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›› Chronique

Les secousses et incertitudes du jugement de La Haye

Le 15 juillet à Oulan Bator, lors du 11e sommet Asie – Europe (ASEAM), et à la suite du jugement de La Haye du 12 juillet, le poids de la Chine a provoqué fêlures et tensions au sein de l’UE et de l’ASEAN. Sur la photo, Li Keqiang avec à sa gauche Hun Sen, premier ministre du Cambodge et à sa droite Kolinda Grabar-Kitarović, le premier ministre Croate. Les deux, courtisés par la Chine ont, le premier au sein de l’ASEAN, la 2e au sein de l’UE, refusé d’endosser complètement le jugement de la cour arbitrale de La Haye.

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Il n’a pas fallu longtemps pour que les secousses du jugement de La Haye du 12 juillet sur la Mer de Chine méridionale produisent des répliques sur la scène des grands rendez-vous internationaux de l’Asie et de l’Europe, entre la Chine et le Japon, au sein de l’ASEAN, ce qui ne fut pas une surprise, mais également jusque dans les entrailles même de l’Union Européenne, ce qui est moins habituel, mais rappelle que l’Europe est en désarroi et affaiblie.

Dans le sillage du jugement qui désavoue brutalement et sans détours les prétentions chinoises sur toute la mer de Chine surgissent aussi une série de questionnements sur son application et les risques de conflit. En première ligne de ces contradictions nées de l’énoncé d’un droit international que Pékin ne reconnaît pas, se trouve Manille et ses revendications reconnues par la Cour sur le récif des Mischiefs que Pékin n’a pas l’intention d’abandonner.

Au sommet de l’ASEM, acrimonies entre Pékin et Tokyo…

Trois jours après l’arbitrage, le sommet de l’ASEM à Oulan Bator fut d’abord l’occasion de joutes verbales entre Pékin et Tokyo. Après que le premier ministre chinois Li Keqiang eut apostrophé Shinzo Abe à qui il demandait de cesser de monter en épingle la question de la mer de Chine du sud, le japonais, soutenu par le premier ministre vietnamien Nguyen Xuan Phuc, répliqua que la Chine devait respecter les règles du droit international.

Plus tard, répondant à l’objection de Pékin selon laquelle Tokyo n’était géographiquement pas partie prenante de la querelle, le ministre des Affaires étrangères Yashuhira Kawamura rappelait que la question avait une portée internationale que le Japon ne pouvait pas ignorer.

…et fêlures européennes.

Les dissensions intra-européennes n’ayant que très rarement percé la surface des sommets internationaux, plus inattendue, fut la fêlure apparue dans les 27 avec le refus de la Croatie, de la Grèce et de la Hongrie d’endosser tel quel le jugement de la Cour de La Haye. Les trois, gênés par les promesses de coopération financière chinoise – du 6 au 11 juillet juillet, Alexis Stipras était à Pékin dans la foulée de la ratification par le parlement grec de la reprise du port Pirée par COSCO –

 [1] (lire notre article L’offensive chinoise en Europe), acceptèrent cependant la déclaration plus prudente de Federica Mogherini, soulignant l’importance du droit international, de la résolution pacifique des conflits et de la liberté de navigation.

Mogherini ajoutait cependant que l’UE ne se prononçait pas sur les questions de souveraineté, mais enjoignait, sans la citer, la Chine à clarifier ses revendications territoriales [2].

Sévères fractures au sein de l’ASEAN.

A Oulan Bator la Chine a promis au Cambodge une aide directe de 600 millions de $. A droite le PM Hun Sen avec Wang Yi MAE chinois.

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Mais les effets les plus discordants de la sentence du 12 juillet furent enregistrés dans les pays de l’ASEAN où le Laos et le Cambodge bloquèrent une déclaration commune de l’association dont le président en exercice est le Laos. Compte tenu de l’importance de l’aide et des projets chinois dans le pays, il est peu probable que sa position évolue vers plus de solidarité avec les autres membres de l’ASEAN lors du 23e sommet de sécurité de l’ARF (Asia Regional Forum) organisé à Vientiane du 23 au 26 juillet 2016.

Le Cambodge auquel le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a promis une aide directe de 600 millions de $ est sur la même ligne, rigoureusement en phase avec la position de Pékin dénonçant l’invalidité du jugement de La Haye. « Le Cambodge ne participera pas à une déclaration commune de l’ASEAN sur le verdict de la Cour Internationale » avait dit le porte-parole de Phnom-Penh avant la sentence.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement royal adopte sans nuance la position de Pékin. En, 2009, après avoir déjà bénéficié d’une aide directe chinoise de 600 millions de $ offerte par Wen Jiabao en 2006, Phnom-Penh avait extradé en Chine 22 réfugiés ouïghour ayant demandé asile politique au Royaume. Trois ans plus tard, en 2012, alors que Phnom-Penh présidait l’ASEAN, Hor Namhong, le ministre des Affaires du Cambodge était allé jusqu’à faire couper le micro à son homologue philippin Del Rosario qui insistait pour évoquer la question de la mer de Chine que Pékin voulait tenir hors agenda.

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Récifs des Mischiefs : Manille en première ligne face à Pékin.

Le 14 juillet un appareil de China Southern s’est posé sur la piste des Mischiefs.

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Enfin, toujours dans l’ASEAN, l’autre évolution qui mérite attention est celle des Philippines dont le nouveau président Duterte paraît moins convaincu que son prédécesseur de l’efficacité de l’arbitrage de la Cour Internationale. Tout le monde aura remarqué la prudence du ministre des Affaires étrangères et du ministre de la défense de Manille ayant appelé l’administration philippine à éviter les manifestations de victoire après le jugement.

Manille est pris entre les feux d’une opinion publique nationaliste prompte à vilipender la Chine et la fermeté de Pékin décidée à résolument protéger ses intérêts « Nous l’avons déjà dit, le jugement n’aura aucun effet. Et si quiconque voulait tirer argument de la sentence pour nous provoquer, nous répliquerions ».

En réalité, s’il est vrai que le jugement a retiré toute légitimité juridique à la revendication de Pékin sur la totalité de la mer de Chine, une occurrence qui satisfait les autres plaignants à Kuala Lumpur, Brunei et Hanoi, en revanche l’arbitrage en faveur des Philippines à propos du récif des Mischief laisse Manille plutôt isolé face à la Chine. En arrière plan l’incertitude sur l’attitude de la Maison Blanche dont rien ne dit qu’elle veuille engager le fer avec Pékin pour récupérer le récif au nom des Philippines.

Situé à 100 nautiques des côtes de Palawan sur la frange Est des Spraltly, c’est-à-dire bien à l’intérieur de la ZEE des Philippines et à 600 nautiques des côtes de Hainan, les récifs de Mischief submergés à marée haute ne peuvent pas, selon la Convention de Montego Bay, être considérés comme des îles ni générer des eaux territoriales. Légalement, ils font partie du domaine philippin [3]) La conséquence est qu’en toute logique arbitrale, les Mischief occupés et transformés par la Chine devraient être restitués à Manille.

La Chine arc-boutée contre la sentence…

Or tout indique que Pékin qui y a fait de vastes aménagements, n’en n’a pas l’intention. D’autant qu’à l’intérieur, la moindre concession faite à Manille ou aux États-Unis apparaîtrait à l’opinion publique chinoise dont certains segments très agressifs sont chauffés à blanc, comme un abandon en rase campagne.

Aujourd’hui le récif, artificiellement augmenté, couvre près de 400 hectares. Il est équipé d’une piste d’aviation de 3 km et la probabilité pour que Pékin l’abandonne est nulle. Le 14 juillet, la première page du Quotidien du Peuple publiait la photo d’un avion de ligne civil posé sur le tarmac avec 2 drapeaux chinois aux fenêtres du cockpit.

…mais soucieuse d’éviter l’escalade militaire.

Pour autant, s’il est vrai que les réactions du Politburo chinois au jugement furent brutales et sans nuance, visant à garder une marge de manœuvre face à l’opinion publique, la participation de la marine de l’APL à l’exercice RIMPAC 2016 indique que les arrières pensées stratégiques de la haute direction du régime ne sont pas à la confrontation avec les États-Unis. La Maison Blanche exprime le même souci d’éviter l’escalade.

A Manille, le nouveau Président Duterte a depuis longtemps exprimé le désir de renouer le dialogue avec Pékin, avec en tête d’éviter le cul de sac diplomatique et un dérapage militaire. Le 12 juillet après la sentence, son entourage faisait savoir qu’il choisirait de ne pas stigmatiser Pékin sur le respect du droit international, mais chercherait le moyen d’un « atterrissage en douceur ». Pékin est sur une ligne prudente identique. Avant le jugement, les garde-côtes chinois avaient rouvert la zone de Scarborough aux pêcheurs philippins qui n’y avaient plus accès depuis 2012.

Points durs et marges de négociation.

La construction d’un système de train inter-cités à Luçon et Mindanao fait partie des projets d’infrastructures que le président Duterte pourrait attribuer à des compagnies chinoises. Il devra ménager son opinion publique hostile à la présence chinoise sur les Mischief et les Scarborough.

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A côté des points durs qui restent la souveraineté sur les Scarbourough (non jugé par l’arbitrage) et la présence déclarée illégale de la Chine sur les Mischiefs, les domaines de négociation à explorer sont nombreux. Ils vont d’un accord de pêche formel autour des Scarborough à l’exploitation conjointe des ressources marines en passant par les vastes projets de développement et d’infrastructures aux Philippines auxquels les entreprises chinoises de travaux publics, d’énergie et de transport ferré pourraient participer.

Enfin dernier élément d’une situation dont les anciens schémas se brouillent, la proximité entre Manille et Washington s’est relâchée depuis la prise de fonction de Duterte. A plusieurs reprises il a exprimé des doutes sur la solidité de l’alliance avec les États-Unis et rappelé qu’il ne risquerait pas une guerre avec la Chine.

Le 21 juin dans un discours public il avait révélé une conversation avec les l’ambassadeur américain à Manille, Philip Goldberg « Êtes-vous ou non de notre côté ? », « Seulement si vous êtes attaqué » avait répondu l’émissaire de la Maison Blanche que Duterte interrogeait sur la volonté américaine d’aider au développement de son pays au même niveau que la Chine. On le voit, Duterte ne veut pas se laisser enfermer dans les cartes distribuées par son prédécesseur.

Au-dessus de la situation devenue complexe, planent cependant les cartes sauvages des opinions publiques attisées par les nationalistes populistes qui limiteront sérieusement les marges d’une manœuvre d’apaisement à Pékin comme à Manille.

Mise à jour le 19 juillet.

Une semaine après la sentence de La Haye, les conditions du dialogue entre Manille et Pékin ne sont manifestement pas réunies. Le 19 juillet, le ministre des affaires étrangères philippin Perfecto Vasay a en effet annoncé qu’après avoir rencontré son homologue chinois Wang Yi à la réunion de l’ASEM, en Mongolie, Manille avait rejeté l’offre de dialogue bilatéral de Pékin qui posait la condition de ne pas évoquer le jugement de la Cour Internationale.

En même temps, l’Amiral Sun Jianguo, l’un des Chefs adjoints de l’état-major général de l’APL, condamnait les patrouilles américaines, dites de liberté de navigation (Freedom of navigation patrols - FONOP - ) menées aux abords des Spratly dans le voisinage des îlots bétonnés par la Chine, et mettait en garde qu’elles pourraient « déclencher un désastre », sans cependant préciser ce qu’il entendait par là. Il a également appelé à augmenter les capacité militaires de l’APL, pour « qu’en cas de nécessité, elle soit en mesure de défendre la souveraineté nationale. »

Simultanément, le Bureau de sécurité maritime chinois annonçait le 18 juillet qu’un exercice naval à tir réel aurait lieu du 19 au 21 juillet dans une zone à l’Est de Hainan fermée à la navigation.

Note(s) :

[1Le 15 juillet une analyse de Xinhua insistait sur le rôle de la Grèce rappelée par Tsipras dans la stratégie chinoise des « nouvelles routes de la soie ». Le premier ministre Li Keqiang a formulé l’espoir que la coopération entre Chine et la Grèce transformerait le port du Pirée en un port international de classe mondiale, essentiel pour la logistique de la région sud-Europe. 9 accords ont été signés pendant la visite dans les secteurs du tourisme (ouverture de vols directs entre Pékin et Athènes), des technologies d’infrastrutures (aménagements portuaires et aéroportuaires en Grèce et en Crète).

[2La déclaration de l’UE est un ton en-dessous de celle du ministre de la Défense français, le 5 juin dernier qui, au dialogue de Shangrila, prônait la fermeté pour défendre le droit international en mer de Chine méridionale et suggérait des patrouilles conjointes des pays de l’UE dans la zone. Intervention de Jean-Yves Le Driant au au Shangri-La Dialogue.

[3Alors qu’il est très probable que le politburo convaincu de son bon droit a été surpris par la netteté de la sentence, les réseaux sociaux chinois et quelques intellectuels chercheurs ont vivement critiqué la Cour, oubliant que la sentence s’appuyait sur une convention internationale signée et ratifiée par Pékin : « Il est étonnant de voir avec quelle arrogance ces juges décident la différence entre une île et un récif ».

 

 

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