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›› Chronique

Nankin, le douloureux symbole d’une relation sino-japonaise en dents de scie

Le 13 décembre, dépôt de gerbes au mémorial du massacre de Nankin, où le chiffre de 300 000 victimes est partout affiché.

Le 13 décembre, eut lieu à Nankin la deuxième commémoration nationale des massacres commis dans l’ancienne capitale du Kuomintang par les troupes japonaises en 1937. La date qui marquait le début des exactions après la prise de la ville par l’armée nippone, avait été choisie en 2014 par le Politburo pour honorer officiellement les victimes du pillage, ponctué de destructions, de meurtres et des viols dont l’estimation est aujourd’hui rendue difficile suite à la destruction par les Japonais de leurs archives.

Objet de controverses et souvent de sévères tensions entre Tokyo et Pékin quand certains historiens japonais vont jusqu’à nier les bains de sang et les exécutions de masse, les chiffres du bilan humain de la mise à sac de la ville varient de 40 000 à 300 000 morts. C’est ce dernier chiffre qui est gravé dans la pierre du mémorial aux victimes à Nankin.

Mais pour l’historien américain Jonhatan Spence, enseignant à Yale et auteur de « La Chine imaginaire : la Chine vue par les Occidentaux, de Marco Polo à nos jours », (presses de l’université de Montréal, 2000, traduction de Bernard Olivier), le nombre des victimes ne serait que de 42 000 civils, à quoi s’ajoutent 20 000 femmes violées.

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Pour autant, si les controverses restent vives, les cérémonies mémorielles de 2015 méritent attention car elles marquent une inflexion dans l’attitude du régime chinois semblant s’inscrire dans une volonté d’apaisement de la relation historiquement heurtée avec le Japon, mais particulièrement agitée depuis 2010. Alors que la cérémonie de 2014 avait fait l’objet d’une large publicité autour d’un discours du président Xi Jinping qui martela la réalité du massacre nié par certains intellectuels japonais, celle de 2015 fut en revanche plus discrète.

Marquée par une faible couverture médiatique en amont et par l’absence aux cérémonies de Xi Jinping et des 6 autres membres du comité permanent, elle ne fut cette fois présidée que par Li Jianguo, n°15 du régime, vice-président du comité permanent de l’ANP. Il est vrai que l’événement venait deux mois après que Pékin ait obtenu, au grand dam du gouvernement japonais qui a très mal réagi, une satisfaction de portée internationale, avec, le 9 octobre, l’inscription des documents relatifs au massacre, au registre de la mémoire du monde de l’UNESCO.

Mais après cette turbulence ponctuée par un communiqué très vif de Tokyo qui regrettait que le « Registre soit utilisé à des fins politiques », et accusait l’Organisation d’avoir statué de manière partiale en n’entendant que la partie chinoise, Pékin semble vouloir réduire les feux des querelles avec son voisin.

Signes partagés d’une volonté d’apaisement.

Les prémisses de cette inflexion sont visibles depuis le 7 novembre 2014, quand, au milieu de vives tensions et à la surprise des observateurs, Pékin et Tokyo avaient annoncé leur intention de reprendre le dialogue pour mettre fin à la situation qui, ces dernières années, avait failli les conduire à des incidents militaires directs.

Les deux étaient tombés d’accord pour mettre sur pied un mécanisme bilatéral de gestion de crises destiné à prévenir tout dérapage intempestif. Les progrès avaient été facilités par l’entremise de l’ancien Premier Ministre Yasuo Fukuda qui, le 29 octobre 2014, avait été reçu à Pékin par Xi Jinping lui-même avant la rencontre de ce dernier avec Shizo Abe au sommet de l’APEC.

L’élan s’est poursuivi le 1 novembre 2015 trois semaines seulement après l’irritation provoquée par la décision de l’UNESCO quand, Shinzo Abe et Li Keqiang se sont retrouvés à Séoul avec la Présidente Coréenne Park Geun-hye, reprenant un dialogue à trois interrompu depuis 3 ans pour cause de tensions sino-japonaises. Le fait que les trois aient convenu de se retrouver en 2016 à Tokyo, alors que Séoul et Pékin nourrissent toujours de profonds griefs contre le Japon, augure favorablement de la suite et marque une rupture avec les tensions qui ne cessaient de s’exaspérer depuis 2010.

Attisée par les ratés de l’économie et la force de leurs interdépendances, la bonne volonté des trois qui s’affiche à nouveau, est aussi le résultat de la prise de conscience chinoise, peut-être confirmée par le profil bas de la cérémonie de Nankin qui tranchait avec la gravité solennelle affichée en 2014 par la plus haute direction du régime.

Pékin sait bien que ses antagonismes récurrents avec Tokyo nourrissent la proximité stratégique du Japon avec les États-Unis dont les effets se répercutent d’autant plus sur la situation en mer de Chine du sud que, désormais, les forces d’auto-défense japonaises peuvent intervenir loin de l’archipel, éventuellement en appui de la 7e Flotte.

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Les hauts et des bas d’une relation heurtée.

Xi Jinping a rencontré Shinzo Abe à Pékin en novembre 2014, lors de l’APEC. C’était leur première rencontre depuis leurs prises de fonctions respectives en 2012. Selon le MAE chinois, Xi Jinping a rappelé à Shinzo Abe que les questions historiques touchaient les sentiments de 1,3 Mds de Chinois. Les deux étaient tombés d’accord pour mettre sur pied un mécanisme bilatéral de gestion de crises destiné à prévenir tout dérapage militaire intempestif.

Un bref retour en arrière montre que, dans sa relation avec le Japon, le Régime chinois est coutumier de ces rétropédalages où, après avoir âprement instrumentalisé les afflictions de l’histoire, pour atteindre un objectif rarement dévoilé, il infléchit ses stratégies vers une plus grande bienveillance. 2004 et 2005 furent deux années où, attisés par une incessante campagne télévisée anti-japonaise diffusée à jets continus, les accès de fureur populaires contre les ressortissants de l’archipel en Chine avaient pris un tour inquiétant.

Or, la période correspondait à un effort de Kofi Annan, alors secrétaire général des NU pour réformer le Conseil de Sécurité, dont un des nombreux projets était l’élargissement du nombre de permanents à 11, parmi lesquels se trouvait le Japon dont la candidature était, à l’époque, vigoureusement soutenue par Washington, notamment par un discours de Condoleezza Rice à l’Université Sophia à Tokyo, le 19 mars 2005.

Prenant le contrepied de son prédécesseur Colin Powell opposé à l’octroi à Tokyo du statut de membre permanent, la secrétaire d’État arguait des qualités intrinsèques du Japon et de sa vaste contribution financière aux NU pour appuyer sa promotion au club des permanents par un plaidoyer qui déclencha la fureur de la Chine. Dès lors, Pékin entreprit de discréditer moralement la candidature de Tokyo par le rappel des crimes de guerre, appuyé par une campagne sur les réseaux sociaux et une pétition en ligne lancée par des Chinois d’outre mer qui recueillit plus de 20 millions de signatures.

Mais une fois la menace de l’accession de Tokyo au cercle étroit des permanents, également tuée dans l’œuf par un projet de l’Italie, de l’Argentine de la Colombie et du Pakistan de conserver le groupe des 5 P en l’état, mais d’élargir le Conseil de sécurité à 20 membres au lieu de 15, auquel Pékin apporta son soutien, la relation sino-japonaise revint à plus de normalité. L’apaisement fut marqué par les visites de Wen Jiabao et de Hu Jintao au Japon en 2007 et 2008. Lire notre article Chine - Japon. Un remarquable exercice de tolérance diplomatique

La détente également favorisée par le départ précipité du très nationaliste Shinzo Abe [1] dont les liens familiaux renvoient par son ascendance maternelle au Général Tojo, ne dura que peu de temps. En septembre 2008, l’arrivée au pouvoir de Taro Aso proche de Shinzo Abe, au verbe très provocateur, marqua le début d’une nouvelle période de tensions. Lire aussi Chine - Japon. A Pékin, l’arrivée au pouvoir de Taro Aso jette un froid

En fond de tableau, il y avait déjà la crainte de Pékin, devenue aujourd’hui une réalité, que le Japon sorte des limites pacifistes de sa constitution et défie à nouveau la primauté stratégique de la Chine en Asie. Dès lors, les tensions n’ont cessé de s’exacerber sous divers prétextes dont l’un des plus emblématiques est, amère réminiscence de la guerre, la souveraineté contestée sur l’archipel des Diaoyu (Senkaku) situé entre Taïwan et Okinawa. La mèche lente explosa en septembre 2010 quand, précisément près des Ilots Senkaku, un chalutier chinois entra en collision avec 2 gardes côtes japonais et que son commandant fut emprisonné à Tokyo.

Depuis, la relation ne cessa de se tendre à nouveau, encore irritée par le retour au pouvoir de Shinzo Abe le 26 décembre 2012 et l’amendement de l’article 9 de la constitution pacifiste qui laisse planer la perspective de patrouilles conjointes des marines américaine et japonaise en mer de Chine du sud, le tout ponctué par les incessants rappels par Pékin des atrocités japonaises de la guerre qui accuse Tokyo de minimiser la réalité des massacres de Nankin [2].

Enfin, en arrière plan subsiste la grande amertume chinoise de la défaite militaire subie en 1895 par la dynastie Qing contre l’Empire nippon qui, contrairement à la Chine en plein déclin, avait en quelques dizaines d’années, réussi une modernisation accélérée par l’effort sans précédent et tous azimuts de l’ère Meiji (1868 – 1912) [3].

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Lire aussi, l’article de QC qui décrit l’état de la relation et la force des irrationnels qui la sous-tend à la veille de la visite de l’ancien premier ministre Wen Jiabao au Japon à la mi-avril 2007 : Relations Chine-Japon. Les non-dits de l’irrationnel

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Le tribunal de Nankin.

Établi en 1946 par Tchang Kai Chek, le tribunal de Nankin qui siégea jusqu’en 1948, estima le bilan à plus de 190 000 morts civils et militaires exécutés à la mitrailleuse et 150 000 autres victimes d’actes de barbarie enterrés par des organisations caritatives.

La cour condamna à mort et fit exécuter le général Hisao Tani qui commandait la 10e armée lors des batailles de Shanghai et de Nankin, en même temps que le capitaine Tanaka et les lieutenants Toshiaki Mukai et Tsuyoshi Noda. Les 4 furent les seuls officiers exécutés pour le massacre de Nankin. Les lieutenants Mukai et Noda s’étaient tristement rendus célèbres pour avoir parié sur lequel des deux assassinerait le plus vite 100 Chinois au sabre. L’épisode est contesté par les historiens révisionnistes.

Le prince Kotohito Kan’in membre de la famille impériale, chef de l’état-major général, les généraux Nakajima et Yanagawa qui auraient pu être impliqués, étaient décédés. Le général Isamu Cho, commandant une division d’infanterie s’était suicidé en 1945 à Okinawa. Le prince Asaka, membre de la famille impériale qui, en décembre 1947, commandait temporairement les forces japonaises de la région de Nankin, fut gracié par le Général Mac Arthur.

Les autres responsables furent jugés par le tribunal de Tokyo qui condamna à mort et fit exécuter 7 généraux, dont le général Tojo, premier ministre. 16 autres responsables civils et militaires furent condamnés à la prison à vie. Quant au général Yasuji Okamura, qui fut également convaincu de crimes de guerre par le tribunal de Nankin pour d’autres raisons que la tuerie de Nankin, il fut gracié par Tchang Kai Chek qui l’enrôla comme conseiller militaire spécial.

Note(s) :

[1Il n’est pas inutile de rappeler que Shinzo Abe a des liens étroits avec l’Organisation révisionniste « Nippon Kaigi » créée en 1997, épine dorsale d’une minorité très active d’intellectuels qui contestent la réalité des massacres de Nankin, tels l’historien Tomio Hora décédé en 2000, le journaliste Katsuichi Honda (83 ans) ou l’historien Shudo Higashinakano (68 ans), auteur d’un livre très controversé, publié en 2006 dont le titre anglais est « The Nanjing massacre : Fact versus finction » (« Le massacre de Nankin, réalités et fiction »)

[2S’il est vrai que de lourds désaccords subsistent sur l’ampleur des massacres de Nankin que certains auteurs japonais continuent à nier, il n’est pas exact de dire que le Japon n’a jamais montré sa contrition au peuple chinois. En 1992, l’Empereur Akihito, en visite en Chine, avait exprimé au peuple chinois le plus haut niveau d’excuses possible que les Chinois pouvaient espérer : « Il y a une période dans le passé où mon peuple a infligé des souffrances indicibles au peuple chinois. Cela demeure la source d’un profond chagrin personnel ».

[3L’ironie est que le terme Meiji est lui même d’origine chinoise - 明治 mingzhi – qui signifie « gouvernement éclairé ».

 

 

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