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›› Economie

Les promesses du 3e Plenum confrontées à la difficulté des réformes

Une vue cavalière des 3e plenum depuis 1978. Ceux de 1978 et 1993 avaient inauguré une période de baisse de la croissance après une forte hausse. Celui de 2013 s’inscrit dans une baisse structurelle de la croissance depuis 2008. Il paraît aujourd’hui impossible que la croissance retrouve son niveau d’avant 2008.

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On se souvient que le 3e plenum du 18e Congrès avait, à l’automne 2013, défini un vaste projet d’ensemble destiné à moderniser la Chine.

A côté des intentions affichées d’accompagner la grande révolution urbaine ainsi que les mutations des modes de vie et des esprits à l’œuvre sous nos yeux et bousculant la société, le cœur des projets de réforme renvoyait à deux domaines essentiels : 1) la restructuration de l’appareil industriel d’État et sa mise en conformité avec les lois du marché et de la concurrence ; 2) la transparence des finances publiques et la réduction de la dette, sur fond de lutte féroce contre les corruptions.

Les trois (restructuration, transparence des finances et lutte contre la corruption) étant éminemment liées, puisque toutes les statistiques montrent que la majorité des dettes dont la part toxique augmente à nouveau – ce qui, au passage renvoie aux conflits d’intérêts, aux trafics d’influence et à la corruption –, est concentrée dans la machine productive publique (44% des dettes) et dans les institutions financières (23%).

Le reste étant le fait des ménages (13%) et de l’appareil d’État lui-même (20%) [1].

En même temps, les conclusions du plenum promettaient d’activer le secteur privé et d’articuler l’économie autour de la rigueur et de la transparence des comptes, de la politique de l’offre et de la réduction des investissements. L’objectif étant d’augmenter la part de la croissance liée à la consommation et aux services.

A l’époque, les appréciations des observateurs flottaient entre les éloges – « le plus grand élan réformiste depuis Deng Xiaoping » - et la prudence sceptique qui mettait en garde contre les difficultés des bascules économiques et le fossé existant entre les promesses et la réalité.

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Aujourd’hui, à 4 ans des échéances que le politburo s’est lui-même fixées pour la plupart des projets, mais, à tout juste un peu plus d’un an du 19e Congrès qui verra le départ de 5 des membres permanents du Politburo, cette note propose un nouveau point de situation.

Sur fond de recul de la croissance tombée de 7,9% en juillet 2013 avant le 3e plenum, à 6,7% en juillet 2016, s’accompagnant d’une augmentation de 50% du nombre de faillites d’entreprises au cours des 6 premiers mois de 2016 [2], conséquences cumulées du ralentissement de l’activité et des restructurations, l’image générale reste toujours marquée par des débats contradictoires sur le modèle de croissance, se traduisant sur le terrain par des signaux ambigus sur la capacité du pouvoir à s’en tenir à la feuille de route du 3e plenum.

Certains économistes appuyés par des groupes d’intérêt récusent les ajustements au marché et prêchent même pour l’augmentation de la dette. Ils soutiennent que la croissance devrait être maintenue coûte que coûte, les réformes étant plus facilement mises en œuvre dans un environnement économique positif.

D’autres, en revanche, moins préoccupés de la croissance insistent pour que le crédit soit contrôlé, que les budgets et l’endettement des groupes publics soient mieux surveillés et que leurs investissements ne soient autorisés que s’ils s’appliquent à des projets rentables.

Le débat s’était durci le 9 mai dernier quand le Quotidien du Peuple avait publié une longue analyse signée d’une « source autorisée », probablement proche de la tête du régime et adepte convaincue de la politique de l’offre et de la rigueur qui mettait en garde contre les risques de la relance en cours génératrice de dettes pouvant déraper vers une crise bancaire et une dangereuse évaporation des économies des ménages.

Récemment, la machine politique, sensible aux alertes des institutions financières mondiales sur les risques posés par l’accumulation des dettes, et, en même temps, consciente de la lenteur des restructurations de l’appareil productif a réduit ses ambitions de réformes à quelques objectifs majeurs d’urgence :

1) La réduction des surcapacités industrielles dont les exportations sont l’objet de tensions avec les États-Unis et l’UE ; 2) L’endiguement de la baisse du Yuan et de la fuite des capitaux ; et 3) Le contrôle des dettes et des investissements des entreprises publiques, plusieurs fois montrées du doigt par le FMI.

La réforme réduite à l’élimination des surcapacités.

Les exportations chinoises d’acier reste élevées malgré les fluctuations.

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Comme l’atteste l’augmentation du nombre de faillites autorisées de sociétés qui ne bénéficient plus du secours en dernière instance des fonds publics, la restructuration de l’appareil productif est en cours. Mais les élagages des entreprises « zombies » comme les avaient appelées la chambre de commerce européenne à Pékin, concernent en priorité les petites et moyennes entreprises à main d’œuvre réduite et dont l’impact social des licenciements est faible.

En revanche, l’appareil politique a la plupart du temps laissé vivre les grands groupes en dépit de leurs déficits avec l’approbation (ou la complicité) de la SASAC accusée par les partisans de la rigueur de freiner le train de réformes [3].

La réalité est que la résistance passive de l’administration a triomphé des réformateurs, mettant sous le boisseau les réajustements structurels et les licenciements. La version officielle était qu’ils étaient jugés trop dangereux pour la stabilité sociale. Une autre raison non dite était qu’ils heurtaient de plein fouet les intérêts acquis des administrations locales et d’une partie de l’oligarchie connectées à la nébuleuse industrielle publique.

Du coup, contournant l’inertie, la cible réformiste a été rajustée à son objectif le plus urgent destiné à rassurer les partenaires de la Chine fortement agacés par l’exportation à bas prix des surplus industriels. C’était l’un des thèmes du discours de Li Keqiang, le 26 juin dernier à Tianjin, à l’ouverture du « Davos d’été », organisé annuellement par la Chine depuis 2006.

A côté du tableau plutôt optimiste de la situation économique chinoise destiné à tempérer les inquiétudes européennes et américaines, il a évoqué « les importants surplus dans certaines régions aux structures économiques monolithiques » et assuré que le politburo s’efforcerait de les éliminer.

Tout en laissant entendre que les Européens avaient une vision biaisée de l’économie chinoise, il a réitéré cette promesse, le 12 juillet à Pékin, lors du sommet Chine – Europe, « Nous prenons des mesures fortes et efficaces pour réduire les surproductions ». 5 jours plus tard, le Global Times publiait un long article mettant l’accent sur l’urgence du problème en prenant l’exemple de la production automobile dont, dit l’article, les surplus atteindraient 20 millions de voitures en 2020.

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Éponger les dettes des entreprises.

La croissance de la dette des entreprises ralentit depuis 2009, mais reste supérieure à la croissance du PIB. (source Bloomberg).

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Le deuxième chantier d’urgence auquel s’est attelé le pouvoir est également lié au secteur industriel d’État, ciblant cette fois les dettes accumulées par les groupes publics. La manœuvre est en cours depuis l’été 2015, avec la contribution des banques publiques forcées de mettre la main à la pâte, transférant à la fin 2015 près de 500 Mds de $ de dettes des groupes publics vers les comptes des banques d’État.

Toujours pour éponger les créances des entreprises publiques, le 18 juillet, le gouvernement a autorisé l’échange (swap) entre les dettes toxiques (titrisation) et les prises de participation au capital des sociétés par la banque de Chine et 4 banques d’affaires (Banque Industrielle et Commerciale, Minsheng Bank, EximBank et Merchants Bank) pour un premier montant de 1000 Mds de Yuan (136 Mds d’€).

En même temps, en dépit de la promesse faite au 3e plenum de prendre ses distances avec la gestion financière de l’appareil productif public, le ministère des finances avait favorisé la création de fonds d’investissements publics-privés à vocation de développement, mais où le rôle des pouvoirs publics reste prépondérant, ce qui n’éloigne pas vraiment le nouveau schéma de ses anciens travers que sont les excès d’investissements publics et l’intervention de l’État dans le marché.

Relancer l’investissement et contrôler les dérives.

Croissance de prêts bancaires comparée à l’agrégat monétaires M2 (Liquidités + dépôts à vue + dépôts à terme). Une faible décélération a commencé courant 2015. La valeur des prêts est passé de 3000 Mds de $ en 2007 à près de 15 000 Mds de $ en 2015. Dans le même temps la masse des liquidités et des dépôts bancaires est passée de 5000 Mds de $ à 21,6 Mds de $. Source Banque de Chine.

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Là aussi, mesurant les dérives de ce qui pourrait s’apparenter à une régression ou, au moins, à un piétinement de la réforme risquant de nourrir une nouvelle accumulation des dettes, le pouvoir à rendu publiques deux séries de mesures.

La première, prise le 18 juillet, vise à faciliter les investissements. La deuxième est son complément destiné à contrôler la validité des investissements pour éviter les dérapages des investissements dont Georges Soros avait souligné les risques en janvier 2016 [4].

Le « volet financement » a consisté à élargir la liste des institutions autorisées à investir dans des obligations émises par les groupes publics, en y ajoutant le fond national de sécurité sociale et les assurances. Simultanément, le gouvernement espère, grâce à des facilités administratives et fiscales attirer plus d’investissements privés – dont le volume s’est récemment contracté – dans les secteurs stratégiques du pétrole, du gaz naturel, du rail, de l’énergie et des télécoms.

La deuxième mesure est une série des contraintes rendues publiques le même jour qui définissent les limites et les conditions des financements. Publiées par la Commission de régulation boursière, elles fixent des quotas d’investissements et d’emprunts limitant à la fois les volumes d’emprunts et interdisant la reconduite des dettes au-delà de leur maturité initiale. Avec l’appui de l’association des gestionnaires d’actifs (sigle anglais AMAC, en chinois 中国 证券 投资 基金业 协会),elles obligent les opérateurs à mieux contrôler l’origine des fonds et la qualité des obligations en les reliant à la validité des projets de développement attestée par un dossier plus détaillé que par le passé.

Parallèlement à ces décisions visant à réduire les surplus industriels et à freiner les dérives financières des groupes d’État provoquant une accumulation de dettes, les pouvoirs publics se sont appliqués à freiner la baisse du Yuan et l’évasion des capitaux.

Freiner la baisse du Yuan et l’évasion des capitaux.

Le graphe montre le déclin des réserves de change (en bleu) à partir de mai 2014, directement relié aux estimations de fuite de capitaux variant entre 30 Mds et 120 de $ par mois entre l’automne 2015 et janvier 2016. En juin 2016, les réserves de change ont recommencé à augmenter.

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Alors que le 18 juillet le Yuan avait chuté au-dessous de la barre des 6,7 $ pour la première fois depuis 2010, la banque de Chine intervient activement pour freiner la baisse évaluée à 3% depuis janvier 2016. La stratégie de contrôle serrée du change – selon Reuters, la Banque de Chine n’autorisera pas la monnaie à descendre au-dessous de 6,8 $ - vise à éviter l’effritement de la confiance à l’origine d’une importante fuite de capitaux décelable depuis 2014.

Mais les dernières statistiques montrent que l’hémorragie a cessé. Après avoir ponctionné en moyenne entre 15 et 30 Mds de $ par mois de ses réserves de change (173,8 Mds de $ depuis janvier 2016), la banque de Chine et l’autorité de régulation des changes ont affirmé le 21 juillet que la fuite des capitaux s’était ralentie.

La bonne nouvelle était accompagnée d’une autre : en juin, les réserves de change qui n’avaient cessé de baisser, tombées de 3650 Mds de $ en juillet 2015 à moins de 3200 Mds de $ en mai 2016, ont augmenté en juin de 13,4 Mds de $, grâce à la valorisation des actifs dans lesquels le fonds souverain a investi les réserves. (Wang Chunying porte parole du bureau de gestion des réserves de change – Sigle anglais SAFE, en Chine 国家 外汇 管理局).

Entre relance et rigueur.

Les projets de TGV chinois visent à terme à équiper le pays de 45 000 voies à grande vitesse. Fin 2015, le pays comptait déjà 19 000 km de voies à grande vitesse.

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Mais la bataille que se livrent les adeptes de la rigueur et ceux de la relance est loin d’être terminée. Le dernier exemple en date d’un projet d’investissements massifs engagé dans le cadre de l’aménagement du territoire dont le Conseil des Affaires d’État espère qu’il maintiendra la croissance a été rendu public le 21 juillet.

Il vise à construire un réseau de 16 axes de TGV essentiellement au centre du pays avec une branche vers le Xinjiang et deux autres vers le nord-est dont le coût initial sur les 5 prochaines années sera de 3800 Mds de Yuan (517 Mds de €). Une fois terminé, le réseau de voies rapides (déjà 19 000 km fin 2015) serait étendu à 45 000 km.

Déjà les critiques attirent l’attention sur la difficulté des retours sur investissement 2 fois plus longs que pour les trains classiques et les risques liées à de nouveaux gaspillages autour d’aussi vastes investissements. Quant aux avocats du projet, leurs arguments évoquent les nécessités de l’aménagement du territoire et les incomparables expériences acquises par le rail chinois à travers la construction d’un aussi vaste ensemble, devenant d’exceptionnels atouts à l’export.

Les deux thèses s’expriment au sommet du pouvoir et jusque dans les organismes créés pour piloter les réformes. A côté du Groupe dirigeant pour les affaires financières et économiques où Liu He [5], le réformateur orthodoxe tient le haut du pavé, Xi Jinping avait créé en 2013 un groupe parallèle dont la mission, plus politique est de veiller à l’équilibre socio-politique des réformes. Il s’agit du « Groupe dirigeant pour l’approfondissement extensif des réformes 中央 全面 深化改革领导小组 » dont le secrétaire exécutif est Wang Hunning un autre conseiller proche de Xi Jinping,lui-même assisté dans ce groupe de Li Keqiang, Liu Yunshan et Zhang Gaoli.

Alors que la restructuration de l’appareil productif s’est assez vite enlisée dans le manque de loyauté d’une partie de l’administration, les freins bureaucratiques et la crainte des effets sociaux des réformes, Li Keqiang et Liu He qui avaient contribué à la rédaction du rapport de la Banque Mondiale « China 2030 » doivent aujourd’hui méditer l’évocation des obstacles aux réformes de la page 65 qui ciblait « des groupes, qui profitent de rentes de situations découlant de leurs relations privilégiées avec les décideurs politiques et protègeront résolument leurs intérêts grâce à leur pouvoir, leurs ressources et leurs connexions. »

Note(s) :

[1Il est évident que ces chiffres proposés par le MCKinsey global institute sont indicatifs. Mais ils permettent de fixer les idées par comparaison avec la situation d’autres économies. En Allemagne par exemple, la part des dettes des entreprises ne compte que pour 21% de la dette totale, à hauteur de celle des ménages. En revanche les dettes de l’appareil d’État comptent pour 31% et celles des banques pour moins de 8%.

[2Au cours du premier trimestre seulement, les tribunaux ont accepté 1028 faillites (+52,5% par rapport à 2015). Alors qu’elle existe depuis 2007, la loi sur les faillites était jusqu’à présent assez peu appliquée. L’accélération du nombre de faillites est un effet de la décision du pouvoir d’élaguer l’appareil industriel des entreprises non rentables.

[3La difficulté de la réforme des SOE qui touche aux intérêts acquis, est illustrée et aggravée par le fait que leur mise en œuvre est répartie entre plusieurs centres de pouvoirs dont les visions réformistes ne sont pas cohérentes. Les uns privilégient la transparence et la vérité des comptes, la rigueur, les faillites et les licenciements, comme le ministère des finances et le département de l’organisation du parti, tandis que d’autres, tels la SASAC, la Commission pour la réforme et développement et le ministère du travail ont en tête, la stabilité sociale et, sans le dire, la protection des intérêts acquis.

[4Le 7 janvier 2016 « Soros avait expliqué que la Chine a un important problème d’ajustement de ses finances publiques pouvant déboucher sur une crise comparable à celle de 2008 ». Le commentaire sur les risques posés en Chine par un excès d’investissements avait provoqué une réplique acerbe du Quotidien du Peuple qui, le 27 janvier 2016, accusait le milliardaire de « déclarer une guerre financière à la Chine ».

[5Liu He (64 ans), spécialiste de macro économie, des structures industrielles et des techniques de l’information. Formé à l’Université du Peuple, titulaire d’un Master d’administration publique à Harvard, il fut n°2 du Centre de recherche du Conseil des Affaires d’État qui avait contribué au rapport « China 2030 « préparé par la Banque Mondiale. Membre du Comité Central, il est aujourd’hui le Directeur exécutif du Groupe dirigeant pour les finances et l’économie, dont le Président est Xi Jinping et l’adjoint Li Keqiang. Il cumule cette fonction avec celle de n°2 de la Commission de Réforme et développement.

 

 

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