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Mise en garde contre des « risques inhabituels de sécurité ». Retour à la « prudence stratégique » ?

Le 4 juin 2014, des sentinelles de la Police Armée Populaire sur la place Tian An men. Photo Getty Images

Le 23 janvier, après une réunion du Bureau Politique présidée par Xi Jinping, l’agence Xinhua a publié une mise en garde inhabituelle du Parti sur les risques de sécurité « sans précédents et imprévisibles » qui pèsent sur le pays. L’avertissement était accompagné d’une série de mises au point qui, après avoir rappelé le refus de toute ingérence étrangère dans le dispositif et les méthodes de la sécurité intérieure, semblaient faire écho aux anciens conseils de prudence stratégique énoncés par Deng Xiaoping à la fin des années 80.

Le communiqué dit en effet que, tout en protégeant ses intérêts vitaux, au cœur desquels se trouve la protection des populations, la Chine apportera sa pierre à la sécurité du monde et à sa prospérité. Elle maintiendra des relations bienveillantes avec les autres grands pays, œuvrera à construire des relations de voisinage stables et confiantes et intensifiera sa coopération avec les pays en développement.

La déclaration ne détaillait pas la nature des risques. Mais chacun aura compris qu’ils sont de deux ordres : les uns liés aux pressions subies par le Parti pour plus d’ouverture politique souvent exercées par des écoles de pensée ou des canaux d’action liées à l’étranger, notamment à Hong Kong ou réfugiés au cœur même de l’Académie des Sciences sociales que le Parti avait rappelé à l’ordre à l’été 2014 quand il avait accusé le premier centre de recherche de Chine de s’être laissé « infiltrer » par des idéologies étrangères.

Lire notre article Feu sur les « excroissances méningées du Parti » et reprise en main idéologique.

L’autre risque qui met la machine politique sous tension, est d’ordre ethnico-religieux. Il monte inexorablement depuis les émeutes d’Urumqi le 5 juillet 2009, quand plus d’un millier de Ouïghours pris d’une folie meurtrière assassinèrent sauvagement près de 200 Han dans les rues de la capitale du Xinjiang. Depuis, plane le spectre de la menace islamiste radicale nourrie par la proximité de foyers religieux extrémistes au Pakistan, en Afghanistan et dans les zones tribales.

Après les analyses des risques terroristes propagés du Pakistan, d’Afghanistan et des zones tribales, cette note fait le point de la menace terroriste contre la Chine à partir d’Asie Centrale et examine les rapports de force dans la région entre Moscou, Pékin et Washington.

Après une période de rivalités sourdes autour des influences culturelles, politiques et commerciales dans l’ancien Turkestan soviétique sous tendues par la compétition pour la maîtrise des gisements d’hydrocarbures, Pékin et Moscou, confrontés au risque terroriste, resserrent leur connivence stratégique. Simultanément, l’influence de Washington qui, dans la région, avait atteint son apogée avec l’engagement en Afghanistan, décline rapidement.

La nouvelle patience de la Maison Blanche à l’égard de l’Iran et ses appels à la coopération sur la question pakistanaise témoignent cependant de la volonté américaine de revenir dans le jeu. Mais, même s’il est évident que la direction chinoise est gravement préoccupée par les connexions terroristes entre l’Asie Centrale, le Pakistan et les zones tribales, les appels de la Maison Blanche pour une coopération avec Pékin sur les risques terroristes au Pakistan n’éveillent, au moins en apparence, que peu d’écho.

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Asie Centrale, les ferments des tumultes à venir.

L’ancien Turkestan russe à l’ouest du Xinjiang, limitrophe de zones refuges de l’Islam radical au Pakistan et en Afghanistan. A mi chemin entre la Chine et le chaudron chaotique du Moyen Orient il constitue une zone potentiellement très instable devenue le ferment des connivences anti-terroristes entre Moscou et Pékin.

Le défi terroriste qui couve sourdement en Asie centrale est attisé par une multitude facteurs où se croisent des motivations mafieuses de narcotrafiquants, les revenus du pétrole, le capitalisme sauvage sur fond de despotisme inflexible, la faible qualité des dirigeants en poste depuis trop longtemps, les frustrations socio-économiques de populations laissées pour compte, les transes religieuses radicales des « fous de Dieu » et les facteurs géopolitiques d’un nouveau « très grand jeu », analysé par René Cagnat dans Diploweb : Où va l’Asie centrale ? Entre Chine, Russie et Islam, entre la Russie, la Chine, l’Islam radical et les États-Unis.

Mais Diploweb n’est pas le seul à s’intéresser aux risques de déstabilisation de l’ancien Turkestan soviétique que prolonge naturellement le Turkestan chinois, nouvelle frontière de Pékin ou Xinjiang (新疆). Le 20 janvier, sous le titre « Syria calling. Radicalisation of Centra Asia », l’International Crisis Group de Bruxelles (I.CG.) publiait un papier qui focalisait sur migrations djihadistes et les porosités entre la Syrie et l’Asie Centrale (document PDF).

Les attractions de la révolution syrienne.

2000 à 4000 combattants djihadistes dont une majorité issue d’Ouzbékistan et de la vallée de la Ferghana, avec aussi des Tadjiks, des Kyrgyz, des Kazakhs et des Turkmènes se seraient déjà rendus en Syrie pour se battre aux côtés de l’État Islamique ou procurer une assistance humanitaire à ses combattants. Des douzaines d’entre eux seraient morts. Comme presque toujours, la dernière étape vers la zone des combats est la Turquie où la plupart des ressortissants d’Asie Centrale sont exemptés de visas. Les Uzbeks en obtiennent un, valable un mois, sans formalité particulière à leur arrivée.

Peut-être plus préoccupant, la publicité médiatique faite à la révolution syrienne a apporté une motivation nouvelle aux radicaux d’Asie Centrale tels que ceux du Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MOI). Créée en 1998, un moment affaibli par la mort de son chef Tokhir Yuldashev tué par une attaque aérienne en 2009, le MOI (IMU en Anglais), sert aujourd’hui de base arrière spirituelle, idéologique et logistique à nombre de surgeons radicaux tels que le Jamaat Ansarullah, créé en 2010 par le Ouïghour Amriddin Tamarov, membre du MOI et réfugié en Afghanistan, créant une porosité qui, aux approches directes de la Chine, renforce la connexion entre les groupes aux intentions terroristes.

Les apparences de l’immuable et les ingrédients de la tempête.

René Cagnat qui vit une grande partie de l’année dans la région, analyse les multiples facteurs qui, en amont des surgissements islamistes, ont progressivement mis la région en effervescence. Ils vont de la chute de l’URSS à la richesse en hydrocarbures et en matières premières (10% des ressources mondiales de pétrole, 15% du gaz et 20% de l’uranium), objet des rivalités entre Moscou et Pékin, en passant par l’héroïne et le cannabis sources infinies des revenus des narcotrafiquants d’Afghanistan, d’Asie Centrale et du Moyen Orient. Au bas mot 900 Mds de $ en dix ans qui confèrent aux mafias de la drogue une capacité d’action supérieure à celle des États, quand elles ne les entraînent pas dans leurs trafics.

A ces excitants de première grandeur, sources de toutes les cupidités, s’ajoutent les rivalités inter-ethniques et nationalistes faciles à manipuler, d’autant que sous la chape des dictatures fermentent les redoutables poisons de la misère sociale auxquels les potentats locaux apportent peu de remèdes autre que le durcissement répressif. Ces braises qui couvent doucement sous les apparences de l’immuable, aujourd’hui attisées par les réseaux islamo-mafieux possèdent un violent potentiel explosif auquel Moscou et Pékin sont très attentifs.

En Russie, resurgissent les « vieilles peurs enfouies de l’islam barbare et irrationnel qui menace la Russie dans son intégrité territoriale et dans son identité » (Patrick Karam, Docteur en Sciences Politiques, spécialiste des relations internationales et notamment du Caucase et d’Asie centrale), tandis que Poutine « craint que l’islamisation du monde arabe ne finisse par contaminer les Républiques musulmanes d’Asie centrale, voire même la Fédération de Russie » Arielle Thedrel, « L’islam radical n‘épargne pas la Russie ».

Le Figaro.fr, 13 novembre 2012 : L’islam radical n’épargne pas la Russie.

En Chine, les tensions avec les Ouïghours se sont exacerbées depuis 2009, dans un cycle provocation - répressions qui nourrit les violences. Depuis 2007, au moins 900 morts sont à déplorer dans des affrontements presque toujours attisés par un arrière plan culturel et religieux qui s’ajoute aux frustrations socio-économiques.

La situation n’a certes rien voir avec les conflits chaotiques du Moyen Orient, mais elle est assez préoccupante pour que le régime chinois désigne le phénomène comme porteur d’une menace de sécurité exceptionnelle. Du coup, analyse René Cagnat, l’Asie Centrale qui fut d’abord le théâtre des rivalités sourdes entre Moscou et Pékin, est progressivement devenue le ferment d’un rapprochement sino-russe contre la menace de l’Islam radical, en grande majorité sunnite.

Resserrement Pékin - Moscou.

Le péril, aujourd’hui clairement identifié, nourrit la connivence stratégique entre Russes et Chinois qui protège Bashar El Assad face aux Occidentaux et contre les insurgés syriens largement infiltrés, contrôlés par les mouvances radicales, elles-mêmes en partie alimentées par les combattants venus d’Asie Centrale.

Alors que Poutine était culturellement porté à se rapprocher de l’Occident, les pressions américaines et européennes à ses approches stratégiques occidentales appuyées par l’OTAN ont accéléré le basculement russe vers la Chine matérialisé de manière emblématique par le gigantesque contrat gazier d’une durée de 30 ans entre CNPC et Gazprom, signé en mai 2014 pour une valeur de 400 Mds de $, après dix années de négociation sur les prix.

Même s’il est difficile de préjuger de la nouvelle solidité des liens entre deux voisins qui furent souvent rivaux, le fait est qu’aujourd’hui, après les pressions américaines et européennes à l’Est de l’Europe contre Poutine, l’Asie Centrale menacée par les transes islamistes radicales sert de liant supplémentaire au rapprochement. Les attitudes et les discours des dirigeants russe et chinois le démontrent.

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Poutine au chevet de Karimov. Douchanbé : le réveil anti-terroriste.

Le 10 décembre 2014 Vladimir Poutine était à Tachkent où Islam Karimov, le président ouzbek, le mettait en garde contre les risques de l’Islam radical. Des centaines de volontaires endoctrinés et frustrés ont quitté le pays pour la Syrie, soit pour combattre aux côtés de la rébellion contre Bashar el Assad, soit pour lui apporter une aide logistique.

En visite à Tachkent le 10 décembre dernier, Vladimir Poutine a évoqué le risque islamiste avec le très despotique président ouzbek Islam Karimov (76 ans), au pouvoir depuis un quart de siècle. Après avoir rappelé que la Russie comptait nombre d’émigrés d’Asie Centrale, le maître du Kremlin a affirmé « partager les soucis du président Ouzbek », inquiet de la montée de « l’Islamisme rampant ».

Plus encore, ajoutant que la situation risquait de se tendre après le départ d’Afghanistan des troupes de l’OTAN, Poutine rejoignait les réflexions des responsables afghans et les inquiétudes chinoises exprimées lors de la visite à Pékin en novembre du président Ashraf Ghani Ahmadzai, remplaçant de Karzai.
Lire notre article Le pragmatisme chinois et le bourbier afghan.

Le risque terroriste a également pesé lourd dans l’agenda de la dernière réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S) à Douchanbe, les 11 et 12 septembre derniers. Au fil des ans, le volet défense et anti-terroriste de l’O.C.S est devenu un des leviers chinois de la lutte contre le séparatisme ouïghour au Xinjiang.

Logiquement, le président Xi Jinping a placé les objectifs de sécurité en tête des priorités de la Chine, proposant des coopérations entre les systèmes juridiques, le contrôle d’Internet et la fermeture des sites religieux extrémistes. En même temps, il a exhorté ses partenaires de l’O.C.S à prendre en main à leur niveau les défis de la menace terroriste.

L’intervention du Président tadjik Rahmon, hôte de la conférence, lui aussi en poste depuis 22 ans, a sans le nommer, fait allusion à l’État Islamique en Syrie et en Irak dont des ramifications ont déjà contaminé tous les pays de l’O.C.S, y compris les pays observateurs.

Faisant allusion aux capacités financières des organisations islamo-mafieuses, il pointait du doigt la nouvelle puissance « des acteurs non étatiques » dotés d’équipements militaires qui, jusqu’à présent, n’étaient détenus que par les gouvernements réguliers. « De telles évolutions », a t-il précisé, « modifient de manière significative la nature du problème et l’approche que nous devons adopter pour le résoudre ».
Lire notre article L’OCS à Dushanbe. La menace terroriste ébranle les anciens équilibres stratégiques.

Washington manoeuvre.

Restent les Etats-Unis, troisième acteur du « Très Grand Jeu » évoqué par René Cagnat. Alors que la connivence sino-russe se resserre autour des risques terroristes en Asie Centrale où Washington a perdu ses leviers d’influence, la Maison Blanche confortée par les nouvelles sources d’énergie des schistes bitumineux s’éloigne insensiblement de l’Arabie Saoudite et manœuvre pour tenter de desserrer la proximité entre Pékin, Moscou et Téhéran.

Ainsi s’explique la nouvelle patience de Washington à l’égard de l’Iran que la Maison Blanche rêve peut-être d’enrôler dans la lutte contre les Sunnites radicaux de l’État Islamique. En arrière pensée aussi : la situation instable du Pakistan qui inquiète Pékin tout autant que l’Asie Centrale et pourrait constituer le levier d’une coopération discrète des États-Unis avec la Direction chinoise.

Alors que le Bureau Politique chinois tentait à sa manière expéditive de mettre les imams islamistes hors d’état de nuire par des procès « en charrettes » condamnant d’un coup jusqu’à 22 prêcheurs illégaux le 10 novembre dernier, le président Obama s’est écarté des habituelles critiques sur la manière dont Pékin gérait les tensions au Xinjiang, fondées sur le droit et les standards de la justice occidentale. S’adressant à l’agence officielle Xinhua, il a expliqué que « les groupes terroristes ne devraient pas être autorisées à s’implanter à la périphérie de la Chine. »

Une réflexion qui semblait faire écho aux préoccupations exprimées par Pékin quand, le 27 août dernier, le China Daily et d’autres médias avaient, contrairement à leur habitude, rendu publique la confession de Memetuhut Memetrozi co-fondateur de l’ETIM, condamné à la prison à vie qui expliquait avoir été radicalisé dans une école coranique au Pakistan en 1992.

Malgré le poids des anciennes alliances…

Le 26 janvier, le général pakistanais Raheel Sharif, était à Pékin. Après avoir rencontré Zhang Dejiang et Yu Zhengsheng, les n°3 et 4 du régime, il s’est entretenu avec le général Fan Changlong, le 2e vice-président de la Commission Centrale. Au programme : la lutte contre les Taliban.

Mais les vieilles alliances ont la vie dure et continuent à peser sur la situation et leur affichage est important. Le 26 janvier, pendant que le président Obama était l’invité d’honneur de la fête nationale indienne, moins de 4 mois après la visite de Modi à Washington, et au moment où Washington et New-Delhi signaient un accord sur le nucléaire civil, la Chine accueillait à Pékin le Général Raheel Sharif, commandant l’armée de terre pakistanaise

…Pékin garde ses distances.

Au programme de la visite du Général Sharif, le souci n°1 des Chinois : l’offensive pakistanaise en cours contre les Taliban, les groupes radicaux et les représentants dans les zones tribales de l’ETIM (East Turkestan Islamic Movement). La campagne anti-terroriste avait été intensifiée en réaction au massacre de 150 personnes dont 134 enfants dans une école de Peshawar en décembre. Islamabad a également levé son moratoire sur la peine de mort et approuvé la création de tribunaux militaires pour juger les crimes terroristes.

Pendant ce temps, les États-Unis qui, comme la Chine, surveillent de près l’évolution de la situation au Pakistan, continuent à appeler Pékin à coopérer sur le terrorisme, mais les réponses publiques de la direction chinoise restent évasives, tandis que la prudence stratégique exprimée par le communiqué du 23 janvier signale plus que jamais le souci de Pékin de se recentrer sur ses intérêts stratégiques directs, en évitant de se laisser enfermer dans les rigidités d’une alliance quel que soit son bord.

Une réserve, un discernement et une vigilance qui concernent tout à la fois Moscou, Islamabad et Washington. Une prise de distance qui, au-delà des discours, diffuse l’impression que la direction politique agira plus que jamais en fonction des seuls intérêts de la Chine pour relever les défis internes et externes auxquels le pays est confronté. Dans l’esprit des dirigeants chinois ils sont doubles : protéger le magistère du Parti et moderniser le pays, ce qui dépasse d’ailleurs les seules questions de sécurité anti-terroriste.

 

 

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