Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Chine - monde

Mer de Chine du sud : risques de conflits. Pékin tente d’apaiser Tokyo et Hanoi et maîtrise sa colère contre Washington

Le 27 octobre le destroyer lance missiles USS Lassen basé au Japon a croisé dans les parages du récif de Subi à l’intérieur des eaux territoriales revendiquées par Pékin à la suite de l’extension artificielle du haut fond. Le récif de Subi est recouvert à marée haute et ne peut pas générer des eaux territoriales selon le droit de la mer.

En passant en revue les informations sur les évènements en Mer de Chine du sud, on est saisi d’inquiétude en face de ce qui paraît être un jeu à somme nulle qui porte le risque d’un dérapage militaire, tant les positions paraissent embourbées dans l’impossibilité du dialogue. En arrière plan, le puissant facteur aggravant du nationalisme, attisé en Chine par le Parti lui-même à la recherche de légitimité et, aux États-Unis, par l’angoisse du déclin qui hante la majorité des élites pour lesquelles il est devenu inconcevable que la 1re puissance navale de la planète s’exprime autrement que par une démonstration de force.

Rigidités des acteurs et dangers d’engrenage.

Le 27 octobre dernier, le destroyer lance-missiles USS Lassen basé au Japon est entré dans l’espace maritime des 12 nautiques récemment revendiqué par la Chine comme des eaux territoriales après la modification accélérée de la structure du récif de Subi dans l’archipel des Spratly (240 nautiques à l’ouest de Palavan). Quoiqu’en dise le Pentagone, la manœuvre dénoncée par la Chine porte en elle les ferments d’un engrenage.

Elle symbolise une situation cul-de-sac dont, si rien ne change, ni la Chine ni les États-Unis, sortiront à leur avantage. L’impasse dans laquelle se sont enfermés Washington et Pékin se décrit par une situation simpliste, à seulement deux faces, résultat de l’abandon progressif de la longue liste d’accommodements plus complexes dont une véritable négociation politique aurait pu porter les fruits de solutions acceptables par tous.

Mais aujourd’hui, les enjeux ayant été montés en hyperbole de part et d’autre, l’éventail des solutions de sortie de crise s’est rétréci : 1) En faisant marche arrière, Pékin prendrait le risque de « perdre la face », ravivant dans l’opinion et chez ses intellectuels, le complexe d’humiliation qui, depuis un siècle et demi, constitue l’arrière-plan de la pensée internationale des dirigeants chinois ; 2) En cédant sur le principe sacro-saint de la liberté de navigation et des patrouilles militaires en haute mer, Washington compromettrait au moins la crédibilité de ses alliances et son influence auprès d’une partie des pays de l’ASEAN et du Japon.

Un risque d’autant plus difficile à assumer que, pour les esprits travaillés par la peur du déclin, il matérialise précisément la perspective d’un affaiblissement et, in fine, la perte de la prééminence navale dans la région, objectif ultime de Pékin.

Quelles que soient la force ou la faiblesse des arguments (voir l’analyse de la note de contexte), ceux de Pékin, uniquement historiques et sans fondement légal ou ceux de Washington articulés autour du droit international dont la force est cependant affaiblie par le fait que le Congrès n’a pas ratifié la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, une chose est certaine : la rigidité des positions nourrit les risques d’un accident militaire dont chacun espère qu’il ne sera que ponctuel, mais qui porte en réalité un sérieux risque d’embrasement.

Le 3 novembre dernier, la rencontre à Pékin entre l’Amiral Harris Commandant en chef américain dans le Pacifique venu expliquer la position américaine et le Général Fan Changlong, premier vice-président de la CMC et premier militaire du pays qui a manifesté le « vif mécontentement » chinois, a confirmé l’impasse.

Aux remontrances chinoises, l’Américain, imperturbable, a répondu que l’aéronavale américaine continuera à opérer partout où les lois internationales l’y autorisent, précisant que la mer de Chine du sud ne ferait pas exception. La déclaration faisait suite à un communiqué venant du plus haut niveau de l’État, par la bouche de Ben Rhodes appartenant à l’équipe des conseillers de sécurité de la Maison Blanche qui a prévenu que d’autres navires de guerre suivraient le destroyer Lassen dans les parages du récif de Subi.

Sans surprise, les commentaires officiels chinois ou des médias autorisés furent corrosifs, tandis que, selon le journal indien The Hindu, à Pékin, l’état-major accompagnait les multiples mises en garde du Politburo à Washington par le déploiement des chasseurs de J-11, répliques des Sukhoi 27 russes sur l’île de Yongxing dans les Paracel, 170 nautiques au sud de Hainan et 360 nautiques (30 minutes de vol) au nord du récif de Subi.

Lire Mer de Chine. La tentation de la force

Le 3 novembre, madame Hua Chunying, porte parole du Waijiaobu dénonçait la vacuité des arguments américains sur la liberté de navigation et accusait les États-Unis de jouer les boutefeux. « Les eaux internationales sont suffisamment vastes. Pourquoi les bâtiments américains ont-ils choisi de faire un détour et de montrer leur force dans les parages Spratly ? ». Le lendemain, le China Daily mettait en garde : « sans une meilleure gestion des risques, la querelle ne pourrait qu’empirer et dégénérer en conflit ».

Postures martiales et cul-de-sac.

En réalité les bruits de ferraille soutenus durent depuis le mois de septembre. Ils répondent aux mouvements navals américains plus fréquents depuis l’annonce par la Maison Blanche de son basculement stratégique vers le Pacifique fin 2011, avec une accélération depuis les débuts des travaux chinois de bétonnage des îlots au printemps 2014.

En septembre, Moscou et Pékin avaient organisé à Vladivostok une manœuvre navale sous le nez des Japonais. Le 24 octobre dernier, au sud du japon, un sous-marin d’attaque chinois de type Kilo avait pisté pendant plusieurs heures le porte avions nucléaire Ronald Reagan. Trois jours plus tard, dans une pure posture de guerre froide qui, depuis quelques temps se répète entre Américains et Russes en Mer Noire au large de la Crimée, 2 bombardiers stratégiques russes TU-142 avaient évolué à très basse altitude (150 m selon le Pentagone) à moins de 2 km du même porte avions Reagan, ce qui avait provoqué le décollage d’alerte de 4 F/A-18 du bord, envoyés par le commandant du bâtiment pour éloigner les bombardiers.

Les tensions se sont exportés jusqu’à Kuala Lumpur, le 3 novembre, à la réunion des Ministres de la défense de l’Asie Pacifique, où, en plus de l’ASEAN sont aussi représentés, le Japon, la Corée du Sud, les États-Unis et la Russie. Alors que Pékin et Washington tiraient en sens opposé pour tenter de rallier à leur cause l’ASEAN, la Chine, à l’inverse de la Maison Blanche militant pour que ne soit pas fait mention dans le communiqué final des problèmes en Mer de Chine du sud, le groupe n’a pu se mettre d’accord pour une rédaction consensuelle d’un communiqué de fin de session.

On le voit, Pékin et Washington ne sortiront pas de cette impasse sans concessions réciproques, seule solution pour éviter qu’un des deux ramasse toute la mise, laissant l’autre enfermé dans un sentiment de dépouillement véhiculant des rancoeurs, escarbilles de futurs incendies.

++++

Relation obligée entre Pékin et Washington.

Signes d’apaisement avec Hanoi et Tokyo.

Obama et Xi Jinping, à Washington fin septembre. Relations tendues mais incontournables.

Pour autant, s’il est vrai qu’on ne distingue pas encore de solution, on ne peut manquer de constater qu’au delà des empoignades verbales et des postures martiales, les États-Unis et la Chine tentent de circonscrire leurs différends dans des limites contrôlables en nourrissant un très dense tissu de relations.

En moins d’un an, Obama et Xi Jinping se sont respectivement rendus en Chine et aux États-Unis, qui développent un nombre considérable de coopérations (plus d’une centaine dans les domaines les plus divers, selon le Département d’État) y compris sur le sujet jusque là très bloqué en Chine de la protection de l’environnement et entre leurs marines de guerre (lire notre article Entre raison, émotions et rivalités stratégiques, la marine chinoise participe à RIMPAC).

Le tout baignant dans de vastes échanges commerciaux évalués à 600 Mds de $ en 2014 qui, avec l’achat par la Chine de bonds du trésor américains, prêts consentis par Pékin à la Réserve fédérale, tissent un écheveau très dense d’interactions dessinant des rapports complexes. S’il est vrai que l’émotion nationaliste pourrait les faire dérailler, leur nature est fondamentalement différente de ceux de la « guerre froide » dont le vieux visage resurgit de temps à autres.

Surtout, en prenant de l’altitude on perçoit que Pékin a récemment entrepris de raccommoder quelques uns des ses liens de voisinage passablement endommagés, notamment avec Tokyo et Hanoi. La manœuvre ne présage certes pas un basculement de la stratégie chinoise en mer de Chine du Sud, mais, à tout le moins, indique t-elle une souplesse nouvelle.

Reprise du dialogue à trois entre Séoul, Pékin et Tokyo.

Le 1er novembre reprise du dialogue à trois Pékin, Tokyo, Séoul interrompu depuis 3 ans. De gauche à droite Shinzo Abe, Park Geun-hye et Li Keqiang. Au programme le dialogue à 6, la dénucléarisation de la péninsule, le traité de libre échange et sur un mode plus discret, les exactions japonaises de la guerre en Corée et en Chine.

Le 1er novembre dernier, pour la première fois depuis 3 ans, Séoul, Tokyo et Pékin se sont retrouvés en Corée du Sud, pour se faire la promesse qu’en dépit de leurs différends stratégiques et territoriaux, ils se retrouveraient régulièrement chaque année. Contrairement, à la réunion des ministres de la défense de Kuala Lumpur le communiqué final qui n’entre pas dans les détails, est plutôt riche d’espoirs.

Après 3 années d’interruption, les trois grands pays d’Asie du Nord-est dont l’histoire, la culture et les économies sont étroitement imbriquées, se sont retrouvés en dépit des sévères aigreurs nées des tumultes de l’histoire, des rivalités de puissance, avec, par dessus tout en Chine et en Corée, un contentieux toujours vivace avec Tokyo, résultats des exactions de l’empire nippon durant la 2e guerre mondiale. Mais la relation à trois est encore compliquée par le fait que Tokyo et Séoul, anciens frères ennemis dont les discordes sont loin d’être réglées, se retrouvent au sein d’une alliance militaire avec les États-Unis, eux-mêmes embourbés dans une tension aggravée avec la Chine qui, au XVIe siècle, prêta main forte à la Corée contre le Japon avant que la dynastie Qing ne vassalise la péninsule.

Par contraste, le poids compliqué et douloureux de l’histoire éclaire d’autant plus les efforts des trois pour apaiser leurs relations. Le fait qu’ils aient convenu de se retrouver en 2016 à Tokyo, alors que Séoul et Pékin nourrissent toujours de profonds griefs contre le Japon, augure favorablement de la suite et marque une rupture avec les tensions qui ne cessaient de s’exaspérer depuis 2010.

Attisée par les ratés de l’économie et la force de leurs interdépendances, la bonne volonté des trois qui s’affiche à nouveau, est aussi le résultat de la prise de conscience chinoise. Pékin sait bien que ses antagonismes récurrents avec Tokyo nourrissent la proximité stratégique entre le Japon et les États-Unis dont les effets se répercutent d’autant plus sur la situation en mer de Chine du sud que, désormais, les forces d’auto-défense japonaises peuvent intervenir loin de l’archipel, éventuellement en appui de la 7e Flotte.

Compte tenu des relations en dents de scie entre Pékin et Tokyo on se gardera de prendre au pied de la lettre la déclaration de la présidente coréenne Park Geun-hye déclarant, après la conférence, que l’esprit de la coopération trilatérale dont c’était la 6e session depuis 2008, avait été complètement restaurée.

Il n’empêche que, même si les contentieux de l’histoire ont resurgi par quelques brèves allusions du premier ministre chinois sur l’insuffisance des contritions japonaises ou par des accusations plus directes de la présidente coréenne à propos des « femmes de réconfort » coréennes et chinoises enlevées pour approvisionner les bordels militaires de campagne de l’armée nippone, Shinzo Abe, Park et Li Keqiang se sont retrouvés sur la relance d’un dialogue à 6 « plus efficace » (avec Moscou, Washington et Pyongyang) pour la dénucléarisation de la péninsule, sans pour autant dire comment, et pour accélérer les négociations en vue d’un traité de libre échange à 3 qui donnerait à la Chine le moyen d’un efficace contrepoids au Transpacific Partnership (TPP) de Washington.

Lire aussi :

- Relations Chine-Japon. Les non-dits de l’irrationnel
- Chine-Japon : accord historique d’exploitation conjointe du gaz en Mer de Chine orientale
- Le triangle Chine – Japon – Etats-Unis entre raison et émotion. Quelle sortie de crise ?

Raccommodage compliqué de la relation avec Hanoi.

Le n°1 chinois est officiellement accueilli à Hanoi, le 5 novembre. C’était la première visite d’un président chinois depuis 10 ans. De gauche à droite Peng Liyuan, Xi Jinping, Nguyên Phu Trong, secrétaire général du PC vietnamien et son épouse.

L’autre événement témoignant d’un ajustement de Pékin aux réalités d’une situation qui commence à cristalliser des hostilités envers la rigidité de la politique chinoise en mer de Chine du sud, est la visite de Xi Jinping au Vietnam où, le 5 novembre dernier, il a reçu un accueil prestigieux. Première visite à Hanoi d’un n°1 chinois depuis 10 ans, l’événement est à mettre directement en perspective avec les tensions sino-vietnamiennes en mer de Chine du Sud qui, en mai 2014, avaient dégénéré en de violentes échauffourées anti-chinoises au Vietnam (lire notre article Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam). Pour Pékin, le contentieux s’est encore alourdi quand, en décembre 2014, à la suite de Manille, Hanoi avait demandé l’arbritrage de la Cour Internationale sur le droit de la mer.

Depuis, Pékin s’applique à réparer les dégâts au moyen une stratégie amicale commencée en avril 2015 par l’accueil en Chine du n°1 vietnamien Truong Tan Sang. Le voyage retour du président chinois 6 mois plus tard qui fut précédé par une série de visites de bons offices de Yang Jiechi, ancien ministre des affaires étrangères en charge des Affaires stratégiques, puis de Yu Zhengcheng, n°4 du Politburo, est la 2e phase d’une manœuvre articulée autour d’une aide financière des banques chinoises pour construire des infrastructures routières et ferroviaires vers la Chine à quoi s’ajoutent des projets sociaux et de santé, et la promesse commune des deux de mieux gérer leurs différends en mer de Chine du sud à l’avenir.

Hanoi insiste pour le maintien du statu-quo et la signature d’un code de conduite excluant la militarisation des îlots. Pour Pékin qui, tout à ses querelles avec Washington, n’est pas tout à fait sur cette ligne, l’enjeu est d’importance, car son très rétif voisin vietnamien lorgne avec insistance vers Tokyo et Washington pour lui faire contrepoids. Compte tenu des contentieux territoriaux en cours, la compétition d’influence au sein de la machine politique vietnamienne entre une faction proche de Pékin et une mouvance pro-occidentale violemment critiquée par les conservateurs pro-chinois pourrait constituer un des thèmes les plus disputés du 12e Congrès du Parti Communiste vietnamien en janvier 2016.

Hanoi, un interlocuteur rétif.

Mais tout indique que la restauration de la relation sino-vietnamienne n’en est encore qu’à ses débuts. S’il fallait illustrer à quel point le rattrapage d’influence de Pékin au Vietnam est complexe, il suffirait de se souvenir d’abord que Hanoi a signé le traité de libre échange du Transpacific Partnership proposé par Washington et dont la Chine est exclue, ensuite que la visite de Xi Jinping a coïncidé avec celle du ministre de la défense japonais, le général Nakatani.

Ce dernier, arrivé à Hanoi le 6 novembre, 24 heures à peine après Xi Jinping, tirait profit du fait que Tokyo a placé Hanoi en tête de ses objectifs d’aide directe, dont une part importante est destinée aux coopérations de sécurité maritime (1,5 Mds de $ en 2015).

Le ministre japonais avait dans ses valises un projet d’escale des navires de guerre japonais au port de Cam Ranh situé à 300 nautiques à l’ouest des Spratly qui fut l’emblématique base navale américaine pendant la guerre avec le nord, puis un puissant point d’appui soviétique. Nakatani qui, contrairement à la Chine, s’est réjoui des nouvelles facilités d’intervention accordées à la marine japonaise par la diète en septembre dernier, a également évoqué l’approfondissement de relations militaires entre les deux pays.

La visite faisait suite à la livraison de 2 premiers garde-côtes japonais de 800 tonnes, sur un total de 6. Comme avec Manille la coopération martime japonaise avec le Vietnam est orientée vers les techniques de surveillance côtière, avec une priorité : tenir à distance les nombreuses intrusions des pêcheurs chinois dans les eaux vietnamiennes.

Bâtiments de guerre chinois en Floride.

Enfin par dessus les efforts chinois d’apaisement en direction de Hanoi et de Tokyo, coexiste, en même temps que les postures bravaches sino-américaines en mer de Chine du sud, une réelle intention réciproque à Pékin et Washington de protéger la relation bilatérale pour éviter qu’elle ne s’envenime au-delà d’une limite irréparable. Comme si les deux avaient conscience qu’en dépit des échauffourées nationalistes et des démonstrations martiales, leur coopération était inévitable.

Ainsi, alors même que les échos irrités des dernières tensions autour du récif de Subi n’étaient pas encore retombés, le Quotidien du Peuple publiait un reportage photos amical de l’escale à Jaksonville en Floride d’un groupe naval chinois composé de la frégate lance-missiles Yiyang, du destroyer Jinan et du ravitailleur Qingdao.

Fait exceptionnel, les marins chinois furent accueillis par le Contre Amiral féminin Mary Jackson, préfet maritime de la région Sud-ouest. A cette occasion, le ton des discours échangés entre l’Amiral Jackson, l’Ambassadeur de Chine Cui Tiankai et le capitaine de Vaisseau Wang Jianxun commandant la flottille en escale contrastaient radicalement avec l’acrimonie des mises au point chinoises et américaines à propos des querelles en mer de Chine du sud.

++++

NOTE de CONTEXTE

Rappel du cadre légal. Évolution des disputes en mer de Chine du sud.

La ligne en 9 traits contestée à la cour internationale sur le droit de la mer par Manille. Au centre l’archipel des Spratly avec au nord, le récif de Subi, dans les parages duquel l’USS Lassen a croisé le 27 octobre.

Alors qu’aux États-Unis des hommes politiques comme le sénateur MacCain pressent le pouvoir américain d’augmenter la pression militaire sur la Chine, tandis que dans le même temps l’ancien commandant en Chef dans le Pacifique, l’Amiral Dennis Blair, conteste les mouvements navals de l’US Navy autour des îlots remblayés par Pékin, il est utile de rappeler les dispositions légales du droit de la mer et les positions des différents acteurs.

1.- Eaux territoriales. (Part II, Section 2, Article 13)

11.- Haut fond. Lorsqu’un haut fond submergé à marée haute est situé à une distance qui excède la largeur des eaux territoriales mesurées à partir du continent ou d’une île, il ne peut pas générer des eaux territoriales.

12.- Îles artificielles. (Part V, Article 60)

Les îles artificielles n’ont pas le statut d’îles et ne possèdent pas en propre des eaux territoriales. Leur existence n’a pas d’effet sur les limites des eaux territoriales, des Zones économiques exclusives ou du plateau continental. Elles ne peuvent générer qu’une zone de sécurité n’excédant pas 500 m.

2.- Position Chinoise.

Pékin affirme que les querelles territoriales ne peuvent pas être arbitrées par la Cour de La Haye, d’abord parce qu’en 2002 les parties avaient signé à Phnom-Penh une « déclaration sur le Code de Conduite » impliquant que les différends devaient être réglés par la négociation ce qui exclut tout arbitrage d’une Cour Internationale. Ensuite et surtout, parce qu’en 2006 la Chine avait, conformément à la Convention, fait valoir la clause de réserve l’autorisant à ne pas participer à la Convention quand celle-ci traiterait des questions de souveraineté.

Sur le fond des différends, la Chine qui continue d’évoquer son antériorité historique remontant à 20 siècles, n’a en réalité pas clarifié ses revendications liées à sa « Ligne en 9 traits », dont le tracé est à la fois variable en fonction des époques et approximatif (la ligne de 1947 est différente de celle de 2009 et la Chine n’a jamais communiqué les coordonnées exactes de ses traits).

En fonction des déclarations officielles, la ligne en 9 traits semble tantôt déterminer la souveraineté sur les îlots et sur les zones maritimes qu’elle génère ; tantôt elle apparaît établir les frontières de la Chine elles-même, la mer étant, dans ce cas, considérée comme une mer intérieure. Cette version hégémonique de la ligne en 9 traits est, avec l’antériorité historique et faute d’arguments juridiques convaincants, une position impossible à plaider dans une négociation internationale et inacceptable par la Convention du droit de la mer.

Quant à la première revendication d’antériorité historique, elle télescope les droits des autres riverains définis par la Convention. Celle-ci prévoit que les litiges doivent être négociés avec les autres parties prenantes, dès lors que les revendications chinoises entrent en conflit avec celles des autres riverains. C’est le principe même de la Convention.

3.- Arbitrage de la Cour de La Haye

Le 29 octobre 2015, la Cour de la Haye a officiellement accepté la demande d’arbitrage de Manille, après avoir rejeté l’argument chinois selon lequel la déclaration de 2002 sur le code de conduite qui enjoignait de résoudre les litiges par la négociation, excluait un arbitrage légal. Le motif invoqué par la Cour était que la déclaration de 2002 était un arrangement politique non contraignant.

Dans sa requête, Manille cherche un arbitrage sur 4 points :

a) Manille pose que la ligne en 9 traits chinoise figure une revendication excessive non conforme aux dispositions de la convention concernant les états riverains.

b) Prenant appui sur le premier point, Manille pose que l’occupation de plusieurs îles des Spratly est illégale, puisque l’argument chinois est historique et se fonde sur l’occupation de récifs submergés à marée haute, auxquels la Convention ne reconnaît pas le statut d’îles.

c) Manille pose que la Chine exploite illégalement des ressources dans des zones situées à l’intérieur de la ZEE des Philippines.

d) Manille accuse Pékin de gêner la navigation des navires philippins à l’intérieur de sa propre ZEE.

La décision de la Cour pourrait être rendue en 2016 sur tout ou partie de ces points. Tout indique que Pékin l’ignorera ou, au mieux, modifiera à la marge sa ligne en 9 traits. Le risque existe que la procédure dont Pékin exploitera au maximum les « zones grises », aboutisse à un affaiblissement du droit.

4.- Position américaine et réponse chinoise.

Selon Washington, les patrouilles à l’intérieur des 12 nautiques des eaux territoriales réclamées par la Chine, à la suite des remblaiements ne constituent pas une infraction au droit de la mer. La Convention de Montego Bay, reconnaît un « droit de passage innocent » dans les 12 nautiques des eaux territoriales légales. Le droit de passage est encore plus autorisé dés lors que ces eaux ne sont pas légalement des eaux territoriales. (Part II, Section 3, Art 19).

La convention précise cependant que « le passage innocent » suppose que les transits ne peuvent pas donner lieu à des activités préjudiciables à la paix, à l’ordre public et à la sécurité de l’État riverain. Pékin fait remarquer que les patrouilles de renseignement menées par la marine américaine entrent dans la catégorie des activités préjudiciables à la paix. Dès lors, pour Washington dont le Congrès n’a pas ratifié la Convention et dont, de ce fait, la position est affaiblie, le seul argument opposable à Pékin est que les récifs immergés ne sont pas des îlots et ne peuvent pas générer des eaux territoriales.

 

 

Au Pakistan, des Chinois à nouveau victimes des terroristes

[28 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

Munich : Misère de l’Europe-puissance et stratégie sino-russe du chaos

[22 février 2024] • La rédaction

Au Myanmar le pragmatisme de Pékin aux prises avec le chaos d’une guerre civile

[9 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Nouvelles routes de la soie. Fragilités et ajustements

[4 janvier 2024] • Jean-Paul Yacine

Chine-UE. Misère de l’Europe puissance, rapports de forces et faux-semblants

[15 décembre 2023] • François Danjou