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›› Economie

Point sur les réformes récentes. Essai d’analyse de la méthode

En 2015 les prévisions de croissance ont été ramenées à 7%. La décélération plus rapide que prévue inquiète les observateurs. Elle a incité le gouvernement chinois à brader ses exportations de fer et de charbon. Une des raisons du ralentissement est l’accumulation de la dette globale supérieure à 280% du PIB. Les premières mesures de redressement ont consisté à résorber les dettes des provinces.

Barry Naughton est titulaire d’une des chaires de relations internationales à l’Université de Californie. Sinologue et expert reconnu de l’économie chinoise, il est l’auteur de nombreux livres, dont la très intéressante synthèse : « Chinese economy transition an growth » publiée en 2007.

Dans une analyse fouillée parue dans China Leadership Monitor de mars, il fait le point des réformes conduites par la Chine depuis 2012 dans le domaine budgétaire et dans celui de la propriété foncière. Il analyse également la portée des accords commerciaux conclus avec l’Australie et la Corée du sud. Enfin il tente de formaliser la « méthode Xi Jinping » non sans avoir mis le doigt sur les difficultés et les contradictions des formidables ajustements en cours.

En voici les points les plus intéressants.

Depuis l’automne 2014, la direction politique du régime a engagé le pays dans trois grandes directions de réformes : 1) la rupture entre les finances des administrations locales et les sociétés fiduciaires responsables des dettes accumulées depuis la crise financière globale ; 2) l’introduction d’un nouveau système de propriété pour les terres agricoles qui protège les fermiers et leur offre la possibilités d’emprunter, de louer et d’hypothéquer la terre ; 3) la conclusion, lors de l’APEC à Pékin, d’accords de libre échange avec la Corée du Sud et l’Australie et la poursuite des négociations commerciales avec les États-Unis et l’Europe.

S’il est vrai que prises séparément aucune de ces mesures ne constitue un changement fondamental, leurs effets cumulés font avancer l’économie chinoise vers plus d’ouverture. Les obstacles sont nombreux, parfois corporatistes, souvent politiques. Dans le cas des droits fonciers, la mesure touche à un dogme socialiste sur lequel s’arc-boutent les conservateurs au point que jusqu’à présent toutes les réformes ont échoué. Plus largement, les réformes se heurtent à des résistances importantes des bastions conservateurs. Quand il ne peut pas les éradiquer, le pouvoir est contraint de négocier avec eux.

Enfin, l’élan réformiste s’inscrit dans le vaste projet de modernisation et de renouveau du « rêve chinois » dont les aspects nationalistes les plus exacerbés peuvent constituer des obstacles à l’ouverture. Dans le même temps, la nature même de la méthode, dirigiste et initiée depuis la tête du régime, a certes la capacité de bousculer les résistances, mais elle pourrait s’essouffler essentiellement parce qu’elle se prive des apports de la base et des échelons intermédiaires de la bureaucratie, devenus sujets passifs plus qu’acteurs, de surcroît paralysés par la tempête anti-corruption.

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La réforme budgétaire et l’éradication des dettes locales.

Lou Jiwei ministre des finances lors du China Development Forum à la mi-mars. Sa politique dirigiste vise à mettre un terme aux emprunts incontrôlées des administrations locales : « le gouvernement ne viendra plus au secours des emprunteurs en difficulté. Les administrations locales devront régler elles-mêmes leurs problèmes ». Photo / Xinhua

Concoctée en juin 2014 par le groupe dirigeant sur l’approfondissement des réformes présidé par Xi Jinping, la réforme des budgets des administrations locales été mise en œuvre en 3 temps dès le mois de juillet par Lou Jiwei, le ministre des finances : 1) Instauration de l’obligation de transparence et du contrôle des budgets par l’ANP ; 2) Obligation de distinguer clairement les sociétés fiduciaires des administrations ou de les fermer ; 3) Obligation de procéder à l’inventaire détaillées des dettes locales.

Le relevé des dettes effectué par un audit national en 2013 - qui avait identifié 7170 sociétés fiduciaires et comptabilisé 30 000 Mds de RMB de créances locales (4500 Mds d’€) - devait servir de base au nouvel inventaire à réaliser avant la fin décembre 2014, après quoi il devait être clos. Assorti à ces mises en demeure venaient une série de directives concernant la catégorisation des projets lancés à l’avenir par les administrations locales.

La répartition en trois groupes des projets de développement, principaux générateurs des créances jusque là accumulées sans contrôle, visait à stopper l’hémorragie : a) les projets ne générant pas de revenus ont été mis à la charge des budgets des administrations locales ; leur financement devra se faire non plus par des emprunts bancaires mais par des obligations garanties autorisées par le pouvoir central ; b) les projets générant des bénéfices devront être transformés en entreprises dont les revenus rembourseront les dettes contractées ; c) les projets intermédiaires générant des bénéfices, mais en volume insuffisant pour honorer les dettes seront structurés en entreprises mixtes publiques-privées recevant chaque année une aide financière de l’État.

Dans ce contexte, les emprunts contractés pour des projets déjà approuvés avant les nouvelles mesures continueront à être honorés, après quoi plus aucun prêt bancaire ne sera autorisé, tous les projets locaux devant être financés par l’émission d’obligations. A la fin 2015, le financement par des sociétés fiduciaires devra avoir pris fin. Par ailleurs, l’évaluation de la valeur des projets et de leurs besoins de financement ne sera pas laissée aux soins des fonctionnaires locaux, mais déterminée par le marché et contrôlée par l’État.

Pour autant, la brutalité des changements qui tranchaient avec le laxisme précédent a, sans surprise, généré de vastes réticences qui, à elles seules, dessinent la difficulté des réformes. La province de Hainan fut en effet la seule à rendre publiques ses dettes en février 2015. Encore faut-il préciser que l’inventaire des créances fut approuvé non pas parce qu’il était exact, mais parce qu’il ne révélait aucun dysfonctionnement ou abus : la somme totale des dettes de l’île était raisonnable comparée au PNB de la province et leur croissance était acceptable. Dans son entreprise d’assainissement Lou Jiwei devra tenir compte de ces blocages et de la tendance normale des pouvoirs locaux à tirer le plus possible vers le haut le plafond de leurs créances à restructurer.

Réforme de la propriété foncière.

Le foncier rural est soumis à la pression de l’urbanisation qui transforme les terres agricoles en terrains immobiliers.

La question de la propriété en Chine n’est pas seulement complexe parce que la notion de jouissance individuelle d’un bien foncier privé est opposée à l’idéologie fondatrice de la République Populaire ; elle l’est aussi parce qu’il existe deux régimes séparés l’un pour les zones rurales et l’autre pour les villes ; elle l’est enfin parce que le pays est aujourd’hui engagé dans un vaste mouvement d’urbanisation qui transforme les terres agricoles en parcelles urbaines constructibles faisant passer les terres d’un régime de propriété à l’autre. Les intérêts particuliers ou collectifs imbriqués dans ces problématiques expliquent la lenteur de la résolution des questions foncières.

En novembre 2014, il y eut cependant une avancée majeure. Le Parti et le gouvernement ont en effet défini dans un document officiel les trois niveaux de propriété des terres agricoles : 1) l’ancien système de propriété collective des communes ; 2) les contrats d’exploitation non transférables attribués aux fermiers qui renvoient à la réforme initiée par Deng au début des années 80 ; 3) les droits gestion transférables. Ces derniers inaugurés récemment ouvrent en théorie le droit de louer la terre, de l’hypothéquer ou de l’incorporer dans un apport immobilier pour une création d’entreprise. Le cadastrage du foncier selon ces trois critères est en cours et devrait être achevé en 2020.

Le système des droits de gestion transférables constitue une nouveauté de taille qui, plus encore que les contrats d’exploitation de Deng Xiaoping, heurte de plein fouet le dogme de la propriété collective au point que la promulgation de la loi a été entourée d’une grande discrétion.

S’il est vrai que les réformateurs voient dans la mesure une manière de relever le niveau de vie des fermiers et de freiner l’exode rural, les « conservateurs gauchistes » qui la considèrent comme une entorse grave au dogme socialiste, y sont violemment opposés. Leur principale crainte, d’ailleurs justifiée, est que la terre finisse pas échapper aux fermiers dépouillés de toute sécurité au profit des grandes concentrations de capital. Déjà nombre de fermiers ont abandonné la terre et dans les campagnes une part croissante des revenus ne vient plus de l’agriculture.

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L’APEC : une étape de l’ouverture

Le rêve chinois de Xi Jinping a une forte incidence nationaliste dont l’impact pourrait handicaper l’ouverture réformiste, non seulement politique, comme on l’observe déjà, mais également économique.

Au sommet de l’APEC en novembre où les probabilités de conflit direct avec le Japon se sont éloignées et où Washington et Pékin ont signé un accord sur le climat et un autre pour la réduction des droits de douane des technologies de l’information, Xi Jinping a répété que « l’ouverture apportait le progrès et la fermeture, la stagnation ». Ayant ainsi donné le ton, la Chine ajoutait à la liste des accords signés 2 traités de libre échange avec Séoul et Canberra.

Un accord avec l’Australie qui fera date.

Si le premier est bridé par une longue liste de produits encore règlementés dont certains ne seront libérés que dans 20 ans – ce qui, au passage, traduit les craintes coréennes de l’invasion des exportations chinoises -, celui avec l’Australie est d’une envergure autre, avec des procédures de règlement de conflits, un accès plus grand au secteur des services chinois et, surtout, l’octroi à Canberra du statut de la nation la plus favorisée.

Ce qui signifie que toutes les concessions tarifaires faites par la Chine à d’autres pays seront automatiquement accordées à l’Australie. Dans ce contexte, les secteurs chinois des finances et de l’agriculture seront confrontés à une compétion accrue à laquelle ils sont peu habitués. L’élan d’ouverture a été confirmé par le ministre du commerce le 7 mars à l’ANP quand il a annoncé la poursuite des négociations de libre échange avec l’APEC et surtout avec la Corée et le Japon, bloquées par les tensions avec Tokyo.

La lente libéralisation du marché des capitaux.

Immédiatement après l’APEC, le 17 novembre les bourses de Shanghai et de Hong-Kong étaient connectées, autorisant les investissements croisés de la R.AS et du Continent par le truchement de sociétés enregistrées. L’absence de restrictions nationales à Hong Kong autorise désormais les investissements de sociétés étrangères dans la bourse de Shanghai. Et, pour la première fois dans l’histoire de la RPC, un investisseur privé peut acheter des actions et des produits financiers dans une bourse chinoise. Il s’agit là d’une étape importante dans l’ouverture lente mais réelle du marché des capitaux chinois.

Nouvelles zones de libre échange.

La mesure fut suivie par l’extension des zones sous douane désormais au nombre de 5 dont l’emprise a été étendue et les conditions d’investissements étrangers harmonisées et allégées : Canton, Qianhai (Shenzhen), Hengqin (Zhuhai), Fujian (dont les liens vers Taïwan accéléreront la mise en œuvre des accords de commerce avec l’Île), Tianjin (qui jouera un rôle essentiel dans l’intégration économique et le développement de la vaste conurbation avec Pékin et dans le développement des liens avec la Corée du Sud).

En dépit des retards, marches-arrières, incohérences et dysfonctionnements amplement signalés dans la presse chinoise et étrangère, ces initiatives confirment la volonté d’ouverture du pays. Surtout elles débloquent le marché des services et donnent aux opérateurs chinois l’habitude des compétions internationales, dans un contexte où l’initiative américaine du Trans Pacific Partnership exerce une pression sur l’ensemble de la zone.

Contradictions de l’accord sur les Technologies de l’Information.

L’élargissement de l’expérience des zones sous douane a été suivie par l’accord sino-américain sur les technologies de l’information (TI) dans un secteur où, pourtant, les groupes chinois en compétition avec les groupes américains ont, jusqu’à présent, été protégés par des considérations de sécurité nationale. L’initiative de l’accord sur les TI renvoie cependant à une contradiction puisqu’elle a été décidée dans l’ambiance très conflictuelle où les sociétés américaines du secteur, accusées d’enfreindre la loi sur les monopoles, étaient soumises à des harcèlements continus des régulateurs chinois.

En août la chambre de commerce européenne, habituellement plus arrangeante, avait joint ses protestations à celles des États-Unis. Une chose est certaine, l’accord de l’APEC n’a pas amélioré la situation des groupes américains du secteur et les suspicions de la cyberguerre n’ont pas cessé. Rien n’illustre mieux les difficultés de l’ouverture et des réformes que les contradictions du secteur des technologies de l’information, où transparaissent à la fois les résistances des grands groupes opposés à l’ouverture et les efforts de la Chine pour promouvoir ses groupes nationaux contre la prévalence technologique étrangère.

Lire notre article La chambre de commerce de l’UE en Chine proteste contre la campagne anti-trust

Y a t-il un modèle Xi Jinping ? »

Naughton identifie 5 caractéristiques du modèle réformiste du Secrétaire Général.

1) La méthode est verticale, initiée et conduite depuis la tête du régime. Ce déterminant transparaît nettement dans les efforts de concentration des commandes réformistes au sommet de la hiérarchie du Parti. Les réajustements économiques s’inscrivent d’ailleurs dans une volonté plus large de consolider la machine politique dont il est illusoire de croire qu’elle évoluera vers plus d’ouverture politique.

Le dirigisme se perçoit dans les réformes financières où le ministre Lou Jiwei a entrepris de réduire le pouvoir des administrations locales et probablement leurs ressources. La manœuvre implique la condition collatérale que le Centre devra prendre à son compte les dépenses supplémentaires de l’urbanisation et des réformes sociales (pensions, hôpitaux, intégration des migrants) qui, pour l’heure ne sont que partiellement ou pas du tout financées. Le schéma très centralisé a transformé les anciens acteurs provinciaux en sujets passifs d’autant moins portés aux initiatives que la campagne anti-corruption a un effet paralysant.

2) Il n’y pas de schéma ou « feuille de route » claire des réformes, mais seulement la mise en place de structures centralisées de pilotage dont la plus emblématique est « le groupe dirigeant pour l’approfondissement des réformes » sous la férule du Secrétaire Général :中央全面深化改革领导小组 – Zhongyang Quanmian Shenhua Gaige Lingdao Xiaozu. Ce dernier offre un mécanisme institutionnel garantissant la dynamique politique contre les freinages de toutes sortes. Mais il ne semble pas avoir de vision précise des objectifs généraux à atteindre.

En tous cas il n’en fait pas état. La raison en est qu’une bonne partie des réformes – comme la refonte des groupes publics ou la réforme de la propriété rurale - ont des implications politiques. La dialectique « dynamique des réformes et obstacles politiques » explique la méthode expérimentale qui ne généralise l’application que quand les esprits y sont en majorité acquis.

3) Dans ce contexte où l’opportunisme politique semble prévaloir et où les choix parfois cruciaux remontent presque tous à la tête à un rythme accéléré, certaines décisions réformistes peuvent apparaître inégales ou injustes et brutales, quelques fois hâtives ou imprévisibles. Le mouvement s’accélère dès lors qu’un consensus se fait, comme c’est le cas des réformes financières. Un autre facteur d’accélération est l’accord au sommet autour de critères patriotiques ou de prestige national. A l’inverse la complexité des choix économiques et de leurs conséquences sur l’avenir et sur la sécurité du Parti est un facteur de blocage.

Plus encore, le caractère imprévisible des réformes se nourrit aussi de leur connexion avec le projet nationaliste global de Xi Jinping, lui-même imbriqué dans l’exigence de protéger la prévalence et la pérennité du Parti. Il ne fait pas de doute que la vision du long terme implique de vastes ajustements socio-économiques ; mais à court et moyen termes, Xi Jinping a d’autres objectifs et il est probable que ces derniers dont les plus essentiels sont l’unité, la santé et le rôle dirigeant du Parti, prévaudront si nécessaire sur les réformes économiques.

4) Les éléments politiquement les plus controversés des réformes resteront « sous le radar ». Parmi les trois initiatives présentées dans cet essai, deux – concernant le pouvoir des administrations locales et la propriété rurale - n’ont pas fait l’objet de communications insistantes du régime, ni lors du 3e plenum, ni dans les médias. N’exigeant pas de soutien populaire, elles sont mises en œuvre de manière dirigiste et discrète par des technocrates, ce qui tient les critiques à distance.

5) La réforme selon Xi Jinping s’inscrit dans son projet global de « rêve chinois » qui incorpore une forte dose de fierté nationale. Dès lors, l’affirmation nationaliste pourrait dans certains cas entrer en collision avec le projet d’ouverture économique. Ainsi, des événements extérieurs ou intérieurs mettant en jeu la sécurité du Parti que le régime associe à celle de la Chine, pourraient bloquer l’élan réformiste. A l’inverse, un apaisement international serait de nature à lui insuffler un nouvel élan.

La conclusion de l’essai renvoie aux contradictions politiques du régime.

Il est vrai que des réformes dirigistes initiées par un régime autoritaire ayant conscience de la nécessité des changements valent mieux que l’inertie d’une dictature hostile à toute évolution. Mais Naughton considère qu’au bout du compte le volontarisme dirigiste qui pilote les réformes de haut en bas a certes la capacité de bousculer les résistances ; il pourrait cependant lui manquer le consensus dynamique et les initiatives des acteurs de terrain pour pérenniser le changement.

 

 

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