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Pekin met l’embargo sur le charbon nord-coréen. Décryptage

Le 18 février dernier, le ministère du commerce chinois annonçait que la Chine suspendrait ses achats de charbon à la Corée du nord durant toute l’année 2017.

Plusieurs organes de presse occidentaux dont le New-York Times, l’AFP et Reuters ont souligné que, si elle était appliquée à la lettre, la mesure constituerait un coup sévère porté à Pyongyang dont 90% du commerce extérieur se fait exclusivement avec la Chine, 40% des échanges consistant précisément en des achats de charbon (chiffres du rapport publié le 24 septembre 2016 dans Nikei Asian Review).

On peut cependant douter que Pékin, pour qui la Corée du Nord, son allié de la guerre froide, est un véritable « airbag » stratégique tenant à distance les vélléités américaines de contrôler toute la péninsule coréenne jusqu’aux portes de la Chine, prenne le risque de mettre en danger le régime de Pyongyang, quand bien même elle le juge dangereux et rétif.

Le fait est qu’en dépit des résolutions des NU imposant des sanctions à la Corée du Nord après les 2 explosions nucléaires et les essais balistiques de 2016 (Résolutions n°2270 et n°2321 votées en mars et novembre), les importations chinoises de charbon nord-coréen ont augmenté de 12,4% en moyenne en 2016. A cet effet, l’exécutif chinois n’a pas formellement violé les sanctions, puisqu’il a tiré profit de la clause autorisant, jusqu’à un plafond limite, d’acheter du charbon à Pyongyang pour des raisons « humanitaires », cependant difficiles à caractériser.

Effet d’annonce. Avertissement sans frais.

Plus encore, l’effet d’annonce du 18 février qui, à l’évidence est un nouvel « avertissement sans frais » adressé à Pyongyang en même temps qu’un signal de bonne volonté en direction de Washington, a toutes les chances d’être également lié à deux occurrences pratiques contredisant la réalité du durcissement chinois : 1) Après le détournement des sanctions « à des fins humanitaires », le quota autorisé par les résolutions a déjà été atteint ; et 2) la Chine a elle-même décidé de réduire sa consommation de charbon pour lutter contre la pollution.

Pour autant, force est de constater que, contraint par le durcissement de l’arsenal des sanctions fixant désormais un plafond aux achats à des fins humanitaires, l’exécutif chinois sort progressivement des vieilles stratégies à double sens jouant sur les failles des résolutions onusiennes pour les contourner tout en affirmant qu’il les respecte. Mais chacun aura compris que l’objectif de Pékin n’est toujours pas de précipiter la chute du régime nord-coréen.

Alors quoi ?

En l’absense de commentaires officiels sur la décision, la meilleure hypothèse de décryptage est qu’il s’agit d’une nouvelle mise en garde après les tests nucléaires et balistiques de 2016 à quoi s’ajoute, cette fois, l’expression de l’agacement chinois après la nouvelle de l’assassinat en Malaisie du frère aîné de Kim Jong Un, dont Pékin soupçonne qu’il a été perpétré aux ordres de Pyonyang (voir la note de contexte).

Ce retour aux pires pratiques de la guerre froide articulées autour d’assassinats, d’attentats et d’enlèvements, donnant de son vieil allié une image internationale peu recommandable affaiblit la position chinoise. Elle est d’autant plus inacceptable que l’embargo sur le charbon est aussi parti d’une stratégie de marchandage chinois à l’usage de Washington, visant à prouver la bonne volonté de Pékin.

Un signal adressé à Washington.

Réagissant aux reproches du président Trump qui l’accusait de manquer de sincérité dans sa stratégie nord-coréenne, la Chine signale à la fois sa mauvaise humeur à l’égard de Pyongyang et, par ce geste symbolique, son désir que Washington assouplisse sa position pour faciliter la reprise des négociations. Après la volte-face de Washington sur la question taïwanaise, il n’est en effet pas impossible que Pékin juge le moment propice pour inciter la Maison Blanche à amender sa stratégie nord-coréenne.

D’où la concession de l’embargo sur le charbon dont Pékin attend une réciprocité américaine pour relancer les négociations, tout en veillant cependant à ne pas acculer Pyongyang dans une impasse. Compte tenu des tiraillements internes à l’éxécutif américain dont les stratégies sont devenues illisibles et imprévisibles, la réaction de la Maison Blanche est hypothétique. Pour l’heure celle-ci, qui n’a donné aucun signe d’ouverture, entend mettre en oeuvre le projet THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) auquel la Chine est farouchement opposée.

A ce state et en attendant mieux, si on voulait résumer les limites de la stratégie chinoise on pourrait l’articuler autour de deux déclarations récentes de responsables chinois.

Sortir du cercle vicieux des sanctions.

Le premier est Zhou Qi, directeur de l’Institut de la sécurité nationale de l’Université Qinghua à Pékin, dont les chercheurs constatent que la vieille alliance avec Pyonyang apporte des soucis et des complications : « Nous voyons que Pékin se montre aujourd’hui plus disposé que par le passé à amener le régime nord-coréen à résipiscence (…). Le Bureau Politique chinois dispose encore d’une marge de manœuvre mais la stratégie est risquée ».

L’analyse est complétée et nuancée par Wang Yi, ministre des Affaires étrangères. S’exprimant le 18 février à la conférence sur la sécurité à Munich, il a à la fois réaffirmé la volonté de la Chine d’appliquer strictement les résolutions 2270 et 2321 « 我们当人要继严格执行联合国安理会决议, 特别是 2270 和2321决议 », tout en répétant que la reprise des négociations et le retour à la paix étaient possibles « 复谈 还有 机会 ;和平仍 有 希望 ».

Il a aussi mis en garde ceux qui pourraient ajouter aux tensions en répétant le cercle vicieux des sanctions « 各方 都 不要 采取 任何 导致 局势 紧张 激化 的 行动 », à l’œuvre depuis la rupture du dialogue en 2009 autour d’une successions de tests nucléaires, de sanctions, de nouveaux tests et de nouvelles sanctions « 呈现 出 核试, 制裁, 再 核试, 再 制裁 的 负面 循环 ».

Pour le régime chinois, l’avertissement adressé à Pyongyang le 18 février n’ira donc pas jusqu’à risquer de bouleverser la stabilité de la péninsule et mettre en péril la Corée du nord. Tout en reconnaissant l’acuité de la question nucléaire et acceptant le risque posé par le durcissement face à son partenaire rétif, Pékin ne dévie cependant pas de l’idée consistant à donner la priorité à la négociation.

Evidemment, la Direction chinoise espère qu’à Séoul, le successeur de Madame Park, la présidente discréditée dans les sondages et « empêchée » en décembre dernier, sera sur cette même ligne accommodante, plus souple que celle de Washington.

La réponse viendra très rapidement puisque, selon la constitution sud coréenne des élections présidentielles doivent être tenues dans les 60 jours après un « empêchement » du président. En arrière plan montent les tensions entre Pékin, Washington et Séoul sur l’installation autorisée par Park des missiles de théâtre américains en Corée du sud, précisément pour protéger la zone d’une attaque missiles de Pyongyang.

Enfin, pour Pékin, la nouvelle de l’assassinat du demi-frère de Kim Jung-nam donnant une image effrayante du caractère erratique du régime est une mauvaise nouvelle affaiblissant ses arguments en faveur d’une reprise des négociations et contre l’installation en Corée du sud du système de défense anti-missiles THAAD, lui-même conforté par le caractère imprévisible de la menace de Pyongyang.

Pour l’heure, la Chine ne peut que constater la détermination de Séoul à installer le système anti-missiles auquel elle est fermement opposée et qui soulève de nombreuses critiques en Corée du Sud. Le 23 janvier, le président par interim Hwang Kyo-ahn a confirmé la décision considérée par lui comme « une condition préalable » au renforcement de la défense du pays.

Lire notre article Le nucléaire nord-coréen et l’illusoire solidarité face à Pyongyang. Réflexions sur un cul-de-sac stratégique

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NOTE de CONTEXTE.

L’assassinat de Kim Jong Nam.

Le 22 février, sous le titre « La mort de Kim Jung Nam, un polard géopolitique », le New-York Times a fait le point des éléments connus autour du meurtre du demi-frère de Kim Jung Un à Kuala Lumpur.

Les faits.

Le 13 février, deux jeunes femmes ont agressé Kim Jung-nam qui attendait un vol à l’aéoroport de Kuala Lumpur. Après lui avoir appliqué un liquide toxique sur le visage, elles ont tenté de fuir avant d’être interpellées par la police. Kim Jung-nam est décédé quelques minutes plus tard dans l’ambulance qui le conduisait à l’hôpital.

Peu après, la police malaisienne laissait entendre que le meurtre avait commandité et organisé par Pyongyang . Aussitôt surgirent les spéculations que Kim Jong-nam avait été assassiné pour l’écarter de la succession, en même temps que surgissait floraison de rumeurs relayées par le net où étaient postées les vidéos de surveillance montrant le déroulement de l’assassinat.

Le 22 février, Khalid Abu Bakar, chef de la police malaisienne, précisait qu’un diplomate de haut rang nord-coréen et un agent de la compagnie nationale nord-coréenne Air Koryo avaient été convoqués pour interrogatoire, tandis que la surveillance de la morgue où repose la dépouille de Kim Jung-nam, avait été renforcée après une tentative d’intrusion.

Alors que la police malaisienne n’a donné aucune indication sur la substance chimique à l’origine du décès, la Corée du nord qui nie toute implication et exprime des doutes sur la culpabilité des deux suspectes dont elle exige la libération, réclame qu’on lui restitue la dépouille de Kim Jung-nam.

Kim Jong-nam, « une cible » déjà ancienne.

Selon les services secrets sud-coréens, Kim Jung-nam, candidat préféré (faute de mieux) de Pékin à la succession de Kim Jong-un en cas de crise grave à Pyongyang, figurait depuis longtemps sur la liste des personnes à éliminer par la Corée du nord. Les deux suspectes Doan Thi Huong, 28 ans originaire du Vietnam et Siti Aisyah, 25 ans, indonésienne, auraient été formées par 4 agents aujourd’hui exfiltrés. En 2010, Kim Jung-nam aurait déjà été visé par un agent nord-coréen basé en Chine où ce dernier attendait sa cible qu’il devait éliminer dans un simulacre d’accident de voiture.

Après l’échec de l’assassinat en Chine - Kim ayant annulé son voyage - une autre tentative aurait été organisée en 2012, à la suite de quoi Kim Jung-nam avait supplié son demi-frère de cesser de le harceler.

Kim Jung-nam avait été écarté de la succession depuis les années 70, quand Kim Jong-il son père s’était séparé de sa mère. Depuis, il vivait une existence semi-nomade de play-boy privilégié, bénéficiant des subsisdes versés par son père, avec deux points fixes à Macao et Kuala Lumpur où était en poste le neveu de Jang Song-Thaek, son oncle, intermédiaire de ses affaires avec la Chine et proche de Kim Jong-il.

Mais l’avénement à Pyongyang de son demi-frère avait dramatiquement changé sa situation. Ses allocations furent supprimées, son oncle exécuté et le neveu de ce dernier rappelé à Pyongyang où, lui aussi, aurait été exécuté. Lire : Purge féroce à Pyongyang. Pékin exaspéré

La Chine agacée.

Dans cette logique qui reste à vérifier, l’élimination de Kim Jung-nam aurait définitivement éradiqué une mouvance nord-coréenne, jadis proche du pouvoir et que Pékin considérait comme un relais d’affaires pouvant favoriser une ouverture socio-économique et, à terme, ou en cas de changement brutal de la situation, comme une alternative politique.

L’hypothèse alimente en tous cas les commentaires sur l’agacement de la Direction chinoise que l’épisode met en porte à faux.

Pour Zhao Tong, expert des questions internationales au Centre Carnegie – Qinghua à Pékin, si la responsabilité de Pyongyang dans l’assassinat était démontrée, « ce serait une mauvaise nouvelle pour Pékin et son autorité » dans le jeu stratégique de la péninsule. L’implication directe de Pyongyang signifierait en effet que Pyongyang est « prêt à tout » pour se protéger. Du coup, il serait plus difficile pour Pékin de convaincre la communauté internationale que la Corée du Nord pourrait évoluer pacifiquement.

 

 

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