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›› Société

La longue marche chinoise vers la conscience écologique

Un journée polluée ordinaire sur la place Tian An Men à Pékin.

La Chine est, nous le savons, confrontée à de très graves pollutions des sols, des rivières, des nappes phréatiques et de l’air que respirent les Chinois, notamment dans les grands centres urbains. Il y a cependant un changement de taille : la question n’est plus sous le tapis, évacuée par une mise sous le boisseau hypocrite qui protégeait les pollueurs. Elle est sur la place publique et fait l’objet de vifs débats internes.

Leur vitalité constitue un changement majeur par rapport à l’état d’esprit du sommet de Copenhague en 2009 où la Chine avait pris la tête d’une fronde des pays émergents pour affirmer la priorité de son développement économique et refuser les contraintes des promesses chiffrées et des vérifications indépendantes proposées par les pays développés.

La prise de conscience est un long cheminement. Elle vient de loin et a été récemment accélérée par l’avènement de la nouvelle équipe en novembre 2012 qui combat les dérapages éthiques ainsi que la corruption des cadres et des hommes d’affaires, principaux terreaux de la désinvolture écologique du système.

S’il fallait une preuve de l’attention nouvelle du pouvoir à ces questions, il suffirait de se souvenir qu’en 2014, John Kerry et Yang Jiechi, parlant au nom des deux plus gros pollueurs de la planète responsables de 40% des émissions de gaz à effet de serre, sans qui toute action en faveur du climat serait vaine, ont négocié un accord qui, en dépit de ses défauts, constitue une rupture radicale par rapport à l’atmosphère d’hostilité qui prévalait il y a 5 ans au Danemark.

S’il est vrai que l’ambiance nouvelle ne garantit pas le succès de la conférence de Paris en décembre prochain – on peut en effet douter que Pékin accepte les contraintes de vérifications indépendantes et de promesses chiffrées plus sévères que celles assez confortables faites à Washington -, il n’en reste pas moins vrai que d’importants obstacles politiques ont été déblayés.

Une autre incidence qui témoigne de la prise de conscience chinoise, est la récente nomination du nouveau ministre de l’environnement dont il faut souligner la qualité. Chen Jining 陈吉宁, 51 ans, était en effet depuis 2012 le président de l’Université Qinghua, l’une des plus prestigieuses de Chine et le doyen du département des Sciences de la vie.

Le chemin parcouru depuis une dizaine d’années est donc remarquable. Il est une étape de la réalisation du « rêve chinois ».

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Des francs tireurs isolés à la transparence publique.

Ma Jun directeur de l’ONG « Institut des affaires publiques et environnementales » photographié en 2012 devant un site industriel. Il tente une démarche consensuelle, à mi-chemin entre la dénonciation des pollueurs et la pédagogie publique. Pour lui les prises de conscience exprimées par le pouvoir sont de bon augure.

Tout comme elle tente de se libérer de l’obsession de croissance quantitative, voilà que la Chine a commencé à se battre contre les graves effets pervers écologiques de son développement rapide. En 2007, Pan Yue, 潘岳 alors le n°2 de l’agence pour la protection de l’environnement qui n’était pas encore un ministère, avait dressé un tableau apocalyptique des intenses pollutions dont souffrait la Chine. Mais il était un franc tireur isolé dont le discours iconoclaste n’avait pas été repris par le Parti et dont l’audace s’expliquait par le fait qu’il était le gendre de l’amiral Liu Huaqing 刘华清 ancien membre du Comité Permanent du Bureau Politique, grand modernisateur de la marine chinoise (Lire notre article Pan Yue et la catastrophe écologique chinoise. Un cri d’alarme à méditer).

En janvier 2014, évolution majeure, la prise de conscience était exprimée directement par un conseiller scientifique du gouvernement. Chen Xiwen agronome de formation, ancien chercheur à l’Académie des Sciences Sociales, n°2 du centre de recherche du Conseil des Affaires d’État, estimait que 3,3 millions d’hectares de terres agricoles (soit 2,5 % des terres arables), la plupart dans des régions céréalières, étaient gravement polluées par des métaux lourds, affectant annuellement 12 millions de tonnes de céréales. Ce qui incita le Comité Central lui-même à pointer du doigt l’urgence de restaurer la qualité des terres agricoles pour éviter une crise de la sécurité alimentaire du pays.

Progressivement, le sujet a débordé des réunions secrètes pour s’étaler sur la place publique, repris par les autorités elles-mêmes. Après la publication par l’Ambassade des États-Unis à Pékin des mauvais indices de la qualité de l’air en 2009, le pouvoir, mis sur la sellette, a multiplié les déclarations et les initiatives sur l’efficacité énergétique, les techniques de capture et de stockage du dioxyde de carbone et décidé de consacrer l’équivalent de 80 Mds d’€ à la lutte contre la pollution dans la capitale.

La nécessité de corriger d’urgence la mauvaise qualité de l’air dans la région de Pékin et dans le Hebei exposée dans les médias du monde entier, a été à l’origine d’un nouvel élan pour les énergies renouvelables. Selon Li Shuo, analyste politique à Greenpeace Asie, en 2013, la Chine a battu le record mondial d’installation de panneaux solaires avec une capacité installée de 12 GW qui représentait 12% des ajouts capacitaires de l’année.

En 2014 : une initiative inédite du Bureau Politique…

Simultanément le Bureau Politique accomplissait le tout premier effort de transparence jamais consenti par le régime, obligeant les 15 000 entreprises les plus polluantes, y compris les grands groupes publics à faire état de leurs émissions et décharges toxiques dans l‘atmosphère et les rivières. Compte tenu des habitudes de maquillage et des vastes collusions entre les administrations locales et les usines en cause - ces dernières participant parfois elles-mêmes au financement des systèmes de contrôle, ce qui réduit d’autant leur efficacité -, l’initiative marquait une évolution majeure de la manière dont le pouvoir aborderait désormais la question.

Même les ONG habituellement sceptiques des initiatives du pouvoir saluèrent l’initiative. En février 2014, Ma Jun, ancien journaliste d’investigation et directeur d’une ONG baptisée « Institut des affaires publiques et environnementales » s’est dit interloqué par la mesure qui tournait le dos aux habituels réflexes d’omerta de la bureaucratie. Seule l’urgence et l’ampleur de la catastrophe écologique expliquent que le pouvoir ait décidé de jeter en pâture à la société les chiffres exacts de la pollution des entreprises, comme il oblige depuis 2012 les villes chinoises à publier la quantité de particules nocives dans l’atmosphère.
Lire notre article Pollution : Une initiative sans précédent des pouvoirs publics.

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…et en 2015, la popularité de Chai Jing.

Chai Jing et son documentaire « sous le dôme 穹顶之下) » instrument d’une prise de conscience publique.

Mais il y a mieux : depuis une semaine les médias et l’internet chinois sont en effervescence, agités par une initiative privée qui aurait été impossible il y a seulement quelques années. Chai Jing 柴 静 une journaliste d’investigation de la TV d’État a, à compte d’auteur et avec l’appui de quelques investisseurs et hommes d’affaires, réalisé un documentaire critique sur la qualité de l’air en Chine intitulé « 穹顶之下 Qiong Ding Zhixia (sous le dôme) » qu’elle diffuse et commente sur les réseaux sociaux.

Un message puissant relayé par les réseaux sociaux.

La puissance du message se nourrit de plusieurs ingrédients qui, en Chine, sollicitent un mélange d’émotions complexes : la santé de sa fille née avec une tumeur bénigne au ventre que la journaliste attribue à la pollution de l’air à Pékin ; l’état de l’atmosphère dans la capitale chinoise 5 fois plus polluée que le plafond autorisé par les normes chinoises, elles-mêmes pourtant 25% plus tolérantes que les standards européens ou américains ; le goût de la transparence qui fait fureur sur les réseaux sociaux depuis que l’ambassade des États-Unis a levé le voile des approximations édulcorantes en publiant chaque jour les mesures précises de la qualité réelle de l’air à Pékin.

Peu importe que quelques scientifiques accusent Chai d’avoir cédé au populisme en enrôlant la santé de sa fille dont rien ne prouve que la tumeur soit liée à la pollution, le document fait fureur. A mi-chemin entre les confidences personnelles confiées sans acrimonie et le reportage d’investigation documenté, il a, depuis sa mise en ligne il y a un peu plus d’une semaine, été visionné par 100 millions de Chinois sur Tencent et Youku. Sur Weibo il a suscité près de 300 millions de commentaires.

…et approuvé par le Parti

Preuves de la prise de conscience du régime qui entend utiliser la diffusion du cauchemar écologique pour réveiller les pollueurs et l’opinion : la censure pourtant impitoyable par les temps qui courent a laissé faire et le nouveau ministre de l’environnement lui-même a, dans une conférence de presse, reconnu l’efficacité de la démarche de Chai.

La caution vaut de l’or. Elle a en effet été accordée juste en amont de la réunion annuelle des assemblées (lianghui 两会) où les questions écologiques mises sur la table par la bureaucratie qui prépare activement la conférence de Paris, ont été placées en haut de l’agenda. Même le Quotidien du Peuple qui a publié une longue interview de Chai mise en ligne le 3 mars a fait peser son autorité. L’expression des bonnes volontés et les déclarations d’intention ne peuvent préjuger des résultats. Mais l’échange entre l’ancienne journaliste de CCTV et l’organe officiel du régime frappe par la sincérité du ton et le sérieux très documenté des réponses.

Elles jalonnent l’historique d’une prise de conscience commencée par la maladie de sa fille et s’est poursuivie par des enquêtes dans les centres de recherche en Chine et hors de Chine spécialisés dans les travaux sur les sites lourdement pollués. (Institut de recherche sur l’énergie de la Commission pour la Réforme et développement, le Département de la politique industrielle du ministère de l’Industrie et des technologies de l’information - MIIT - , le ministère de l’Environnement). Le but : briser l’omerta sans affoler l’opinion, mais sans édulcorer ; tourner le dos aux déclarations officielles qui décrivaient la lourde chape de pollution qui pèse sur Pékin comme une péripétie atmosphérique normale.

Transparence et pédagogie.

Les conclusions sont claires et sans appel. Elles sont connues : le brouillard polluant est en grande partie lié à l’énergie et 60 % de la pollution de l’air en Chine vient de la combustion du gaz et du charbon. En 2013 la Chine a brûlé plus de charbon que le reste du monde réuni, à quoi s’ajoutent la mauvaise qualité du charbon et l’absence de dispositifs de filtrage, de piégeage et de stockage du carbone.

Dans les centres urbains, la pollution est aggravée par les émissions des gaz d’échappement des voitures dont le nombre augmente bien plus vite qu’ailleurs dans le monde. Au passage Chai attaque les grands pétroliers chinois qui mettent sur le marché des produits mal raffinés, tout en expliquant que les États-Unis et l’Angleterre ont, en 20 ans, réussi réduire la pollution de 75%.

Certes l’ensemble de l’interview donne l’impression d’une bonne volonté de tous les interlocuteurs de Chai, chercheurs, industriels, hommes d’affaires, responsables politiques, dont la sincérité restera à vérifier. Mais le fait est que la Chine, non seulement celle des ONG, de l’opinion et de la société civile, mais également celle du pouvoir central, des bureaucrates et du Parti Communiste semblent tenter de sortir d’une longue habitude de déni qui, au nom de la croissance et du rattrapage, avait longtemps ignoré l’ampleur du désastre écologique.

De l’accumulation quantitative vers la puissance qualitative.

En tous cas, le souci écologique figurait en bonne place dans le discours du premier ministre lors de la session annuelle de l’ANP, le 5 mars : « Les fumées toxiques qui touchent de vastes parties de la Chine sont le signal rouge envoyé par la nature contre le schéma de développement aveugle. Nous ferons la guerre à la pollution comme nous l’avons faite à la pauvreté » a martelé Li Keqiang devant les 3000 délégués.

Dans la foulée le ministre des finances annonçait un budget de 11,55 Mds de Yuans (1,6 Mds d’€) pour combattre la pollution atmosphérique en 2015, en hausse de 9,5% par rapport à l’année dernière. Les crédits pour les économies d’énergie et la réduction des émissions de carbone seront portés à 47,85 Mds de Yuan (7 Mds d’€), soit une hausse de plus de 40% par rapport à 2014, dont une partie sera destinée à la modernisation des centrales thermiques.

La prise de conscience qui s’exprime concrètement dans les choix budgétaires est partie du « rêve chinois » exprimé par Xi Jinping qui ambitionne de faire muter la puissance chinoise de l’argument quantitatif à la sophistication qualitative d’une nation moderne.

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Mise à jour le 9 mars 2015. Retour en force de la censure

Comme le signale le commentaire du lecteur « Homo Sinicus », la lutte contre la pollution et la transparence qu’exige son efficacité semblent être l’objet d’une lutte interne au sérail dont les observateurs n’ont pour l’heure perçu que les effets visibles extérieurs. Après quelques jours d’hésitations, l’esprit de censure de Liu Yunshan, le n°1 de la propagande a repris le dessus, probablement au nom de la stabilité sociale à la suite de l’impressionnant foisonnement des commentaires.

Chai Jing sous le boisseau

Après que plus de 200 millions d’internautes – une performance inhabituelle même en Chine - aient visionné le travail de Chai Jing, celui-ci a désormais disparu du net chinois. Il faudra attendre le 15 mars, date de la conférence de presse de clôture de l’ANP donnée par le premier ministre pour tenter de connaître les dessous de cette échauffourée politique.

Mais d’ores et déjà, le cheminement de cette nouvelle offensive de l’occultation est clairement perceptible au travers des revirements observés lors de la première semaine de la réunion annuelle de l’ANP. Alors que depuis quelques jours déjà il devenait évident que la censure s’appliquait à occulter le film que nombre de commentateurs ont comparé à celui d’Al Gore « The inconvenient truth » primé par la critique en 2006, la chape de plomb est officiellement retombée sur l’initiative de la journaliste de CCTV.

Lors de sa conférence de presse du 7 mars, le nouveau ministre de l’environnement qui avait pourtant salué le film de Chai Jing une semaine plus tôt comme une « contribution utile », a fait mine d’ignorer les mains levées des journalistes étrangers et chinois qui tentaient de l’interroger sur l’effacement du document.

Baptême du feu politique pour Chen Jining

Le tête-à-queue officiel est d’autant plus visible et dérangeant que les deux premiers personnages du régime, Xi Jinping et Li Keqiang avaient eux-mêmes mis l’accent sur l’urgence écologique peu après la mise en ligne du documentaire par – ce qui n’est pas rien - le site du Quotidien du Peuple, accompagné d’une longue interview édifiante et apparemment consensuelle de l’auteur. Preuve de la reprise en main par la propagande aussitôt suivie par l’appareil, le 6 mars, soit la veille de la conférence de presse du ministre de l’environnement, ces mises en ligne avaient été effacées.

Pour le nouveau ministre de l’environnement, l’ancien président de Qinghua Chen Jining dont l’esprit devrait en théorie être rompu à l’examen de la vérité, le baptême du feu est rude. Confronté aux arcanes compliqués de la politique chinoise et pris à contrepied par le virage à 180° de la machine politique, il ne lui restait qu’à tenter de sauver la face en promettant d’être plus transparent à l’avenir, tout en confirmant sans rire que « le peuple dispose du droit de superviser le combat du gouvernement contre la pollution ».

Risquons une hypothèse.

Comme l’indiquent les lentes évolutions depuis près de 10 ans dernièrement ponctuées par l’accord conclu avec les États-Unis en novembre 2014, faisant lui-même suite aux exigences de transparence imposées aux industriels, à quoi s’ajoutent les récents choix budgétaires annoncés par Li Keqiang le 5 mars, il ne fait pas de doute que le régime est convaincu de l’urgence de protéger l’environnement contre les désinvoltures industrielles qui détruisent gravement l’équilibre écologique du pays.

Mais les dernières hésitations et revirements qui témoignent au minimum de malentendus au sommet, peut-être des désaccords sur la méthode, montrent clairement que l’appareil ne veut surtout pas perdre la main sur un sujet aussi complexe dont le potentiel de mobilisation critique contre le système politique est aussi explosif. D’autant qu’il est également lié aux activités et aux intérêts des groupes industriels et agricoles.

In fine, surnage l’obligation de protéger le magistère du Parti unique. Comme le souligne un des nombreux commentateurs de la toile chinoise « il y va du brouillard polluant comme de n’importe quel problème en Chine. Creusez un peu plus profond et vous toucherez à la question du système politique ».

 

 

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