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›› Editorial

Les embarras politiques des « Panama Papers »

De gauche à droite, Xi Jinping, n°1 du Parti, Zhang Gaoli, n°7 vice-premier ministre en charge des restructurations industrielles et Liu Yunshan n°5, maître de la propagande du régime, sont les personnalités chinoises indirectement impliquées à travers leurs liens familiaux par les « Panama Papers ».

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Selon le site China Digital Times, créé et tenu par des Chinois expatriés aux États-Unis très connectés avec la bureaucratie du régime, le 4 avril dernier, une note interne émanant du département de la propagande, relayée par des directives orales disait ceci « détectez et supprimez immédiatement tous les rapports en ligne ou documents imprimés sur les Panama Papers (…). N’en faites pas le commentaire (…). Les sites web chinois qui relaieraient des attaques étrangères contre la Chine sur ce sujet seront sévèrement sanctionnés ».

Une autre consigne, cependant moins pressante, enjoignait de supprimer aussi les articles mentionnant les liens de Vladimir Poutine avec les documents rendus publics par une fuite émanant du cabinet d’avocats d’affaires panaméen Mossack Fonseca.

L’indiscrétion, répétition de l’épisode de « Wikileaks » dévoile les comptes secrets bancaires passés ou présents d’une longe série de personnalités et de responsables politiques connus soupçonnés d’avoir voulu cacher leurs fortunes au fisc et à l’opinion publique de leur pays. La liste concerne des chefs d’États et de gouvernements en fonction ou à la retraite et près de 150 personnalités d’une quarantaine de pays allant de l’Algérie à la Syrie en passant par la France, la Russie, l’Angleterre et la Chine.

Si on adopte le critère de l’importance politique des personnalités mentionnées, encore au pouvoir ou à la retraite directement impliquées, pour l’instant et sous réserve de dévoilements ultérieurs, les pays les plus touchés sont l’Arabie saoudite et le Maroc (Les deux souverains sont impliqués) l’Argentine, les Émirats, l’Islande, l’Ukraine, (les présidents en fonction), la Grande Bretagne (le premier ministre), la Géorgie, l’Irak, la Jordanie, la Moldavie, le Qatar, le Soudan et l’Ukraine (anciens premiers ministres) [1]

A noter que le palmarès sulfureux ne mentionne pas d’Américain et que, parmi les 28 pays de l’UE, seuls la France, l’Angleterre, la Hongrie, la Pologne, la Grèce, Malte et l‘Italie figurent sur la liste.

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Les liens familiaux du Politburo sur la sellette.

En Chine, les personnalités citées par la fuite sont directement liées au sommet du pouvoir, mais sans que, pour l’instant, les membres du bureau politique soient eux-mêmes impliqués. Sur la liste apparaît en bonne place le Français Patrick Henri Devillers, proche de Gu Kailai, épouse de Bo Xilai, condamnée à mort avec sursis pour le meurtre du consultant anglais Neil Heywood (lire notre article La sulfureuse saga de la famille Bo).

A ses côtés, Deng Jiagui, époux de Qi Qiaoqiao, la sœur aînée du président Xi Jinping, des proches de Liu Yunshan et Zhang Gaoli n°5 et 7 du Comité permanent, Zeng Qinghuai, frère de l’ancien vice-président Zeng Qinghong, Jasmine Li, petite fille de Jia Qinglin ancien Président de la Conférence Consultative du Peuple Chinois et Li Xiaolin fille de l’ancien premier ministre Li Peng connue pour l’emprise qu’elle a longtemps exercée, grâce à son père, sur le secteur de l’énergie électrique.

Enfin, selon le Guardian, la Chine et Hong-Kong sont les sources du plus grand nombre d’affaires traitées par le cabinet Mossack Fonseca qui dispose de 8 bureaux en Chine, avec 40 000 sociétés du Continent ou de la R.A.S titulaires de comptes secrets dont 25% seraient toujours actifs en 2015.

Pour l’heure et en dehors des brutales mesures de censure, la réaction officielle du régime est le déni et l’accusation de complot contre la Chine. Le 5 avril, lors de la conférence de presse Waijiaobu, Hong Lei a, sans y répondre, balayé la question qui ne figurait pas dans le compte-rendu final de la séance.

En même temps, le Global Times suggérait que de « puissantes forces à l’origine de la fuite menaient contre la Chine un combat idéologique articulé autour de la désinformation » utilisée, disait l’article, « par l’Ouest contre les élites non occidentales de la planète ». Rappelant la vaste organisation d’espionnage planétaire mise sur pied par la NSA, également mise à jour par une fuite massive, le journal avait beau jeu de désigner les États-Unis comme le principal artisan occulte de la manœuvre anti-chinoise.

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Il reste que la vigilante férocité de la censure et les menaces de représailles sont homothétiques de la sensibilité de l’épisode. Pour le régime et son oligarchie sur qui pèse toujours l’accusation populaire de détournement des fruits de la croissance au détriment des Chinois, la révélation que 3 membres en fonction du comité permanent sont concernés, même indirectement au travers de liens familiaux, par une affaire de comptes secrets, recèle un potentiel d’ébranlement de la crédibilité politique et morale de l’appareil.

Le complexe social des « fils de princes ».

A gauche Jasmine Li à côté de son grand-père Jia Qinling, à droite Li Xiaolin et son père Li Peng. Avec les 3 membres du Politburo cités plus haut et Zeng Qinghong, ancien vice-président impliqué par son frère Zeng Qinghuai, ils sont les personnalités chinoises les plus connues ciblées par la fuite des Panama Papers.(Photo The Guardian)

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Au sommet du Parti se mêlent à la fois la conscience d’un risque interne identifié par des observateurs chinois eux-mêmes et le complexe des « fils de prince » de la 5e génération de dirigeants qui se savent accusés par les oubliés de la croissance d’avoir accaparé les richesses au lieu de les redistribuer. Pour illustrer le sentiment d’urgence qui tenaille les dirigeants, on citera deux auteurs chinois. Le premier est très critique de la fermeture politique, précisément la voie choisie par Xi Jinping qui considère l’ouverture de Gorbatchev ayant précipité la chute de l’URSS comme un repoussoir.

A la veille du 18e Congrès, à l’automne 2012, Zhang Lifan ancien sociologue de l’Académie des Sciences Sociales, mettait déjà en garde : « Si la prochaine génération de dirigeants ne pousse pas les feux des réformes politiques lors de son premier mandat de 5 ans, il sera trop tard (…). Soit le Parti accepte des réformes politiques, soit il disparaîtra dans 10 ans ». Peu après son accession au pouvoir, Xi Jinping lui-même avait évoqué la chute du Parti s’il manquait le coche des réformes.

Mais à partir de 2013, le Président, l’œil rivé sur la stabilité politique et la prévalence du Parti, a d’abord choisi, avec, pour l’heure des résultats mitigés, d’assainir les finances publiques, d’améliorer la productivité par l’innovation et de réduire les gaspillages. Surtout, il a, avec une détermination spectaculaire, engagé une féroce campagne contre la corruption.

Réformes, corruption et lutte de clans

La bataille contre les prévaricateurs avait été lancée à la suite du grave constat exprimé par le sociologue Zhang Musheng, expert en développement rural dans un ouvrage intitulé « Modifier notre approche culturelle de l’histoire 改造 我们的文化历史观 - gaizao women de wenhua lishi guan - », où on pouvait lire : « Aujourd’hui il n’y a pas seulement une collusion entre des bureaucrates corrompus, le capital et des intermédiaires parasites, il y a aussi les dirigeants qui se vendent et la manipulation du pouvoir politique corrompu par des réseaux criminels ».

Les dévoilements en cascade des turpitudes de l’oligarchie par la campagne anti-corruption diligentée par Wang Qishan le président de la Commission Centrale de discipline confirment l’analyse.

Au demeurant, la tête du régime connaissait dans le détail cet effondrement éthique d’une partie de l’appareil puisque Sun Liping, professeur de sociologie à Qinghua qui fut le mentor universitaire de Xi Jinping, décrivait déjà en 2009, trois années avant le 18e Congrès, les risques de décomposition d’une classe de fonctionnaires ayant perdu leurs repères moraux et dont le comportement sans scrupules affaiblissait par son mauvais exemple, l’esprit d’honnêteté et de justice de tout le corps social.

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Aujourd’hui, les dévoilements des Panama Papers jettent une ombre sur l’entreprise de moralisation entreprise par le Président.

Face aux risques d’une lutte de clans fomentée par les féodaux opposés aux réformes opportunément appuyés par les déçus de la moralisation, les seules ripostes possibles restent la censure et la répression, tandis que, mécaniquement, se brouillent les lignes entre l’entreprise de modernisation, le redressement éthique et la répression politique.

Note(s) :

[1Les conséquences politiques internes et internationales de ces révélations sont cependant très différentes en fonction des cultures et de la nature des régimes. Si elles provoquent de fortes secousses en Islande et en Grande Bretagne et d’autres probablement à venir dans les pays ouverts, elles resteront limitées ailleurs.

Le 6 avril, un article de Jeune Afrique écrivait par exemple ceci : “Les Panama Papers ne suscitent guère de scandale au Maroc du fait de la sacralité qui entoure la personne du Roi.“, tandis que le secrétaire particulier de Mohamed VI déclarait que les sociétés avaient été créées en stricte conformité avec les lois en vigueur et que leur existence était signalée dans les registres publics.

En revanche les révélations gênent le régime de Pékin engagé dans une vaste campagne de moralisation de la vie publique et de ses administrations dans un contexte général où la mise à jour de comptes secrets de personnalités liées au pouvoir affaiblit la crédibilité de la campagne anti-corruption.

 

 

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