois – le Groupe Sill et Biostime - ont respectivement engagé 35 et 20 millions d’€ à Plouvien (Finistère) et Isigny (Calvados), sans que surgisse la moindre polémique.

Le contraste avec Blagnac crève les yeux. C’est la première fois qu’après une opération de rachat chinoise un recours en annulation est déposé en Conseil d’État. Le moins qu’on puisse dire est que l’affaire s’est faite dans une transparence très approximative et dans une ambiance semi hostile comme en témoigne la réaction d’une partie des élus locaux qui soupçonnent des droits de gestion excessifs accordés en sous main par le gouvernement à la partie chinoise.

Un « pacte d’investisseurs » contre nature…

Contrairement aux informations qui avaient d’abord filtré de Bercy, le premier ministre et le ministre des finances assurent que l’État ne se dessaisira pas des 10,01% qu’il détient toujours et que les acteurs locaux garderont le contrôle de l’entreprise grâce aux 25% des parts de la Chambre de commerce et des 15% constitués par celles des collectivités locales (agglomération de Toulouse métropole, département de Haute-Garonne et Région Midi-Pyrénées).

Rien n’est moins sûr, car des documents mis en ligne le 7 décembre par le site Mediapart montrent que l’État français a souscrit un accord avec l’investisseur chinois liant le gouvernement. Selon Laurent Mauduit journaliste d’investigation co-fondateur de Mediapart, cet arrangement « trahit les alliés naturels » du pouvoir que sont les collectivités locales (..) « En clair », ajoute Mauduit, « les investisseurs chinois sont des actionnaires minoritaires, mais l’État leur offre les clefs de l’entreprise pour qu’ils en prennent les commandes ».

La suite des informations révélées par Mediapart et reprises par le Nouvel Observateur détaille les procédures qui permettraient ce subterfuge. Sur les 15 membres du Conseil de surveillance, 2 seront nommés par les pouvoirs publics et 6 par l’investisseur chinois. Les 7 autres représentant les collectivités locales.

Mais selon l’accord confidentiel, les 2 représentants du gouvernement auraient été sommés de s’engager « sauf pour motifs légitimes » à voter comme les actionnaires chinois à l’occasion, dit Mediapart, des « décisions importantes ». « Autrement dit », conclut Laurent Mauduit, par une formule choc dont le journal est coutumier : « ces huit membres du Conseil de surveillance, liés par un pacte, garantiront aux investisseurs chinois minoritaires de faire strictement ce qu’ils veulent ».

…sous de fortes contraintes financières.

On peut s’interroger sur les raisons qu’auraient les pouvoirs publics de brader ainsi et d’une manière si peu transparente le contrôle d’une entreprise bénéficiaire qui affichait en 2013 un résultat d’exploitation de 10,6 millions d’€ pour un chiffre d’affaires 117,4 millions d’€, en augmentation de 2% par rapport à 2012. Le besoin de « cash » d’un État en faillite est une première explication d’autant que les Chinois ont proposé 308 millions d’€ soit entre 20 et 50 millions de plus que les offres des trois candidats français : Natixis, Vinci Invest, associé à la Caisse des Dépôts et Aéroports de Paris allié à l’assureur Predica.

L’autre motivation directe et non des moindres qui, financièrement, dépasse de loin les affaires locales est que l’un des investisseurs à Blagnac, China Aircraft Leasing Group Holdings Limited (« CALC ») enregistré à Hong Kong a annoncé le 2 décembre dernier (soit deux jours avant la publication par Paris du choix de l’investisseur chinois) qu’il avait conclu un accord pour l’achat livrable entre 2016 et 2022, de 100 Airbus A 320 (10 A 321-200, 16 A 320-200, et 74 A 320 NEO), pour un prix global de 8,3 Mds d’€.

Une transaction dans laquelle l’État chinois est directement impliqué par le truchement de ses bras financiers que sont la China Development Bank et de l’Exim Bank qui ont prêté au total 2,5 Mds d’€ à CALC, soit 30% du montant total de la transaction. Il est légitime de se demander s’il est bien prudent d’introduire dans le Conseil de surveillance du gestionnaire de Blagnac un actionnaire dont les moyens de pression sur des intérêts industriels européens sont aussi puissants.

Était-ce vraiment la seule solution ?

« Ne pouvait-on pas faire autrement ? » interroge justement la député socialiste de la 1re circonscription des Hautes Alpes Karine Berger. Polytechnicienne, haut fonctionnaire, membre de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale, elle considère en effet que l’aéroport de Toulouse a été « bradé » et que l’État aurait pu s’engager financièrement pour garantir sa propre indépendance et se garder d’un sulfureux mélange des genres entre la gestion de Blagnac et l’accès au marché aéronautique chinois du groupe européen Airbus.

A ces interrogations dont il faut souligner qu’elles ne sont pas motivées par une soi-disant phobie anti chinoise, mais bien par le caractère brouillon, opaque et pour le moins étrange d’une procédure discrètement engagée à l’été 2014, il faut ajouter deux autres préoccupations.

La première est directement liée à la nature même des fonds d’investissements, acteurs connus de la finance internationale dont une partie des capitaux sont réfugiés dans des paradis fiscaux, précisément unanimement dénoncés par la classe politique française ; la deuxième inquiétude se nourrit des déclarations chinoises concernant le développement de l’aéroport dont une partie est plus proche de la propagande que de projets dûment chiffrés et argumentés.

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Investisseurs chinois et paradis fiscaux.

Le PDG d’Airbus Fabrice Brégier 53 ans, polytechnicien, Ecole des Mines, ancien président du groupe Matra British Aerospace photographie en 2012 avec Mike Poon, chinois d’outre mer d’Indonésie, PDG de Friedmann Pacific Investment Holdings Limited. Diplômé de l’université de Hong-Kong spécialiste reconnu des fusions-acquisitions à la bourse de HK, le financier Poon est également le Directeur exécutif de la China Aircraft Leasing Company (CALC), un groupe d’investissements en expansion rapide, créé en 2006 à Hong Kong et dont l’activité principale est le leasing d’avions commerciaux.

Les investisseurs chinois sont Le Shandong High Speed Group contrôlé par la province du Shandong, et le loueur d’avions CALC, cité plus haut qui reçoivent l’appui technique du canadien LAVALIN, groupe québécois de constructions, spécialistes des fusions acquisitions sous la férule de Bernard Lamarre qui gère déjà 16 aéroports en France. L’attelage sino-canadien est désigné par l’appellation « Symbiose », nom officiel du candidat à l’appel d’offres lancé par l’État français.

Avant la décision de Paris, alors que la polémique faisait rage à Toulouse, France Info avait révélé que le groupe canadien avait été radié par la Banque Mondiale de toute opération de financement après un vaste scandale de corruption au Bangladesh. Ce n’est évidemment pas le cas, à Toulouse. Mais, selon France Info, le groupe courrait le risque d’une interdiction en appel d’offres d’État, suite à une disposition de la loi française relative à la prévention de la corruption. Il est vrai qu’aujourd’hui sa participation à Blagnac n’est que technique.

Quant au Shandong High Speed Group, partie du Friedmann Pacific Investment Group (FPIG), créé et installé à Hong-Kong, il dispose d’une holding, Capella Capital Ltd, immatriculée aux Iles Vierges et détenue par le président de FPIG, Mike Poon et son épouse. Diplômé de l’université de Hong-Kong spécialiste des fusions-acquisitions à la bourse de HK, Monsieur Poon est également le Directeur exécutif de la China Aircraft Leasing Company (CALC), dont la directrice commerciale madame Liu Wanting, est aussi la PDG d’AIRBUSAC enregistré aux îles Cayman.

Des affichages chinois imprudents et contreproductifs.

Viennent enfin les affichages emphatiques du consortium Symbiose dont certains tiennent plus du battage publicitaire et dont les effets ont d’ailleurs déjà commencé à alerter les riverains de Blagnac inquiets des effets de la croissance de l’aéroport sur leur environnement. Parmi les signataires du recours en Conseil d’État, Chantal Beer-Demander présidente de l’association de riverains « Collectif contre les nuisances aériennes de l’agglomération toulousaine », estime déjà que le projet avancé par Symbiose de triplement des vols à l’horizon 2030 est inacceptable alors que, dit-elle, « les riverains sont déjà malades du bruit ».

Ayant peut-être mal estimé les réactions locales attachées à la qualité de vie, les repreneurs chinois ont imprudemment annoncé qu’ils entendaient faire de Toulouse une plateforme européenne de correspondance aérienne, nouveau point d’entrée en Europe des compagnies chinoises et asiatiques, avec l’objectif de 18 millions de passagers en 2030 et 20 millions d’ici 2047.

Un affichage manifestement exagéré puisque la croissance moyenne annuelle envisagée serait dans ce cas supérieure à 8%, très au-dessus de celle des plus grands aéroports européens au cours des 40 dernières années, plus proche de 5% (France Info du 7 décembre).

Plus encore, rien ne dit que les investisseurs pourront faire atterrir à Blagnac les grandes compagnies chinoises comme China Eastern et China Southern qui, pour se poser à Toulouse, devraient payer des droits de trafics supplémentaires ouverts par l’État. Ces derniers s’ajouteraient à ceux qu’ils déboursent déjà pour atterrir à Roissy, plateforme à laquelle ils ne pourront renoncer sans l’accord de l’alliance Skyteam dont ils font partie avec Air France-KLM (60 millions de passagers en 2013 avec des connexions vers le monde entier et toute l’Europe).

Enfin, chacun comprend bien que les possibilités de grande plateformes européennes sont limitées et que Toulouse Blagnac, pour l’instant dédié au trafic domestique européen aura du mal à concurrencer les « hub » déjà existants. Ne serait-ce que celui de Barcelone, 250 km à vol d’oiseau de Toulouse qui a accueilli 35 millions de passagers en 2013.

Au demeurant, les dernières informations flottant autour de cette affaire laissent entendre que « Symbiose » qui a proposé de revendre à un investisseur français 16% des parts qu’il vient d’acheter (ce qui ramènerait sa participation à 33,99%), est prêt à réduire la voilure d’un projet dont il avait peut-être sous estimé les contraintes.

L’élan européen de la Chine et l’aménagement du territoire.

Les polémiques et les doutes autour d’une affaire plutôt mal engagée sont, pour de multiples raisons contradictoires, probablement loin d’être éteints. Le gouvernement aux abois dont les caisses sont vides et dont le caractère brouillon dans cette affaire saute aux yeux, a accepté l’investissement du principal client d’Airbus.

Quoi qu’en disent les communiqués officiels, cette imprudence met l’État français en porte à faux vis-à-vis des collectivités locales effrayées par le battage publicitaire d’un financier dont le pouvoir arbitraire au sein du Conseil de surveillance serait, s’il est confirmé, encore renforcé par le poids exorbitant que lui confèrent ses entrées directes vers le marché aéronautique chinois exprimé par le récent contrat de 100 appareils.

Au delà de ces controverses et querelles autour d’une stratégie pour le moins désordonnée, effet des transes financières dans lesquelles se débat le pouvoir, la question que pose l’ouverture de l’escale de Toulouse aux grandes compagnies aériennes chinoises est celle de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.

Le pouvoir français hésite depuis longtemps entre d’une part ses responsabilités de développement qui, comme le lui demandent les autorités régionales, devraient l’inciter à ouvrir des droits de trafics à Nice et Lyon et, d’autre part, la crainte d’affaiblir Aéroport de Paris qui, avec Air France, fait pression pour que le Quai d’Orsay et la Direction Générale de l’Aviation Civile régulent au compte gouttes les droits de trafic.

Si l’État se mettait en mesure de ne pas avoir à négocier sous la contrainte de sa déshérence budgétaire, peut-être pourrait-il saisir l’occasion de l’élan des Chinois vers l’Europe pour mettre en œuvre une stratégie articulée de décentralisation du trafic aérien dont chacun sait bien qu’elle est porteuse d’activités et d’emplois.

 

 

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