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›› Editorial

Les rivalités sino-américaines en Asie pèsent peu dans la « grande image globale »

En novembre 2014 à Pékin, lors du sommet de l’APEC Xi Jinping et Barack Obama décidèrent d’apaiser la relation sino-américaine. Il est probable que d’ici septembre 2015, qui marquera la première visite officielle du président chinois aux États-Unis, la relation entre Pékin et Washington sera sous tendue par le souhait réciproque que la rencontre soit un succès.

Récemment ont eu lieu deux événements qui révèlent quelques faces cachées et d’autres très évidentes des luttes d’influence en cours entre Pékin et Washington dans le Pacifique Occidental. La mise à jour des chicanes sino-américaines a eu lieu par le truchement de la Thaïlande et de la Corée du Sud, deux pays qui, en dépit de leurs étroites relations avec le Pentagone, sont traditionnellement positionnés à mi-distance entre les États-Unis et la Chine.

En Asie rien n’a changé au fond. La Chine restera déterminée à protéger chez elle la prévalence du Parti Communiste et à construire son magistère régional en tenant à l’écart l’influence perturbante de Washington. Exprimant deux stratégies d’influence différentes, la chinoise qui pousse ses avantages par d’insistantes manœuvres commerciales et l’américaine parée des règles du libre marché et des dogmes démocratiques, la somme des divergences et des querelles sino-américaines en Asie continue à peser dans la relation des deux rivaux.

Mais la situation stratégique de la planète a profondément évolué depuis 2008. Considéré il y a seulement quelques années comme le futur centre de gravité du monde, le Pacifique Occidental est pour l’instant passé au second plan. Cet avatar stratégique qui prend à contrepied le « pivot » américain annoncé début 2012 et que la Chine voyait exclusivement dirigé contre elle, favorise l’apaisement au moins conjoncturel de la relation entre la Chine et les États-Unis.

Au-delà des tactiques d’influence locales décrites plus bas, l’un et l’autre ont aujourd’hui l’œil rivé sur d’autres menaces et d’autres théâtres : le risque terroriste qui menace la Chine et pourrait déstabiliser le régime d’Islamabad ; la question iranienne que Washington pourrait considérer comme un allié face à l’État Islamique créant ainsi un terrain d’entente propice à un rapprochement sino-américain sur un sujet où les deux exprimaient jusqu’à présent des stratégies radicalement opposées. Au-dessus plane le risque d’une déflagration de grande ampleur en Ukraine dont Pékin se tient soigneusement à l’écart en dépit de ses connivences stratégiques et gazières avec Moscou.

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Pékin veut empêcher Séoul de vendre des chasseurs FA-50 à Manille.

Le 6 février 2015, Chang Wanquan, le ministre de la défense chinois était à Bangkok, 3 jours avant le début de la manœuvre « Cobra Gold ». La visite exprimait la compétition sino-américaine en Asie du Sud-est.

A la mi-décembre 2014, plusieurs sites internet et médias philippins révélaient à l’occasion du voyage de Begnino Aquino à Séoul que la Chine avait tenté de faire pression sur la Corée du sud pour empêcher la vente aux Philippines de 12 chasseurs de combat légers FA-50 fabriqués par Korea Aerospace Industries (KAI). Le contrat fait partie d’un accord plus vaste de 1,68 Mds de $ destiné à moderniser les forces armées philippines pour les mettre en mesure de mieux contrôler ses approches maritimes contre ce que les autorités de Manille appellent non sans raison « l’expansion rampante de Pékin en mer de Chine du sud. »

Les Philippines démentent les analyses selon lesquelles les livraisons ont un rapport avec les tensions territoriales entre Manille et Pékin, mais les pressions chinoises sur Séoul les accréditent. Dans le même temps, lorsque les commentaires du président Aquino interrogé par la presse, rappellent que le contrat avec la Corée du sud et les Philippines est « naturel pour deux pays parties de la même alliance » (sous entendu avec les Etats-Unis à la fois alliés avec Manille et Séoul), il renvoie à la rivalité de l’étage supérieur entre Pékin et Washington. Lire notre article Crispations irrationnelles en Asie.

La Thaïlande courtisée par Pékin et critiquée par Washington.

Exprimée de manière voilée par le triangle Pékin, Manille, Séoul, la compétition sino-américaine s’est en revanche étalée au grand jour en Thaïlande à propos de l’exercice annuel géant « Cobra Gold ». Réprobateurs de l’évolution politique thaïlandaise sous le coup d’une loi martiale instaurée en mai 2014, dernier épisode en date d’un conflit entre la famille Thaksin Shinawatra et l’oligarchie royale soutenue par l’armée, les états d’âme démocratiques américains ont cette année réduit la participation du Pentagone à l’exercice.

La controverse a même pris un tour acerbe quand, répondant aux critiques contre la loi martiale de Daniel Russel sous–secrétaire d’État pour l’Asie en visite à Bangkok, le gouvernement thaïlandais a vertement et officiellement demandé à Washington de se tenir à l’écart de la politique intérieure thaïlandaise.

La Chine à la manoeuvre

La diatribe ne pouvait mieux pas tomber pour Pékin. Répétant qu’elle ne se mêlait jamais des affaires des autres et que ses coopérations étaient proposées sans conditions, la Chine avance depuis plusieurs années patiemment ses pions dans le Royaume du Siam, lui-même habitué à jouer de la rivalité des puissances depuis qu’au XIXe siècle il avait, par une suite de retournements, réussi à tenir à distance les ambitions coloniales rivales de Paris et de Londres.

Si on voulait une preuve de cette flexibilité chinoise qui, dans ce cas, rencontre la virtuosité diplomatique de la Thaïlande passée maître dans l’instrumentalisation des sponsors concurrents, il suffirait de se reporter seulement deux années en arrière. Bien que courte, la rétrospective révèle à la fois la rivalité sino-américaine et la souplesse sans états d’âme de Pékin toujours prêt à traiter avec le pouvoir en place, quel qu’il soit.

On y discernera aussi les prétentions moralisatrices globales du pouvoir américain en même temps qu’un démenti au discours désintéressé de la Chine qui, en l’occurrence, cherche l’appui de la Thaïlande dans ses démêlés avec ceux des pays de l’ASEAN qui contestent son exorbitante expansion en mer de Chine du sud.

Souplesse chinoise et habileté thaïlandaise.

Le 21 novembre 2012, immédiatement après le sommet de l’ASEAN tenu à Phnom-Penh où Pékin avait déjà lourdement fait peser son influence sur le Cambodge, Wen Jiabao le Premier Ministre chinois de l’époque était en Thaïlande où sa visite faisait suite à celle du Président Obama, venu à Bangkok seulement trois jours plus tôt. Si la démarche du président américain avait pour but d’inciter à la cohésion des pays de l’ASEAN, éventuellement contre la Chine, celle de Wen Jiabao visait précisément l’objectif inverse.

Par une politique de prêts et de coopération économique, il s’agissait déjà pour Pékin de s’assurer que Bangkok, qui n’a aucune revendication territoriale et maritime concurrente de celle de Pékin, ne se joindrait pas au groupe des 4 pays – Vietnam, Philippines, Malaisie, Brunei - inquiets des prétentions chinoises sur toute la Mer de Chine du Sud. A l’époque l’interlocuteur de Wen Jiabao était Yingluck Shinawatra, sœur de Thaksin Shinawatra, aujourd’hui destituée par l’armée et assignée à résidence en Thaïlande. L’incidence émeut beaucoup la Maison Blanche, mais laisse Pékin de marbre.

Ayant traité avec Yingluck Shinawatra jusqu’au 7 mai 2014, date à laquelle elle a été destituée pour corruption après un procès politique piloté par l’oligarchie thaïlandaise, la Chine négocie aujourd’hui avec l’armée qui l’a chassée du pouvoir et avec qui Washington est en froid. Le 19 décembre dernier, Li Keqiang, successeur de Wen Jiabao était à Bangkok pour une réunion régionale sur l’aménagement du Mékong. Alors que les États-Unis ont stoppé leur aide militaire et que l’Union Européenne a suspendu les négociations sur les droits de douane, la Chine pousse opportunément ses avantages de premier partenaire commercial de la Thaïlande.

Un projet ferroviaire de 12 Mds de $, partie d’une liaison sud nord vers Kunming et une coopération agricole portant sur 2 millions de tonnes de riz et 200 000 tonnes de caoutchouc ont fait l’objet de protocoles d’accord. 4 jours après la visite de Li Keqiang à Bangkok, le général Prayuth chef de la junte militaire, devenu premier ministre était reçu le 23 décembre à Pékin par le président Xi Jinping. Nouvelles signatures avec Li Keqiang que le général Thaï venait à peine de quitter. Cette fois sur un accord boursier entre Bangkok et la Banque de Chine et un autre qui autorise les deux pays à libeller leur échanges dans leur monnaies nationales à hauteur de 11,25 Mds de $.

« Cobra Gold 2015 » sous l’œil de Pékin.

Enfin, dernier épisode de ce chassé croisé entre le réalisme stratégique et commercial chinois et les questionnements démocratiques américains brandissant le flambeau universel de la « bonne gouvernance », le 6 février, trois jours seulement avant le début de l’exercice « Cobra Gold », dont le déroulement est cette année perturbé par la querelle politique entre les militaires thaïlandais et la Maison Blanche, le ministre de la défense chinois Chang Wanquan était dans la capitale thaï.

Avec son homologue le Général Prawit Wongsuwan, ils signèrent plusieurs accords sur les échanges de renseignements, la lutte contre le crime transnational et l’accélération, « dans les cinq années qui viennent » disent les communiqués, de la coopération militaire entre l’armée Thaï et l’APL.

Alors que les relations entre Washington et Bangkok se sont soudain sérieusement aigries, mais pas au point de justifier la suppression de « Cobra Gold » qui accueille 24 pays et où la participation américaine n’a été réduite que de 1000 hommes, la Chine en grand seigneur a, comme en 2014, année de sa première apparition dans ce paysage marqué par la vision stratégique des États-Unis garant de la stabilité militaire en Asie, confirmé sa participation « pour la partie humanitaire de l’exercice ».

Pendant ce temps et signe de la fragilité de l’immuable, alors que Bangkok et Pékin annonçaient la tenue prochaine d’un exercice bilatéral de leurs armées de l’air, le Bangkok Post du 8 février qualifiait l’exercice « Cobra Gold 2015 » de « manœuvre militaire la plus triste et la plus dépourvue d’âme de toute l’histoire ».

Nouvelles menaces, nouvelles stratégies.

Le slogan ci-dessus affiché à Urumqi et dans plusieurs villes du Xinjiang - « Mesdames retirez vos voiles pour ne pas porter préjudice à la société civilisée moderne » - témoigne du désarroi et des maladresses de Pékin face à la montée des affirmations religieuses, elles-mêmes attisées par la répression indiscriminée. Rejoignant celle de Wasghington, l’inquiétude de Pékin face à la carte sauvage du terrorisme religieux est encore attisée par la proximité des foyers radicaux au Pakistan, en Afghanistan, dans les zones tribales et en Asie Centrale.

Au-delà des chicanes politico-commerciales sur fond de coopération militaire, leviers des stratégies d’influence en Asie des deux géants économiques de la planète, il reste la grande image globale d’apaisement que Washington et Pékin tentèrent d’insuffler lors du sommet de l’APEC en novembre.

La situation mondiale marquée par les risques terroristes d’un « arc de crise » qui prend la planète en écharpe jusqu’aux portes de la Chine, diffusant des métastases au Xinjiang, à quoi s’ajoutent les dangereux affrontements en Ukraine faisant à nouveau de l’Europe un des points chauds du globe, ont partiellement détourné Washington de son « pivot » stratégique vers le Pacifique occidental, tandis que, dans son environnement proche traversé par des tensions avec Hanoi, Manille, New-Delhi et Tokyo, Pékin cherche une accalmie.

Avec la Maison Blanche et au-delà des crispations de principe affichées dans les discours, des points de convergence pourraient apparaître, non seulement à propos de l’Iran dont Washington recherche l’appui contre « Daesh », mais également au Pakistan dont les transes islamistes liées aux radicaux, menacent le Xinjiang.

En septembre 2015, Xi Jinping sera à Washington pour son premier voyage officiel aux États-Unis. La préparation de cette occurrence et la volonté d’en faire un succès pourraient bien constituer l’épine dorsale de la relation sino-américaine dans les mois qui viennent. Simultanément tout indique que, malgré les nombreuses convergences stratégiques entre Moscou et Pékin, la Chine, constatant la catalepsie stratégique de l’Europe de plus en plus impotente, se tiendra prudemment à distance du chaudron de l’Est européen et des « bruits de ferraille » qui montent entre Moscou et Washington par supplétifs ukrainiens interposés.

 

 

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