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Le « Grand Jeu » global. Inversion des normes stratégiques. Réalités économiques et Incertitudes

Contrairement aux médias occidentaux, la télévision chinoise a amplement rendu compte du périple de Xi Jinping à Belgrade, Varsovie et Tachkent. Derrière lui les drapeaux de la Serbie, de la Pologne et de l’Ouzbékistan.

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Récemment, nous l’avons vu, le président Chinois était à Belgrade ; après quoi il s’est rendu en Pologne puis à Tachkent au sommet annuel de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) où il a rencontré Vladimir Poutine qu’il a accueilli deux jours plus tard en visite officielle, à Pékin.

Cette séquence internationale des présidents russe et chinois le long d’un des axes de l’Eurasie par l’Asie Centrale avait lieu presque en même temps que deux événements d’importance en Europe : le choc du « Brexit » qui plonge l’UE dans les affres des incertitudes économiques et existentielles ; la manœuvre de l’OTAN baptisée Anaconda [1], gesticulation militaire à destination de Moscou organisée par les Américains avec la caution de Varsovie, des Pays Baltes et de 16 autres pays européens dont la base de départ était la Pologne où le président chinois est arrivé 3 jours après la fin de la manœuvre.

Après la démonstration de force en Pologne qui comportait un franchissement de la Vistule sur un pont construit par l’armée allemande, l’OTAN s’est ensuite projetée dans l’arrière cour de l’ex-URSS, en Lituanie, le tout selon un schéma qui rappelait non seulement les « bruits de ferrailles » de la guerre froide, mais aussi les grands exercices organisés par les États-Unis sous le nez de la Chine, avec le Japon, la Corée du sud ou les Philippines.

Xi Jinping, sur les traces de l’OTAN à Varsovie.

Photo du haut, Xi jinping est arrivé à Varsovie 3 jours après la fin de la manœuvre de l’OTAN baptisée Anaconda à laquelle les armées polonaises ont contribué avec 12 000 hommes, de très loin le plus fort contingent européen ayant participé à l’exercice. En bas, Le 20 juin à Varsovie, le président Xi Jinping qui venait de Belgrade a, avec son homologue polonais, Andrzej Duda accueilli le premier « train bloc » chargé de conteneurs tous marqués “China Railway“. Ces conteneurs exporteront l’empreinte commerciale chinoise dans toute l’Europe. Nouveau tronçon du projet d’expansion économique chinoise vers l’ouest, Yi Lu Yi Dai ou One Road One Belt, la ligne relie Chengdu à Varsovie en 13 jours.

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Certes la visite en Pologne de Xi Jinping sur les traces de l’OTAN avait tout un arrière plan économique et commercial dans le sillage des « nouvelles routes de la soie », dont un des tronçons a été inauguré le 21 juin à Varsovie par le président chinois et son homologue polonais Andrzej Duda [2]. Il y eut aussi 40 lettres d’intention ou accords commerciaux et industriels (matières premières, énergie, finance).

Mais l’étape de Varsovie, précédée par celle de Belgrade où, sur le théâtre même du conflit en ex-Yougoslavie Xi Jinping a, à la fois, rappelé la rivalité de la Chine avec l’Amérique et la connivence sino-serbe chère à Poutine (lire notre article Xi Jinping à Belgrade. Retour vers le futur des guerres technologiques, qui fut suivie de la réunion annuelle de l’Organisation de Coopération de Shanghai à Tachkent, donne à la trajectoire du Président chinois qui a retrouvé Vladimir Poutine à Pékin, le 25 juin, un sens stratégique d’autant plus fort que ce qu’on appelait il y a 20 ans, à sa création, « le groupe de Shanghai », a peu à peu évolué en une association dont l’arrière plan anti-américain n’a cessé de se renforcer.

Avec le ralliement improbable des frères ennemis indiens et pakistanais ayant tous deux rejoint l’organisation lors du sommet de Tachkent, tandis que se profile aussi l’arrivée dans le groupe de l’Iran, le regroupement dans une seule association de 4 pays d’Asie Centrale et des deux puissances de l’Asie du Sud réalisé grâce à l’activisme concerté de Moscou et de Pékin parrains de l’OCS depuis deux décennies, offre un saisissant contraste avec la dynamique inverse de délitement à l’œuvre en Europe dont l’impotence stratégique corsetée par l’OTAN devient inquiétante.

Même s’il faudra attendre que l’avenir confirme la capacité de New-Delhi et d’Islamabad à dialoguer dans ce cénacle, l’élan n’en exprime pas moins une volonté d’association qui tranche avec les tendances centrifuges européennes.

L’Europe vacille quand l’OCS renforce son influence.

Le contraste qui semble exprimer une « inversion des normes stratégiques » est souligné par Hélène Nouaille dans sa livraison de la Lettre de Léosthène du 29 juin. Certes, l’OCS n’a aucun arrière plan moralisateur d’exemplarité en matière de droits de l’homme ; elle n’a pas de Cour de justice et n’ambitionne pas d’être un modèle planétaire ; elle n’est pas non plus une alliance militaire forte.

Même si elle organise régulièrement des manœuvres aux objectifs insolites pour des armées classiques (lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme religieux, que la phraséologie chinoise classe dans la catégorie des « fléaux »), son potentiel opérationnel est fragile et ne peut-être comparé à celui de la machine de guerre otanienne.

Il n’empêche qu’avec l’arrivée d’Islamabad et de New-Delhi elle compte désormais 4 puissances nucléaires. Et, quoi qu’en disent les sceptiques qui portent sur elle un regard condescendant, son influence, comme au jeu de Go, commence à peser.

A l’ombre de la connivence entre Moscou et Pékin, exprimant une profonde méfiance politique à l’égard des menées de Washington aux marges de la Russie et de la Chine, sous couvert des « partenariats pour la paix » fomentés par l’OTAN, son tropisme anti-américain s’est affirmé depuis la fin des années 90.

Une longue affirmation anti-américaine.

En 2005, l’OCS, inquiète de l’épidémie de « regime change » aux marches de l’ancienne URSS, avait adopté une position commune, dénonçant les bases américaines de la région et exigé que Washington fixe un calendrier de retrait. La manœuvre avait en partie réussi, puisqu’en 2005 Moscou et Pékin avaient persuadé le président Ouzbek Karimov d’exiger des Américains, avec qui il était en froid après la répression brutale d’Andijan le 13 mai 2005, qu’ils ferment la base de Karchi Khanabad, point d’appui logistique des opérations en Afghanistan.

Pour la Chine comme pour la Russie, l’Asie Centrale est non seulement un réservoir de ressources, mais également un glacis stratégique, progressivement devenu le cœur d’un nouveau réseau d’influence, sur lequel Pékin et Moscou se sont à l’occasion appuyés pour dénoncer l’entrisme politique et militaire des États-Unis et de l’OTAN dans leurs zones d’intérêt stratégique direct après la chute du mur de Berlin. Avec l’arrivée de l’Inde et du Pakistan et bientôt de Téhéran, la manœuvre gagne en ampleur et prend l’aspect d’un contournement de l’Amérique.

Certes, les pions de ce nouveau « Grand jeu » ont des agendas stratégiques différents, parfois opposés, voire hostiles. Mais le recrutement d’une part de New-Delhi dont les contentieux avec la Chine pouvaient apparaître comme une garantie de fidélité à Washington et, d’autre part, d’Islamabad directement impliqué dans la question terroriste en Afghanistan dont le Pentagone n’a pas réussi s’extraire, sonnent une alerte pour la Maison Blanche, même si, aux États-Unis, les chercheurs ont noté la discrétion des commentaires en Inde et au Pakistan et parfois des doutes sur la réalité de l’élargissement.

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Tachkent 2016, dans la foulée d’UFA 2015.

Le 23 juin à Tachkent où, durant la dernière cession annuelle de l’OCS, l’Inde et le Pakistan ont rejoint l’organisation. La photo montre Xi Jinping et Vladimir Poutine, les deux « parrains » actuels de l’organisation face au président mongol Tsakhiagiin Elbegdorjn à droite, également candidat à l’OCS. Derrière Xi Jinping on remarque, à sa droite Wang Hunning et à sa gauche Li Zhanshu, ses conseillers politiques qui l’ont suivi pendant tout le voyage en Europe, Pologne et Ouzbékistan. Derrière Li Zhanshu, à sa gauche, le ministre des AE Wang Yi.

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Hélène Nouaille signale que l’apogée de cette connivence anti-américaine dessinant une alternative à l’omnipotence de Washington eut lieu lors du double somment des BRICS et de l’OCS organisé par Vladimir Poutine du 8 au 10 juillet 2015, à Ufa, en Bachkirie à 1200 km à l’Est de Moscou. La suite de l’analyse reprend une partie de l’article signé de la rédaction de Question Chine mis en ligne le 17 octobre 2015 (Les malentendus de la relation Chine – Russie – Syrie), que nous croyons utile de reproduire pour la clarté de l’exposé.

L’épisode d’Ufa avait été perçu par nombre d’observateurs comme le dernier symbole en date de la contestation de l’hégémonie de Washington. Il rassemblait autour des présidents russe et chinois les chefs d’État de l’Afrique du Sud, de l’Inde et du Brésil accompagnés par ceux de 4 pays d’Asie Centrale et leurs homologues d’Afghanistan, d’Iran, d’Inde, de Mongolie, du Pakistan, venus en observateurs, mais dont certains, comme l’Inde, la Mongolie, le Pakistan et l’Iran, avaient déjà entamé les procédures d’entrée à l’OCS.

Ayant mis sous le boisseau les rivalités sino-russes en Asie Centrale, l’exercice de haute diplomatie suivait plusieurs années fertiles en tensions entre, d’une part les Occidentaux et les États-Unis et, de l’autre, la Chine et la Russie sur la question ukrainienne, la Syrie et l’Iran, à quoi s’ajoutent les raidissements militaires en mer de Chine du sud entre Pékin et Washington. Dans ce contexte, le sommet d’Ufa est apparu comme la matérialisation d’une stratégie parallèle concurrente des anciens schémas occidentaux d’organisation du monde.

Connivence anti-américaine des régimes autoritaires.

Le 25 juin, Vladimir Poutine a été reçu à Pékin avec faste par le président Xi Jinping. Le n°1 russe espère une augmentation des importations chinoises et plus d’investissements chinois en Russie. Les deux ont publié un communiqué accusant, sans les nommer, les Etats-Unis d’avoir « affaibli le système de sécurité global » par un « abus d’usage de la force et en s’arrogeant des avantages décisifs par le truchement de technologies militaires avancées ». La déclaration faisait allusion aux projets de déploiement de missiles anti-missiles de théâtre en Corée du sud. Lire Le THAAD du Pentagone est en Corée et le HQ-9 chinois dans les Paracel. Jeu de missiles et parfum de guerre froide. La photo est parue, le 27 juin, dans un article du Monde signé Brice Pedroletti.

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La tendance née au milieu des années 90 s’accélère et se lit dans la succession des veto posés conjointement à l’ONU depuis 8 ans par Moscou et Pékin contre les propositions occidentales (mais pas seulement) sur les situations politiques au Myanmar (janvier 2007) et au Zimbabwe (2008), qui furent suivis d’une rafale de 4 veto chinois et russes sur la question syrienne entre 2011 et 2014. Chaque fois le refus sino-russe s’opposait à une initiative américaine ou occidentale.

Au moment où Washington et les autres membres du P5+1 venaient de signer à Vienne un accord nucléaire avec l’Iran, principal soutien de Bachar el Assad au Moyen Orient, la connivence sino-russe sur la Syrie et la présence de Téhéran à Ufa confirmaient l’intention d’une stratégie alternative, d’autant que, par ailleurs, les conditions de l’accord avec Téhéran recoupent la position toujours défendue par Pékin et Moscou, par principe opposés aux sanctions.

Enfin, les riches ressources des pays de l’OCS (25% du pétrole mondial, 50% du gaz naturel, 35% du charbon et 50% de l’uranium), rappelées par Poutine lors du sommet de Tachkent à quoi s’ajoutent le poids démographique de 45% de la population du globe, donnent du poids à la manœuvre dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle trouble le jeu des Occidentaux et de Washington.

D’autant qu’à l’époque, le sommet avait été accompagné par les frappes des Sukhoi russes en Syrie et l’engagement au sol de l’armée iranienne contre Daesh dont John Kerry vient de reconnaître l’utilité (« helpful ») dans une interview donnée le 29 juin lors du festival des idées d’Aspen au Colorado.

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Enfin, observant les rivalités qui montent, la vérité oblige à dire qu’une majorité de pays de l’OCS sont en froid avec leurs sociétés civiles et leurs oppositions qu’ils accusent de se laisser manipuler par Washington par le truchement des trois puissant vecteurs.

1) le « National Democratic Institute for International Affairs (NDI) », lié à l’Internationale Socialiste, proche du Parti démocrate et financé par le Congrès sous couvert de l’organisation National Endowment for Democracy avec l’objectif dont on ne peut ignorer la sensibilité pour les régimes autoritaires, est de « promouvoir la démocratie », vu par les pouvoirs qui en sont les cibles, comme des « tentatives de subversions » ;

2) « L’International Republican Institute » (IRI), organisation homothétique de NDI, liée au Parti républicain financée par l’USAID, l’agence de développement américaine, œuvrant sous la surveillance directe de l’exécutif américain et de la sécurité nationale dont le but est identique à celui de NDI et dont l’histoire, révélée par le fuites de Wikileaks est entachée d’ingérences troubles contre des régimes étrangers entre autres, en 2002 contre Hugo Chavez au Venezuela, en 2004 contre le dictateur Haïtien Jean-Bertrand Aristide évincé par un coup d’État et, en 2006, contre Evo Morales en Bolivie.

3) Les émissions de « Voice of America » et des radios libres dédiées à chaque continent émettant dans la langue des pays cibles, la première financée par l’exécutif, les deuxièmes par le Congrès. Tous les pays de l’OCS et en premier la Russie et la Chine ressentent le poids déstabilisateur de ces émissions venues d’ailleurs, diffusées dans leur propre langue qui dénoncent les abus contre les droits et mettent souvent le régime en porte à faux.

Symétries politiques entre Moscou et Pékin.

Entre Pékin et Moscou, la communauté de vues s’enracine dans l’histoire et sa continuité. Tout comme Poutine critique la « déstalinisation », le Président chinois rejette becs et ongles la « démaoïsation », considérant que la rupture historique et la condamnation du passé furent les principaux ferments de la chute de l’URSS.

Par ces temps de difficultés socio-économiques en Chine, le Parti qui craint pour sa pérennité, présente plus que jamais Gorbatchev comme le fossoyeur responsable de l’éclatement de l’Empire soviétique et, à l’inverse, Poutine comme un héros capable de tenir tête aux États-Unis et de restaurer le prestige de la Russie. Tandis que le n°1 russe se réfère à Yalta en même temps qu’à Staline, Xi Jinping redonne vie au mythe maoïste.

Soucieux de construire un récit national héroïque sans tâches qui conforte leur pouvoir, tous deux sont farouchement opposés à la repentance, aux ruptures historiques et, in fine, aux menées américaines conduites à leurs approches pour, s’appuyant sur la vérité historique et le droit international, fomenter, au nom de la démocratie à l’occidentale, des changements de régime à leurs portes.

Chacun aura compris que Moscou et Pékin ne voient pas les menées stratégiques américaines sur les marches de la Chine et de la Russie comme les vecteurs d’un progrès démocratique, mais comme la poursuite du vieux projet américain de la guerre froide « roll back Russia, contain China ».

C’est cet arrière plan qu’il faut avoir en tête si, dans le contexte actuel, on veut comprendre la portée du voyage de Xi Jinping confronté chez lui aux vastes défis de l’ajustement financier et industriel. Reprenant, à partir de Belgrade et Varsovie, la route de la soie de l’Europe vers la Chine, en passant par Tachkent, le président chinois a retrouvé Vladimir Poutine à Pékin le 25 juin.

Anémie des échanges hors hydrocarbures et armements.

Mais si la relation sino-russe se renforce en opposition aux intrusions de l’Amérique, il n’en est pas moins vrai qu’elle est aussi enracinée dans la matérialité des échanges commerciaux et industriels dont le chef du Kremlin a du reconnaître qu’ils étaient en recul en 2015, avec une baisse de 34,4% des exportations chinoises vers la Russie et un recul de 19,1% des exportations russes vers la Chine.

Au total le commerce bilatéral a reculé à seulement 64,2 Mds de $ en diminution de 27,8% par rapport à 2014. (Chiffres douanes chinoises).

Ainsi mesuré, les échanges entre les deux ne représentent que 21% du commerce Chine - Japon (également en recul de 11% en 2015, tombé à 303 Mds de $) et moins de 11% du commerce avec les États-Unis compté à 599,3 Mds de $ (en hausse par rapport à 2014 où il était à 592 Mds de $).

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Ainsi à Pékin, les discours de Poutine ont-ils mis l’accent sur le volet économique de la relation, espérant l’augmentation des investissements chinois en Russie, ainsi que de nouveaux achats d’hydrocarbures et d’armements. « D’une manière ou d’une autre tout se résume à l’économie » a t-il résumé à la fin de son entretien avec le premier ministre Li Keqiang. En arrière plan il y avait le souci russe de compenser l’exclusion de la Russie du G8 et les sanctions imposées à Moscou par Washington et Bruxelles.

La stratégie de compensation est lancée depuis la signature en mai 2014 du contrat géant de fourniture de gaz s’étalant sur 30 ans pour le prix total de 360 Mds d’€, accéléré par Poutine pour prouver sa liberté de manœuvre par rapport à l’Ouest.

Il est vrai que les investissements chinois dans l’énergie ont été importants depuis 2013. A l’automne 2013 une filiale de CNPC avait pris 20% des parts (778 millions de $) d’une usine géante de liquéfaction de gaz dans l’Arctique mise en œuvre par Novatek. En décembre 2015, SINOPEC a déboursé 1,3 Mds de $ pour 10% des parts de SIBUR, le n°1 russe de l’énergie.

Pékin a également promis des prêts pour terminer la ligne TGV de 800 km entre Kazan et Moscou. Mais la baisse des prix du pétrole et les sanctions occidentales ont créé des difficultés financières et attisé la prudence des chinois à l’origine du retard des projets.

Pour restaurer la confiance et faciliter les échanges, plusieurs mesures ont été prises à la suite de la signature entre les 2 banques centrales d’un accord de compensation pour les transactions en roubles et en yuans, suivi de la création d’une structure de financement des exportations chinoises en Russie et vers l’Extrême Orient russe.

Rebond de l’armement et de l’agriculture.

En revanche les exportations d’armements russes en chute depuis 2006 [3], ont rebondi en 2015, probablement à la suite du besoin de devises de Moscou. Le principal contrat a été la vente des missiles sol-air S-400 au printemps pour le prix de 3 Mds de $.

Lire aussi : L’Eurasie au cœur des rivalités entre Washington, Pékin, Moscou et Téhéran

En novembre 2015, les deux signaient un contrat de 2 Mds de $ pour la livraison à Pékin de 24 chasseurs SU-35, à quoi s’ajoutèrent nombre de petits accord portant sur des technologies duales et des projets de cyber-sécurité de lutte contre les intrusions informatiques et le vol de données.

Autre secteur en reprise, l’agriculture russe dont les exportations vers la Chine ont augmenté de 14% au cours des 6 premiers mois de 2016 évaluées à 1,2 Mds de $ en juin. Faisant preuve d’optimisme, Li Keqiang et son homologue Medvedev, l’ancien Président redevenu premier ministre, ont promis de porter le commerce bilatéral à 200 Mds de $ en 2020. Il est vrai que la persistance de la misère commerciale induit des doutes sur la pérénnité du rapprochement stratégique entre Moscou et Pékin.

Les inconnues du « Grand Jeu »

Comment se recomposeront les relations stratégiques futures ? L’Europe est hors jeu. La Russie revient dans ce concert. La suite est suspendue à de nombreuses inconnues, dont la relation entre Pékin et Washington rivaux et partenaires à 600 milliards d’échanges commerciaux par an, mais pouvant devenir des ennemis, est une des variables. La photo date du sommet de l’APEC à Pékin en novembre 2014.

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A moyen terme, Moscou et Pékin qui partagent le même goût pour l’autoritarisme politique et le même adversaire américain continueront à coopérer en arguant, comme le fait la presse chinoise, des avantages mutuels du rapprochement.

Mais, comme le souligne June Dreyer du Foreign Policy Research Institute, Il n’est cependant pas certain que les bénéfices en soient équitablement répartis, ni durables.

Les fissures existent déjà et sont connues, provoquées par les tiraillements à propos des captations par la Chine de technologies aéronautiques qui handicapent les exportations russes ; les ventes de sous-marins russes au Vietnam et de chars de combat à l’Inde ; les réticences russes lors de la création de la Banque Asiatique pour les infrastructures (Moscou ne figurait pas parmi la vingtaine de pays ayant cautionné le lancement de la banque en octobre 2014) ; les largesses financières accordées par les banques chinoises à l’Ukraine qui augmentent la capacité de Kiev a résister aux pressions de Moscou.

A quoi s’ajoutent 1) Les vieilles craintes des Russes d’une invasion démographique chinoise en Extrême Orient et/ou celles que la Chine exploite leurs difficultés économiques pour les supplanter en Asie centrale ;

2) Les tensions naissantes pour le financement des pipes acheminant le gaz russe en Chine, les banques chinoises inquiètes du retour des dettes toxiques objets des mises en garde du FMI, hésitant à prêter aux entreprises russes en difficultés financières et gênées par les sanctions américaines ;

3) La compétition sino-russe qui s’annonce dans l’Arctique où Pékin a réussi à se faire accepter dans le cercle du « dialogue arctique », faisant planer une menace directe sur les intérêts russes.

4) Un désaccord de fond, souligné par Jean-Pierre Cabestan, mais assez peu commenté, sur la pertinence de l’élargissement de l’OCS. Pékin plutôt réticent et Moscou plus allant, notamment avec en tête l’idée de noyer l’irrésistible influence économique chinoise en Asie centrale dans un réseau plus large.

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A l’avenir rien ne dit que ces fêlures ou d’autres se transformeront en craquements. Nombre de facteurs pourraient favoriser le partenariat ou le faire capoter. L’Europe étant pour l’heure en catalepsie stratégique, tandis que le jeu de Vladimir Poutine de redevenir pleinement un acteur global est une variable connue, une bonne partie des incertitudes renvoient aux questionnements sur la trajectoire chinoise à quoi s’ajoutent les incertitudes sur la stratégie à venir des États-Unis.

Parmi elles citons, mais la liste est incertaine et non exhaustive : la modification des stratégies américaines et la fin des sanctions contre la Russie et une coopération de Moscou avec les États-Unis en Irak et en Syrie ; une crise financière en Chine pouvant conduire à l’échec de quelques projets des nouvelles routes de la soie ; le développement du terrorisme au Xinjiang et l’aggravation de la situation au Pakistan, à quoi s’ajouterait la crispation des relations entre l’Inde et le Pakistan ou, au contraire, un repliement américain ; une aggravation des tensions entre Pékin et Washington ; un durcissement de la crise politique européenne ; le développement des projets sino-iraniens endossés par Moscou, New-Delhi et Islamabad ; une plus grande implication de Moscou aux côtés de la Chine sur la question de Corée du nord et en mer de Chine du sud.

Note(s) :

[1Organisé du 7 au 17 juin en Pologne, la manœuvre mobilisait plus de 30 000 hommes dont 12 000 polonais et quelques autres européens, 14 000 américains, 3000 véhicules, 105 avions et 12 navires de guerre. Si le gros des troupes était fournis par les États-Unis et la Pologne, les autres pays ayant participé à l’exercice avec des effectifs bien moindres, sont l’Albanie, l’Allemagne, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, l’Estonie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie, la Macédoine, les Pays Bas, la République Tchèque, la Roumanie, le Royaume Uni, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Turquie, l’Ukraine.

[2Les deux saluèrent l’arrivée d’un train parti 12 jours plus tôt de Chengdu dans le Sichuan inaugurant à la fois un nouveau segment des liaisons ferroviaires entre la Chine et l’Europe et le concept des « trains-blocs, block trains » en Chinois 铁路专列服务 tielu zhuanlie fuwu (trains entiers non remaniés en cours de trajet dont le chargement est spécifique) entièrement chargés de conteneurs à la marque de China Railways, donnant une visibilité commerciale de premier ordre aux chemins de fer chinois.

Cette nouvelle liaison par train vers l’Europe s’ajoute aux destinations allemandes (Duisburg, Leipzig, Hambourg venant de Chongqing, Shenyang et Zhengzhou), à celle de Madrid venant de Yiwu et à celle de Lyon, lancée en avril dernier, venant de Wuhan, également reliée à Hambourg.

[3La principale raison du recul des exportations d’armes fut l’agacement des ingénieurs chinois après les captations de la technologie aéronautique des Sukhoi à la fin des années 90. Lire : Succès et problèmes de l’aéronautique militaire chinoise

 

 

Au-delà de la reprise des contacts militaires, la lourde rivalité sino-américaine en Asie-Pacifique

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