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›› Politique intérieure

« L’omerta » chinoise, le Xinjiang, la Turquie et les Salafistes

Des manifestants ouïghours émigrés en Turquie brûlent un drapeau chinois à Istanbul. Photo : Associated Press

De toute évidence la tendance du pouvoir chinois à limiter l’information sur la situation au Xinjiang s’aggrave. Il en résulte que l’appréciation de la sécurité dans la province turcophone repose sur le croisement de témoignages des réseaux animés par les ONG, les correspondants ouïghours de Radio Free Asia (R.F.A) qui informent la station américaine par téléphone et les recoupements confirmés par le témoignage des personnels des hôpitaux des zones où ont lieu les incidents.

Les vérifications factuelles des reportages diffusés par une radio financée par le Congrès des États-Unis, habituellement accusée de partialité, réduisent cependant les risques de manipulation. Elles sont en général confirmées par le Congrès Mondial des Ouïghours qui accuse la répression indiscriminée d’être une des causes de l’escalade.

Celle-ci conduit à deux conséquences néfastes : le durcissement des répressions qui, elles-mêmes ont déclenché un mouvement d’immigration vers les pays voisins et la Turquie et, pour une minorité, vers les zones de combat djihadiste de Syrie et d’Irak ; le développement au Xinjiang des propagandes salafistes que même Rebyia Kadeer, la Présidente du Congrès Mondial des Ouïghours reconnaît.

La prise de conscience par le Congrès Mondial des Ouïghours de l’implication d’une mouvance radicale au Xinjiang constitue une évolution majeure de son appréciation de la situation qui, jusque là, attribuait aux seules répressions chinoises la montée des tensions. Ces évolutions qui impliquent la Turquie exercent une pression grandissante sur le gouvernement turc et sur les relations entre Ankara et Pékin.

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Spirale violente et censure.

Procès de masse organisé dans un stade en mai 2014 à Yili où 55 Ouïghours ont été condamnés – dont trois à la peine de mort - devant 7000 spectateurs pour terrorisme, séparatisme et assassinats.

Au cours de 2014, suivant les consignes du Bureau Politique qui en a fait une priorité, les forces de sécurité ont intensifié les contrôles des Ouïghours et la répression dans la province par une campagne « 严打 – Yanda – frapper fort - » au point que, selon le site Tianshan Wang tenu par les autorités du Xinjiang, le nombre de personnes suspectées de complot terroriste, arrêtées et emprisonnées a doublé par rapport à 2013.

Il est cependant difficile de mesurer l’efficacité réelle de la campagne et d’en apprécier ses conséquences sur le niveau des tensions interethniques. Pour autant, il est certain que, dans la communauté turcophone, les sentiments anti-chinois et de défiance sont en train de s’aggraver. Le mois dernier un article de Bloomberg évaluait à 260 000 le nombre de Ouïghours vivant au Kazakhstan voisin, émigrés définitifs ou temporaires.

Le site Al-monitor quant à lui, spécialisé sur la Turquie et le Moyen Orient explique que la répression aurait poussé de nombreux Ouïghours dans les rangs des Salafistes, tandis que 6000 d’entre eux vivraient dans des conditions précaires en Turquie, dont 300 seraient en partance pour l’État Islamique ou l’auraient déjà rejoint. En décembre dernier, le chiffre de 300 Ouïghours enrôlés par l’État Islamique a été repris par les médias chinois qui cherchaient à justifier la répression.

Tel est le fond de tableau d’une spirale violente qui s’aggrave, mais que Pékin tente d’occulter. Selon Nicolas Becquelin, (Amnesty International), le Xinjiang a récemment été le théâtre de 3 incidents majeurs dont le pouvoir chinois n’a pas fait état. Un article du New-York Times du 25 février cite les interviews de responsables chinois par R.F.A qui estiment que seulement 5% des incidents – ceux trop difficiles à occulter - font l’objet de compte rendus dans la presse chinoise, par Xinhua ou le site officiel Tianshan Wang.

Trois incidents graves occultés par le pouvoir chinois…

Mais rien n’a filtré dans les médias officiels sur plusieurs graves attentats au début 2015. Le 13 février, la région de Hotan économiquement arriérée et majoritairement peuplée de Ouïghours a été le théâtre d’une attaque suicide dont l’information est d’abord apparue sur Wechat ou Weixin, le réseau social de Tencent et dont la réalité a été confirmée par l’hôpital local.

Le 16 février dans le district de Yecheng un homme et son fils ont été tués dans une échauffourée avec la police dont deux agents ont également été blessés. Le 17 février, à Aksu 17 personnes auraient été tuées, parmi lesquelles le chef de la police locale, dans une bataille au couteau déclenchée pendant une perquisition. Là aussi, la tuerie a été confirmée par des infirmières de l’hôpital du district de Baicheng.

…sur fond de fracture ethnique et de répression aveugle.

Le 25 février un rapport d’Amnisty International publié sur son site (document PDF, voir page 136) faisait le point des discriminations dont étaient directement victimes les Ouïghours pratiquants et les Mongols.

« Les Ouïghours sont l’objet d’intenses discriminations dans la recherche d’un emploi et d’un logement, dans l’éducation et la pratique de leur religion » (…) « Des ordres ont été donnés aux maîtres et professeurs pour distribuer des friandises aux enfants durant le ramadan, tandis que les emplois publics sont interdits à ceux qui pratiquent une religion (…) Plusieurs pratiquants ont été sanctionnés pour avoir téléchargé des documents à caractère religieux ou pour avoir prié en public, tandis que le port du voile et de la barbe ont été interdits ».

Le rapport revient sur les enquêtes précipitées et les jugements collectifs qui ont marqué l’année 2014 et craint qu’au moins 200 Ouïghours suspectés de terrorisme ne bénéficient pas de jugements équitables. Tous les rapports rappellent enfin l’erreur grave qui a consisté à condamner à la prison à vie le professeur Ilham Thoti.

La dérive salafiste…

Selon Yin Gang, chercheur à l’Académie des Sciences Sociales de Pékin plusieurs centaines de Chinois combattent pour ISIS. Sur la photo parue sur Youtube deux Chinois non masqués au 2e rang.

Parue le 19 janvier sur le site Al Monitor, une analyse de Metin Gurcan de l’université de Birkent à Ankara explique comment les Ouïghours, à l’origine musulmans modérés adeptes de l’enseignement sunnite tolérant de Matudiri (IXe siècle – Ouzbekistan -) ont progressivement dérivé vers le salafisme radical « sous l’effet de l’oppression chinoise » intensifiée depuis les émeutes d’Urumqi en 2009, avec en arrière plan la hantise de Pékin d’une dérive séparatiste. Selon l’auteur, les excès répressifs sont allés jusqu’à la fermeture de mosquées et l’ouverture du feu au hasard sur des foules de protestataires.

Seyit Tumturk, vice-président du Congrès Mondial des Ouïghours estime que la Chine alourdit sa répression anti-religieuse dans une spirale qui n’a pas de rapport avec la lutte contre le terrorisme. Pour lui l’intention de Pékin est d’éliminer la religion et de « siniser » les Ouïghours. En réaction ces derniers émigrent clandestinement par centaines sans passeport, la majorité ayant l’intention de rejoindre la Turquie où ils espèrent pratiquer l’Islam sans être harcelés. 6000 Ouïghours sont aujourd’hui regroupés dans les provinces turques de Bursa à l’Ouest, Konya et Kayseri au sud.

300 d’entre eux sont détenus dans des conditions très dures en Thaïlande accusés d’être entrés illégalement dans le pays et des centaines d’autres âgés de 15 à 35 ans sous l’emprise du Salafisme s’efforcent de rejoindre la Syrie et l’Irak. La situation des immigrants Ouïghours et l’existence de réseaux d’expatriation vers les zones de combat créent une pression sur le gouvernement turc sommé de prendre position sur la question contre la Chine. La pression vient aussi de Rebiya Kadeer « mère des Ouïghours » et présidente du Congrès Mondial, exilée au États-Unis, » que le gouvernement chinois avait d’abord tenté de rallier à sa cause ; mais aujourd’hui persona non grata en Chine et en Turquie.

…pèse sur les relations entre Pékin et Ankara.

Dans une interview donnée le 22 décembre dernier au Daily Hurriyet, le plus ancien journal anglophone de Turquie fondé en 1961, Kadeer affirmait que le Xinjiang était aujourd’hui sous l’emprise d’une intense propagande salafiste dont l’enseignement confinait à des trafics de combattants « déportés en Syrie et en Irak ». « Nous connaissons tous ces trafiquants » dit Rebiya Kadeer, « au moins 10 d’entre eux sont en Turquie. En dépit de nos informations, ils sont libres de leurs mouvements et le gouvernement d’Ankara ne prend aucune mesure ». L’accusation a provoqué la colère de l’AKP le parti islamo-conservateur du Premier ministre Erdogan aujourd’hui saisi par une forte dérive autocratique, qui a traité Rebiya Kadeer de « vendue aux Américains et d’Infidèle ».

Selon le témoignage d’un Ouïghour djihadiste en Syrie « les conditions de vie au Xinjiang seraient devenues plus oppressantes que celles d’une zone de guerre. » (…) « Nous sommes empêchés de parler notre langue dans notre propre pays et privés de Mosquée ; nos filles doivent s’expatrier pour travailler ; nos intellectuels sont emprisonnés et torturés (…) En Syrie nous combattons Bashar el Asad et la Chine qui est l’un de ses premiers soutiens. »
Lire Al-monitor Oppressed by China, Uighurs drawn to Salafist ideas.

 

 

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