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›› Lectures et opinions

Xi Jinping et la gouvernance de la Chine

Le livre présente les discours, réponses aux questions et instructions au Parti par le Président Xi Jinping entre le 15 novembre 2012 et le 13 juin 2014. On y trouve également 45 photos du président au cours de différentes périodes de sa vie.

Plusieurs articles de la presse internationale et française sont récemment revenus sur l’ouvrage de Xi Jinping : « La gouvernance de la Chine », révélé pour la première fois au public occidental à la foire du livre de Francfort en octobre dernier.

Compilation des discours, lettres et commentaires du n°1 chinois depuis le 18e Congrès, l’ouvrage qui n’est pas un précis de philosophie politique, se présente plutôt comme un Livre Blanc des intentions et des méthodes de la Direction du régime en prise directe avec l’actualité et les difficultés des réformes socio-économiques nationales et celles des tribulations de la montée en puissance stratégique de la Chine.

De la force de l’image à la propagande.

Ponctué de nombreux aphorismes moralisateurs et d’images concrètes qui font le sel des discours chinois comme la « flèche du Marxisme tirée à la fois sur la cible de la révolution et celle de la réforme », le livre n’évite pas l’écueil des discours politiques édulcorés allant jusqu’à la langue de bois.
Glosant par exemple sur les intentions pacifiques de la Chine, accompagnées par les projets de « nouvelles routes de la soie » ou sur les stratégies commerciales « gagnant-gagnant », il passe sous silence les tensions avec les Philippines, le Vietnam et le Japon qui n’ont pas cessé depuis 2008, nourries par les revendications ou les raideurs de Pékin dans les mers de Chine du Sud et de l’Est, ou avec l’Inde sur les hauteurs glacées de l’Himalaya.

A l’intérieur, le développement à propos du « rêve chinois » - nouvelle expression de l’ancien idéal de renaissance 复兴- fuxing – montre que la Chine se débat avec les pièges de la modernisation politique et se heurte aux contradictions du droit et de sa propre constitution émasculée par le dogme du « rôle dirigeant du Parti ».

La complexité de cette dissonance apparaît clairement dans l’exposé des relations du pays avec Taïwan quand la population et les hommes politiques de l’Île qui rejettent la tutelle du Parti communiste chinois et la réunification sous son égide, sont implicitement accusés de nourrir le feu de la discorde en « apportant du bois ».

Les grands défis et les solutions aux « caractéristiques chinoises ».

Balayant la longue liste des défis auxquels le pays est confronté qui vont du « socialisme aux caractéristiques chinoises », jusqu’aux relations internationales (plusieurs chapitres) surtout articulées autour du « nouveau type de relations entre grands pays », en passant par le concept « un pays deux systèmes », l’État de droit, la défense nationale, les réformes socio-économiques et l’écologie, l’ouvrage déjà diffusé à plus de 3 millions d’exemplaires (2,9 millions en Chinois et plus de 200 000 traduits en huit langues mérite attention pour ce qu’il dit de l’évolution du pouvoir politique chinois ainsi que pour l’intérêt et les commentaires, parfois les malentendus qu’il suscite.

Les éditions du Centenaire qui publient l’ouvrage en Français et la librairie « Le Phoenix », où le livre est disponible pour 15€ ont été achetées par « China International Book Trading Corporation » un groupe spécialisé dans l’exportation de livres dédiés à la culture chinoise.

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Débat contradictoire sur les modèles politiques.

Page en ligne du Quotidien du Peuple qui a recruté hors de Chine des étudiants chinois et étrangers pour la publicité du livre de Xi Jinping.

Au moment où en Occident montent les critiques des systèmes démocratiques – voir par exemple le livre F Fukuyama (« Ordre politique et décadence politique » - « Political order and political decay. From the Industrial Revolution to the Globalization of Democracy ». 658 pp. Farrar, Straus & Giroux.) ou « Après la démocratie » d’Emmanuel Todd Gallimard 2008 qui dénoncent par des cheminements différents les dérives individualistes des démocraties, le succès d’un livre écrit par le n°1 du plus grand pays non démocratique de la planète mérite réflexion.

Les thèmes contradictoires qui surgissent le plus souvent dans ce débat sur la meilleure gouvernance possible, évoqués par les hommes politiques chinois eux-mêmes sont ceux de la cohésion nationale et de l’harmonie sociale – malmenées par les joutes politiques des systèmes démocratiques - ; de la capacité à se projeter dans l’avenir et à réformer les sociétés.

Responsabilités essentielles des pouvoirs publics ces nécessaires stratégies du long terme paraissent pourtant aujourd’hui hors de portée des démocraties dont les visions politiques sont constamment taraudées par le court terme des échéances électorales agitées par le brouillage médiatique. Quand elles ne sont pas perverties par la prévalence des rentes et des avantages corporatistes.

A l’inverse, le dogme de la prévalence du Parti articulé autour du principe idéal de la méritocratie, fondement du despotisme éclairé, pose avec insistance la question non résolue de la légitimité du pouvoir politique et, in fine, de sa fragilité dans un environnement où la contestation ne peut plus être contenue, ni par la répression ni par la manipulation des foules et les slogans.

Laudateurs étrangers et malentendus.

Le 2 février dernier à Phnom-Penh, Sok An, Secrétaire Général du gouvernement cambodgien depuis 1993, faisait la publicité du livre de Xi Jinping lors d’un séminaire organisé par l’Ambassade de Chine au Cambodge.

L’autre interrogation autour de la popularité du livre concerne sa vaste audience dans les pays gouvernés par des systèmes fermés dont les dirigeants non élus ou plébiscités par des fraudes électorales voient l’émergence d’une authentique démocratie comme une menace pour leur pouvoir.

L’agence Xinhua a récemment fait l’éloge de l’organisation, le 2 février dernier à Phnom-Penh, par Sok An, l’inamovible n°2 du sérail politique cambodgien, secrétaire général du gouvernement, d’un séminaire autour du livre de Xi Jinping. Mais le malentendu est si vaste qu’il est légitime de se demander si une telle publicité ne serait pas, in fine, préjudiciable à la Chine, tant les intentions, les méthodes et les attitudes politiques chinoises et cambodgiennes sont éloignées.

Alors que le système chinois, dont les caciques sont renouvelés tous les 10 ans - 5 ans pour les plus âgés - est engagé dans une lutte féroce pour l’éradication de la corruption qui n’épargne personne et tente de mettre sur pied un système d’auto-surveillance interne au Parti, à cheval sur le droit et la morale, destiné à restaurer l’éthique de la gouvernance, l’oligarchie khmère, incapable de se réformer ou même de se renouveler et dont les organisateurs du séminaire étaient l’expression la plus achevée, se maintient au pouvoir depuis 20 ans par un enchevêtrement de fraudes électorales, de passes droits et de prévarications à tendance criminelle qui, en Chine, les auraient déjà conduits sans coup férir derrière les barreaux.

Entre Pékin et Phnom-Penh, les seuls points communs sont le besoin de cash du pouvoir khmer et la quête d’influence de la Chine dans son arrière cour stratégique. Sur ce terrain, Pékin doit également faire face aux concurrences de Hanoi et de Tokyo.

Xi Jinping, le troisième grand dirigeant chinois.

L’autre intérêt du livre de Xi Jinping est qu’il en dit long sur l’évolution du pouvoir politique chinois lui-même. Une des analyses les plus riches a été proposée par Zheng Yongnian ancien de Beida, Docteur en sciences politiques de l’Université de Princeton, aujourd’hui Directeur de « l’East Asia Institute » de Singapour.

Resserrement du pouvoir et synthèse historique entre Mao et Deng…

A partir d’une vaste perspective historique Zheng estime que Xi Jinping dont il loue le courage politique, est en réalité le troisième grand homme d’État de la révolution après Mao et Deng Xiaoping, ces derniers ayant façonné la politique et le destin de la Chine chacun pour une durée de trente années. Hu Yaobang, Zhao Ziyang (qu’il ne cite pas), Jiang Zemin et Hu Jintao n’ayant été que des disciples adoubés pour assurer la transition de l’après Deng.

Ayant revisité l’arrière plan historique de la succession des générations de dirigeants, Zheng avance que l’idée maîtresse de toute l’action de Xi Jinping est double : 1) assurer la cohérence historique et politique entre Mao et Deng, base essentielle de la modernisation du pays et de la protection politique du Parti ; 2) tourner le dos aux vieilles habitudes centrifuges des responsables locaux par un vigoureux effort de recentrage du pouvoir autour de sa personne.

Au sommet du système, la création de nouveaux groupes dirigeants tous dans la main du n°1, structure qui pourrait être pérennisée par la Constitution, contribue à contourner l’obstacle de la collégialité du Bureau Politique aux effets paralysants. Sensibles pendant la période Hu Jintao, Wen Jiabao, ces derniers avaient en effet tué dans l’œuf l’improbable idéal de société harmonieuse.

…pour plus d’efficacité politique.

Aujourd’hui, la centralisation mise en œuvre par Xi Jinping confère à la lutte contre la corruption une efficacité inédite contre les oligarques économiques qui, pour protéger leurs intérêts, sont devenus des oligarques politiques et les principaux obstacles sur la route des réformes. Mais, en même temps, pour éviter les effets pervers d’une trop forte concentration de l’autorité, Xi tente, sans déroger au dogme de la prévalence du Parti, la séparation des pouvoirs parlementaires administratifs, politiques et judiciaires.

Au total Zheng accorde sa confiance à l’actuel n°1 qu’il crédite d’une bonne capacité à moderniser la Chine. Considérant que les pouvoirs locaux très endettés, principaux talons d’Achille du régime, sont à la tête de confortables patrimoines fonciers négociables en cas de crise grave, il estime que le Parti dispose d’une bonne marge de manœuvre financière et écarte la possibilité d’une crise systémique du régime. Enfin, sans proposer d’argumentaire pour étayer son optimisme, il veut croire qu’après les réformes socio-économiques en cours, Xi engagera des réformes politiques plus significatives.

A ces appréciations on peut ajouter que Xi Jinping a réellement modifié le fonctionnement du système politique en tournant le dos aux tactiques et rivalités de clans qui tenaient encore le haut du pavé au cours des années Jiang et Hu. Il reste qu’après avoir commencé à bousculer les vieilles féodalités des banques, la réforme du cartel des groupes publics n’avance que difficilement. Même la bataille contre la corruption apparaît une tâche sans fin et nécessitera de nouvelles résolutions ainsi que l’appui sans faille de la machine.

Le grand défi de la cohésion du Parti.

A ces obstacles, le n°1 réagit en rehaussant son profil et en se posant comme un exemple pour donner un nouvel élan aux réformes et à la lutte contre les inégalités. Son livre sur la gouvernance est émaillé de nombreuses photos où on le voit au contact du peuple. En même temps, contredisant l’optimisme de Zheng, il resserre sévèrement le contrôle politique des médias et tient à distance les influences étrangères vertement critiquées par la propagande du régime.

Mais, au-delà des appréciations laudatives de l’appareil, la réalité est que Xi Jinping aura besoin de l’appui de tous pour continuer la modernisation entamée il y a deux ans. Or, bousculant les avantages acquis, il crée des inimitiés dans les anciennes féodalités, tandis que le durcissement politique nourrit le malaise des réformateurs et des tenants d’un authentique État de droit.

Sans compter que son nouveau profil, très détaché de la machine, alimentera les critiques des bureaucrates qui l’accuseront de cultiver son image et de s’attribuer tous les mérites de la réforme. Rien ne dit que, dans ce contexte, le nouvel homme fort chinois, dont il est clair qu’il veut aussi éviter à la Chine le sort de l’URSS en protégeant coûte que coûte la prévalence du Parti, sera capable de tenir à distance la lutte des clans.

 

 

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