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›› Editorial

Les éclaircies stratégiques de la Chine

Tirée du site du ministère des affaires iranien, la photo de la poignée de mains entre le président Hassan Rouhani et Wang Yi, ministre des Affaires étrangères chinois le 15 février 2015 à Téhéran.

Au milieu de tensions récurrentes en Asie avec Hanoi, Washington et Tokyo, l’horizon stratégique chinois s’éclaircit. Les premiers mois de l’année de la chèvre semblent en effet confirmer les augures d’apaisement du zodiaque chinois. Des nuages anciens plombent encore à l’horizon. Mais des éclaircies se profilent Asie, en Eurasie et au Moyen Orient.

Au Moyen Orient d’abord : Rappelons nous, depuis 2010, les tensions n’ont pas manqué et la marge de manœuvre de la Chine était étroite, alors que les pays occidentaux pointaient du doigt Damas et Téhéran. En 2011, Pékin et Moscou s’étaient, y compris contre la Ligue arabe, en octobre 2011 et en février 2012, opposés à une intervention militaire en Syrie.

D’abord soutenue par la France au nom de la morale internationale qui condamnait l’utilisation d’armes chimiques par Bashar el Assad contre son peuple, la guerre n’avait finalement pas eu lieu faute de l’autorisation du Congrès. Sans la participation du Pentagone les moyens modernes de puissance, de ravitaillement et de contrôle des opérations en vol manquèrent. Paris qui s’était imprudemment avancé, dut renoncer.

Mais la Chine et la Russie furent montrés du doigt, accusées de cynisme face à une catastrophe humanitaire assortie de l’emploi d’armes chimiques par le tyran syrien. L’opprobre qui frappait Pékin concernait aussi son attitude ambiguë à l’égard de l’Iran.

S’il est vrai qu’après l’explosion nucléaire nord-coréenne à ses portes en 2006, la Chine avait finalement accepté de cautionner les sanctions internationales contre Téhéran en 2006, 2007, 2008, 2010, elle n’en continuait pas moins, sous les critiques, ses achats de gaz et de pétrole iraniens qui représentent toujours entre 8 et 10% de ses importations. Mais, aujourd’hui, suite aux initiatives américaines l’ambiance a changé.

Le professeur à Saint Cyr Thomas Flichy, cité par la Lettre de Léosthène du 8 avril explique que Téhéran et Pékin autrefois accusés de menacer le régime de non prolifération sont tous deux l’objet des attentions soutenus de la Maison Blanche.

Ayant remplacé la confrontation par une stratégie visant « à désarmer ses rivaux en les piégeant dans un filet de coopération », Obama a adouci sa position à l’égard de l’Iran.

Par cette initiative, il tenterait de gêner la manoeuvre chinoise de contournement de l’Amérique par l’Eurasie où Téhéran occupe une position centrale. Quoi qu’il en soit, l’horizon diplomatique de la Chine au Moyen Orient est à nouveau dégagé puisque c’est désormais l’attitude prônée depuis des lustres par Pékin qui prévaut : « chercher un règlement global qui satisferait les intérêts de la communauté internationale, y compris ceux de l’Iran ». Il s’agissait, soulignait l’agence Xinhua, de « modifier la teneur même des pourparlers ».

Nous y sommes et, comme sur la question syrienne, où échaudée par le chaos libyen et les exactions de l’État Islamique, la communauté internationale a remisé ses plans d’attaque contre Bashar el Assad, le contraste avec la situation d’avant 2011 est saisissant, tandis que la marge de manœuvre de la Chine dans la région est sensiblement augmentée.

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L’opportunisme de Pékin avec Islamabad et Téhéran inquiète les Américains.

Le « gazoduc de la paix » entre l’Iran et le Pakistan avec des prolongements possibles ver l’Inde serait en partie construit par la Chine.

Dans la foulée de l’accord avec Téhéran on apprenait que – développant sa stratégie des « nouvelles de routes de la soie » cette fois terrestres – et sans tenir compte des étapes de la levée des sanctions contre Téhéran, la Chine et le Pakistan négociaient la construction d’un gazoduc de plus de 2500 km, en projet depuis au moins le début du siècle et freiné par les États-Unis. Il reliera le port iranien d’Assayuleh, 250 km au sud de Shiraz, en face du Qatar, à Nawabshah au Pakistan, 200 km au nord de Karachi.

Le pipeline baptisé « pipeline de la paix » qui passera par le port de Gwadar administré par la Chine depuis 2012 après que le port de Singapour (PSA International) ait jeté l’éponge, gène Washington qui entend contrôler l’ouverture stratégique faite à l’Iran et éventuellement réinstaller des sanctions si Téhéran contrevenait aux termes de l’accord passé avec les P5+1. Mais confrontée à Téhéran et Islamabad, qui sont deux solides alliés de la Chine, la Maison Blanche pourrait bien être débordée par le mouvement qu’elle a elle-même créé, d’autant que dans la région, l’Inde est également sur la liste des pays intéressés par le gaz iranien.

Alors que Washington a menacé le Pakistan de sanctions, le ministre du Pétrole pakistanais Shahid, Khaqan Abbasitold interrogé par le Wall Sreet Journal a confirmé que le projet était en route. La première phase construite par une filiale de CNPC se limitera à la portion pakistanaise entre Gwadar et Nawabshah (700 km) pour un coût estimé à 2 Mds de $, dont 85% seraient couverts par un prêt chinois. Une compagnie pakistanaise construirait les 80 km restant jusqu’à la frontière iranienne. Quant à la connexion avec le port iranien d’Assayuleh, elle fera sans doute l’objet des discussions du Président Xi Jinping avec son homologue pakistanais lors de la visite officielle du n°1 chinois à Islamabad, le mois prochain.

L’efficace levier financier de l’AIIB.

En Asie Pacifique, le succès de la banque asiatique pour les infrastructures (AIIB) qui compte déjà 35 membres fondateurs a également ouvert de nouvelles perspectives. Elles sont à la fois un argument de coopération, parfois un prétexte d’apaisement avec quelques partenaires en froid avec la Chine comme le Vietnam et les Philippines (dont la participation à la banque a été entérinée dès octobre 2014, en dépit des querelles en mer de Chine du Sud avec Hanoi et Manille) et un contrepied à Washington qui s’y était imprudemment opposé.

Les dernières nouvelles en date qui portent les espoirs et la force de l’influence de la Chine sont le récent intérêt manifesté par la Banque Mondiale et Taïwan, tandis que l’Iran et les Émirats Arabes Unis ont tout récemment été acceptés comme membres fondateurs.

Tokyo, intéressé mais prudent.

Surtout, signe irréfutable de la volonté de surmonter les risques de conflits de souveraineté, alors que Washington et le Canada sont restés en marge, Tokyo a récemment fait connaître sont intérêt pour la banque. Certes il ne s’agit là que d’un indice d’apaisement. Et compte tenu des tensions accumulées depuis 2010 entre le Japon et la Chine, il y a loin de la coupe aux lèvres, tandis que la participation du Japon à l’AIIB sera l’objet de négociations avec Washington lors du sommet entre Shinzo Abe et Obama, le 28 avril.

Le 11 avril, un article de Xinhua se montrait d’ailleurs sceptique, trois jours après que le secrétaire d’État à la défense américain Ash Carter mettait en garde depuis Tokyo contre les risques de dérapages militaires des querelles en mer de Chine du sud.

Surtout Carter entérinait l’élargissement des responsabilités des forces de défense japonaises qui desserre l’étau de la constitution pacifiste. Selon Carter « la marge de manœuvre du Japon et de l’alliance a été agrandie. Elle contribuera à la sécurité dans la région et au-delà ». Et il est vrai que l’évolution stratégique du Japon ne peut qu’inquiéter la Chine, mais le fait est que depuis le sommet de l’APEC à Pékin en novembre, le ton entre les deux grands rivaux de l’Asie du Nord-est a changé.

Un autre signe d’accalmie concerne les relations entre Pékin et Hanoi. Mais elles aussi s’apaisent au milieu de signes contradictoires où le Vietnam prend soin de garder en réserve la menace d’un rapprochement avec Tokyo et Washington.

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Le jeu ambigu de Hanoi et la perplexité de Washington.

Le 7 avril 2015, le n°1 chinois Xi Jinping a accueilli à Pékin son homologue vietnamien. La visite était l’aboutissement des efforts diplomatiques chinois pour rassurer son susceptible voisin après les violences anti-chinoises de mai 2014. Elle a lieu alors que Pékin s’inquiète des efforts de Washington envers Hanoi, sollicités par les Vietnamiens qui cherchent un contrepoids à la Chine.

En mars dernier le président Vietnamien Truong Tan Sang était à Tokyo, très courtisé par Shinzo Abe et les militaires japonais, tandis qu’au même moment le ministre de la sécurité publique Tran Dai Quang effectuait une visite à Washington pour, dit-on, préparer la venue aux États-Unis du secrétaire du parti Nguyen Phu Trong. Mais Pékin a pris de vitesse la Maison Blanche. Le Bureau Politique chinois a en effet accueilli en Chine le n°1 vietnamien, homologue direct de Xi Jinping que l’administration américaine souhaitait accueillir au Vietnam dans les mois qui viennent.

Arrière plan de méfiances.

La visite à Pékin de Nguyen Phu Trong s’est déroulée alors que, depuis la Jamaïque qu’il a visitée en marge du sommet des Amérique à Panama, Obama a, le 9 avril, réitéré les inquiétudes de la Maison Blanche face aux pressions chinoises en mer de Chine du Sud, accusant Pékin de « profiter de sa taille et de sa puissance militaire pour bousculer ses petits voisins ».

Une accusation qui fut sans doute bien comprise par Hanoi, mais à quoi le porte parole chinois a vertement rétorqué que les pressions militaires de par le monde étaient plutôt la marque des États-Unis que de la Chine.
Voir la stratégie chinoise dans les Spratly :
- Nouvelles tensions en mer de Chine du Sud
- Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam

La présence à Pékin de Nguyen Nguyen Phu Trong durant la deuxième semaine d’avril est le premier et très significatif aboutissement d’une longue série de manœuvres chinoises pour amadouer Hanoi, y compris la visite au Vietnam en octobre 2014 du Conseiller d’État Yang Jiechi, ancien ambassadeur à Washington et ancien ministre des Affaires étrangères.

Placé sous le signe de la relation entre les deux partis communistes plutôt qu’entre les gouvernements, le séjour a été délibérément inscrit par le Bureau Politique dans le cadre de la compétition avec Washington évoquée sans détour par Xinhua, ce qui montre le souci de la Chine habituellement moins explicite.

Hanoi, enjeu entre Washington et Pékin.

Le 6 avril, à la veille de la visite du n°1 vietnamien à Pékin, 2 navires de guerre américains de gros tonnage, le Lance missiles Fitzgerald et le navire de débarquement Fort Worth, faisaient escale à Danang, pour participer à un exercice bilatéral de réaction aux rencontres impromptues en mer. Le commandant adjoint de cette flottille était le Capitaine de Vaisseau Le Ba Hung, à droite sur la photo, vietnamien d’origine qui avait fui le Vietnam en 1975.

Le communiqué de l’agence officielle insista sur le contraste entre les anciennes relations sino-vietnamiennes et la nouveauté des relations avec Washington. Entre Hanoi et Pékin les liens étaient durables et solides, basés sur la proximité géographique, la complémentarité économique, les affinités culturelles et idéologiques. Dans ce contexte, ajoutait Xinhua, il était naïf de croire qu’un tel partenariat enraciné dans l’histoire pourrait être menacé par des querelles en mer de Chine du sud. Puis, désignant Washington sans le nommer : « aucun pays ne parviendra à créer une fracture entre nous ».

L’AIIB et la « route maritime de la soie. »

Selon le Nikei Asian Review, Xi Jinping et Nguyen Phu Trong ont promis de coopérer sur la « route de la soie maritime » (RSM) entre la côte orientale de la Chine, le Moyen Orient et l’Europe, via l’océan indien que Pékin, a méthodiquement construit depuis de longues années (Voir notre article La huitième perle).

Sur cet axe, Pékin voit le Vietnam comme un jalon essentiel le long de cette ligne de communication logistique de première importance. Mais Hanoi, échaudé par l’ampleur des revendications chinoises en mer de Chine du sud, s’était jusqu’à présent soigneusement tenu à distance du projet. Pour autant les deux ont promis de régler désormais leurs différends par la négociation, de tenir sous le boisseau les dérapages militaires et enfin de coopérer dans la construction d’infrastructures, un secteur où Hanoi avait préparé le terrain dès l’automne 2014 en devenant membre fondateur à l’AIIB.

Washington qui s’est considérablement engagé aux côtés d’Hanoi jusqu’à organiser des manœuvres navales communes en Mer de Chine du sud, observe l’épisode avec perplexité et se rassure à la perspective que le n°1 vietnamien devrait se rendre aux États-Unis avant la fin de l’année.

Le Pentagone se réjouit aussi que pendant le voyage de Nguyen à Pékin, le destroyer lance-missiles USS Fitzgerald ait fait escale à Danang accompagné pour la première fois par le Fort Worth jaugeant 3500 tonnes, à la fois porte hélicoptères et navire de débarquement abritant dans sa soute des vedettes rapides. Détail intéressant, le commandant en second de cette flottille était un Américain d’origine vietnamienne, le commandant LE. Ayant fui le Vietnam en 1975 à bord d’un chalutier avec sa famille et son père également officier dans la marine sud-vietnamienne, il était déjà venu à Danang en qualité de commandant du destroyer lance-missiles USS Lassen en 2009.

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La connivence ambiguë des communistes sinisés.

En Asie les apparences sont parfois trompeuses. En 2014, Hanoi a certes exercé une formidable pression publique sur Pékin (violentes manifestations anti-chinoises en mai et plainte déposée au tribunal pour le droit de la mer en décembre). Le but était de signifier à Pékin les limites à ne pas dépasser en utilisant l’épouvantail américain et la cour internationale de La Haye. Mais le Parti communiste vietnamien est capable d’une stratégie à deux faces : exercer sans faiblir des pressions sur Pékin tout en entamant de discrètes négociations avec la Chine sur leurs différends de frontières.

En décembre 2011, alors qu’il était encore vice-président Xi Jinping avait déjà rencontré à Hanoi le président Truong Tan Sang et son premier ministre Nguyen Tan Dong. La rencontre faisait suite à la visite de Dai Bingguo, n°1 des affaires stratégiques du Waijiaobu et à un communiqué commun publié à la mi-octobre 2011 par lequel Pékin acceptait d’accélérer la délimitation des eaux territoriales et de négocier leur exploitation conjointe dans la zone des Paracels. Prise au pied de la lettre, la déclaration indiquait que, dans cette zone au moins, les négociateurs chinois qui agissaient avec la caution de Hu Jintao, pourraient abandonner une partie de leurs revendications de souveraineté.

La déclaration précisait en effet que « les deux pays rechercheraient des solutions durables, acceptables par les deux parties sur la base de la Convention des NU sur le droit de la mer (…) En attendant un accord global sur la question de souveraineté, Pékin et Hanoi négocieraient activement une coopération pour un développement conjoint. »

Ce n’était pas la première fois que les deux parvenaient à un accord contredisant la revendication de Pékin sur toute la mer de Chine. En 2000, un engagement bilatéral de ce type avait déjà été signé dans le golfe du Tonkin, délimitant les eaux comprises entre les côtes septentrionales du Vietnam et la côte ouest de Hainan.

Les deux marines y avaient même conduit des patrouilles conjointes. Vu par cette perspective d’il y a 4 ans, la nouvelle inflexibilité de Pékin sur les Paracels explique le soudain raidissement de Hanoi en 2014.

Pour une mise en perspective plus longue :
- Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global

 

 

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