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Chine – Europe. La guerre de l’acier et le statut d’économie de marché

Le 15 février des milliers d’ouvriers des aciéries européennes ont protesté devant le siège de l’UE à Bruxelles pour prévenir l’attribution du statut d’économie de marché à la Chine qui interdirait d’appliquer des taxes aux importations d’aciers chinois.

Les relations entre l’Union Européenne et la Chine viennent à nouveau d’entrer dans des eaux d’autant plus agitées que les deux géants commerciaux sont aux prises avec les difficultés socio-économiques du ralentissement de leur croissance. L’objet de la controverse est l’attribution ou non par Bruxelles à la Chine du statut d’économie de marché. La décision maintes fois étudiée par la Commission européenne et toujours ajournée a, cette fois encore, été reportée. Mais en Chine l’impératif d’expansion à l’extérieur est devenu une exigence pour les grands groupes menacés d’asphyxie par un marché domestique atone.

L’ouverture de marchés, une nécessité vitale pour les groupes chinois…

La quête de la Chine pour le statut d’économie de marché qui date de 2003, n’est pas nouvelle. Mais aujourd’hui, alors que le pays doit faire face à une longue série d’accusations légales ciblant ses pratiques de dumping et que l’exportation est devenue vitale pour ses grands groupes en difficulté accablés par d’importantes surproductions, la levée des barrières commerciales devient critique. En contrepoint en Europe de l’ouest post-industrielle, la perspective que les productions chinoises inondent sans limites le marché européen soulève des protestations de survie des vieilles industries comme celle de l’acier.

…contre les protestations de la sidérurgie européenne.

Ces derniers mois, l’arrivée en Europe d’acier chinois aux prix cassés [1] a mobilisé des protestations en Grande Bretagne, en France et en Italie créant une situation politique tendue qui s’invite dans le débat, désormais ponctué par une campagne publique pour la protection des emplois européens. En arrière plan, monte la crainte des élites européennes face à l’audience grandissante des partis d’extrême droite qui trouvent des alliés d’opportunité dans la mouvance adverse d’extrême gauche. En janvier Tata Steel Europe, le plus gros aciériste britannique annonçait plus de 1000 licenciements qui s’ajouteront au 4000 d’octobre 2015.

Le 15 février dernier, des milliers d’ouvriers ont manifesté à Bruxelles dessinant l’ampleur des controverses à venir entre, d’une part, la Commission tentée par un compromis avec la Chine elle-même soutenue par les industries européennes intéressées par les faibles coûts des importations chinoises et d’autre part les ouvriers européens de l’acier. Récemment Karl-Ulrich Köhler PDG de Tata Steel a prévenu que la compétition avec l’acier chinois subventionné par Pékin devenait impossible.

En septembre 2015, un rapport de l’Institut d’économie politique basé à Washington ajoutait de l’huile sur le feu en affirmant qu’une décision unilatérale d’accorder le statut d’économie de marché à la Chine mettrait en danger entre 1,7 millions et 3,5 millions d’emplois. La Commission Européenne calmait le jeu en minimisant les pertes d’emplois possibles à moins de 300 000, mais assurait que les mesures légales contre le dumping chinois allaient s’intensifier.

Mais l’acier européen n’est pas le seul a être frappé par la crise. En Chine le secteur est en proie à un sévère désarroi, marqué par des pertes importantes, l’accumulation de dettes et des perspectives de fermetures et de licenciements en série.

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Protestation de Pékin et marasme des aciéristes chinois.

Selon les chiffres officiels, les surplus de l’industrie de l’acier chinoise atteignent plus de 150 millions de tonnes (mais la réalité des surplus pourrait approcher les 350 millions de tonne, soit le double de la production européenne) pour une production de 800 millions de tonnes (48% de la production mondiale) et une capacité totale de production d’un milliard de tonnes dont une partie a été générée lors de la relance en 2008 – 2009.

Les réactions européennes ont provoqué une riposte du ministre du commerce chinois exprimant son souci que Bruxelles « se conforme strictement aux règles de l’OMC et fasse preuve de prudence et de mesure ». Mais en arrière plan pèse la mauvaise situation de l’acier en Chine. Le 16 février dernier le magazine Caixin publiait un long article sur la survie d’un secteur confronté au freinage de l’économie.

A l’origine, la faiblesse de la demande interne et les efforts du pouvoir chinois pour limiter la pollution. Résultat, en 2015, plus de 50% des aciéristes ont fait état de pertes évaluées à 64,5 Mds de Yuan (9 Mds d’€). Au Henan, le groupe public Anyang Iron (安阳 铁) cité en exemple dont la production atteint 10 millions de tonnes, accuse des pertes depuis 2012.

En janvier, rencontrant les officiels du Shanxi et les PDG du secteur à Taiyuan, Li Keqiang a répété la nécessité de réduire les surproductions, un des objectifs prioritaires énoncés par la conférence économique centrale de décembre et le 13e plan approuvé lors du 5e plenum en octobre. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et balisent un avenir heurté à moyen terme, en même temps qu’ils expliquent la priorité chinoise accordée aux projets des nouvelles « routes de la soie » destinés à projeter les surproductions des grands groupes à l’extérieur.

En 2015, la production chinoise d’acier brut a atteint 800 millions de tonnes (48% de la production mondiale), mais dont seulement 664 millions de tonnes ont été consommés par le marché intérieur, la capacité totale de production du secteur dépassant le chiffre astronomique d’un milliard de tonnes.

Plus alarmant encore, Li Chuangxin, Directeur du centre de recherche des industries métallurgiques prévoit que d’ici 2030, la consommation interne chutera de 24% pour stagner à 500 millions de tonnes. Viennent ensuite les contradictions qui dessinent également les limites de la réforme de structures des vieilles industries lourdes traditionnelles. Le groupe Anyang qui compte 30 000 employés, ce qui le classe dans la catégorie des aciéries de taille moyenne dont les comptes sont plombés par un ratio de dettes de 80%, n’a pas ralenti sa production ni réduit ses effectifs espérant toujours un rebond du marché.

Mais tout indique que ce dernier ne se produira pas dans un paysage plombé par les excès de dettes (le ratio est de 70 % pour plus 2 aciéristes sur 3 et de 80% pour 20% des groupes), à quoi s’ajoutent des profits en chute libre. En 2015, Anyang a enregistré 1,28 Mds de Yuan pertes (176 millions d’€).

Il n’est pas le seul. 70% des aciéristes ont accusé des pertes en 2015, tandis que le total de dettes du secteur atteint 300 Mds de Yuans (41 Mds d’€). Mais le marasme est entretenu par le dumping des prix pratiqués par certains qui, pour se tailler une part du marché dans la jungle de la concurrence domestique commercialisent leur production à perte, tandis que les administrations locales tiennent la tête des groupes mal gérés hors de l’eau par des subventions.

Dans ce contexte morose, la conquête des marchés européens et américains par les mêmes pratiques de dumping apparaît comme une porte de sortie à certains qui renâclent à se restructurer ou à se regrouper avec d’autres pour des économies d’échelle. Mais la stratégie, forcément à court terme, porte en elle le risque d’attiser des tensions politiques avec l’Europe.

La bonne nouvelle est que, début février, le gouvernement a annoncé son intention de réduire sa production de 150 millions de tonnes dans les 5 années qui viennent.

Controverses au sein de l’UE.

Cette note ne serait pas complète si elle ne faisait pas le point des controverses internes à l’UE où, au milieu du raidissement des aciéristes et du parlement européen, d’autres voix - notamment à la Commission, favorable à un compromis, en Allemagne et en Grande Bretagne tous les deux fortement engagés sur le marché chinois -, sont favorables à l’attribution rapide du statut d’économie de marché à la Chine.

Enfin, par dessus les désaccords, surnage un puissant malentendu lié à l’interprétation des conditions d’accès de la Chine à l’OMC en 2001. Selon les juristes de la Commission, dont l’interprétation est la même que celle de la Chine, la section 15 du protocole d’accès à l’OMC stipulerait qu’à compter du 11 décembre 2016, Pékin devrait pouvoir bénéficier automatiquement du statut d’économie de marché.

Mais cette lecture du texte est contestée par un large éventail d’acteurs en Europe, aux États-Unis, au Canada au Moyen Orient qui réfutent l’automaticité et continuent à soumettre l’attribution du statut à la Chine aux critères suivants qu’à l’évidence la Chine ne remplit pas :

1) Une faible intervention de l’État dans l’allocation des ressources et dans les décisions des entreprises ; 2) une claire transparence des opérations des entreprises privées ; 3) l’existence de règles de gestion des entreprises avec un rôle réel des conseils d’administration ; 4) l’existence de lois garantissant le fonctionnement libre du marché (lois sur les faillites, sur la protection des droits de propriété, sur les monopoles) ; 5) l’existence d’un secteur financier transparent (indépendance de la bourse, autonomie commerciale des banques et libre concurrence entre elles).

Le débat s’est bruyamment invité au parlement européen à la session plénière de février et reviendra à la surface lors de la session des 8 et 9 mars prochains à Strasbourg. En lice, les aciéristes et les députés européens favorables à un attitude intraitable pour contrer le dumping chinois, face à la Commission appuyée par Londres et Berlin, tous trois réticents à créer des tensions avec la Chine et adeptes d’une démarche politique plus souple.

Quoi qu’il en soit, toute décision dans laquelle la Commission n’aura qu’un rôle consultatif, sera soumise à l’approbation du parlement et des États membres. Pour l’heure, les principaux appuis de la Chine sont la Commission, Londres et Berlin. Mais l’approche des élections fédérales de 2017 en Allemagne et le referendum britannique sur la sortie de l’UE sont de nature à exercer une pression contraires sur la décision, dans un contexte de politique intérieure où un appui direct à la Chine par les pouvoirs publics sera plus difficile.

Une autre carte sauvage est celle de Washington qui, fin décembre, s’est invité dans le débat en mettant en garde Bruxelles contre l’afflux des produits chinois bon marché. Suspectant la Commission et certains européens de rechercher les faveurs politiques de Pékin pour attirer des investissements, l’administration américaine a prévenu l’EU que l’accès libre de l’acier chinois au marché européen reviendrait à baisser dangereusement la garde contre une offensive commerciale illégale.

Note(s) :

[1En Europe, les importations d’acier chinois sont passées de 4,5 millions de tonnes en 2014 à 7 millions de tonnes en 2015. Il s’en est suivi une sévère pression sur les prix de l’acier mondial. Après un pic de 2012 à 900 $ la tonne ces derniers sont retombés au plancher de 592 $/tonne en février 2015, voisin de celui de 2009. Selon Tata steel, en Europe les prix de l’acier laminé à chaud tomberont à 267 $/tonne en 2016, soit une baisse moyenne de 13,5 %.

En novembre 2015, 9 groupes industriels de l’acier aux États-Unis, au Canada, au Brésil, au Mexique et en Europe pointaient du doigt la responsabilité de la Chine dont les surcapacités et les exportations d’acier à prix cassés ajoutaient au marasme du secteur.

 

 

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