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›› Editorial

Xi Jinping : « Pas de deux » avec l’Inde et l’Amérique

Au centre Xi Jinping, Narendra Modi et Barack Obama lors du sommet du G20, le 16 novembre 2014 à Brisbane.

Récemment Pékin a par deux fois exprimé une vigoureuse acrimonie contre l’Inde et les Etats-Unis. Le raidissement verbal chinois indique qu’au-delà des bonnes intentions, la rémanence des rivalités reste un obstacle majeur à la normalisation du « dialogue des grandes puissances » nouvel axe de la stratégie de relations internationales de la Chine.

2015 sera l’année des visites officielles de Narendra Modi à Pékin en mai et de Xi Jinping à Washington en septembre. Les mois qui viennent diront si le volontarisme d’apaisement manifesté par les diplomaties indienne, chinoise et américaine parviendra à dépasser les méfiances qui plombent les relations entre ces trois géants.

Quoi qu’il en soit, au-delà des déclarations nationalistes, Pékin ne ménage pas ses efforts pour dépasser les vieilles querelles sino-indiennes ou les rivalités stratégiques avec Washington. Le 2 février le régime chinois a en effet pris avec Moscou l’initiative inattendue d’appuyer une très ancienne requête de New-Delhi à l’ONU visant à condamner les États qui abritent le terrorisme.

Dépassant les semonces territoriales adressées à New-Delhi ou les affichages anti-américains sur les stratégies anti-terroristes, l’initiative chinoise qui se démarque d’Islamabad directement visé par la proposition indienne, signale un glissement de taille. Sous la surface, il rapproche Pékin de New-Delhi et de Washington, tous trois préoccupés par les risques pesant sur la stabilité du Pakistan.

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Les querelles territoriales au cœur du ressentiment indien.

Les querelles de frontières dans l’Himalaya. A l’Est, l’Arunachal Pradesh administré par l’Inde revendiqué par la Chine. A l’Ouest, un imbroglio de revendications entre l’Inde, la Chine et le Pakistan.

Le 21 février, le Waijiaobu a convoqué S.E. Ashok Kanta, l’ambassadeur de l’Inde en Chine pour protester officiellement contre la visite du Premier Ministre Indien Narendra Modi dans la zone contestée de l’Arunachal Pradesh au sud-est du Tibet, presqu’en totalité revendiquée par Pékin.

Xinhua a relayé les admonestations de Liu Zhenmin vice-ministre des Affaires étrangères : pour Pékin, la visite de Modi était une provocation inutile et une atteinte à la souveraineté chinoise ; elle enfreignait l’accord conclu entre la Chine et l’Inde pour résoudre la question des frontières par la négociation d’une manière « équitable, raisonnable et acceptable par les deux parties » disait la déclaration signée en septembre dernier par Xi Jinping et Narendra Modi à New-Delhi.

Un siècle de désaccords et de tensions.

Non pas que l’incident signale une aggravation du différend. Celui-ci couve depuis un siècle quand les Britanniques avaient négocié avec les Tibétains le tracé de la Ligne Mc Mahon dans l’Himalaya, mais que la Chine conteste depuis qu’elle a pris le contrôle du Tibet en 1950.

Pour elle, la frontière entre l’Inde et le Tibet, longue de près de 4000 km au cœur de l’Himalaya, passe en moyenne 190 km plus au sud. La querelle est donc ancienne et enkystée. Il n’en reste pas moins que l’examen de l’histoire récente fait apparaître un retour progressif des tensions après une accalmie qui dura près d’un quart de siècle après la visite de Rajiv Ghandi en Chine en 1988.

Narendra Modi n’est pas le premier officiel indien à se rendre dans la région administrée par New-Delhi. Son prédécesseur Manmohan Singh y était allé en 2009 ; il y avait été suivi en 2012 par le ministre de la défense Pranab Mukherjee devenu Président la même année. Chaque fois la Chine émet les mêmes protestations.

La tension se maintient ainsi, alternativement ponctuée par des tentatives de conciliation et des « provocations » chinoises en réponse aux affirmations de souverainté de l’Inde qui se réclame d’une lettre que Zhou Enlai aurait écrite à Nehru reconnaissant la Ligne Mc Mahon « dans l’intérêt de l’amitié bilatérale ».

C’était avant le bref conflit des frontières entre Pékin et New-Delhi quand, en 1962, l’APL avait infligé une sévère défaite à l’armée indienne, après quoi Pékin avait imposé sa tutelle sur l’Aksai Chin à l’Ouest tout en retirant ses troupes de l’Arunachal Pradesh à l’Est. Le départ de l’APL avait permis à l’Inde d’y rétablir son administration en 1987, tandis que Pékin qui n’entend pas lâcher prise, multiplie les harcèlements de toutes sortes à l’Est comme à l’Ouest.

L’activisme chinois pour rassurer New-Delhi…

En même temps, le Bureau Politique ne ménage pas ses efforts pour rassurer son grand voisin du sud, avec en tête de faire obstacle au rapprochement de New-Delhi avec Washington et Tokyo.

En 2007 et 2008, les trois premiers dignitaires du régime - Hu Jintao, Wen Jiabao et Wu Bangguo avaient fait le voyage de New-Delhi, alors que se développaient les dialogues stratégiques et de défense, les manifestations culturelles (années croisées), les exercices navals, et même une manœuvre militaire terrestre, organisé en décembre 2007 au Yunnan. Aujourd’hui force est de constater qu’en dépit de ses efforts, Pékin n’est pas parvenu à tenir l’Inde à l’écart du Japon et des États-Unis.

…se heurte aux ressentiments de l’histoire.

Depuis 3 ans en effet les relations qui s’étaient progressivement apaisées sont à nouveau plombées par une lourde méfiance, alors que les efforts diplomatiques chinois sont sans cesse brouillés par les incidents de frontières et les réminiscences du conflit de 1962. A l’automne 2011, le Global Times avait même menacé d’une nouvelle guerre : « ceux qui contestent la souveraineté chinoise doivent se préparer à entendre à nouveau résonner le son du canon ». Après quoi New-Delhi avait annulé la 15e session du dialogue sur les frontières.

Quatre mois plus tôt, l’Inde avait reporté sine die une réunion entre responsables de la défense pour réagir aux provocations de la diplomatie chinoise qui traitait les demandes de visas des ressortissants du Cachemire Indien comme s’il s’agissait de citoyens chinois (pour marquer la non reconnaissance du passeport indien, le visa n’était pas collé, mais agrafé).

La manœuvre s’inscrivait dans une augmentation générale des pressions chinoises sur la question des frontières. Elle étendait une pratique ancienne de Pékin déjà en vigueur pour les visas des habitants de l’Arunachal Pradesh, brièvement occupé par la Chine après le conflit de 1962.

Au milieu de la résurgence des querelles territoriales…

Le 20 février dernier, Narendra Modi était en visite dans l’Arunachal Pradesh. Photo SCMP.

Alors qu’en 2012, la visite de Hu Jintao revenu à New-Delhi avait échappé aux affres des querelles territoriales, celles-ci ont resurgi avec force en 2013 et 2014, lors des visites de Li Keqiang et Xi Jinping.

Ces crispations on été suivies par deux occurrences qui témoignent de la difficulté pour Pékin d’affirmer sa prévalence dans ses relations bilatérales avec l’Inde. Le 17 janvier dernier, le ministre des Affaires étrangères japonais Fumio Kishida en visite à New Delhi déclarait que l’Arunachal Pradesh appartenait à l’Inde puisque c’est elle qui l’administrait.

Peu après le faste avec lequel Modi a reçu à New-Delhi le président Obama à l’occasion de la « fête de la République indienne » et la connivence affichée entre les deux, les embrassades ostensibles qui rattrapèrent les remontrances américaines sur le droit de l’homme et des femmes ont contrasté avec l’atmosphère plus compassée de la visite officielle du Président chinois en Inde quatre mois plus tôt.

La visite de Modi à Pékin fonde les espoirs chinois.

Un peu plus de trois mois : c’est le temps qui reste à New-Delhi et Pékin pour préparer le terrain et adoucir les angles de la prochaine visite du Premier ministre indien à Pékin en mai prochain. En dépit du nationalisme de Modi qui s’est déjà taillé une réputation de fermeté à l’égard de la Chine, il est probable que la diplomatie et les intérêts réciproques inverseront les tendances néfastes à l’œuvre depuis 2011.

La Chine sera d’autant plus attentive à ménager son grand et susceptible voisin que le Président Obama remet avec insistance sur la table des négociations avec New-Delhi la perspective d’un accord de coopération militaire jusqu’à présent systématiquement refusé par l’Inde. Ce dernier comprendrait des facilités logistiques réciproques aux États-Unis et en Inde pour les deux marines de guerre et l’interopérabilité des systèmes de communication.

Après avoir reculé en 2012 et 2013 – signe évident de l’aggravation récente des crispations - les échanges commerciaux ont retrouvé leur niveau de 2010 (70,5 Mds de $) avec cependant un déficit commercial indien de près de 40 Mds de $ -, tandis que la volonté chinoise de ne pas rester en arrière de ses concurrents américains et japonais dans la bataille pour la conquête des sympathies indiennes contribuera en partie à corriger les agacements mutuels.

Surtout, le régime chinois vient d’abattre un atout maître en appuyant la très ancienne proposition indienne aux Nations Unies qui vise entre autres Islamabad, de sanctionner les États qui abritent les organisations terroristes (voir le § ci-dessous : « Pékin ne reconnaît pas le rôle global de Washington »). Dans ce contexte devenu fluide, il est possible de faire l’hypothèse que l’initiative chinoise répondant à une vieille requête de New-Delhi contribuera à équilibrer l’accumulation des rancoeurs qui, entre ces deux cultures très antinomiques, dépassent largement les questions territoriales.

Lire aussi :

- Tensions avec l’Inde. La version dure de la puissance douce.
- Diplomatie chinoise et méfiances indiennes.
- Les crispations territoriales ternissent la visite de Xi Jinping en Inde.

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Terrorisme : Pékin ne reconnaît pas le rôle global de Washington.

De gauche à droite, les MAE russe Sergei Lavrov, chinois Wang Yi et indien Sushma Swaraj à la 13e conférence à trois à Pékin le 2 février dernier. A cette occasion la Chine et la Russie ont appuyé une proposition déjà ancienne faite par New-Delhi aux NU de sanctionner les pays qui abritent les terroristes. L’accord vise directement le Pakistan. Photo AFP.

Les autres aigreurs chinoises ont ciblé les États-Unis sur le mode bien connu qui conteste à Washington le rôle de garant de la sécurité de la planète et condamne son interventionnisme militaire. Cette fois la charge n’a pas été menée par le truchement d’un commentaire officiel du Waijiaobu, mais par deux articles de Xinhua.

L’offensive qui ne s’embarrassait d’aucune précaution diplomatique, a été lancée à l’occasion du sommet organisé par la Maison Blanche le 19 février pour la lutte contre le terrorisme et auquel participèrent des officiels de 60 pays, dont la Chine était cependant absente.

Elle reprenait toutes les critiques adressées à Washington : depuis les connivences crapuleuses en Amérique Latine jusqu’aux récentes initiatives de la Maison Blanche contre l’État Islamique, en passant par les manœuvres machiavéliques en Afghanistan qui donnèrent naissance aux Moudjahidines afghans, matrices des groupes terroristes qui mirent en échec les interventions des coalisés en Irak ou contre les Taliban.

Ce qui conduit l’auteur d’un des articles de Xinhua à s’interroger sur la pertinence antiterroriste de la Maison Blanche : « l’Oncle Sam est-il un “leader“ de la lutte contre les terroristes ou a t-il, au contraire, contribué à leur prolifération ? ».

Sans compter, ajoute Xinhua, que les interventions militaires qui détruisirent les États et libérèrent les radicalismes, furent à la racine du terrorisme, en Irak, en Afghanistan et en Libye. Pour l’agence chinoise, le sommet de Washington est aussi l’occasion de rappeler la position de Pékin qui réfute la prévalence américaine et l’ingérence militaire.

Un commentaire du magazine américain « The Diplomat » imagine que la Chine ne s’opposera pas à la stratégie exprimée lors du sommet - « combattre l’extrémisme violent et favoriser les prises des conscience » -. Mais que Pékin restera résolument hostile à une intervention militaire, même pour combattre le terrorisme.

Glissement stratégique de la Chine en faveur de New-Delhi.

Trois semaines avant, lors du 13e sommet trilatéral entre la Chine, l’Inde et la Russie et comme pour démontrer que d’autres voies existaient hors de celle proposée par Washington, Pékin et Moscou appuyaient une proposition indienne aux NU vieille de 19 ans visant à sanctionner les États abritant les terroristes sur leur sol.

La convergence sino-russe en faveur d’une proposition indienne signale un glissement stratégique majeur de la Chine dans la région. Jusqu’à présent en effet, le régime chinois, soucieux de ménager son allié pakistanais principalement visé par l’accord, avait refusé d’y souscrire. Il ne fait pas de doute que la correction de trajectoire est motivée par le surgissement sur le sol chinois d’une menace terroriste.

Enfin pour faire bonne mesure, les dures critiques de Xinhua contre Washington étaient accompagnées d’une offensive chinoise contre les groupes High-Tech américains. Nouvel épisode des frictions commerciales sino-américaines à quoi s’ajoute une cyberguerre articulée autour des duels d’espionnage, l’initiative chinoise qui frappe CISCO, Apple, Citrix System et la branche des logiciels sécurité d’Intel McAfee, tous interdits de participer aux appels d’offres publics de l’administration chinoise, est d’abord une manœuvre protectionniste.

Elle est aussi une riposte aux accusations d’espionnage contre l’Armée Populaire de Libération rendues publiques en 2014 et à l’ostracisme qui frappe Huawei sur le marché américain.

Lire : Cyber-guerre. Une autre perspective.

Désir d’apaisement, persistance des contentieux et des non dits.

On le voit, comme entre la Chine et l’Inde, les contentieux ne manquent pas entre Pékin et Washington. La route vers un apaisement est semée de chausses trappes qui vont des rivalités stratégiques, aux querelles commerciales en passant par les accusations réciproques d’espionnage, les contentieux sur Taïwan, la mer de Chine du sud et les accusations d’ingérences américaines dans les affaires intérieures chinoises, à quoi s’ajoute la lourde méfiance de Pékin face aux projets militaires américains au Moyen Orient.

Les intentions d’apaisement existent cependant des deux côtés. Le 12 février, un éditorial du Global Times – surgeon du Quotidien du peuple - se projetait en septembre prochain, évoquant la visite d’État de Xi Jinping à Washington. Sans édulcorer le profond fossé idéologique et les « contradictions structurelles », l’article soulignait que, contrairement aux analyses pessimistes, les relations entre les deux pays n’avaient pas sombré dans le conflit qui guette habituellement une puissance établie et sa rivale émergente.

L’auteur ajoutait que la prévention d’une catastrophe était d’autant plus difficile que des critiques réciproques s’étalaient chaque jour dans les médias, attisant le soupçon ou le ressentiment des opinions publiques en dépit des efforts officiels pour améliorer la confiance. Mais il concluait que les sept mois qui restaient avant la rencontre au sommet entre les présidents Obama et Xi Jinping qualifiée d’historique seraient consacrés à valoriser les bonnes relations existantes entre les deux dirigeants nées au cours de leurs rencontres précédentes en Californie et à Pékin.

Le site du Département d’État est sur la même ligne. Allant plus dans le détail des sujets de coopérations bilatérales possibles qui vont de la question iranienne au sud-Soudan en passant par la Corée du nord, les changements climatiques, le terrorisme, la protection de l’environnement et la sécurité énergétique, il appelle de ses vœux la naissance d’une Chine forte, pacifique et prospère jouant un rôle plus important dans les affaires du monde.

En arrière plan restent les malentendus et les non dits : ceux du flou des intérêts vitaux chinois d’abord clairement assimilés aux questions de Taïwan du Tibet et du Xinjiang, mais auxquels la Direction chinoise a, en 2014, brièvement rajouté les îlots des Senkaku, tandis que l’affirmation de souveraineté sur la mer de Chine du sud se durcit ; à quoi s’ajoutent les réticences chinoises de plus en plus nettes à se couler dans un ordre mondial calibré par les États-Unis et leurs alliés.

Par-dessus plane le sentiment du régime chinois que les menées démocratiques de Washington constituent une menace existentielle pour le Parti Communiste chinois.

 

 

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