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›› Société

Le Gaokao 高考 : l’examen qui change la vie

Une sale d’examen ordinaire.

Du dimanche 7 au mardi 9 juin ont eu lieu les épreuves du concours national d’entrée à l’université ou Gaokao qui, cette année, a concerné près de 9,5 millions d’élèves du secondaire. Véritable phénomène de société depuis leur création en 1952, les épreuves que les familles et les candidats continuent à percevoir comme une passage indispensable vers le succès professionnel capable de « modifier la vie des gens - 会改变人生 - hui gaibian rensheng ont, cette année encore, provoqué leur lot d’émotions, d’espoir, de petits et grands drames pour ceux qui, ayant échoué, devront redoubler ou trouver un emploi.

Déterminant à la fois la nature des études futures, l’université d’accueil attribuée en fonction du classement et l’emploi à venir des candidats ainsi que leur place dans la société, les enjeux et la compétition sont tels que les tentatives de fraudes sont fréquentes. Ceux surpris à tricher au moyen de dispositifs techniques toujours plus ingénieux, eux-mêmes dépistés par des contre mesures dont la technologie s’améliore chaque année, sont interdits de Gaokao pendant trois ans, tandis que les adultes qui leur prêtent main forte, parfois organisés en véritables clans spécialités, rémunérés par les parents, risquent la prison.

La dernière innovation en date des contrôleurs qui a fait le tour des médias du monde s’intéressant à la Chine, a consisté à faire survoler la vaste aire d’examen de Luoyang par un drone silencieux capable de détecter les émissions radio des dispositifs clandestins reliant les fraudeurs à des correspondants extérieurs qui leur soufflent les réponses.

Vertus et faiblesses du Gaokao.

Alors que les défenseurs de Gaokao qui plonge ses racines dans les anciens examens de sélection des fonctionnaires impériaux, lui attribuent toujours la vertu d’être un des principaux piliers de la méritocratie chinoise, ouvrant aux plus démunis la possibilité d’accéder aux meilleures universités du pays, les critiques se multiplient contre ce que certains considèrent comme une survivance anachronique et inégalitaire, basée sur l’apprentissage par cœur et parfois génératrice de tensions entre professeurs, élèves et familles.

Certes, les réformes introduites à l’automne 2014 visaient à supprimer des passes-droits accordés aux artistes et aux athlètes et à augmenter les quotas d’étudiants venant des zones rurales dont, par souci de transparence, la publication a été rendue obligatoire.

Elles ont également supprimé l’exigence de la connaissance de l’anglais qui peut désormais être remplacé par le Russe, le Japonais ou le Français et confirmé, à côté des Maths et du Chinois restés obligatoires, la possibilité de choisir entre des épreuves de « sciences dures » (physique, chimie, biologie) ou de sciences humaines, (histoire, géographie, sciences politiques), avec des sessions séparées, mais dont la mise en œuvre varie en fonction des provinces. Le mouvement de démocratisation en cours depuis les années 90 a permis l’accession à l’université de plus de 60% des élèves du secondaire.

Il n’en reste pas moins que les détracteurs dénoncent nombre de dérives non corrigées par ces ajustements que beaucoup considèrent comme purement cosmétiques. Depuis les réformes libérales décidées par Zhu Rongji, réduisant les financements de l’État, les universités ont augmenté le coût des études. L’inflation des frais de scolarité avait en 1991 provoqué une baisse drastique des admissions à l’université, compensée par l’introduction dans les cycles de l’enseignement supérieur de programmes de formation professionnelle.

La démocratisation a paradoxalement accentué la tendance élitiste.

S’il est vrai que le nombre de diplômés a augmenté, tandis que le caractère élitiste diminuait en apparence, la tendance a brouillé le « label » universitaire et tiré la qualité vers le bas.

Dans le même temps, la généralisation formelle de la « qualification universitaire » pour les cycles d’enseignement professionnel a poussé les employeurs à rehausser leurs critères de recrutement, exigeant un diplôme universitaire pour des postes qui, par le passé n’étaient pourvus que par des titulaires de simples brevets techniques. Il en découle que la vulgarisation universitaire a augmenté le nombre de familles soumises chaque année au stress du Gaokao. Plus encore, la dilution de la qualité universitaire a très sévèrement augmenté la compétition pour les meilleurs campus du pays.

Du coup, derrière les apparences de démocratisation, se sont progressivement instaurées des filières encore plus élitistes où les familles privilégiées appartenant aux oligarchies des grandes métropoles envoient leur enfant unique dans les meilleurs collèges qui les préparent au mieux pour affronter la sélection des 10 premières universités du pays. Le syndrome sélectif est devenu tel que pour cette classe de favorisés, tout autre cursus est considéré comme un échec. Il en résulte de considérables tensions psychologiques pour les parents, les élèves et les professeurs.

En 2014, « le livre bleu » sur l’éducation avait analysé les causes des 79 suicides d’élèves des collèges et lycées en 2013. 93% étaient survenus à la suite de frictions avec le professeur : « l’obsession compétitive des meilleures notes aux examens fait non seulement pression sur les élèves, mais elle met aussi à rude épreuve les professeurs quand les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes des parents. Ces tensions qui perturbent la relation élèves-enseignants peuvent conduire les élèves au suicide ».

Dans le même temps, l’accès des ruraux aux universités prestigieuses n’a cessé de diminuer : à Tsinghua les pourcentages des étudiants venant des zones rurales sont tombés de 50% dans les années 80 à 17% en 2010. A Beida, la tendance est la même : la proportion des étudiants venant des campagnes chinoises était de 30% dans les années 90. En 2010, elle avait diminué de moitié.

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Le système qui doit être entièrement repensé…

Des parents inquiets attendent leurs enfants à la sortie des examens

Selon Jiang Xueqin, 39 ans, titulaire d’un diplôme de l’Université de Yale, ancien collaborateur du bureau de presse de la mission de l’ONU en Afghanistan, aujourd’hui vice-directeur d’un lycée de Shenzhen qui tente une expérience de modernisation du système éducatif chinois, le modèle actuel qui produit de sévères encombrements et une compétition féroce au portillon universitaire, ne correspond pas aux exigences de modernisation du pays. Il en déduit que le système doit être refondu de fond en comble.

…fabrique une oligarchie tournée vers elle-même…

Au lieu de produire un réservoir d’élites responsables, ouvertes au monde et aux solutions alternatives, capables d’empathie et de générosité envers les autres, l’actuel système fabrique un modèle « d’athlètes des examens », capables de concourir brillamment aux tests Pisa de l’OCDE, favorisant la mémorisation et laissant peu de place à l’originalité. Mais il prend le risque de perpétuer une oligarchie arrogante uniquement préoccupée de se servir elle-même et exprimant un mépris pour les professions techniques et manuelles.

Jiang ajoute que la démocratisation apparente dont le premier effet est de diminuer la qualité de l’enseignement à l’université, pousse de plus en plus de parents à envoyer leurs enfants étudier à l’étranger, d’autant que le Gaokao reste très sélectif, très aléatoire et très stressant pour toute la famille.

…dont les enfants étudient hors de Chine.

En 2008, 10% des élèves du lycée de Shenzhen continuaient leurs études hors de Chine. Aujourd’hui, ils sont 20%. Le phénomène n’est pas limité à Shenzhen. Partout, l’explosion de la classe moyenne dont les moyens financiers sont plus confortables, augmente le nombre d’élèves partant étudier à l’étranger à un rythme annuel moyen de plus de 10%. A l’intérieur, il existe des universités privées de plus en plus courues, dont le prix contribue à augmenter considérablement le coût moyen des études, qui pèse sur les budgets des ménages à une proportion de 30% devenue inacceptable pour nombre de Chinois.

Mais l’engouement pour une éducation importée ou privée ne se limite pas à l’université. Les modèles éducatifs étrangers innovants pour les jeunes enfants comme ceux des écoles Montesori, Waldorf ou Reggio Emilia aux méthodes éducatives dites « ouvertes », ont de plus en plus de succès dans les zones urbaines en dépit du coût élevé des scolarités qui approche 7000 $ par an.

Éducation France – Chine :

quelques sérieuses divergences, mais des points communs élitistes.

Pour finir, il peut-être intéressant de tenter une comparaison à grands traits entre les systèmes éducatifs français et chinois. D’une durée comparable, la scolarité obligatoire est de 11 ans pour les Français et de 10 ans pour le système chinois où la prévalence des examens de sélection pour l’entrée au collège (Zhongkao dont la difficulté a été réduite en 2015) et à l’université (Gaokao) reste une des principales caractéristiques. Dans les lycées et collèges chinois le nombre d’heures d’études est près de 60% plus important qu’en France (40 heures contre 25 à 28 heures en France).

Assez souvent le sport, l’éducation artistique et musicale considérés comme annexes sont négligées au profit de deux types de cursus, l’un littéraire avec accent sur l’histoire-géographie et l’instruction politique ; l’autre, scientifique, avec une insistance pour les « sciences dures », Maths, physique-chimie, biologie. Un tronc commun comprend Maths, Chinois et langue étrangère. L’entrée à l’université est filtrée par le Gaokao plus sélectif que le Baccalauréat puisque 60% seulement des lycéens sont admis aux études supérieures. Les exclus tentent de poursuivre des études dans des universités privées soit dans des établissements délivrant des diplômes peu reconnus.

Bien plus lourde en temps d’étude en classe et à la maison, la scolarité chinoise est moins diversifiée que la française et bien plus rythmée par des examens sélectifs qui tendent à disparaître en France. Si en France le but est de donner à un maximum d’élèves un niveau minimum qui pénalise l’excellence noyée dans le souci d’égalité, en revanche en Chine, même s’il est de plus en plus contesté, le système tend à sélectionner les meilleurs élèves détectés par des critères d’assiduité et de réussite aux examens. Pour autant, la filière élitiste des grandes écoles françaises a quelques points communs avec le système chinois.

On retrouvera d’ailleurs d’autres similitudes dans la nature des sujets de composition de Chinois assez proche du type de sujets généraux proposés dans les examens du baccalauréat ou même au concours d’entrée aux grandes écoles. A Pékin, les candidats avaient le choix entre deux sujets auxquels il devaient répondre par un essai de 700 mots : 1) « Nombreux sont les héros chinois qui sont des exemples. Décrivez une journée que vous passeriez avec votre héro préféré. » ; 2) « Décrivez votre passion profonde pour un objet. Vous pouvez choisir une plante, un animal ou ustensile ».

A Shanghai il fallait en 800 mots répondre à la question suivante : « Chacun a dans le cœur des tendances dures et douces. Décrivez la manière dont vous parvenez à l’harmonie en les équilibrant ». Au Sichuan on demandait aux élèves de commenter la contradiction suivante : « Une personne honnête pourrait ne pas être intelligente ; mais un surdoué pourrait ne pas être empreint de sagesse ». Au Fujian, les candidats devaient réfléchir à la réflexion de Luxun : « L’espoir est comme ces chemins sur la terre. A l’origine il n’y avait pas de chemin ; mais où les gens passent sans cesse, un chemin naît ».

Au fond ces sujets sont assez proches de ceux proposés en philosophie au baccalauréat 2014 où on retrouve : « Doit-on tout faire pour être heureux ? », ou « Suffit-il d’avoir le choix pour être libre ? » qui côtoie « La diversité des cultures fait-elle obstacle à l’unité du genre humain » et « Celui qui vit dans l’injustice et cherche à échapper à la punition est-il le plus malheureux des hommes ? »

Lire aussi : http://www.questionchine.net/les-affres-du-gaokao-l-universite-entre-reformes-et-tradition

 

 

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