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›› Taiwan

Dans l’œil du cyclone, veillée d’armes électorale

2 frégates taïwanaises de la classe « Cheng Kung » ou « Oliver Hazard, Perry » dont Taïwan possède déjà 8 unités auxquelles s’ajouteront 2 nouveaux exemplaires, construits sous licence à Taïwan.

A la mi-décembre, l’exécutif américain a donné son feu vert à un projet de ventes d’équipements militaires à Taïwan en 2016, d’une valeur totale de 1,83 Mds de $ dont l’essentiel est composé de 2 frégates lance-missiles de la classe Perry (premières mises en service il y plus de 40 ans), d’un système de gestion rapide de données informatiques, de missiles anti-chars, de véhicules d’assaut amphibies et de canons anti-aériens à tir rapide, adaptables sur des navires de combat.

Pour autant, en l’absence de chasseurs de combat modernes tels que les F-16 C/D et de toute promesse d’assistance à la construction de sous-marins, la vente décidée par la Maison Blanche ne modifie en rien l’équilibre des forces entre l’Île et le Continent dont le rapport des budgets de défense est de 1 à 13.

Une aggravation de la situation suite à cette livraison est donc improbable, en dépit des réactions irritées de la Chine. Dans l’attente de l’élection présidentielle du 16 janvier, Pékin Washington et Taipei s’observent et tentent de mesurer l’impact stratégique provoqué par la probable victoire de l’indépendantiste Tsai Ing-wen qui, il est vrai a mis beaucoup d’eau dans son vin pour tenter d’infléchir la détestation et la méfiance du Parti Communiste à son égard.

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Prudence américaine et livraison d’armes soigneusement calculée.

Dans un contexte où Washington calcule au plus juste son jeu entre la Chine et Taïwan en évitant de mettre de l’huile sur le feu – la vente d’avions de chasse modernes étant une ligne rouge que la Maison Blanche semble décidée à ne plus franchir -, la fonction essentielle des livraisons d’armes est d’ordre symbolique. Elle vise à rassurer les Taïwanais sur l’état de la relation et la pérénnité des promesses d’assistance du Taïwan Relations Act (TRA), obligation de droit interne voté par le Congrès en 1979. Ce dernier, adopté en même temps que Washington reconnaissait la Chine Populaire, était destiné à apaiser les craintes taïwanaises après la bascule stratégique américaine.

Il envoyait un signal à Pékin en stipulant explicitement que l’avenir de Taïwan devrait être réglé de manière pacifique, que les États-Unis se donneraient les moyens de riposter à tout usage de la force contre l’Île et s’autorisaient à lui vendre des armes de nature défensive. Mais l’apaisement des craintes taïwanaises était d’autant plus nécessaire que, dans le point n°6 du communiqué conjoint de 1982 entre Pékin et Washington, la Maison Blanche avait concédé que la politique de vente d’armes à Taïwan n’était pas appelée à durer et que la quantité d’équipements livrés serait progressivement réduite.

Surtout, pour la première fois depuis 1979, le délai entre deux livraisons d’armes avait dépassé 3 ans (la dernière ayant eu lieu en 2011), nourrissant des spéculations alarmistes sur un glissement de la stratégie américaine en faveur de Pékin. Dans l’Île, en dépit de l’absence d’équipements de premier rang, l’annonce a tout de même rempli sa fonction de réconfort stratégique, au milieu de doutes sur les objectifs ultérieurs de Washington. Le président Ma Ying-jeou a applaudi la décision, suivi par Eric Chu et Tsai Ing-wen, les deux candidats KMT et DPP aux prochaines élections présidentielles du 16 janvier.

Une réaction chinoise mesurée.

A Pékin, la riposte a été soigneusement calibrée selon un modèle bien rodé qui recelait également une fonction symbolique : convocation d’un diplomate américain de second rang par un des vice-ministres des Affaires étrangères (alors que lors des deux dernières ventes d’armes en 2010 et 2011, le Waijiaobu avait directement convoqué les Ambassadeurs John Huntsman et Gary Locke), menaces de représailles économiques contre les sociétés américaines [1], et rappel par le porte parole du ministère de la défense que les relations militaires bilatérales entre l’APL et le Pentagone pourraient êtres perturbées.

Pour autant, au total, et en dépit des acrimonies de façade, tout indique que, cette fois encore, le sujet des ventes d’armes marqué par la prudence de Washington et le double soulagement de Pékin et de Taipei, restera confiné dans un jeu de rôles où après une effervescence plus ou moins longue, la relation sino-américaine reprendra son cours chaotique normal où alternent fortes tensions et efforts réciproques d’apaisement.

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Dans l’attente d’un scrutin sensible.

Rapport des forces dans le Détroit de Taïwan. Le budget militaire chinois est 13 fois plus important que celui de Taïwan.

En réalité, alors que le politburo chinois est rassuré qu’aucun équipement de combat de premier rang soit sur la liste, tandis que Taïwan est réconfortée que la Maison Blanche renoue avec le signal périodique très concret et rassurant de sa proximité stratégique avec l’Île, Washington, Pékin et Taipei se préparent à réagir à une évolution majeure de la situation stratégique du Détroit avec, à la mi-janvier, la probable élection à la présidence de l’indépendantiste Tsai Ing-wen. Le dernier sondage à la mi-novembre, à moins de 2 mois du scrutin, créditait son rival Eric Chu de 21,4% des intentions de votes, tandis qu’elle en totalisait encore 48,6%.

Un rétablissement partiel d’Eric Chu ne peut être exclu, mais, dans l’état actuel de l’opinion, il est improbable que le candidat du KMT puisse refaire son retard [2]. Pour tenter de réduire l’ampleur de sa défaite et au moins éviter que le DPP obtienne la majorité absolue au Yuan législatif, le Président du KMT et maire du Nouveau Taipei a, très vite après son investiture surprise en octobre dernier, argumenté sur les risques d’une victoire de Tsai Ing-wen et surtout sur les inconnues d’une situation plaçant tous les pouvoirs dans les mains d’un parti politique en rupture radicale avec l’idée commune au KMT et au Parti Communiste Chinois de « l’existence d’une seule Chine ».

Au cours de son voyage aux États-Unis à la mi-novembre Eric Chu a, dans une interview au Washington Post, argumenté sur l’importance du « Consensus de 1992 » qui, nonobstant ses ambiguïtés, avait eu l’avantage de dégeler les relations dans le Détroit, jusqu’alors enkystées dans un face à face stérile. En refusant ce « Consensus », Tsai Ing-wen mettait en danger l’apaisement des relations et les progrès accomplis depuis 2008.

Pour lui, le meilleur exemple de ces progrès pacifiques était la rencontre historique, à Singapour, le 7 novembre, entre le successeur de Tchang Kai-chek et celui de Mao, tous deux en position de chef de leur exécutif et respectueux l’un de l’autre. A cet égard, croyant à la sagesse des Taïwanais dont il estime que l’hostilité envers le KMT n’est que passagère et due à des maladresses de politique intérieure, il a affirmé que, si son parti restait au pouvoir, la relation continuerait entre Taipei et Pékin sur le même mode, toujours plus apaisé et au bénéfice des deux rives, articulée autour de l’institutionnalisation des réunions au sommet.

Pour Thomas Finger, expert de Taïwan à l’Université de Stanford, en se tenant en territoire neutre, la rencontre de Singapour a non seulement créé un précédent, mais elle a aussi diffusé le sentiment qu’un dialogue d’égal à égal était possible. Finalement, elle a renforcé la position de l’exécutif taïwanais quel qu’il soit. Désormais, ajoute Finger, Pékin aura du mal à considérer Taïwan comme une province, de même qu’il sera difficile de qualifier « d’illégitimes » tous ceux qui n’adhèrent pas au « Consensus de 1992 ». Pour d’autres cependant, la rencontre était une manœuvre de la dernière chance pour tenter de redresser l’audience du KMT à Taïwan.

Ma Ying-jeou a, lui aussi, argumenté sur les risques probables d’une victoire du DPP. Le 29 décembre, au cours d’une cérémonie officielle avec les militaires, il a accusé Tsai Ing-wen de mettre en danger sa politique d’ouverture diplomatique ayant permis le triplement du nombre de pays (de 54 à 158) qui dispensent les Taïwanais de visa d’entrée. Quelques jours avant, Alex Tsai, député KMT avait créé une émotion dans la classe politique en affirmant que 18 pays ayant des relations diplomatiques avec Taïwan, mais qui doutaient de la capacité de Tsai à garantir une relation apaisée dans le Détroit, se préparaient à changer de camp et à reconnaître la Chine.

Les limites de la connivence entre Pékin et le KMT.

Sans surprise, Pékin est intervenu dans le débat sur le même mode de mise en garde, en y mêlant des menaces non voilées. Dans son message de nouvel an aux Taïwanais, le 31 décembre au soir, Zhang Zhijun, en charge au politburo des relations avec l’Île, a anticipé que 2016 placerait la situation dans le Détroit en face d’un « défi complexe », tout en espérant que la tendance d’apaisement initiée en 2008 restera vivace et que ses acquis ne seront pas dilapidés.

Mais la symétrie des positions de Pékin avec celles du KMT s’arrête quand le Parti Communiste laisse planer l’usage de la force. Dans sa conclusion, Zhang a rappelé la détermination chinoise « solide comme un roc » à s’opposer « aux menées indépendantistes qui prétendent saboter la paix et la stabilité dans le Détroit et menacer l’intégrité du territoire chinois. »

Au demeurant, l’arrière plan de représailles militaires est une constante et une réalité qui continue d’obscurcir le paysage du rapprochement politique. Méfiants à l’égard d’un apaisement dont chacun sait qu’il cache un projet de réunification rampante, les Taïwanais ne l’oublient pas, mais c’est bien parce qu’ils n’ont aucune prise sur cette menace que la proximité stratégique avec Washington périodiquement rappelée par les ventes d’armes est pour eux d’une importance capitale.

Lors de sa rencontre historique avec Xi Jinping à Singapour, Ma Ying-jeou qui, dans son projet de relations dans le Détroit, avait fait du démantèlement de l’arsenal de missiles braqués contre l’Île, une condition préalable aux négociations politiques, a évoqué la question. Mais le n°1 chinois l’a éludée en affirmant que les lanceurs, pourtant repérés par satellite, n’avaient aucun lien avec Taïwan [3].

La position de la Chine et celle du KMT s’écartent également quand Pékin condamne fermement la vente d’armes à l’Île, alors que, pour les hommes politiques taïwanais, elles sont une assurance contre les tentations chinoises de la force, jamais complètement exclues.

A l’occasion, Pékin et l’APL qui connaissement l’impact de menaces militaires directes sur la sérénité politique des Taïwanais, ne se privent pas d’entretenir la psychose d’une ingérence militaire directe, avec en arrière pensée l’idée d’influer sur les élections, ce dont ils accusent les États-Unis, quand ils vendent des armes à l’Île.

En mai et juillet 2015, l’APL a organisé plusieurs exercices de combat plus ou moins directement dirigés contre Taïwan, auxquels ont répondu des manœuvres de l’armée taïwanaise. En mai, une émission de la télévision chinoise a présenté un exercice montrant un officier de l’APL dans un briefing face à une carte de l’Île.

Alors que les sondages laissent de plus en plus prévoir une victoire de Tsai Ing-wen, une manœuvre en Mongolie intérieure dont les images ont été diffusées sur CCTV le 5 juillet, mettait en scène des soldats de l’APL attaquant un immeuble qui était une maquette grandeur réelle de la présidence taïwanaise à Taipei.

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A 15 jours du scrutin, le Détroit est encore dans l’œil du cyclone et sous le coup de la rencontre historique du 7 novembre à Singapour entre Xi Jinping et Ma Ying-jeou dont les hommes politiques calculent l’impact. L’accalmie pourrait se prolonger jusqu’au 20 mai, date officielle de la prise de fonction du nouveau président.

Après quoi, si Tsai est élue, 2 cas sont à considérer. Si le DPP manquait de conquérir la majorité absolue au Yuan législatif en dépit d’une opinion publique, notamment celle de la jeunesse, hostile au KMT, la nouvelle présidente sera confrontée à un sérieux contrepoids qui handicapera ses initiatives les plus redoutées par Pékin.

En revanche, si le parti indépendantiste gagnait la majorité absolue, Tsai aurait les mains plus libres, mais sera placée sous la pression de Pékin qui tentera de lui faire comprendre par tous les moyens le danger de s’aventurer trop loin sur la voie de la rupture politique. Washington, pour sa part fera tout pour qu’elle reste dans les limites de la « préservation du statu-quo » qu’elle a elle-même fixées, en contraste avec ses positions plus radicales de 2012. Dans les deux cas, la nouvelle Présidente serait tenue à longueur de gaffe, tant qu’elle ne reconnaîtra pas le « Consensus de 1992 » de l’existence d’une seule Chine.

A l’intérieur il lui faudra gérer les exigences des indépendantistes radicaux de son parti et celles du très extrémiste « Taïwan Solidarity Union » 台湾团结联盟, (8,5% des voix aux législatives de 2012) dont les critiques ont cependant perdu de leur force depuis que le père spirituel du parti, Lee Teng-hui, a récemment été sévèrement critiqué pour s’être référé au Japon comme l’ancienne puissance coloniale l’Île (1895 – 1945) et avoir vilipendé les célébrations taïwanaises des 70 ans de la victoire de 1945 contre le Japon comme l’expression d’un mensonge destiné à courtiser Pékin et à harceler le Japon [4].

Dans un environnement devenu plus fluide, la paix dans le Détroit dépendra de la hauteur de vue des dirigeants et de leur capacité à résister aux émotions nationalistes et aux affichages agressifs, attisés aux États-Unis par les surenchères du scrutin présidentiel et en Chine par les tendances chauvines de l’opinion qui font le lit des catastrophes, qu’au fond, Pékin, Taïwan et Washington souhaitent éviter, en faisant cependant le moins de concessions possibles.

Indice de cette attention commune aux risques de dérapages, le 29 décembre, en application d’une décision prise lors de la rencontre de Singapour, Pékin et Taipei ont, pour la première fois de l’histoire du Détroit, mis en service une ligne de « téléphone rouge » destinée à éviter un accident militaire, par laquelle Zhang Zhijun et son homologue dans l’Île, Andrew Hsia ont échangé des vœux de nouvel an.

L’événement venait tout juste un mois et demi après un geste de bonne volonté de Pékin qui, en échange de la libération par Taipei de l’espion chinois Li Zhizhao, avait, à la mi-octobre, accepté de libérer Chu Kung-hsun et Hsu Chang-kuo, deux officiers taïwanais appartenant aux services de renseignements de l’Île, arrêtés en 2006 au Vietnam pour espionnage et condamnés à la prison à vie en Chine.

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NOTES de CONTEXTE

Relations Chine, Taïwan, États-Unis.

Février 1972 : poignée de main historique entre Mao et Nixon qui donna lieu au Communiqué de Shanghai, 7 années avant l’établissement des relations officielles entre Washington et Pékin.

Les relations entre Washington, Pékin et Taipei sont encadrées par 2 textes : le Taïwan Relations Act – TRA - (1979) et 3 communiqués conjoints sino-américains (1972, 1979, 1982.)

Le premier est une obligation de droit interne votée par le Congrès en 1979, année de la reconnaissance de la Chine populaire par Washington. Son but était de rassurer Taïwan sur la détermination des États-Unis à protéger l’Île contre une agression militaire chinoise.

Les articles de la section 2 de la loi énoncent que la décision de Washington de reconnaître la Chine Populaire repose explicitement sur l’espoir que l’avenir de l’Île sera déterminée pacifiquement et que tout autre moyen d’influencer la politique intérieure taïwanaise (embargo, boycott, menaces directes pouvant perturber la stabilité de la zone pacifique) constituerait un sérieux motif de préoccupation pour les États-Unis.

Dans ce contexte, les articles 5 et 6 autorisent la vente d’armes défensives à Taïwan et préconisent que les États-Unis se donnent la capacité de résister à l’usage de la force ou à toute forme de pressions coercitives pouvant menacer la sécurité ou le système socio-économique du peuple taïwanais. L’article 3 de la section 2 rappelle que l’objectif des États-Unis est de préserver et de développer les droits de l’homme à Taïwan.

La section 3 affirme que Washington mettra à la disposition de l’Île les équipements de défense et l’assistance militaire jugés nécessaires au maintien de la capacité d’auto-défense de Taïwan. Il stipule que le Président et le Congrès, assistés des autorités militaires américaines, sont juges de la nature et de la quantité des équipements de défense nécessaires à l’Île, ajoutant que le Président est tenu d’informer rapidement le Congrès de toute menace directe contre l’Île ou contre les intérêts américains et qu’il revient à la Maison Blanche et le Congrès de déterminer la riposte la plus appropriée à une telle menace.

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Quant aux « 3 communiqués conjoints » signés avec Pékin, ils sont plus proches de déclarations d’intention que d’accords formels.

Le premier (1972) – ou « Communiqué de Shanghai » signé par Nixon et Mao en pleine guerre du Vietnam sous l’égide de Kissinger touchait à la sécurité en Asie en général (y compris au conflit coréen et à la querelle territoriale entre l’Inde et le Pakistan) et spéculait sur la possibilité que les États-Unis retirent leurs forces d’Indochine en échange de la promesse de la Chine et du Viet-Minh que les peuples puissent librement déterminer leur destin et leur système politique.

Sur les relation sino-américaines, en dépit des contrastes idéologiques et socio-économiques de leurs systèmes politiques, le communiqué affirmait la volonté partagée des deux de progresser vers une normalisation et la coexistence pacifique marquée par le respect réciproque, le refus de l’usage de la force et de toute tentation hégémonique en Asie.

Le Communiqué de 1979 était la mise en œuvre du « Communiqué de Shanghai ». Il reconnaissait la République Populaire comme le seul gouvernement légal de la Chine en même temps que l’existence « d’une seule Chine, dont Taïwan était une partie » En même temps, il affirmait que Washington maintiendrait des relations commerciales et culturelles informelles avec Taïwan.

Le Communiqué de 1982 répète la reconnaissance de la Chine par les États-Unis ainsi que le principe de la souveraineté de Pékin sur Taïwan, en même temps que la persistance des liens culturels et économiques informels de Washington avec Taipei.

Surtout, il évoque la question non réglée en 1979 des ventes d’armes américaines à l’Île et vient en réponse à la proposition chinoise en 9 points du 30 septembre 1981 du Maréchal Ye Jianying, Président de l’ANP (qui deviendra une proposition en 8 points élaborée en 1995 par Jiang Zemin), suggérant l’application à Taïwan du principe « Un pays deux systèmes » pour tenir compte des spécificités de l’Île.

Lire A policy of « one country, two systems » on Taiwan

Le point 6 du communiqué précise que la politique de vente d’armes à Taïwan ne sera pas une disposition appelée à durer, que les livraisons n’excéderont pas – en quantité et en qualité – le niveau des livraisons effectuées depuis 1979 et qu’elles seront progressivement réduites jusqu’à disparaître à la résolution à terme de la question de Taïwan.

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Ventes d’armes américaines à l’Île.

Depuis 1979, la politique américaine sur les vente d’armes à Taïwan est placée sous les pressions contraires du rapprochement entre Washington et Pékin qui incite à la modération et, à l’inverse, de celles des lobbies taïwanais et des industries d’armement qui, arguant de la montée en puissance militaire de la Chine poussent à augmenter le niveau et la quantité des équipements livrés à l’Île.

Dans ce contexte, la Maison Blanche est régulièrement sommée par le Pentagone et le Congrès de vendre à Taïwan des équipements de premier rang tels que les chasseurs de combat modernes.

Mais, anticipant les sévères perturbations qu’une telle décision provoquerait dans les relations sino-américaines déjà secouées par d’autres controverses, Washington a presque toujours résisté. Depuis la vente à Taïwan en 1992 par Georges Bush père de 150 F-16 A/B – [5] aucun président n’a franchi ce pas. Dans un article paru en janvier 2014, dans The Diplomat, Shannon Tiezzi notait que l’administration avait, au contraire, toujours opté pour des solutions moins sensibles.

Ainsi, en dépit d’une puissante campagne des Républicains, de la déception taïwanaise, assortie des analyses stratégiques faisant état d’une modification alarmante du rapport de forces en faveur de Pékin et du vieillissement de la flotte des avions de combat taïwanais, en 2011, l’administration Obama avait préféré passer un accord avec Taipei pour moderniser les vieux F-16 A/B.

La réalité est qu’à Washington, la variable chinoise est un facteur déterminant de la relation avec Taïwan et que la tolérance chinoise dépend de la nature des ventes [6]. Les embarras sont perceptibles dans les discours assez souvent contradictoires que l’administration américaine tient aux interlocuteurs de part et d’autre du Détroit.

Ainsi après le Communiqué de 1982 qui, pour rassurer Pékin, anticipait une réduction progressive des livraisons d’armes, la Maison Blanche avait cédé à la pression inverse de l’Île et accepté de lui donner « les 6 assurances » réclamées par Taipei.

Ses contours dessinent le dilemme sino-taïwanais de Washington, soucieux à la fois de ne pas compromettre ses relations avec Pékin et de rester fidèle aux engagements pris avec Taïwan.

Les États-Unis « assurent » : 1) qu’ils ne fixeront pas à priori une date mettant fin aux livraisons d’armes ; 2) Qu’ils n’abaisseront pas le niveau des garanties du TRA ; 3) Qu’ils ne consulteront pas la Chine avant leurs décisions de livrer des armes ; 4) Qu’ils ne se poseront pas en arbitre de la relation dans le Détroit ; 5) Qu’ils n’exerceront aucune pression sur l’Île pour qu’elle entame des négociations politiques avec la Chine et qu’ils ne modifieront jamais leur position selon laquelle l’avenir de l’Île devrait être déterminé pacifiquement par les Taïwanais eux-mêmes ; 6) Qu’ils ne reconnaîtront pas formellement la souveraineté de la Chine communiste sur Taïwan.

Au demeurant, même si la dernière livraison n’est pas de nature à bousculer le rapport de forces, quand on examine la liste des équipements autorisés à la vente par Washington au cours des années, on constate que la panoplie n’est pas de pure forme.

Dans les circonstances actuelles où la rivalité stratégique sino-américaine s’exacerbe en Mer de Chine et sur d’autres sujets, tandis que la question a une forte résonance de politique intérieure, il est peu probable que Washington abandonne le levier de pression que constitue la vente d’armes à Taïwan.

Depuis 2000 et sans compter la dernière vente qui fut, il est vrai, à un niveau nettement au-dessous de celles de 2010 et 2011 estimées au total à 9 Mds de $, les équipements vendus par les États-Unis vont des avions de patrouille maritime anti-sous marins P-3C, aux destroyers lances missiles de la classe Kidd (anti-sous marins et anti-aériens, entrés en service en 1981) en passant par les missiles antiaériens Patriot et les hélicoptères d’attaques Apache et de liaison Blackhawk.

Note(s) :

[1Les mesures auraient un effet réduit, les groupes de l’industrie de défense étant, soit frappés par l’embargo américain en Chine, soit à ce point impliqués dans les projets aéronautiques civils de Pékin que des sanctions heurteraient d’abord les intérêts chinois.

C’est le cas de Lockheed Martin et de Raytheon, les principales sociétés impliquées dans les dernières ventes d’armes. Par le biais de sa filiale Sirkoski récemment acquise, le premier vend des hélicoptères et procède à des transferts de technologies auxquels AVIC tient beaucoup. Le deuxième procure une expertise technique en parallèle des ses ventes d’équipements de contrôle aérien.

Selon Zhou Jisheng, un ingénieur en retraite du secteur de l’aérospatiale et un des concepteurs de l’ARJ-21, il est peu probable que la Chine applique des sanctions à des sociétés dont les transferts de technologies dans les domaines des sytèmes électroniques et des moteurs sont essentiels pour le développement de l’aéronautique chinoise.

(voir notre article La coopération internationale, condition du succès à venir du C 919).

[2L’opinion taïwanaise est à la fois très complexe et très vulnérable aux perspectives de nouvelles tensions graves dans le Détroit. Immédiatement après la rencontre entre Ma Yin-jeou et Xi Jinping, le 7 novembre dernier, un sondage réalisé auprès d’un échantillon de plus de 1300 personnes signalait non seulement une nouvelle chute de l’audience d’Eric Chu, crédité de seulement 21,1% de soutiens, mais également un sérieux recul du pourcentage des opinions favorables à Tsai Ing-wen à 32,7% soit près de 16% de moins que les sondages précédents.

[3La question des missiles est compliquée par le fait que leur déploiement est mobile et que l’augmentation des portées et de la précision des lanceurs à laquelle la Chine travaille sans relâche, rend difficile la désignation de ceux spécifiquement dédiés à la menace contre Taïwan.

[4Publié dans un journal japonais, le commentaire de Lee Teng-hui (92 ans), ancien lieutenant d’une unité anti-aérienne de l’armée japonaise à Taïwan et président du KMT et de la République de 1988 à 2000, date à laquelle il fut exclu du Parti, souleva des protestations indignées de part et d’autre du Détroit. Même si elles mettent gravement en porte à faux l’ancien Président dont le passé japonais est mis sur la place publique, ses remarques n’en sont pas moins exactes. Les Taïwanais, alors sous la domination japonaise, n’ont pas participé à la guerre contre le Japon.

[5Au passage, ce contrat permit la vente à Taïwan par la France de 60 Mirages 2000-5 et de 6 frégates Lafayette, dans un contexte politique où Pékin était, après la répression de Tian An-men, en position internationale fragile sur la question des droits de l’homme, également un des points d’achoppement de la relation Chine – Taïwan.

[6En 2011, le Général Chen Bingde alors chef de l’état-major général de l’APL avait affirmé que les conséquences politiques des ventes d’armes dépendraient de la nature des équipements vendus, laissant entendre que les avions de combat constituaient une « ligne rouge ». En 2012, Cui Tiankai actuel ambassadeur aux États-Unis et son collègue diplomate, Pang Hanzhao, avaient écrit un article dans la version chinoise de la Revue Stratégique, dans lequel ils affirmaient que la question la plus sensible de la relation sino-américaine était celle des ventes d’armes à Taïwan.

 

 

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