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›› Economie

Pékin se prépare à la guerre des taxes 税务战

Pour la première fois les médias officiels chinois qui, jusqu’à présent, se contentaient de dénoncer les effets néfastes de barrières douanières américaines sur l’économie mondiale, évoquent les vulnérabilités des compagnies chinoises face au risque d’une guerre des taxes initiée par Donald Trump. Les réactions chinoises font suite à l’annonce par l’administration américaine le 26 avril dernier d’un allègement des impôts aux particuliers et aux sociétés de 35 à 15%.

Le 28 avril, le Quotidien du Peuple, utilisant des arguments anti-dumping qui furent très souvent utilisés contre la Chine, a fustigé les abattements de taxes proposés par la Maison Blanche, restant cependant à approuver par le Congrès.

La réaction du journal officiel du régime souligne qu’à Pékin on craint les conséquences adverses sur l’économie chinoise des décisions américaines. Plus encore, alors que l’accord législatif américain reste incertain, l’article est aussi un argumentaire venant en appui des oppositions qui, aux États-Unis même, tentent de bloquer le décret.

« Pour les autres pays, la réductions des taxes aux États-Unis provoquera en réalité une guerre tarifaire 税务战 », dit le Quotidien du Peuple. Elle « créera le chaos dans l’ordre global des taxes sur le marché mondial… 国际税收秩序混乱 et compliquera la lutte internationale contre l’évasion fiscale ».

Sachant parfaitement de quoi il parle puisque le phénomène renvoie au cœur même de la lutte anti-corruption dont les secousses continuent à ébranler le régime (lire Le parti et ses milliardaires. Histoires troubles, corruption et querelles politiques.) il ajoute, « en riposte, “certains pays puissants“ entreront dans la surenchère des baisses d’impôts et créeront des paradis fiscaux ».

Erosion des avantages comparatifs chinois.

Enfin, prêchant pour sa paroisse et inversant l’argument de dumping social qui fut souvent opposé à la Chine, l’article prend la défense des pays exportateurs qui, du fait de leur développement socio-économique, ne sont plus en état de s’engager dans une guerre tarifaire.

C’est le cas de la Chine, dit Liu Huan professeur à l’Université Centrale des Finances et d’Economie 中央 财经 大学 经济 学院 et conseiller du gouvernement « il n’y a aucun doute que le poids fiscal pesant sur les compagnies chinoises provoque une perte de compétitivité ». La réalité est en effet que les groupes chinois payent 17% de TVA et des cotisions sociales sur les salaires de plus en plus importantes, dont la valeur varie entre 40 et 100%.

Dans un article du WSJ du 2 mai, Treffor Moss correspondant à Hong Kong, rappelle que, selon la Banque Mondiale les impôts pesant sur les sociétés chinoises sont parmi les plus élevés des grandes économies à 68% des profits réalisés, alors qu’aux États-Unis, ils sont de 44% et en moyenne à 40% pour le reste de la planète.

La charge fiscale chinoise inclut les impôts locaux et nationaux sur les revenus, la TVA ainsi que les contributions sociales obligatoires. Tous les experts le disent, après déduction, les groupes chinois payent entre 40 et 50% de leurs profits en taxes et impôts. Ci le décret de la Maison Blanche passait, envisageant de réduire la taxe sur les revenus à 15%, les groupes chinois seraient gravement handicapés.

S’il est vrai que nombre d’entreprises publiques chinoies bénéficient encore d’avantages bancaires et fiscaux, la trajectoire du régime est de les réduire progressivement pour s’approcher des critères d’un marché ouvert. A l’extérieur, c’est pour l’instant la lutte contre les évasions de capitaux qui calibre la politique du régime. Les deux stratégies ajoutées aux poids de la fiscalité réduisent les anciens avantages comparatifs des sociétés chinoises à l’étranger.

Ces dernières subissent de plein fouet les récentes décisions du Conseil des Affaires d’État de bloquer nombre de fusions acquisitions identifiées par les douanes, la banque centrale et la Commission de régulation boursière comme un contournement du contrôle des capitaux.

Lire notre article Conférence économique centrale. Alerte à l’évasion de capitaux. Un objectif : rétablir la confiance.

Alors que les groupes publics renâclent, les PME privées peinant à bénéficier de prêts bancaires alors qu’elles sont pourtant, en cette période de forte mutation, les premières à créer des emplois, considèrent qu’elles sont prises à la gorge. En novembre dernier une enquête révélait que 87% d’entre elles estimaient que leurs charges fiscales étaient « trop élevées ». Récemment Zhou Dewen, président de l’association des investisseurs privés du Zhejiang a mis les pieds dans le plat « nous payons beaucoup trop pour nourrir les fonctionnaires ».

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Contre attaque du Conseil des Affaires d’État.

Craignant aussi la relocalisation aux États-Unis des entreprises américaines dont les avantages comparatifs en Chine se réduisent comme peau de chagrin, le gouvernement avait anticipé le choc d’une possible guerre fiscale initiée par Trump. Au printemps, il avait déjà annoncé que les taxes aux entreprises seraient réduites de 55 Mds de $. « 必须 确保 所有 行业 税负 只减 不 曾 - nous devons garantir à toutes les entreprises non seulement que le poids de leurs impôts n’augmentera plus, mais encore que nous allons le réduire »

Annoncée par Li Keqiang, le 15 mars, la mesure destinée à améliorer la compétitivité des entreprises était accompagnée d’une injonction au gouvernement « à se serrer la ceinture 政府 需要收紧 腰带 ». En même temps, le Premier Ministre avait assuré que la Chine n’abandonnerait pas sa politique d’ouverture, notamment ses importations de technologies high-tech, destinées à la modernisation du pays.

Considérations pragmatiques.

La séquence semble poser les prémisses d’une guerre commerciale, premier indice d’une tension réelle après l’investiture de Donald Trump qui, jusqu’à présent, semblait ménager la Chine. L’épisode conduit à revisiter les arrières pensées de la stratégie de repliement fiscal américain dont le but est de protéger ou de reconstruire le tissu d’emplois ravagé par la globalisation et les délocalisations.

Dans un article publié par « Project Syndicate » début février, Kenneth Rogoff, professeur d’économie à Harvard, sourd aux arguments de déclassement de la classe moyenne américaine et peu sensible à la vision économique nationaliste de la Maison Blanche décidée à réduire drastiquement le fardeau fiscal des entreprises, critique sévèrement ce qu’il appelle « le repliement désordonné de Donald Trump. »

Au passage, il fustige Thomas Piketty qui, dit-il, semble avoir oublié les bienfaits de la mondialisation ayant extrait plusieurs centaines de millions de Chinois et d’Indiens de leur situation de pauvreté extrême pour les hisser progressivement vers la classe moyenne.

Contrairement au nouveau président américain, les libéraux comme Rogoff considèrent l’émergence de l’Asie comme un chemin vers plus de justice « où le destin économique d’une personne dépend de moins en moins de l’endroit où il est né. »

En revanche, les populistes - terme valise péjoratif, opposant le « peuple » aux élites - affirment que l’excès de globalisation initié par les États-Unis sème les ferments de leur propre destruction politique et économique. Rogoff affirme que les théories de Trump, ayant l’ambition du retour de la puissance globale de l’Amérique et agitant l’angoisse du déclin, s’articulent autour du thème de l’autosuffisance et du retour au pays des emplois délocalisés.

Aux États-Unis, le mouvement anti-globalisation s’est aussi profondément enraciné hors des clientèles de la classe moyenne laissée pour compte. Des économistes de renom se sont opposés au Trans Pacific Partnership regroupant 12 pays et comptant pour 40% de l’économie globale, au prétexte très discutable, dit Rogoff, que le projet menaçait les emplois américains.

En réalité, le TPP allait ouvrir le marché japonais bien plus qu’il n’aurait frappé les intérêts des États-Unis. Son abandon brutal ouvre au contraire la voie à la prévalence économique chinoise dans tout le Pacifique occidental.

Retour aux réalités.

La suite de l’article est un appel au pragmatisme. Qu’on le veuille ou non la globalisation est en route et elle ne reviendra pas en arrière. Le destin de la Chine et sa place dans le monde sont aujourd’hui entre les mains de ses dirigeants et une guerre commerciale ne fera qu’accélérer le développement de sa puissance militaire et économique. Sans compter que les moyens de rétorsion de Pékin sont nombreux.

Financiers d’abord, par le moyen de la dette extérieure de plus de 1000 Mds de $ détenue [1] par la Banque de Chine (27,8% de la dette extérieure américaine), à quoi s’ajouterait une aggravation du harcèlement juridique des entreprises high-tech américaines en Chine, tandis qu’une rupture des flux commerciaux sino-américains aurait des conséquences directes aux États-Unis sur les clients de la grande distribution lowcost (comme Wallmart ou Target) qui s’approvisionne sur le marché chinois.

La conclusion qui renvoie aux tensions stratégiques en cours, énonce qu’au lieu de s’engager dans une guerre commerciale dévastatrice, la seule solution, répétée depuis les années 70 par Kissinger puis par Brezinski, serait, pour Washington, sans perdre de vue la nécessaire protection de ses alliés et de ses intérêts, de s’engager avec Pékin dans des négociations sans concessions, en prenant cependant soin de ne compromettre ni les flux commerciaux chers à la Chine, ni les voies d’une solution aux tensions stratégiques de la région comme celles du dilemme nord-coréen.

Note(s) :

[1En février 2017, la valeur des bonds du trésor américain détenus par la Banque de Chine était de 1059 Mds de $ soit une baisse de 240 Mds de $ par rapport à novembre 2013. La chute est liée à la volonté chinoise de renforcer sa monnaie, avec l’idée qu’à terme le Yuan pourrait concurrencer le Dollar comme monnaie de réserve globale.

S’il est vrai que l’importance de la dette extérieure américaine détenue par la Chine (27,8%) constitue une vulnérabilité américaine, il est cependant impossible que Pékin décide de l’abandonner brutalement. Une telle décision entraînerait un effondrement du $ avec des effets adverses sur les marchés internationaux et en Chine.

 

 

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