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Les affirmations de puissance du Cheval et la quête d’apaisement de la Chèvre

Décor célébrant l’année de la Chèvre à Eu Tong Sen Street, Singapour.

Voici revenu le temps de la grande migration des familles, des libations, des feux d’artifices géants, des danses du dragon qui accompagnent le nouvel an chinois. Le 18 février à minuit, l’année de la chèvre qui succède au cheval, a été accueillie avec la même ferveur joyeuse dans plus de cent pays dans le monde.

Dans les campagnes chinoises les familles rassemblées ont dîné de raviolis, allumé quelques pétards, admiré la puissance des feux d’artifice tirés par la municipalité, parfois en dépit des interdictions officielles et joué aux cartes en regardant l’émission de la télévision d’État qui a diffusé un programme de variétés mêlées d’une forte dose de propagande nationaliste dont, selon Xinhua, l’audience a dépassé 800 millions de spectateurs.

Pour la plupart, la fête durera une semaine. Mais le mouvement brownien des voyages - au total 3,6 milliards de déplacements individuels - avec ses foules dans les gares, ses transports aériens surchargés et ses déplacements de fortune en motos ou en bus encombrés de ballots durera jusqu’après la fête des lanternes qui, cette année, tombe le 5 mars.

Le China Daily estime que, pendant cette période, 100 Mds de $ seront dépensés en courses, cadeaux et nourriture. Le chiffre est à mettre en perspective avec la moyenne estimée des dépenses françaises, allemandes et britanniques qui, pour chacun de ces trois pays, atteint chaque fin d’année, plus ou moins 75 Mds de $.

Alors que le cycle du zodiaque éloigne le Cheval pour les prochaines douze années, 2015 commence sous l’un des signes les moins flamboyants de l’astrologie chinoise – le natifs de la Chèvre ont la réputation d’être doux et timides - au point que nombre de couples retardent la naissance d’un enfant, en attendant l’année du Singe. Mais les astrologues consolent leurs clients en évoquant une année d’apaisement, de conciliation et d’harmonie nourrie par les efforts de médiation.

Une chose est sûre, par le style et les actions du pouvoir chinois, l’année 2014 aura plus ressemblé à l’image de rapidité et d’efficacité qu’on attribue aux natifs du cheval, qu’à celle de la chèvre. Pour en faire le bilan on évoquera un fois encore les divers aspects du « rêve chinois », nouveau slogan du vieil espoir de renaissance - Fuxing 复兴- qui, depuis le milieu du XIXe siècle, taraude les intellectuels chinois, confrontés à l’humiliation de la rencontre de l’Empire avec les puissances coloniales.

Observé depuis les rives occidentales, le mouvement de renouveau qui s’affirme contre le magistère américain crée des tensions. Il instille aussi une déception pour ceux qui croyaient à l’ouverture politique de la Chine, puisque la remise en ordre interne, d’abord socio-économique, mais également éthique, s’exprime en partie contre les valeurs du droit cultivées par les démocraties.

Il reste que le surgissement de la menace terroriste globale dont les métastases menacent la province du Xinjiang crée une situation nouvelle qui pourrait rapprocher Pékin et Washington. Alors que les deux sont préoccupés par les risques de déstabilisation du Pakistan contaminé par le radicalisme des Talibans et le foyer irrédentiste des zones tribales, l’assouplissement américain à l’égard de l’Iran, devenu un des principaux acteurs de la lutte contre l’État Islamique en Irak ouvre à Pékin une nouvelle marge de manœuvre dans le jeu du Moyen Orient. Étrangement, ces nouvelles occurrences pourraient confirmer les prévisions d’apaisement du Zodiaque chinois pendant l’année de la Chèvre.

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Tensions en Asie et contournement de l’hégémonie américaine.

La Chine est en train de rassembler des fonds pour la construction d’infrastructures le long des anciennes routes de la soie. Les vastes projets ne manquent pas d’ambition, mais nombre de problèmes techniques et de sécurité ne sont pas résolus.

Sur la scène mondiale le rêve a révélé une affirmation de puissance contre l’hégémonie américaine au prix d’un rapprochement financier avec les BRICS, à quoi se sont ajoutés un méga-contrat gazier avec Moscou et l’accélération des échanges avec l’Europe. Dans la sphère asiatique, Pékin a embarqué l’ASEAN dans une vaste stratégie de séductions commerciales et d’octrois de prêts pour les infrastructures, tandis que ses revendications de souveraineté en mer de Chine du sud qui piétinent le droit de la mer, ont créé des tensions durables.

Au-dessus de ces aspirations globales dont on voit bien qu’elles contestent la prévalence de Washington, planent la volonté de tenir à distance les aspirations démocratiques de Hong-Kong, l’obsession de réunification avec Taïwan, peut-être porteuse de crispations à venir et l’aspiration à peine dissimulée de prévalence stratégique sur le Japon et l’Inde.

Sur fond de méfiance avec l’Inde que la visite du Président Xi Jinping à New Delhi en septembre n’a pas réussi à éradiquer, à quoi se sont ajoutées de fortes tensions avec Tokyo, Manille et Hanoi, exacerbées au printemps par le saccage d’entreprises chinoises au Vietnam, les nouvelles conceptions de la sécurité en Asie exprimées par le Secrétaire Général du Parti en mai dernier lors de la 4e Conférence sur les mesures de confiance en Asie (CICA) tenue à Shanghai, visent à tenir les États-Unis à distance de la zone d’intérêt stratégique directe de la Chine.

Celle-ci est délimitée au nord-est par la chaîne des archipels qui s’égrènent du sud du Japon à Taïwan et, sur ses marches méridionales, par la « ligne en 9 traits » à l’intérieur de laquelle Pékin augmente le nombre de ses installations fixes pouvant servir de relais logistique à sa marine de guerre, à ses explorations off-shore et à ses campagnes pêches. Le tout transformant peu à peu la mer de Chine du sud une mer intérieure chinoise.

La souplesse chinoise contre le droit des affaires américain.

Faisant écho aux critiques ouvertes ou sous-jacentes qui, presque partout dans le monde, remettent en question l’interventionnisme politique et militaire américain, le raidissement chinois contre Washington a également mis à jour l’aversion du régime contre les influences politiques étrangères à l’œuvre à Taïwan, à Hong Kong et en Chine continentale qui prônent le développement de l’État de droit, le respect des termes de la constitution chinoise et l’avènement de la démocratie dont les conséquences portent en elles une menace mortelle pour le régime.

Mais les rivalités entre la Chine, les États-Unis et leurs alliés occidentaux ne sont pas que politiques ou militaires. Elles s’expriment en Chine même au travers d’une campagne anti-monopole menée contre les groupes étrangers au point qu’à la mi-août même la Chambre de commerce européenne habituellement plus conciliante que celles des États-Unis, s’est cabrée.

En revanche si sur le marché chinois Américains et Européens ont fait cause commune, nombre de pays de la planète ont exprimé les mêmes craintes à l’égard des projets de libre échange américains des Trans Pacific et Trans Atlantic Partnership (TPP-TAP), assortis de nombreuses contraintes juridiques, notamment sur les questions financières, la propriété intellectuelle ou le secteur pharmaceutique, avec un point d’achoppement majeur qui autoriserait les groupes multinationaux à contester les lois nationales des pays signataires, rejeté par nombre de pays engagés dans les négociations.

Par contraste, les projets chinois de libre échange juridiquement moins corsetés que ceux de Washington, capitalisent en Asie sur le regroupement, effectif depuis janvier 2015, des 10 pays de l’ASEAN (6 d’entre eux ayant déjà intégré le marché Chine - ASEAN depuis 2010).

Sur le continent eurasiatique qui fut en 2014 la cible d’une vaste manœuvre de contournement chinoise du « pivot » américain, vers le Pacifique occidental, Pékin, a, en plus du contrat gazier du siècle signé avec Moscou le 21 mai, multiplié les voyages des deux têtes du Régime Xi Jinping et Li Keqiang qui se sont partagés les rôles pour, au printemps, à l’été, et à l’automne visiter Londres, Bruxelles, Paris, Berlin, Athènes, Rome et Belgrade.

Les objectifs chinois restent inchangés : la quête d’influence, de marchés, de ressources et de technologies. En 2015, l’efficacité de la manœuvre sera amplifiée par la décision du Bureau Politique prise lors de la conférence économique de décembre d’augmenter le nombre et la qualité des investissements à l’étranger.

Taïwan et Hong-Kong contre le volontarisme de Pékin

Mais en 2014, le volontarisme tous azimuts du Cheval a produit deux réactions adverses à l’intérieur même du Monde chinois : l’une au printemps à Taïwan où, pour la première fois depuis 2008, la jeunesse étudiante qui occupait l’assemblée nationale a manifesté contre la mise en œuvre sans examen de l’accord cadre sur les services avec Pékin, que nombre d’universitaires considèrent comme dangereux pour le statut de l’Île.

Le raidissement de l’opinion taïwanaise contre les pressions chinoises relayées par le KMT s’est confirmé à l’occasion des élections locales dans l’Île avec un sévère recul des positions du parti nationaliste.

L’autre riposte s’est produite en juin à Hong Kong où la mouvance démocratique de la Région Administrative Spéciale a réussi à mobiliser plusieurs centaines de milliers de personnes pour réclamer la mise en œuvre complète du suffrage universel et protester contre le grignotage des libertés publiques par Pékin. Ces deux foyers de tensions continueront à peser en 2015 sur la direction politique du régime.

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Protéger le Parti contre les menaces internes.

En concentrant dans ses mains une bonne partie des pouvoirs par le truchement de nouveau « groupes dirigeants », Xi Jinping se donne les moyens de corriger les dérapages éthiques des fonctionnaires, de protéger le Parti, de lancer des réformes socio-économiques et de tenir à distance les influences occidentales.

A l’intérieur, c’est la sécurité du Parti assimilée par le régime à celle de la Chine qui se trouve au cœur des stratégies du Comité Permanent et du Secrétaire Général.

Toute l’année du Cheval a en effet été consacrée à affronter quatre menaces : l’immobilisme des conservateurs qui, par intérêt politique ou affairiste, s’opposent aux réforme socio-économiques ; l’activisme des dissidents politiques dont l’action est calibrée aux idéaux subversifs de la démocratie ; la montée des irrédentistes religieux, notamment chez les Ouïghours du Xinjiang dont les actions terroristes véhiculent un risque sécurité interne ; enfin, l’exemple funeste des dérapages éthiques des cadres à l’origine des deux talons d’Achille qui fragilisent la machine politique chinoise : d’une part la corruption endémique de l’appareil et d’autre part la pollution des terres, des nappes phréatiques, des cours d’eau et de l’atmosphère dans les concentrations urbaines du pays.

Des réformes de grande ampleur.

Avec comme objectif ultime de redistribuer la richesse du pays captée par l’oligarchie et d’améliorer l’efficacité de la machine économique, les réformes lancées par le pouvoir en 2013 et poursuivies en 2014 sont d’une ampleur considérable.

Elles vont de l’introduction de capitaux privés dans le système de santé, à la difficile réforme des groupes publics, en passant par la refonte du système des retraites, la suppression du passeport intérieur, l’instauration partielle sous forme d’expériences pilotes d’une TVA et d’une taxe à la propriété et à l’ouverture du système financier à de nouveaux acteurs privés ponctuée à l’automne par la connexion des bourses de Shanghai et de Hong-Kong.

Cette vague réformiste avance lentement en dépit des freins corporatistes qui s’expriment entre autres dans le secteur des groupes publics et contre la réforme du passeport intérieur, retardant la régularisation de la masse des migrants dont le coût directement lié au mouvement d’urbanisation rapide pèsera lourdement sur les budgets sociaux du pays.

Tensions macro-économiques…

Alors que la croissance ralentit inexorablement évaluée à 7,4% en 2014 (7,3% au dernier trimestre), la plus faible depuis 1990, des tensions apparaissent sur l’équilibre macro-économique, générées à la fois par la faiblesse persistante de l’immobilier qui compte pour 30% du PIB et l’augmentation inexorable de la facture sociale qui diminue la marge financière du pouvoir et creuse considérablement la dette.

Celle-ci, estimée à 282% du PIB (29 000 Mds de $) par un rapport publié en février par le MacKinsey Global Institute a cependant l’avantage sur celles des pays développés, d’être très peu dépendante des prêteurs de la finance internationale.

Il reste que les liens étroits des créances avec l’immobilier lui-même affaibli dessinent des risques de crise dont les contrecoups pourraient affecter l’économie globale. L’année qui vient augmentera les désaccords politiques entre les partisans des réformes et ceux qui, inquiets des risques sociaux et industriels, souhaitent que l’État accentue encore les efforts de relance entamés depuis l’été 2014.

…et politiques.

Les tensions sur les choix macro-économique croiseront celles générées par la campagne anti-corruption encore durcie en 2014. La contradiction entre, d’une part, les discours favorables au droit et à l’indépendance des institutions et, d’autre part, les actes qui les nient, s’accompagne d’une accélération spectaculaire des mises en accusation de cadres du Parti et des hommes d’affaires.

Au cours du semestre, celle-ci a, avec l’incarcération de Zhou Yongkang, frappé de plein fouet le camp retranché des retraités du Comité Permanent et durement secoué l’APL dont trois généraux accusés de corruption se sont suicidés à l’automne.

Mais la violence de la répression contre les prévaricateurs qui se nourrit de la conscience du pouvoir que son magistère est menacé, suscite des interrogations y compris chez Wang Qishan lui-même, responsable inflexible du nettoyage éthique.

Pour lui, comme pour quelques autres, le mouvement s’attaque plus aux symptômes qu’aux racines du mal. Cette réflexion a été relayée dans la presse du régime et appuyée par l’étude d’une jeune sociologue membre de l’Académie des Sciences Sociales du Shandong. Elle avance l’hypothèse que le fonctionnement même du Parti, le système de cooptation des cadres et les pressions professionnelles et hiérarchiques qu’ils subissent, seraient, pour partie, responsables de la corruption endémique de la machine politique.

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La carte sauvage du terrorisme

La montée des risques terroristes rapproche encore la Chine de l’Iran et lui donne de nouvelles marges de manoeuvre. Le 21 mai 2014 le président Xi Jinping rencontrait le Président Rouhani à Shanghai. Photo : REUTERS/Mark Ralston/Pool

Enfin, à la fin septembre la condamnation à la prison à vie de Ilham Tohti 45 ans, de l’ethnie ouïghour, professeur d’économie à l’université des minorités de Pékin a marqué le télescopage entre les crispations sécuritaires du régime, ses aversions contre les influences étrangères et la menace d’une insurrection ethnique et religieuse qui monte du Xinjiang, portant le spectre d’une dérive terroriste très déstabilisante.

Aujourd’hui, ces questionnements culturels et nationaux provoqués par la politique intrusive de sinisation de la population allogène des Ouïghours sont très gravement compliqués par les affres terroristes de la mouvance de l’Islam radical dont des ramifications au potentiel meurtrier sont réfugiées dans la périphérie immédiate de la Chine, dans les zones tribales pakistanaises, en Afghanistan et certains pays d’Asie Centrale.

Confirmant les craintes du régime, le 23 janvier, le Bureau Politique publiait un communiqué relayé par Xinhua mettant en garde contre les « risques de sécurité sans précédent qui pèsent sur la Chine », incitant à la « vigilance ». Dans le même temps, la direction du Parti réaffirmait sa volonté réformiste et sa disposition à contribuer à la « prospérité globale ».

Avec un ton et une teneur qui renvoyaient à ceux de la fin des années 80, la déclaration ajoutait que la Chine s’efforcerait d’entretenir des « relations apaisées avec ses voisins et avec les autres grands pays » tout en protégeant ses « intérêts vitaux » et les « caractéristiques chinoises » de son système politique. Pour ajouter à la réminiscence qui semble se nourrir de la mémoire de Deng Xiaoping, le Parti a rappelé qu’il allait accroître sa coopération avec les pays en développement.

Prémisses d’apaisement.

Le ton du communiqué qui tranchait avec celui des discours d’affirmation de puissance du Parti depuis 2008, faisait suite au compromis conclu avec Washington lors du sommet de l’APEC en novembre à Pékin sur l’environnement.

A l’étage supérieur plane le risque terroriste au centre de plusieurs sommets internationaux tenus en Chine ou à sa périphérie : celui de l’Organisation de Coopération de Shanghai à Douchanbé, les 11 et 12 septembre ; celui du processus d’Istanbul à Pékin le 28 octobre qui, avec le nouveau président afghan Ashraf Ghani Ahmadzai, évoquait le vide stratégique laissé face aux Talibans par le départ des troupes américaines.

En même temps, tout comme Washington, Pékin s’inquiète des risques posés par les ambiguïtés de certaines factions de l’armée pakistanaise refusant de couper les liens avec les mouvances radicales réfugiées au Pakistan et dans les zones tribales. Enfin, la nouvelle donne créée par le surgissement de l’État Islamique en Irak qui modifie la position de Washington à l’égard de Téhéran ouvre pour la Chine une nouvelle marge de manœuvre au Moyen Orient.

S’il est très improbable que Pékin renonce à affirmer son magistère en Asie et à jouer un rôle global selon ses critères propres « aux spécificités chinoises » démarqués des modes d’action et des alliances occidentaux, un ajustement tactique n’est pas impossible. Les mois qui viennent diront si, dans la perspective du voyage officiel du n°1 chinois à Washington en septembre prochain, la direction du régime, peut-être inquiète de la contagion en Chine des menaces terroristes globales, donnera ou non raison aux prévisions des astrologues chinois qui anticipent que l’année de la Chèvre ouvrira une période de médiation et d’apaisement.

 

 

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