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›› Editorial

Dialogue de Shangrila. La Chine défie l’Amérique

L’Amiral Sun Jianguo à droite salue le général Nguyen Chi Vinh, vice-ministre de la défense vietnamien. Les relations entre les deux sont tendues. Causes de la brouille : les querelles de souveraineté en mer de Chine du sud notamment à propos des Paracel et de la « ligne en 9 traits » chinoise, la demande d’arbitrage de Hanoi à la Cour de La Haye et la levée de l’embargo américain sur les ventes d’armes au Vietnam.

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Lorsqu’en juin 2002, Lee Kwan Yu le président de Singapour décédé au printemps 2015 avait inauguré le dialogue de Shangrila organisé conjointement avec l’IISS de Londres, nous étions 9 mois après le choc de l’attentat du 11 septembre contre les tours jumelles de New-York, symbole de la toute puissance des États-Unis dont la vision du monde avait calibré la réflexion stratégique depuis la fin du deuxième conflit mondial.

Mais, après avoir souligné les défis du terrorisme et de sa nouvelle dimension planétaire vue par beaucoup comme une brutale contestation de l’ordre américain, le sage de Singapour avait ajouté que, dans les années à venir, l’Asie serait mise sous tension par la rivalité entre les États-Unis et la Chine dans le Pacifique occidental.

A y regarder de plus près, cet antagonisme exprime aussi le rejet d’une organisation de la planète articulée autour d’une hégémonie américaine que Pékin supporte de moins en moins dans ses approches stratégiques directes en Asie de l’Est et en mer de Chine du sud. La colère et l’inconfort de Pékin sont augmentés par la proximité militaire des États-Unis avec la Corée du Sud et avec Manille, mais surtout avec le Japon, rival ancestral de la Chine, tandis que, depuis 10 ans, se dessine un lent rapprochement entre la Maison Blanche et Hanoi.

La rivalité sino-américaine vedette du dialogue.

Suite à l’extension artificielle par la Chine de 7 îlots dans les Paracel et les Spratly, des frégates lance missiles de l’US Navy ont conduit 2 missions dans des eaux réclamées par la Chine, mais non reconnues par la Convention de Montego Bay. Le 27 octobre 2015, l’USS Lassen est entré dans les 12 nautiques autour du récif de Subi (Spratly). Les 30 janvier 2016 l’USS Curtis Wilbur a fait de même autour de l’îlot Triton dans les Paracel. Une troisième mission a été annulée.

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Le rejet de l’influence américaine aux portes de la Chine était le fond de tableau de la dernière session du dialogue de Shangrila à Singapour du 3 au 5 juin. Noyée dans des discours où l’acrimonie a assez souvent percé l’emballage diplomatique, la résistance à Washington exprimée par Pékin lors de cette session avait un arrière plan presque unique, focalisé autour des tensions qui montent en mer de Chine du sud.

Ainsi se cristallise l’antagonisme existentiel entre le vieil empire continental sinisé dont l’influence planétaire augmente et la 1re puissance maritime mondiale à la pensée stratégique toujours articulée autour de la prévalence de son arsenal militaire appuyée par l’idée d’un droit international dont elle affirme être le garant.

En mer de Chine du sud, les deux piliers de cet « ordre » aujourd’hui contesté s’expriment d’abord à travers les patrouilles de navires de guerre américains dans les eaux nouvellement revendiquées par Pékin autour des îlots et récifs élargis par bétonnage, ensuite par le droit de la mer détaillé par la convention de Montego Bay qui nie la légitimité d’eaux territoriales générées par des constructions artificielles.

Surtout, au-dessus des débats, planaient les demandes d’arbitrage adressées à la Cour de La Haye par les Philippines et le Vietnam indignés par les prétentions chinoises à leurs approches et sur l’ensemble de la mer de Chine du sud.

Pékin réfute l’arbitrage par le droit international.

Le 5 décembre 2014, le Vietnam, rompant avec la connivence culturelle sinisée avec la Chine, avait en effet suivi les Philippines pour porter officiellement ses différends maritimes devant un tribunal international établi sous les auspices des Nations Unies.

La requête de Hanoi demande aux juges d’examiner les droits du Vietnam sur les archipels des Paracel et des Spratly ainsi que sur les zones économiques exclusives et les plateaux continentaux rattachés. Elle les invite également à considérer le rejet par le Vietnam de la « Ligne en 9 traits » par laquelle Pékin clame sa souveraineté sur plus de 90% de la mer de Chine. Par cette démarche juridique officielle, le Vietnam devenait, 23 mois après les Philippines, le 2e pays de l’ASEAN parmi les 4 ayant un litige territorial avec la Chine, à demander l’arbitrage de la Cour Internationale.

Le recours vietnamien recoupe en partie celui de Manille posé en janvier 2013 qui affirmait : 1) que la « ligne en 9 traits » par laquelle Pékin s’accaparait virtuellement toute la mer de Chine du sud contrevenait à la Convention des NU sur le Droit de la mer ; 2) qu’en construisant des structures fixes sur certains bancs de sable et rochers submersibles qui ne sont pas des îles, la Chine s’appropriait illégalement des parties du plateau continental des Philippines ou des fonds marins internationaux ; 3) qu’en occupant certains récifs coralliens à fleur d’eau, la Chine interférait avec les droits des Philippines dans sa zone maritime.

Comme elle en a le loisir, la Chine a fait jouer la clause de réserve à la convention du Droit de la mer de Montego Bay qu’elle a ratifiée. Conformément aux articles 297 et 298, la clause autorise Pékin à ne pas accepter l’arbitrage de la cour dans les domaines où elle a, par avance, décliné toute participation au traité, notamment quand le litige porte sur les questions de souveraineté.

Ce qu’elle a officiellement fait le 25 août 2006 par une Note Verbale adressée au Secrétaire Général des Nations Unies. Au passage, cette réalité que peu de commentateurs évoquent, explique les réticences du Congrès des États-Unis à ratifier une convention autorisant ceux qui la signent à s’en exonérer dès qu’elle les met en porte à faux.

Dissonances culturelles. La Cour de la Haye ne fait pas consensus.

Yang Jiechi à gauche ancien MAE, en charge des Affaires stratégiques et Wang Yi ministre des affaires étrangères ont déjà recruté 40 pays soutiens de la Chine contre l’arbitrage de la Cour de La Haye.

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Alors que Pékin rejette à la fois l’influence américaine et une organisation du monde héritée de l’après-guerre dominée par l’Occident et ses principes juridiques d’indépendance des tribunaux qu’elle refuse au nom d’un idéal d’organisation de la puissance publique plus proche du « despotisme éclairé » singapourien que de la démocratie, le renvoi devant une cour de justice internationale indépendante est, pour le Politburo chinois, une occurrence stratégiquement et culturellement inacceptable contre laquelle il tente de rallier le plus de voix possibles.

La riposte de Pékin aux offensives juridiques de Manille et de Hanoi s’organise autour d’une vaste campagne du Waijiaobu orchestrée par Yang Jiechi ancien MAE et responsable des Affaires stratégiques et Wang Yi l’actuel ministre des Affaires étrangères. Les deux battent le rappel de pays acceptant de soutenir la position de la Chine selon laquelle les conflits devraient être résolus non par l’ASEAN ou par une cour de justice internationale, mais par des négociations directes entre les parties.

Ce qui revient, par un contournement des organisations internationales ou régionales, à éloigner encore plus les perspectives d’une gouvernance mondiale et à contraindre Hanoi et Manille à négocier du « faible au fort ».

Pour l’heure, cette manœuvre de contournement n’a eu qu’un succès mitigé, mais elle a tout de même rassemblé une quarantaine de pays allant de la Russie et des pays de Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à l’Afghanistan et au Burundi, en passant par le Niger, le Cambodge et le Laos. Certains, en difficulté économique, acceptent l’aide de la Chine en échange de leur appui dans le conflit juridique avec Hanoi et Manille, tandis que d’autres comme la Russie s’inscrivent avec la Chine dans une contestation globale de l’ordre américain.

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Pékin en première ligne contre Washington.

A Singapour, au cours du week-end du 3 juin, l’amiral chinois Sun Jianguo et l’américain Ashton Carter ont été les vedettes de la 15e édition du « Shangrial dialogue », réplique asiatique de la conférence de sécurité de Munich.

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Au-delà des paroles convenues sur l’importance de la diplomatie et de l’apaisement par la reconnaissance de l’intérêt de tous pour une meilleure sécurité et pour le libre commerce, ces controverses et arrières pensées étaient toutes entières contenues dans les discours des participants et notamment dans ceux d’Ashton Carter le secrétaire d’État à la défense américain et de l’Amiral Sun Jianguo, membre du Comité Central et n°2 de l’état-major général dont le rôle opérationnel direct a récemment été renforcé sous l’égide de la Commission Militaire Centrale.

Carter a décrit une organisation de sécurité de l’Asie Pacifique organisée autour d’une série complexe d’alliances et de réseaux dont la puissance américaine renforcée par la bascule du Pentagone vers le Pacifique occidental décidée par Obama en 2011, est le centre incontesté. « Aucune autre armée » a t-il dit « ne possède autant de maîtrise technique et de capacité de réaction, soutenues par autant d’expérience que l’armée des États-Unis ».

De son côté Sun a récusé la légitimité militaire américaine dans la zone et nié le droit de Washington de s’immiscer dans les tensions autour des conflits de souveraineté dont l’Amérique n’est pas partie prenante. Au contraire, réagissant à l’étalage de la puissance militaire à laquelle s’est livré Carter, il a répété, comme l’avait déjà fait Xi Jinping, que « la Chine ne créerait pas de troubles, mais qu’elle ne les craignait pas ». Plus encore, il a accusé les intrusions navires de guerres américains dans les nouvelles eaux territoriales réclamées par Pékin d’être à l’origine directe des tensions.

Aux mises en garde de Carter qui, après avoir longuement développé la richesse des liens commerciaux, diplomatiques et militaires unissant les États-Unis aux pays de la région, a évoqué le risque d’une possible isolation de la Chine, Sun, piqué au vif, a répliqué en accusant Washington d’entretenir une mentalité de guerre froide destinée à faire obstacle à la montée en puissance de la Chine. Faisant référence à la campagne de recherche d’appuis diplomatiques actuellement menée par Pékin, il a corrigé la vision de Carter d’une Chine sans alliés : « La Chine n’a jamais été isolée, elle ne l’est pas et ne le sera jamais ».

Enfin, quand les États-Unis, suivis par Londres, Paris [1], Ottawa et New-Delhi, s’inquiétèrent des restrictions à la liberté de navigation et du non respect du droit international, l’amiral Sun a, contrairement à l’évidence, nié la moindre entrave au libre passage des navires et réaffirmé que la Chine n’accepterait pas les menaces contre sa souveraineté et ses intérêts de sécurité dans la zone. Jugeant que la démarche des Philippines auprès de la Cour de La Haye « était illégale », Sun a répété que Pékin rejetterait l’arbitrage du tribunal, considérant que la juridiction était incompétente sur les affaires strictement chinoises [2].

Disant cela le représentant chinois faisait cependant mine d’ignorer l’inconfort grandissant provoqué dans la zone par l’extravagance des revendications exprimées par la « Ligne en 9 traits » publiée par Pékin et lui attribuant la souveraineté sur toute la mer de Chine du sud dont l’espace est pourtant plus vaste que la Méditerranée. (Lire à ce sujet l’analyse Mer de chine du sud. Mythes et réalités).

Avis de gros temps.

La Chine reproche aux Etats-Unis de soutenir Manille dans sa demande d’arbitrage au tribunal international de La Haye et d’inciter les petits pays comme les Philippines et le Vietnam à se dresser contre la Chine. Washington et Pékin s’accusent mutuellement de « militariser » la mer de Chine du sud.

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Quoi qu’il en soit, l’arrière plan nationaliste à connotation impériale qui fonde les attitudes chinoises articulées autour des « valeurs asiatiques » de subordination de la justice au pouvoir politique, est aujourd’hui sur une trajectoire de confrontation directe avec les valeurs dites universelles de la démocratie, elles même contestées par de nombreuses autres cultures en Afrique et en Asie et, assez souvent chez nous, suite à de nombreux dérapages et brouillages de ses principes par les médias, les réseaux sociaux et l’abus des sondages, pour ne pas parler des lobbies.

Un orage n’est peut-être pas très éloigné. En amont du dialogue de Shangrila, cherchant à se donner une marge de négociations en cas d’arbitrage contraire de la Cour de La Haye, Pékin a vivement critiqué Manille, tandis que la grande presse américaine a fait pression sur la Maison Blanche pour l’inciter à faire respecter le jugement du tribunal s’il donnait tort à Pékin.

Jouant du labyrinthe juridique du droit de la mer dans les espaces à forte densité d’archipels, le porte parole du Ministère des Affaires étrangères chinois compliquait la question en évoquant les droits de la Chine sur l’Île d’Itu-Aba ou Taiping en Chinois, la plus grande îles ses Spratly occupée depuis 1945 par Taïwan et également revendiquée par Pékin, dont la Zone Économique Exclusive des 200 nautiques empiète largement sur celles des Philippines et tangente même les côtes de Palawan. Ce qui, à l’évidence, confère à Pékin un argument de marchandage direct avec Manille. Pour faire bonne mesure le porte parole chinois accusait Manille de « violation flagrante de la loi internationale ».

Le 2 juin, évoquant lui aussi le jugement à venir du tribunal sur le droit de la mer, à propos de la question du récif des Scarborough et des réclamations de Manille au nombre de 15, le Wall Street Journal exhortait la Maison Blanche à la fermeté. Dans les premières lignes de l’éditorial il posait que, derrière les questions techniques légales, l’enjeu était celui de la gouvernance mondiale articulée ou non autour du droit. Il concluait en interrogeant la détermination américaine à faire respecter la loi internationale quand elle était flouée.

Enfin, depuis quelque temps Pékin laisse flotter la possibilité d’installer au-dessus de tout ou partie de la mer de Chine du sud une zone de défense et d’identification aérienne comme elle l’avait fait en novembre 2013 au-dessus de la mer de Chine de l’est (lire l’article de QC qui remettait l’incident en perspective : La Zone d’Identification Aérienne chinoise. Symbole de souveraineté et de rivalité avec Tokyo et Washington).

A l’époque, l’affaire avait fait grand bruit, puis les acrimonies s’étaient progressivement estompées.

Cette fois, même si les analystes américains s’appliquent à relativiser la crise, en effet tempérée par les enchevêtrements de la relation économique et stratégique [3], il reste que, compte tenu de la visibilité des querelles en mer de Chine du sud et des tensions qui les entourent, le symbole de souveraineté véhiculée par une zone de défense et d’identification pourrait toucher un nerf sensible aux États-Unis, chez leurs alliés occidentaux et chez certains riverains dont les Philippines et le Vietnam sont les plus rétifs aux pressions chinoises.

Note(s) :

[1A Singapour, le ministre français défense Jean-Yves Le Drian a rappelé l’attachement de la France à la liberté de navigation et au droit international de la mer. Il a aussi proposé que les marines européennes se coordonnent pour “assurer une présence régulière et visible dans les espaces maritimes en Asie.” Voir le Discours M. Jean-Yves Le Drian, Ministre de la défense à l’occasion du Shangri-La Dialogue

[2Selon Sun Jianguo, non seulement la démarche des Philippines n’avait pas de fondement légal, mais le refus chinois d’accepter le jugement du tribunal était parfaitement en phase avec le droit international qui autorisait Pékin à se soustraire à l’arbitrage en faisant jouer la clause de réserve de la Convention de Montego Bay.

[3Lors de 8e session du dialogue stratégique à Pékin, la présence de Xi Jinping lui-même à la séance d’ouverture du 6 juin, constituait en soi un signe d’apaisement, même si, par ailleurs, subsistent de nombreux points de désaccords sur l’ouverture de l’économie chinoise et les exportations d’acier à prix cassés, ceux-ci étant amplifiés par les surenchères de la course à la présidence aux États-Unis.

 

 

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