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›› Chronique

Xinjiang, le régime s’inquiète de la nouvelle empreinte globale de l’ETIM. 

Image du site Islam Awazi du Parti Islamique du Turkestan. Le 28 mai 2016, il a posté un message d’Abd al-Haqq al-Turkistan que les services de renseignements pakistanais croyaient morts, tué par un drone américain au Waziristan en février 2010. Le chef du mouvement prenait ses distances avec l’État Islamique, dénonçait l’appui de la Russie et de l’Iran à la Syrie, appelait l’organisation à la fois à la guerre sainte globale et au retour des Dhijadistes ouïghour au Xinjiang.

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L’image que les commentateurs se font en général du rapport de la Chine avec les religions est celle d’une grande tolérance. Elle est plutôt exacte si on limite l’observation à celle des pratiques religieuses et de leur expression publique.

Elle ne l’est plus dès lors que le pouvoir considère que l’observance mystique empiète sur la sphère politique et menace le pouvoir et d’autres dogmes, comme ceux de l’unité du pays ou de la primauté du Parti. Ce critère absolu ne souffrant aucune exception, il règle l’attitude du régime envers la métaphysique, qu’elle soit d’essence bouddhiste, chrétienne ou musulmane.

Ajouté à d’autres facteurs, ce crible politique constitue l’épine dorsale des tensions avec les différentes communautés religieuses. Au Tibet, depuis plus d’un demi-siècle, le régime est aux prises avec un mouvement appuyé par les monastères et le Dalai Lama en exil. Si les modérés ne réclament que l’autonomie culturelle, les utopistes vont jusqu’à revendiquer l’indépendance, chiffon rouge agité sous le nez du régime, qui attise la férocité implacable des répressions (lire : Tibet, A Different View, a Different Way).

La sensibilité politique des religions est aussi l’arrière plan des harcèlements contre les églises, les croix et les pratiques mystiques des communautés chrétiennes dont les plus visibles s’expriment au Zhejiang souvent évoquées par Question Chine. (lire notre article Le Pape François en Corée. Retour sur les relations entre le Vatican et la Chine)

Au passage, l’intransigeance du politburo pour tenir à distance toute intrusion de la religion dans les plates-bandes politiques du pouvoir réglant de manière univoque ses relations avec la société chinoise s’accompagnant aussi d’incessants efforts pour mettre la sphère mystique à sa main et établir des religions aux « caractéristiques chinoises », constitue un des principaux obstacles au rapprochement entre la Chine et le Vatican.

Pour l’heure le seul espoir de normalisation ne réside pas dans l’éventuelle souplesse du Politburo, mais dans l’habileté et la plasticité dogmatique du Pape François, premier Jésuite de l’histoire placé à la tête de l’église, dont l’histoire en Chine fut d’abord couronnée de succès quand la Compagnie de Jésus en réglait la marche.

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L’Islam, objet des attentions de la sécurité publique.

Mais aujourd’hui, ce sont les relations avec les Musulmans ouïghour qui illustrent le mieux le raidissement du pouvoir face à la montée d’une mystique religieuse que Pékin considère comme un dangereux ferment de rupture, capable d’appuyer efficacement l’ancienne revendication d’indépendance du « Turkestan oriental ».
Lire notre article Contrôle des religions. Islam en Chine et troubles au Xinjiang

A Pékin, l’affaire est prise très au sérieux, d’autant que les tensions au Xinjiang ayant culminé le 5 juillet 2009 à Urumqi par les violentes émeutes contre les Han des groupes de Ouïghour enragés (197 morts avérés, dont 137 Han et 46 Ouïghour + 1800 blessés), sont aujourd’hui connectées aux mouvements radicaux les plus extrêmes en Syrie et en Irak, non seulement par le truchement de groupes radicaux d’Asie Centrale, mais aussi et surtout par le Parti Islamiste du Turkestan (Sigle anglais TIP) devenu un des nombreux acteurs de la mouvance terroriste radicale dont la stratégie et les discours expriment désormais des intentions globales dépassant le simple cadre du Xinjiang et de l’Asie Centrale.

Au demeurant, même manqué et non revendiqué à l’heure de la rédaction de cette note, l’attentat suicide perpétré le 30 août contre l’ambassade de Chine au Kyrgyzstan accrédite cette analyse aux yeux de Pékin et conforte son choix répressif [1].

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Certes la vision de nombre d’observateurs occidentaux attribuant les troubles au Xinjiang aux excès policiers garde sa pertinence. Il n’en reste pas moins que le terrorisme djihadiste s’est, depuis quelques années, invité dans les rapports entre le régime et la population Ouïghour de plus en plus étroitement quadrillée et surveillée, au point que l’attention inquisitrice de la police se focalise ouvertement, non plus uniquement sur les indices d’irrédentisme et les complicités avec les réseaux terroristes, mais également sur la pratique religieuse et les signes vestimentaires qui y sont liés.

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Pratiques religieuses et vêtements musulmans dans le collimateur.

Traditionnellement la pratique religieuse des Ouïghour est modérée. Récemment pourtant une double influence venant du Moyen Orient et des Taliban afghans a conféré à la pratique une plus grande rigueur.

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L’exacte mesure des tendances à surveiller les pratiques et l’habillement, apparues il y a déjà quelques années, est difficile tant est sévère le blocage de l’information venant du Xinjiang.

En dehors de la propagande officielle qui calibre l’appréciation de la situation à l’aune des mantras politiquement corrects de la tolérance religieuse et du développement socio-économique dont une partie des Ouïghour se sentent pourtant exclus, les seules indications sur la réalité de la situation viennent de la radio américaine Radio Free Asia en Chinois par le truchement de correspondants locaux acceptant contre rémunération et en prenant des risques, de communiquer à l’extérieur par delà les barrages de la censure.

Par ces sources que le pouvoir chinois conteste et tente de faire taire, on apprend qu’à Kashgar, Hotan et Aksu par exemple, lieux où les tensions entre la police et les Ouïghours restent vives (lire notre article Grave attentat dans une mine de charbon d’Aksu), les élèves des collèges doivent remplir des formulaires qui les interrogent sur les pratiques religieuses de leurs parents, leur prières journalières, ainsi que le port de la barbe et du voile.

La campagne qui n’est pas nouvelle et ne peut qu’attiser le ressentiment anti-chinois des Ouïghour, s’inscrit dans le sévère projet répressif exprimé en 2014 par le président lui-même au milieu d’une campagne d’apaisement des liens avec les responsables de la communauté musulmane.

Après le traumatisme politique des émeutes d’Urumqi en 2009, une succession d’attentats aveugles eut lieu à un rythme accéléré en 2014 dont les plus spectaculaires avaient secoué la gare de Kunming (1er mars 2014, 29 morts, 130 blessés) et Urumqi (22 mai 2014, 42 morts).

Choqué le régime avait, par la voix du n°1, tenu un discours qui s’apparentait beaucoup aux réactions de l’exécutif américain après le 11 septembre 2001 « il faut réduire les terroristes à l’état de “rats“ courant dans les rues et chassés par tous les Chinois ».

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NOTE de CONTEXTE.

Dans un long article publié le 17 août dans « The Diplomat », le chercheur Kirghize Urban Botobekov, Docteur en sciences politiques, explorait l’évolution du terrorisme ouïghour.

Sous un titre inquiétant et peut-être alarmiste « China’s nightmare, Xinjiang Jihadists go global », l’analyse s’attardait cependant sur les stratégies et leurs connexions avec le chaos moyen oriental du Parti Islamiste du Turkestan, également connu sous le nom de Mouvement islamiste du Turkestan oriental (Sigles anglais TIP ou ETIM).

Principal bras armé du projet indépendantiste ayant aujourd’hui une très nette empreinte religieuse, le groupe s’était d’abord affilié à Al Qaeda (2001) puis à l’État islamique (2013) avant d’exprimer un projet alternatif qui mérite attention.

Le 28 mai 2016, le site de l’ETIM Islam Awazi postait un message d’Abd al-Haqq al-Turkistan que les services de renseignements pakistanais croyaient mort, tué par un drone américain au Waziristan en février 2010.

La communication réaffirmait non seulement l’objectif final du groupe terroriste au Xinjiang, mais confirmait aussi que l’ETIM se battait en Irak et en Syrie : « Aujourd’hui nous combattons aux côtés de nos frères au pays de Shâm (territoire sacré des Musulmans recouvrant la Syrie, la Palestine, le Liban et la Jordanie), mais demain les soldats de l’Islam devront retourner en Chine pour délivrer le Xinjiang des envahisseurs communistes ».

En même temps, le message se démarquait nettement de l’État Islamique, affirmant que « la proclamation du Califat par ISIS était prématurée puisqu’elle avait été prononcée sans l’accord de la communauté des croyants (Ummah). Sa base ne devrait pas être politique, mais devrait seulement s’appuyer sur la Charia ». La déclaration poursuivait en condamnant l’exécution de Musulmans innocents et remettait en cause la crédibilité d’orthodoxie religieuse du dirigeant de l’ISIS, Abu Bakr al-Baghdadi.

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Pour les organes de sécurité du régime chinois, l’événement est capital. L’ETIM prend en effet de l’ampleur et s’extrait de la sphère limitée du Xinjiang. Affirmant son autorité dogmatique en opposition à l’ISIS, il se projette dans une lutte globale de l’Islam contre « les mécréants ». Récemment plus d’une trentaine de vidéos de propagande dénonçant radicalement le régime chinois et appelant à guerre sainte globale de l’ETIM, ont été mises en ligne.

Un magazine en arabe publié depuis 2008 en version papier et aujourd’hui mis en ligne traite de la doctrine salafiste (retour aux sources), avec des référence proches de celles des Taliban. Surtout, il fait amplement état des répressions anti-Ouïghour du régime chinois et analyse les événements en Syrie et en Irak où l’intervention occidentale est assimilée à une nouvelle « croisade ».

Au passage, le site accuse la Russie et l’Iran tous deux alliés de la Chine de faire le jeu du tyran Bashar el Asad, avant de conclure que « les chars et les avions russes ne parviendront pas à sauver les régime Alaouite qui sera détruit par les Djihadistes. »

Mais pour Pékin, le plus préoccupant est que la propagande exhorte les 2000 combattants ouïghour opérant au Moyen Orient à revenir en Chine pour se battre contre le régime. Fin juillet une vidéo décrivant la vie des Djihadistes ouïghour en Syrie était accompagnée d’images de la répression chinoise au Xinjiang.

Voir Jihadology : a clearinghouse for jihādī primary source material, original analysis, and translation service
(traduction en anglais en surimpression).

Note(s) :

[1Le 30 août, à Bichkek un véhicule ayant forcé les barrières de sécurité a explosé dans l’enceinte diplomatique chinoise où se trouve également la résidence de l’ambassadeur, située à l’écart du centre-ville. A côté des trois blessés kirghizes appartenant à la sécurité de l ‘ambassade, le seul mort est le conducteur du véhicule lui-même.

 

 

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