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›› Technologies - Energie

Clonage de masse, transgressions génétiques et controverses sur les dérives éthiques et morales

A la mi-novembre Xu Xiaochun a annoncé l’association de BoyaLife dont il est le PDG avec le Coréen Sooam Biotech, dont le Directeur Hwang Woo-Suk a une réputation sulfureuse de transgresseur de la morale bioéthique.

A la mi-novembre, Xu Xiaochun, 44 ans, formé au Canada et aux Etats-Unis et ancien du géant pharmaceutique américain Pfizer, PDG de la société BoyaLife dont les laboratoires sont implantés à Tianjin et à Wuxi, qui se définit elle-même comme une « Banque de cellules souche », a jeté un pavé dans la mare des sciences de la vie en évoquant très concrètement la possibilité de clonage industriel d’un million de bovins.

Sa communication qui bousculait le tabou du clonage de masse, ouvre une vaste boîte de Pandore. Elle eut en Chine un retentissement d’autant plus fort qu’elle se référait au mythe de Sun Wukong, le Singe Roi, héros du grand classique de « La pérégrination vers l’Ouest – 西游记 - » qui, au milieu d’une quantité d’autres talents magiques, possédait celui de se démultiplier lui-même à partir de chacun des poils de son pelage.

Alliant le geste à la parole, Xu annonça un investissement de 31 millions de $, première phase d’un investissement total 500 millions de $, pour la création d’une JV avec la société sud-coréenne de biotechnologie Sooam Biotech qui sera la plateforme industrielle pour la mise en œuvre du plus grand projet de clonage d’animaux de la planète, en utilisant des cellules prélevées sur leur fourrure. 28 filiales sont prévues dans 16 provinces de Chine.

Les étapes de la production ont très concrètement été exposées par Xu Xiaochun. Le noyau génétique extrait de cellules de bovins triés sur le volet sera implanté dans l’œuf non fécondé d’une vache. La première étape permettra de créer chaque année 100 000 embryons clonés, lesquels produiront 1 million de bovins de boucherie d’ici 2020. Xu présente aussi le clonage comme un moyen de préserver la biodiversité menacée, puisque ses laboratoires de Tianjin abriteront une banque génétique capable de conserver dans des congélateurs cryogéniques jusqu’à 5 millions de cellules souche, appartenant aux espèces en danger.

Selon BoyaLife, les dernières techniques génétiques de clonage permettraient, par le truchement d’une organisation industrielle appropriée de réaliser 60 000 clonages par an et par technicien. Avec un effectif de 300 agents, ajoute Xu, la JV sino-coréenne pourrait donc, en théorie, largement parvenir à réaliser son objectif annuel d’un million de clones d’animaux de boucherie. S’il en était ainsi, la Chine aurait brisé un tabou dans une technique déjà éprouvée, mais dont, jusqu’à présent, les applications à échelle industrielle de masse avait étés tenues à distance.

Des références sanitaires différentes entre les États-Unis et l’Europe.

Les raisons de cette prudence sont complexes. Aux préventions éthiques parfois enracinées dans des convictions religieuses ou morales d’une aversion générale contre les manipulations de la vie, s’ajoute la double condamnation écologique et des associations militant pour le respect des animaux frappant l’élevage industriel que le clonage conforterait massivement.

A ces préventions viennent se greffer les inconnues de la sécurité alimentaire, d’ailleurs différemment appréciées.

Alors que l’Union Européenne est sensible aux arguments de l’Autorité Européenne de Sécurité alimentaire considérant que le clonage entraîne des problèmes de santé pour les animaux clonés tels que l’insuffisance cardio-vasculaire, des difficultés respiratoires et un système immunitaire défectueux dont les effets sur l’homme sont pour l’instant mal connus, aux Etats-Unis en revanche où la Food & Drug Administration (FDA) assure que la viande clonée est sûre, le Groupe ViaGen fondé en 2002, met déjà sur le marché des milliers d’animaux clonés.

La différence de perception de sûreté alimentaire entre les autorités sanitaires européennes et américaines va loin puisque, le 19 novembre, la FDA a, pour la première fois, autorisé la vente de saumons génétiquement modifiés pour en accélérer la croissance, brisant un tabou autrement plus sensible que le clonage de masse.

La décision est au demeurant très controversée aux Etats-Unis mêmes, au milieu d’arguments contraires qui font état des avantages de la technologie génétique dans un contexte où la surpêche industrielle du saumon détruit la ressource à une vitesse alarmante [1].

Hésitations chinoises et risques de transgressions.

Le Dr Xu Xiaochun PDG de BoyaLife, lors de sa communication de la mi-novembre où il annonçait la création d’une JV avec le groupe coréen Sooam Biotech et son projet de cloner 1 million de bovins au travers de 28 filiales dans 16 provinces chinoises.

En Chine, les projets de BoyaLife sont accueillis avec scepticisme par Madame Han Lanzhi, spécialiste des OGM à l’Académie des sciences agricoles qui doute que BoyaLife puisse obtenir rapidement l’agrément de sécurité alimentaire pour des animaux clonés.

La controverse déclenchée par Xu Xiaochun qui, pourtant, n’a fait qu’envisager l’application industrielle des techniques de clonage déjà éprouvées utilisées commercialement aux Etats-Unis et aujourd’hui à la portée de nombreux laboratoires de la planète, se développe dans un contexte où, selon les experts chinois eux-mêmes, les garde-fous juridiques encore insuffisants laissent libre cours à des expériences hasardeuses, avec en arrière plan un engouement sans précédent pour les sciences de la vie.

L’institut de génomique de Pékin 北京基因组研究所 - ji yin zu yanjiu suo(sigle anglais BGI), aujourd’hui basé à Shenzhen, doté de 200 équipements modernes de séquençage d’ADN et employant 2000 scientifiques, tous docteurs en microbiologie ou en sciences de la vie, a développé une impressionnante capacité de recherche. L’une d’entre elle donne le vertige. Citée par Raphaël Laurenceau dans l’article de Mediapart répertorié en référence à la fin de cette note.

Elle est conduite à la suite de recherches menées aux États-Unis avec le concours de 400 mathématiciens et physiciens ayant accepté de faire séquencer leur génome, dans le cadre du « projet Einstein » visant à identifier les gènes responsables du génie mathématique. La variante de BGI analyse les génomes de 2000 individus réputés intelligents sélectionnés en fonction de leurs résultats aux examens ou de leur QI élevé.

En septembre dernier, le BGI a brièvement fait la une de l’actualité sur un mode ludique en annonçant que des cochons nains de laboratoire pesant une quinzaine de kilos produits à la suite de manipulations génétiques et clonés grâce aux nouvelles techniques d’édition de génome dites « CRISPR » [2] très bon marché et faciles à mettre en œuvre qui bouleversent la biologie, pourraient être vendus comme des animaux de compagnie.

Faisant cela, l’Institut de Pékin réaliserait une synthèse entre deux transgressions déjà accomplies, mais rarement analysées par les médias : la première en Corée du sud où Sooam Biotech vend des chiens clonés et aux États-Unis où Viagen commercialise une grande variété d’animaux dupliqués (vaches, cochons, chevaux, chèvres) ; la deuxième dont le tabou vient d’être brisé aux États-Unis avec la création artificielle d’un saumon à maturation plus rapide, touche à la manipulation génétique à grande échelle des espèces à des fins commerciales.

Au même moment, des chercheurs de plusieurs universités chinoises publièrent une étude sur la modification expérimentale des gênes de chèvres à cachemire blanc du Shanbei au nord du Shaanxi qui parvint simultanément à augmenter leur masse musculaire et allonger leurs poils. A la suite de l’expérience, la communication publiée dans une revue internationale affirmait que les recherches apportaient la preuve que la méthode « CRIPSR » était un outil de manipulation génétique efficace pouvant être utilisé dans l’élevage et l’industrie agro-alimentaire.

Mais l’expérience la plus controversée effectuée grâce aux nouvelles méthodes d’édition génomique relatée dans de nombreuses articles de la presse spécialisée eut lieu au printemps 2015 quand des scientifiques de l’Université Sun Yat-sen à Canton ont utilisé la technique CRISPR pour modifier le génome de 85 embryons humains non viables, en dépit d’une vague d’articles de mise en garde parus dans les revues scientifiques qui tous faisaient état des risques pour le genre humain posés par les manipulations génétiques.

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Un allié coréen sulfureux.

En janvier 2006, le magazine Time titrait sur la chute d’une idole, en référence aux déboires du professeur Hwang accusé d’avoir falsifié une expérience scientifique de clonage d’embryons humains. Mais la réalité est peut-être plus compliquée. Après qu’une enquête indépendante menée par des chercheurs américains, japonais et canadiens ait mis en doute la fraude intentionnelle, la sentence contre Hwang a finalement été réduite de 2 ans à 6 mois de prison.

Alors qu’en Europe on tente de circonscrire les applications des nouvelles techniques génétiques aux applications médicales dont les perspectives sont au demeurant très prometteuses, en Chine, le secteur de la biotechnologie, saisi par une ferveur enthousiaste inédite donne parfois le sentiment qu’il aspire à se hisser en tête de la recherche mondiale dans le domaine de la génétique humaine y compris hors applications médicales.

Ces préventions sont attisées par la personnalité de l’associé coréen de Xu Xiaochun, Hwang Woo-Suk, fondateur de la société Sooam. Généticien à succès en Corée du sud, Hwang était célèbre jusqu’à son implication dans le scandale survenu il y a dix ans, quand il avait prétendu par erreur avoir réussi à cloner un embryon humain.

Ayant aussi défrayé la chronique en 2005 en brisant le tabou du premier chien cloné, un lévrier afghan baptisé « Snupy », Hwang fut officiellement inculpé de faux et de corruption à Séoul en 2006 et dut démissionner de l’université.

Des enquêtes ultérieures indépendantes menées par des chercheurs américains, canadiens et japonais, parues dans le n° de la revue « Cell Stem Cell » du 2 août 2007, ont cependant montré que Hwang et son équipe avaient, à leur insu, obtenu in vitro des cellules souches embryonnaires humaines, non pas par clonage, mais par parthénogenèse (reproduction asexuée par division d’un gamète femelle non fécondé).

Récemment Hwang a à nouveau défrayé l’actualité coréenne en affirmant lors d’une interview accordée au Dong-A Ilbo que sa société avait conclu une JV avec un partenaire chinois pour contourner les lois éthiques coréennes qui interdisent l’utilisation d’embryons humains. Xu, quant à lui, semble limiter son ambition à devenir le plus gros producteur mondial de bovins clonés pour approvisionner le marché en pleine expansion de la viande de bœuf en Chine.

Prise de conscience morale en Chine.

Enfin, alors qu’une formidable bourrasque secoue le monde des sciences de la vie, où on constate que les États-Unis ont depuis longtemps transgressé le tabou du clonage d’animaux à des fins commerciales et viennent de franchir une nouvelle limite par l’autorisation de commercialiser des saumons génétiquement modifiés, tandis que de multiples articles de presse accusent les Chinois de manquer de règles éthiques, le moins qu’on puisse dire est que ces derniers ont pris conscience de la nécessité de mieux baliser les territoires inexplorées de la génétique humaine et animale.

Le no man’s land éthique de la génétique humaine.

Alors qu’en Chine le débat moral est vif sur les questions de manipulations génétiques, mais inexistant sur le clonage de masse, Yusheng Wei, chercheur à l’Institut des sciences de la vie de Beida concède que l’arsenal légal est insuffisant pour encadrer l’explosion de la recherche et les risques de transgression. Mais il s’inscrit en faux contre les accusations d’un sens de l’éthique plus faible en Chine. Au demeurant, Peter Mills, Directeur adjoint du Nuffield Council de Londres, référence internationale de bioéthique, affirme que s’il existe un retard de la conscience éthique en Chine, il est en train de se combler rapidement.

Du 1er au 3 décembre 2015, Pei Duanqing, Directeur de l’institut de biomédecine à l’Académie des Science de Canton et Qi Zhou, Directeur de l’Institut de Zoologie de l’Académie des sciences de Pékin participaient aux côtés de chercheurs canadiens, anglais, allemands et américains au sommet mondial organisé à Washington sur les nouvelles techniques d’édition de manipulation de gènes humains. Après avoir passé en revue l’état des sciences de la vie dans le domaine de la génomique, la conférence a porté sur les avantages et les risques des nouvelles techniques ainsi que sur les standards moraux et éthiques de leurs applications.

Pour finir trois visions de ce no man’s land éthique, l’une très synthétique d’Axel Khan, médecin généticien et essayiste français qui, au moment de l’affaire Hwang, s’exprimait sur le clonage : « Le clonage, c’est le triangle des Bermudes de la rationalité scientifique. Il rend fou tous les gens qui y touchent ». Les autres sont 2 articles de Sciences et Avenir : le clonage humain devient réalité et de Médiapart : la biologie synthétique, entre fantasmes et révolutions, ce dernier écrit par Raphaël Laurenceau, jeune chercheur français associé au MIT, parus en juillet 2014 et avril 2015.

Les deux tentaient autant que possible de remettre un peu de rationalité dans les appréciations d’un secteur des sciences qui réveille chez chacun les fantasmes les plus délirants allant des dérapages des Frankenstein modernes à l’eugénisme visant à créer des humains supérieurs, en passant par ceux qui, au milieu des déboires parfois dramatiques de la génétique médicale, espèrent un allongement indéfini de la vie, non seulement grâce aux applications curatives du clonage, mais surtout par le truchement de l’étude du rapport entre le processus de vieillissement et la signature génétique des individus. Le débat ne fait que commencer. Il y va de l’équilibre génétique du genre humain.

Voir aussi le Blog du chercheur franco-croate Miroslav Radman, professeur à la Faculté de médecine René Descartes et membre de l’Académie des Sciences, et son livre : « Au-delà de nos limites biologiques » Plon 2011.

Note(s) :

[1L’Union européenne à l’évidence plus vigilante que les Etats-Unis ou la Chine a déjà entrepris d’ériger des barrières éthiques pour « protéger la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine » : La convention adoptée en 1997, ratifiée par 28 pays du Conseil de l’Europe stipule :

Article 12 – Tests génétiques prédictifs

Il ne pourra être procédé à des tests prédictifs de maladies génétiques ou permettant soit d’identifier le sujet comme porteur d’un gène responsable d’une maladie soit de détecter une prédisposition ou une susceptibilité génétique à une maladie qu’à des fins médicales ou de recherche médicale, et sous réserve d’un conseil génétique approprié.

Article 13 – Interventions sur le génome humain

Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance.

 

 

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