Your browser does not support JavaScript!

Repérer l'essentiel de l'information • Chercher le sens de l'événement • Comprendre l'évolution de la Chine

 Cliquez ici pour générer le PDF de cet article :

›› Société

Pollution des sols, exode rural et revenus agricoles

Tournant le dos aux vieilles obsessions de rendement et d’accumulation, le ministère de l’agriculture a mis en jachère 400 000 hectares de terres arables pour en restaurer la fertilité gravement endommagée par la pollution. La décision a été facilitée par le bon état des stocks de céréales et accélérée par l’urgence de moderniser l’agriculture et d’augmenter les revenus des fermiers.

*

Après les vacillements de Trump sur le climat qui, durant sa campagne, entonna l’air des climato-sceptiques, la Chine restera t-elle seule avec quelques autres dont la France en première ligne de ce combat déserté par l’Amérique ? Peut-être.

En tous cas les hésitations du nouvel exécutif américain n’ont pas entamé la détermination du régime chinois. C’est que la direction politique chinoise affronte pour l’heure un tout autre défi que le réchauffement climatique. Peu lui importe en effet que ce dernier soit ou non lié aux émissions empoisonnées des hommes.

En revanche, Pékin a bien compris les dégâts provoqués dans l’opinion par la pollution. Celle de l’atmosphère devenue assez souvent irrespirable dans les grands centres urbain, celle des sols et celle de l’eau, rivières, fleuves et nappes phréatiques.

Après une première offensive contre la pollution de l’air, épine dorsale de l’action écologique du 5e plan, 13e du genre, rendue public en mars dernier [1], confirmant la prise de conscience à l’œuvre à la tête du régime depuis 2013, voilà que Pékin s’attaque à la pollution des sols.

Pollution des sols : prise de conscience au sommet.

40% des terres arables sont épuisées par l’abus d’engrais chimiques et par les polluants.

*

En janvier 2014, évolution majeure, la prise de conscience était exprimée directement par un conseiller scientifique du gouvernement. Chen Xiwen agronome de formation, ancien chercheur à l’Académie des Sciences Sociales, n°2 du centre de recherche du Conseil des Affaires d’État, estimait que 3,3 millions d’hectares de terres agricoles (soit 2,5% des terres arables), la plupart dans des régions céréalières, étaient très gravement polluées par des métaux lourds, affectant annuellement 12 millions de tonnes de céréales.

Ce n’est pas tout. A côté de la pollution directe qui rend de vastes surfaces impropres à l’agriculture, les autorités chinoises constatent l’épuisement de 40% des terres arables (Xinhua novembre 2014), par érosion et excès d’acidité s’ajoutant à l’effet des polluants.

Ces alertes incitèrent le Comité Central lui-même à pointer du doigt l’urgence de restaurer la qualité des terres agricoles pour éviter une crise de la sécurité alimentaire du pays.

Expérience d’assolement.

A la mi-novembre 2016, le gouvernement a pris la décision inédite de laisser en jachère 400 000 hectares de terres arables dans le cadre d’un programme d’assolement signalant un changement radical des mentalités. S’il est vrai que l’expérience reste très limitée au regard de l’ampleur des problèmes, elle représente une évolution des réflexes bureaucratiques jusque là obsédés par les rendements et l’ancestrale peur de manquer à l’origine des surproductions et de l’abus des pesticides.

Pour Wang Jing, représentant de Greenpeace pour l’Asie de l’Est, « le ministère de l’agriculture a pris conscience qu’il était impossible de poursuivre une politique des rendements au détriment de l’environnement, tout en gardant secrètes les informations sur la pollution des sols. » En mai dernier son collègue de l’environnement avait déjà tiré la sonnette d’alarme pointant du doigt les conséquences néfastes pour les sols des fertilisants, des pesticides et de l’élevage intensif.

Ma Jun, président de l’Institut d’écologie, une ONG de recherche sur les questions environnementales, déjà cité par QC, estime que la décision du gouvernement de laisser reposer la terre en encourageant et subventionnant les initiatives locales dans les régions les plus sévèrement touchées, va dans la bonne direction.

Jusqu’à présent, encore sous le coup des vastes famines ayant frappé le pays à la fin des années 50, tendu par l’exigence de suffisance alimentaire dans un contexte général où l’industrialisation et l’urbanisation de pays n’ont cessé de réduire les surfaces cultivables, le pouvoir communiste avait en effet toujours hésité à laisser les terres arables en jachère.

Tourner le dos à la course aux rendements.

Les stocks de maïs sont estimés à 125 millions de tonnes. 2016 marque la fin d’une période d’accumulation au cours de laquelle la surface cultivée en maïs avait augmenté de 30% entre 2008 et 2016.

*

Mais, aujourd’hui, après plus de 10 années de rendements record, les pressions autour de la suffisance se sont allégées, tandis que les stocks de réserves sont à leur maximum, accumulés par une production de céréales très supérieure à la demande.

En revanche, les tensions sur les revenus agricoles s’aggravent. En dépit des subventions maintenant les prix du riz, du blé et du maïs, les revenus des agriculteurs et leur niveau de vie, grevés par l’inflation du coût des pesticides, des fertilisants, du foncier et de la main d’œuvre, continuent à baisser de manière alarmante.

Entre 2015 et 2016, le prix moyen de la tonne de céréales est passé de 757 Yuan (103 €) à 119 Yuan (16 €). Et les statistiques montrent que la tendance s’accélère avec une baisse prévisible à brève échéance des revenus paysans de 800 Yuan (109 €) par hectare.

Au point que certains experts affirment que les pouvoirs publics feraient de substantielles économies budgétaires en important plus de céréales, les économies ainsi réalisées (en moyenne 600 Yuan – 82 € par tonne, selon les médias officiels chinois) pouvant être consacrées à la modernisation de l’agriculture, seul moyen de redresser les revenus des fermiers.

*

Tel est l’arrière plan à la fois agricole, économique et social des mesures de mise en jachère récemment décidées et auxquelles le budget public a l’intention de consacrer 1,5 Mds de Yuan (200 millions d’€). La pression sur les rendements s’est éloignée, tandis que monte l’inquiétude sociale liée au niveau de vie des campagnes. Les deux tendances se conjuguent pour favoriser la nouvelle approche plus respectueuse des sols.

Selon Yu Xinrong , vice-ministre de l’agriculture cité par le magazine Caixin auteur de cette étude, la politique d’assolement décidée alors que les récoltes sont abondantes et les stocks suffisants, n’aura pas seulement pour effet de reconstruire la santé des sols, mais également de promouvoir une agriculture « durable ». Elle contribuera aussi à alléger les tensions sur les prix à la baisse liées à la surproduction et à stabiliser les revenus agricoles.

Pour autant, des voix s’élèvent pour critiquer la faible portée de l’exercice et mettre en garde contre deux travers bureaucratiques et le puissant impact de l’évolution des habitudes alimentaires :

1) La faible implication des administrations locales dont les atermoiements freineront la mise en œuvre de l’expérience ;

2) La tendance à imposer partout les mêmes recettes, là où il faudrait les adapter aux conditions locales ;

3) L’augmentation de la consommation de viande de bœuf qui commence à bouleverser les équilibres agricoles du pays, multipliant drastiquement la demande de céréales, au point qu’en 2020 la Chine concentrera 40% du commerce de maïs mondial. Selon les actuelles projections elle en sera le premier importateur dès 2023.

Mise à jour le 10 décembre

Le 5 décembre, le Conseil des Affaires d’Etat a publié un plan national de lutte contre la pollution imposant aux 300 plus grandes villes de garantir une qualité de l’air de niveau bonne ou excellente au moins 292 jours par an d’ici 2020, soit un progrès de 3% par rapport aux exigences précédentes qui étaient de 280 jours. Concrètement il s’agit de réduire la concentration des particules fines de 18% pour atteindre 35 microgrammes par mètre cube 4 jours sur 5.

Rappelons cependant que l’air des grands centres urbains de la côte Est et du nord atteint aujourd’hui des concentrations 10 fois supérieures. L’objectif d’assainissement de l’air sera d’autant plus difficile à atteindre qu’en dépit de la suspension ou de l’annulation de constructions de centrales à charbon, essentiellement dans la région de Pékin et sur la côte Est, les régions du Hebei (Pékin-Tianjin), du Shandong, du Zhejiang, du Fujian et de Canton concentrent encore, avec le Heilongjiang et le Yunnan, de nombreux projets de centrales thermiques polluantes.

Au cours du week-end du 4 décembre à Pékin les concentrations de particules fines ont atteint 500 microgrammes par m3. Pour mémoire au cours du récent pic de pollution en France la concentration était de 100 microgramme dans les zones les plus polluées.

Le plan de protection de l’environnement cible aussi les effluents chimiques déversés dans les cours d’eau et les eaux non traitées avec pour objectif de réduire la proportion des eaux gravement polluées inutilisables pour l’irrigation de 9,7% en 2016 à 5% en 2020.

++++

Note de Contexte.

Les grands défis de l’agriculture.

Au cours des 30 dernières années l’urbanisation, la désertification et la pollution ont fait disparaître de multiples petites exploitations agricoles. Pour résoudre le dilemme population – ressources qui se double de fortes tensions sur les revenus agricoles, le pouvoir table sur la modernisation.

*

Le combat que vient de lancer le gouvernement pour restaurer la qualité des sols, vaste entreprise par endroits impossible, compte tenu du niveau de dégradation des terres gravement polluées par de longues années de rejets chimiques non contrôlés, est l’occasion de revenir sur la situation socio-économique du monde agricole chinois dont il faut rappeler la puissance avant d’énumérer les défis auxquels il doit faire face.

Contribuant à 10% du PNB, l’agriculture emploie plus de 200 millions de personnes (30% de la main d’œuvre chinoise) qui font de la Chine le premier producteur mondial de coton, de riz, de viande de porc, de fruits et de légumes. Dans le passé, en dépit des vicissitudes de l’histoire et de la nature, les fermiers chinois ont nourri presque 3 fois plus de personnes que les paysans du reste du monde.

Aujourd’hui, la demande de la nouvelle classe moyenne pour plus de protéines et de viande bovine augmente considérablement la demande en céréales et bouleverse le paysage traditionnel de l’agriculture chinoise.

S’il est vrai que la Chine ne figure encore qu’au 12e rang mondial des pays consommateurs de viande avec 28% de la consommation globale, la forte hausse des régimes carnés (porc, volaille et bœuf) aura à court terme un impact sur les émissions de gaz et l’équilibre sanitaire de la population chinoise. Au point que le gouvernement a, en juin dernier, décidé de lancer une campagne pour réduire de 50% la consommation de viande dans le pays.

Autre évolution notable modifiant l’ancestral schéma de l’agriculture chinoise articulée autour d’une consommation de riz au sud, de céréales au nord avec peu de consommation d’ovins et de bovins au profit des poissons des volailles et du porc : l’augmentation spectaculaire de la consommation de lait. En 2017 elle représenterait un marché de près de 100 Mds de $, mobilisant d’importants investissements chinois et étrangers (Alibaba, Fosun, COFCO, Danone, Arla) dans les laiteries chinoises telles que Mengniu, Huishan et Shengmu.

*

Le double mouvement d’industrialisation et d’urbanisation rapide entraîne la conversion de vastes surfaces périurbaines en zones constructibles dont la valorisation foncière profite plus aux promoteurs immobiliers et aux administrations locales qu’aux fermiers.

Expulsés par les projets immobiliers, ces derniers mal indemnisés deviennent pour partie des migrants, main d’œuvre socialement vulnérable des usines d’assemblage de l’atelier du monde.

Mais la stratégie du pouvoir d’augmenter massivement la population urbaine (240 millions de ruraux migrant vers les villes entre 2013 et 2025) repose sur l’arrière pensée d’une meilleure efficacité agricole obtenue par la diminution du nombre de fermiers, épine dorsale de la modernisation des campagnes et de l’agriculture.

Pour Pékin, les clés en sont 1) le remembrement des parcelles autorisé par la chute de la pression démographique rurale, condition de meilleurs rendements et 2) le choix de l’agriculture organique ayant des effets bénéfiques, tant sur la qualité des produits, la sécurité alimentaire et la compétitivité à l’export. Nous sommes là devant un des paradoxes chinois.

La mode Bio, les pesticides et les scandales alimentaires.

Alors que l’agriculture souffre d’une mauvaise image née de fréquents scandales alimentaires, l’élan pour l’agriculture bio gagne en ampleur, essentiellement dans les produits laitiers, le vin, les cultures maraîchères, les aliments pour bébé, l’huile d’olive et les céréales, au point qu’avec plus de 2 millions d’hectares, la Chine s’est hissée au 4e rang mondial des surfaces bio après l’Australie, l’Argentine et les États-Unis (source Natexbio).

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le pays compte toujours parmi les plus gros consommateurs au monde d’engrais et de pesticides et son image de fiabilité alimentaire est encore fragilisée par les scandales et la faiblesse des contrôles.

La réputation aléatoire des produits agricoles chinois que le pouvoir s’applique à redresser est, avec la forte consommation domestique, à l’origine de la place modeste des exportations agricoles avec 35 Mds de $, assez loin derrière l’UE, n°1 mondial avec 120 Mds de $, les États-Unis 115 Mds de $ et le Brésil 65 Mds de $ (chiffres de 2013). Au palmarès des importateurs, la Chine est au 2e rang avec 84 Mds de $ en 2013, au même niveau que les États-Unis, dernière l’UE (100 Mds de $).

Innover pour relever les revenus agricoles.

La mode de l’agriculture BIO se développe rapidement. Au point qu’en surfaces cultivées la Chine est aujourd’hui en 4e position dans le monde.

*

Par dessus tout le pouvoir fait feu de tous bois pour tenter de relever le niveau de vie des fermiers. Récemment, le ministère de l’agriculture a annoncé un plan ambitieux de commercialisation des produits agricoles par internet avec l’objectif d’atteindre 116 Mds de $ de ventes en ligne en 2020, contre seulement 20 Mds en 2015.

Selon le site du ministère, le succès reposera sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de collecte des données qui devraient améliorer la mise en relation des vendeurs et des clients et aider à résoudre les défis logistiques de la vente en ligne.

Objectif prioritaire : en augmentant la densité des échanges, améliorer les revenus des agriculteurs (En moyenne à peine 1500 € par an en 2015). Le plan comprenait également des cours de formation dispensés aux fermiers pour les former à l’utilisation de « smartphones » et d’ordinateurs.

L’initiative dont il faut souligner l’esprit moderniste et la souplesse ayant valeur d’exemple, vise à réduire les circuits de distribution. Elle est cependant freinée par les réseaux des grands intermédiaires qui tiennent le haut du pavé dans le secteur où la capacité à distribuer rapidement des produits frais dépend d’une puissance logistique encore hors de portée des agriculteurs mal organisés.

La volonté des pouvoirs d’aller de l’avant en dépit des obstacles est remarquable. En 2015, il existait déjà 30 000 sites de vente de produits agricoles en ligne, allant des petits distributeurs locaux aux géants comme Alibaba et JD.com.

Les deux ont lourdement investi dans la partie logistique du projet qui leur permet d’approvisionner directement les clients en ligne sans passer par les intermédiaires. Il n’est cependant pas certains que les fermiers isolés seront les gagnants de cette guerre où les prix à la livraison sont tirés vers le bas par la rivalité des grands acteurs.

Enfin, le plus grand défi auquel la Chine est confrontée reste probablement le stress hydrique. Voir à ce sujet :
- Retour sur le stress hydrique chinois
- Le dessalement de l’eau de mer et le défi de l’eau potable

Note(s) :

[1Réduction de l’émission des particules fines de 25% - ce fut une première dans l’histoire chinoise – ; priorité aux centrales au gaz ; promotion des énergies vertes ; utilisation des déchets dans les centrales. Dans son discours Li Keqiang avait aussi fait état des premier résultats : amélioration de l’intensité énergétique de 18% et baisse des émissions polluantes de 12% obtenue grâce à l’augmentation des contrôles ; lire à ce sujet : La longue marche chinoise vers la conscience écologique

 

 

Orage nationaliste sur les réseaux sociaux

[20 mars 2024] • Jean-Paul Yacine

Réseaux sociaux : La classe moyenne, l’appareil, les secousses boursières et la défiance

[19 février 2024] • François Danjou

L’obsession des jeux d’argent et les proverbes chinois

[19 janvier 2024] • La rédaction

Les tribulations immobilières de Liang Liang et Li Jun

[2 décembre 2023] • Jean-Paul Yacine

Au fil des réseaux sociaux, les faces cachées des funérailles de Li Keqiang

[7 novembre 2023] • Jean-Paul Yacine