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›› Chronique

Le long chemin d’intégration des Chinois en France

L’affaire est assez rare pour qu’on la mentionne. Le 29 mars, à Pékin, lors d’une conférence de presse de routine, le Waijiaobu a répondu à la question d’un journaliste sur la mort à Aubervilliers de Liu Shaoyao un ressortissant chinois âgé de 56 ans, tué par la police le 26 mars dans la soirée.

Alors que la famille de la victime et son avocat évoquent un bavure policière, les membres de la brigade anti-criminalité alertée par un voisin disent avoir été agressés par la victime qui, munie d’une paire de ciseaux, aurait blessé un policier au moment où il pénétrait de force dans l’appartement.

Rares violences entre policiers et Chinois.

Lundi 27 mars, lendemain du drame, une manifestation de plus d’une centaine de personnes - Chinois ou Français d’origine chinoise et asiatique - criant « police assassins » devant la mairie du 19e arrondissement a dégénéré.

35 personnes ont été arrêtées pour, selon la préfecture de police, « participation à un groupement en vue de commettre des violences, dont trois pour violences sur agent de la force publique et dégradation d’un véhicule de police par engin incendiaire et 6 pour jets de projectiles ». Au bilan, 3 policiers ont été légèrement blessés en même temps que plusieurs manifestants dont un gravement au genou, à quoi il faut ajouter un véhicule de police endommagé par un engin incendiaire qui s’ajoute aux dégâts causés sur plusieurs véhicules en stationnement.

Là aussi les versions divergent. Quand la police évoque de graves violences, certains manifestants interrogés parlent d’un « rassemblement pacifique », contre lequel les forces de l’ordre seraient intervenues sans préavis et de manière excessivement brutale et indiscriminée. Une chose est sûre, il est très rare que la communauté chinoise soit impliquée dans des manifestations violentes contre les forces de l’ordre. S’il leur arrive de protester, ils le font en général de manière très encadrée, non pour stigmatiser la police, mais pour réclamer plus de sécurité.

C’était le cas le 4 septembre 2016 à Paris entre République et Bastille quand, après l’assassinat le 7 août à Aubervilliers du couturier Zhang Chaolin, plus de 30 000 manifestants de la communauté chinoise d’Ile de France agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge revendiquaient « Liberté, Egalité, Fraternité et Sécurité »

L’oeil de Pékin.

Le 29 mars dans sa réponse, Lu Kang le porte-parole, a fait état de réunions de crise à Pékin entre les représentants du Waijiaobu et l’Ambassade de France ; et à Paris entre le ministère de l’intérieur, la police et l’Ambassade de Chine. A ces occasions, la partie chinoise a exprimé le souhait que les Chinois d’outre-mer impliqués dans les incidents soient traités avec bienveillance et mesure et que toute la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Liu.

Prenant acte que, récemment les autorités françaises avaient pris des dispositions pour mieux assurer la sécurité et protéger les droits des ressortissants chinois en France « afin qu’ils s’y sentent les bienvenus », Lu Kang a aussi rappelé que les Chinois d’outre-mer doivent défendre leurs droits de « manière raisonnable et conformément à la loi ».

*

Les deux manifestations de Chinois qui eurent lieu à 6 mois d’intervalle, la première pacifique et encadrée, la deuxième spontanée et agressive, l’une et l’autre déclenchées à la suite de la mort violente d’un des leurs, le premier abattu par un malfrat, le deuxième par la police, sont peut-être les faces d’une même question, vue à partir de deux générations. Celle des parents discrets et travaillant dur ; celle des enfants en quête de reconnaissance française en dehors des stéréotypes.

On y retrouve à la fois la réaction au racisme ordinaire subi par la communauté chinoise, l’expression de ses difficultés d’intégration attisées par la culture de l’entre soi communautaire et, enfin, une évolution de la jeunesse d’origine chinoise qui ose nommer les choses et ne les étouffe plus comme le faisait la génération précédente.

Après la manifestation du 4 septembre, Chuang Ya-Han, Docteur en sociologie auteur d’une thèse sur l’intégration des Chinois, avait déjà soulevé un pan de ce problème complexe : « La manifestation du 4 septembre a permis de nommer enfin ce que nous vivons. Il faut maintenant que les autorités le reconnaissent comme un problème public à traiter. »

Quant aux protestations musclées contre la police, les 27 et 28 mars derniers, elles sont peut-être un indice que la jeunesse chinoise pourrait subir l’influence mimétique de la violence ordinaire exprimée par les autres catégories de Français allogènes issues d’Afrique du nord.

Entre intégration et communautarisme.

Dans la thèse citée plus haut, Chuang explore les chemins et les difficultés de l’intégration de la communauté chinoise en France, écartelée entre, d’une part les besoins de sécurité mieux assouvis par le biais communautaire, portant cependant le risque de stigmatisation et, d’autre part, les tentatives de démarche civique et professionnelle, éventuellement syndicale.

Mais libérée des attaches culturelles celle-ci s’avére d’autant plus difficile que les activités de ventes en gros des Chinois d’Aubervilliers les rattachent, par construction, à des réseaux commerciaux connectés à la Chine.

Sa conclusion réfute clairement « la théorie d’Intégration “classique“ à la française qui considère que les individus doivent et peuvent s’intégrer à la société nationale en abandonnant leur appartenance culturelle, ethnique, linguistique ou religieuse. » Au contraire, sa recherche « affirme plutôt l’influence de l’appartenance communautaire dans le passage de l’individu isolé à la figure de membre d’une communauté politique. »

De ce point de vue, il paraît probant dit-elle « d’abandonner la distinction binaire entre “communauté“ et “Nation“ que sous-entend « l’intégration à la française » et de prendre en considération les influences, mêmes contingentes, de l’appartenance communautaire dans une société plurielle et mondialisée. » (Extrait de la position de thèse de Chuang).

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Racisme ordinaire et insécurité.

Mais aujourd’hui, au-dessus de ces considérations politiques et culturelles à propos de l’intégration flottent clairement la hantise sécuritaire et l’exacerbation, parfois l’humiliation, face au racisme anti-chinois, constituant sans doute les soucis les plus structurants de la question de l’intégration des Chinois. Pour prendre la mesure de ces tourments, rien ne vaut un œil extérieur.

Dans un article publié le 26 octobre dernier, intitulé « Un assassinat à Paris : Pourquoi les Français d’origine chinoise sont-ils en colère ? », Kevin Ponniah journaliste indépendant écrivant pour la BBC et The Guardian passait en revue les deux contingences les plus lourdes entourant la trajectoire d’intégration et la vie des Chinois en France.

1.- La longue collection de quolibets racistes dont ils sont victimes dès leur plus jeune âge à l’école, puis, plus tard à l’âge adulte, y compris ceux liés à leur façon de travailler en réseau dans la vente à partir d’entrepôts logistiques, comme les 1600 grossistes d’Aubervilliers et dont l’efficacité agace sur un mode assez voisin des reproches qui sont à la racine de l’antisémitisme ;

2.- Les tensions liées à leur sécurité entourées d’images stéréotypées de Chinois aux poches bourrées de cash et peu réactifs.

Selon les associations civiques, à Aubervilliers dans les 7 premiers mois de 2016 une centaine d’attaques ont eu lieu contre des ressortissants chinois ou des Français d’origine chinoise.

Récemment, au tribunal, 3 jeunes qui comparaissaient pour 11 attaques, ont avoué que les Chinois étaient « des cibles faciles ». Une fleuriste exerçant depuis 17 ans ayant participé à la manifestation de la Bastille se plaignait que son magasin avait été attaqué deux fois, au point que l’assurance refusait désormais de la couvrir.

Pas étonnant alors que les commerçants et les résidents chinois d’Aubervilliers aient avoué à la BBC que le niveau de violence contre eux s’était aggravé. Pour Wang Rui, 30 ans, chef d’entreprise dans l’immobilier, fils de d’immigrants de Wenzhou et président de l’association des jeunes chinois de France (AJCF), qui a mis en garde le gouvernement, la situation est même devenue explosive.

Il décrit les nouvelles habitudes nées spontanément où l’on voit les pères de famille se regrouper pour escorter leurs femmes et leurs enfants à l’école et aller les rechercher ; il cite les exemples de La Courneuve ou d’Aubervilliers où des sentinelles sont postées en surveillance des fêtes de mariage pour déjouer les braquages.

Chocs culturels entre Musulmans et Chinois.

Mais Wang ne dit pas tout. Le dilemme d’intégration des Chinois télescope de plein fouet une autre réalité culturelle qui, aujourd’hui, pèse sur les banlieues françaises habitées par une population musulmane d’origine nord-africaine.

En août 2013, le magazine Marianne publiait un reportage sur « le sentiment d’humiliation des immigrants musulmans » qui, « jaloux du dynamisme des Chinois, » ne cessaient de les agresser au point que l’ambassadeur de Chine en France s’était rendu sur place.

En réponse, la mairie d’Aubervilliers avait alors émis l’hypothèse que si les Chinois acceptaient d’embaucher plus d’Arabes et d’Africains, la situation pourrait se calmer. Ce que les commerçants et grossistes chinois refusèrent, au motif que cette catégorie de population « ne travaillait pas assez dur et avait trop de revendications. »

On le voit on est encore loin d’une harmonie française entre les communautés. Pire encore, alors que les autorités locales étaient restées inertes face à la montée de l’insécurité, la communauté chinoise menaça de faire appel aux triades, tandis que les Musulmans lancèrent une pétition pour demander l’expulsion des Chinois.

Aujourd’hui Meriem Derkaoui, maire communiste d’Aubervilliers depuis 2016 a bien saisi la sensibilité explosive de la question. Elle est, dit-elle, résolue à « faire reculer ces préjugés et à sensibiliser la population » à ce sujet.

Après l’assassinat de Zhang Chaolin elle avait clairement stigmatisé la motivation raciste du meurtre, une affirmation d’autant plus courageuse qu’elle est elle-même d’origine algérienne.

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Forte de 600 000 personnes, la communauté chinoise vivant en France est la première d’Europe. La moitié est arrivée venant du sud de la Chine et des 3 pays de l’ancienne Indochine. Les 300 000 autres viennent de Wenzhou au sud de Shanghai.

Arrivés après 1980 ces derniers forment l’ossature de la nébuleuse des entrepreneurs chinois, intermédiaires, grossistes, patrons d’entreprises travaillent en réseaux de familles élargies. La 3e vague d’immigration vient du Dongbei (Nord-est). Souvent composée de femmes seules ayant fui une situation économique et sentimentale délabrée, elles deviennent femmes de ménage, nounous ou prostituées.

Jusqu’à présents discrets et solidaires, travaillant dur pour assurer leur survie et la promotion de leur descendance, les Chinois de France sont aujourd’hui de plus en plus visibles, en réaction au racisme et aux agressions. La jeunesse relève la tête et s’organise au travers d’organisations comme celle de Wang Rui.

Leur objectifs : échapper aux stéréotypes, organiser leur sécurité en se faisant mieux connaître, se tenir à distance des influences et du contrôle non seulement de l’ambassade de Chine, mais également de leurs parents, et obliger les pouvoirs publics à agir.

 

 

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