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›› Taiwan

Sous l’œil de Pékin, Tsai Ing-wen surprise par la volte-face de Donald Trump

Dans son île, à moins de 80 nautiques du continent, Tsai Ing-wen subit depuis son élection la pression grandissante de Pékin en représailles de son arrière-plan indépendantiste et de son refus de reconnaître formellement la « politique d’un seule chine ».

Après avoir le 25 juin 2016, un mois à peine après les cérémonies d’investiture fermé tous les canaux de contacts officiels, Pékin a, grâce à son vaste réseau diplomatique fait bloquer les demandes taïwanaises de participer en observateur aux réunions de l’Organisation de l’Aviation civile et à la convention des Nations Unies pour le changement climatique.

Enlevé par la police chinoise dans la région de Canton le 19 mars, le Taïwanais Lee Ming-chee, militant des droits de l’homme, est détenu à Pékin sans jugement. Accusé de « menacer la sécurité nationale », Lee est une des premières victimes de la nouvelle loi votée en avril 2016 par le parlement et entrée en vigueur le 1er janvier 2017, donnant à la police un pouvoir sans limites de contrôle des ONG étrangères que le régime considère comme une menace.

Avec pour objectif de rabaisser le statut international de l’Île et, tirant profit de la reconnaissance quasi unanime de « la politique d’une seule Chine », Pékin détient, en dépit des vives protestations de Taipei, 223 Taïwanais extradés pour fraude par des pays n’osant pas indisposer la direction chinoise.

Taïwan privée d’OMS.

La dernière avanie en date infligée à Tsai Ing-wen est le récent refus de l’Organisation Mondiale de la Santé d’inviter Taïwan à titre d’observateur à l’assemblée générale, les 22 et 23 mai prochains. Dirigée pour encore quelques mois par la Chinoise Margaret Chan, l’OMS n’a, sous le règne de l’ancienne ministre de la santé de Hong Kong, jamais caché son soutien à Pékin dans la controverse de légitimité qui l’oppose à Taïwan.

Alors que sous la présidence de Ma Ying-jeou qui reconnaissait l’appartenance de l’Île au continent, Taiwan était, depuis 2009, invitée à l’AG de l’OMS, cette « faveur » est aujourd’hui refusée à Taipei. Pour lever toute ambiguïté et comme pour confirmer la stricte obédience de Margaret Chan à Pékin hostile à toute reconnaissance officielle d’un gouvernement à tendance séparatiste, même élu, Zhang Zhijun, Directeur du Bureau des Affaires taiwanaises à Pékin a, le 8 mai dernier, brutalement mis les choses au point.

Venu pour la première fois en Chine en juin 2014, alors que le pouvoir dans l’Île était aux mains du KMT, Zhang que les lecteurs de QC connaissent bien (lire Taïwan : les lignes politiques bougent.) a abandonné toute souplesse pour répéter que « si Taiwan voulait participer aux réunions des organisations internationales, il lui faudrait d’abord reconnaître la politique d’une seule Chine et le consensus de 1992 ».

Menace militaire.

Pour faire bonne mesure et préciser que les relations dans le Détroit restaient enfermées dans un jeu de menaces militaires limitant la marge de manœuvre de l’Île, le 11 janvier dernier une force aéronavale chinoise entourant le Porte avions Liaoning rentrant d’une série d’exercices en mer de Chine du sud, traversa le Détroit du sud vers le nord.

Si on voulait mesurer dans quel sens penche la balance stratégique, on se souviendra que, lors de la crise de 1995-1996, durant laquelle la seconde artillerie tira plusieurs salves de missiles inertes dans les parages de l’Île pour protester contre les visites du président Lee Teng-hui aux États-Unis et l’organisation d’élections libres, c’est le porte-avions Nimitz de l’US Navy qui, le 19 décembre 1995, traversa le Détroit en réponse aux intimidations chinoises. Depuis la guerre du Pacifique, la symbolique véhiculée par les mouvements de porte-avions reste un marqueur de puissance.

Enfin, comme si les intimidations et humiliations chinoises ne suffisaient pas, Tsai Ing-wen doit encore s’accommoder des conséquences des volte-face de la Maison Blanche. L’esquif taïwanais naviguant sur les eaux agitées de la relation sino-américaine est en effet secoué par la vague provoquée par le récent virage à 180° de Donald Trump sur la reconnaissance d’une seule Chine.

Donald Trump a perturbé un équilibre fragile.

Signe insolite du malaise avec Washington, le 2 mai, l’agence Reuters présenta ses excuses à Taïwan après qu’une de ses dépêches fit état de la « rebuffade » du président américain en réponse à l’évocation quelques jours plus tôt par Tsai Ing-wen également interrogée par Reuters, de la possibilité de renouveler l’échange téléphonique du 2 decembre 2016 qui déclencha la fureur chinoise. Dans ce qui apparut à certains critiques de Tsai comme une « giffle », Donald Trump répondit qu’il n’allait pas risquer d’indisposer Xi Jinping au moment où, en pleine crise avec la Corée du Nord, la Chine semblait prête à faire pression sur Pyongyang.

L’embardée de la Maison Blanche ayant d’abord touché le nerf ultrasensible en Chine de la souveraineté sur Taiwan avant de faire une marche-arrière sans nuance a, en réalité bouleversé le statuquo à la fois fragile et improbable qui fonde l’armature du jeu politique à Taiwan sous la menace du dragon chinois tenu à distance par la protection des États-Unis que certains à Taiwan jugent cependant de plus en plus aléatoire. Le moins qu’on puisse dire est que le tête-à-queue de Donald Trump a aggravé l’inconfort taiwanais.

Formellement articulée autour des Trois communiqués conjoints 中美三个联和 公报 (1972, 1979, 1982), la relation sino-américaine dans laquelle s’inscrit Taiwan reconnaît la quête chinoise de réunification dans le Détroit, affirme que Pékin abrite le seul gouvernement chinois légitime et encadre les ventes d’armes américaines à l’Île par une promesse de Washington de les réduire progressivement.

Mais l’ambivalence, progressivement renforcée au cours des années par la démocratisation de l’Île initiée peu avant sa mort en 1988 par Jiang Jingguo, le fils de Tchang Kai-chek et menée à terme par Lee Teng-hui, fut installée dès 1979 par le Taiwan Relations Act (TRA). Son but : adoucir à Taïwan le choc de la reconnaissance de la Chine par Washington.

Contrainte unilatérale de droit interne votée par le Congrès américain, le TRA oblige les États-Unis à porter secours à Taïwan en cas d’agression militaire chinoise « non provoquée », avec cependant des termes qui visent aussi à dissuader Taiwan de déclarer l’indépendance. Qualifié par les diplomates américains « d’ambiguïté stratégique », le texte qui tente en même temps de ménager la Chine, reste vague sur le type d’assitance que Washington accorderait à l’Île en dehors de livraisons d’armes.

En 1982, l’administration Reagan a encore augmenté le caractère équivoque des communiqués en publiant les « 6 assurances », nouvelles doses de tranquillisants concédées à l’Île qui, cette fois, agacèrent beaucoup Pékin. Définissant la ligne de conduite américaine à l’égard de Taïwan, elles affirment :

1) Qu’il n’existe pas de date limite fixant la fin des ventes d’armes à l’Île ;

2) Que Washington n’acceptera aucune mission de médiation entre Taipei et Pékin ;

3) Que le gouvernement américain ne fera pas pression sur son homologue à Taipei pour l’obliger à négocier avec Pékin ;

4) Que les États-Unis continuent à reconnaître la souveraineté chinoise sur l’Île ;

5) Que Washington n’a pas l’intention de réviser le TRA ;

6) Que le communiqué de 1982 ne peut être considéré comme une promesse américaine d’engager des négociations avec Pékin sur l’arrêt des ventes d’armes à l’Île.

Détail important, ces assurances firent l’objet d’une résolution du Congrès le 19 mai 2016, à la veille de l’investiture de Tsai Ing-wen.

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Les ventes d’armes en question.

Il n’empêche qu’en dépit des assurances données à Tsai, Donald Trump a vivement ravivé les doutes taiwanais sur la réalité de l’appui américain. A Taiwan la méfiance est aujourd’hui attisée par les rumeurs sur les hésitations américaines à propos d’une nouvelle vente d’armes dont la décision tarde.

Alors que l’administration Obama avait déjà reporté la livraison prévue en 2016 et qu’à Taipei on évoque la possible commande par l’armée taiwanaise de chasseurs furtifs F-35 dont la simple perspective constitue un très provocateur chiffon rouge agité sous le nez de Pékin, la question s’inscrit dans des tensions anciennes.

En mars dernier à Pékin la porte parole du Waijiaobu Hua Chunying a appelé Washington à se conformer à la politique d’une seule Chine et à reconnaître la sensibilité des ventes d’armes à Taiwan. Mais, aux États-Unis où le lobby taïwanais insiste sur l’importance du Taïwan Relations Act et souligne l’amélioration constante des capacités militaires chinoises documentées par le rapport annuel du pentagone (lire 2016 China Military Power Report., document PDF), l’administration Trump subit la pression de ceux qui conjurent la Maison Blanche de ne pas céder au chantage de Pékin sur la Corée du Nord, faisant des concessions américaines sur Taïwan la condition de la contribution chinoise aux pressions sur Pyongyang.

Ce courant de pensée était résumé dans un article du Washington Post du 7 mai dont la conclusion incitait la Maison Blanche à résister à la tentation de sacrifier les intérêts stratégiques de Washington définis il y a 35 ans en échange de « vagues promesses » d’aide chinoise sur le dossier nord-coréen.

Le dernier feu vert - mais non mis en oeuvre - de l’administration américaine pour des ventes d’ames à Taiwan avait été donné par Barack Obama le 15 décembre 2015 (lire notre article Dans l’œil du cyclone, veillée d’armes électorale.).

Quelles perspectives ?

Enfin pour hausser l’analyse d’un étage et rappeller à la fois l’extrême sensibilité de la question et explorer quelques motifs d’optimisme, il faut se souvenir que la relation entre Pékin, Washington et Taipei baigne dans des sentiments nationalistes de plus en plus exacerbés qui augmentent la nature explosive d’une crise qui dure depuis 1949.

Pour bien mesurer l’évolution de l’état d’esprit des élites chinoises ces dernières années, élément essentiel que Washington devrait considérer pour calibrer ses relations avec Pékin, rien ne vaut le rappel de la position des chercheurs experts des États-Unis à une dizaine d’années d’intervalle.

On y découvre une panoplie de possibilités qui vont des hypothèses inquiétantes de conflit aux plus rassurantes en passant par des réflexions plus subtiles sur le dépassement des nationalismes et le « rapprochement des sociétés de chaque côté du Détroit »

De la prudence vers le durcissement nationaliste.

Peu après les JO de 2008, lors d’une conférence organisée dans la capitale, Wang Jisi, 69 ans qui fut l’expert des États-Unis à l’Académie des Sciences Sociales, le plus puissant « Think Tank » du régime et, aujourd’hui, doyen de l’Institut des Etudes Internationales de l’Université de Pékin, explorait les thèmes étonnants de l’identité de la Chine et des Chinois.

Toujours imprégné du vieux conseil de prudence stratégique de Deng Xiaoping à ses compatriotes dans les années 90 qui leur enjoignait de « garder un profil bas », son discours était complètement à contre courant des manifestations de grande fierté et parfois d’arrogance qui se multiplièrent après le triomphe des Jeux de Pékin.

S’interrogeant sur la sorte de peuple que devraient être les Chinois à l’avenir, il répondait lui-même qu’ils ne devraient pas chercher à devenir des modèles planétaires à l’image des Américains. Ayant conscience des fragilités du pays aux prises avec de nombreux handicaps allant du stress hydrique dans toute la partie nord du territoire au vieillissement de la population, en passant par l’augmentation considérable de la facture énergétique, il ajoutait que « même s’ils le voulaient, le Chinois ne pourraient pas imiter les Américains ».

*

Près de 10 ans plus tard, Wang Jisi continue à prôner la prudence stratégique, mais une partie des chercheurs en vogue n’est plus sur cette ligne modérée et discrète. Récemment Shen Dingli (51 ans), spécialiste de l’Amérique à l’Université Fudan de Shanghai exprimait tout autre chose à propos de la mer de Chine et de la compétition avec les États-Unis.

« Dans 10 ans, notre PNB sera plus important que celui des États-Unis. Dans 20 ans notre budget de la défense sera égal à celui du Pentagone. Dans 40 ans, nos forces armées seront meilleures que celles des USA. Pourquoi Washington risquerait-il un conflit pour ces « rochers » ? Quand vous avez la force, le monde vous accepte. Les États-Unis sont la superpuissance d’aujourd’hui. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Lorsque la superpuissance sera la Chine le monde l’acceptera aussi. »

S’il est vrai que les deux visions coexistent, la première apaisée, tournée vers la solution des problèmes internes, la deuxième agressive, marquée par un puissant nationalisme enraciné dans l’esprit de vengeance des humiliations infligées au XIXe siècle à la Chine par le Japon et les puissances occidentales, la vérité oblige à dire que, depuis le début du XXIe siècle, c’est la 2e qui, progressivement, s’est imposée.

L’augmentation constante du budget de la défense et de la puissance navale matérialisée par le lancement récent d’un nouveau porte-avions, 2e d’une série qui en comptera au moins 6, s’inscrit dans la logique stratégique d’affirmation de la prévalence chinoise en Asie, avant le Japon et contre la présence américaine, avec comme ligne directrice immuable, la préparation de l’APL à un conflit armé dans le Détroit.

Les chimériques espoirs d’apaisement.

Pour autant, le pire n’est jamais sûr disent les optimistes qui veulent croire à un apaisement. Le 30 avril un long article du South China Morning Post analysait l’évolution des mentalités de la jeunesse taïwanaise de plus en plus attachée aux valeurs de démocratie, de liberté d’expression, de respect de l’environnement et de qualité de la vie. Tout en ne se reconnaissant plus vraiment chinoise, elle est aussi de moins en moins nationaliste. Cherchant avant tout un accomplissement personnel, elle calcule objectivement les opportunités offertes par le Continent où la communauté de langue et de culture facilite parfois des parcours de vie plus intéressants qu’à Taiwan.

Ainsi les auteurs racontent l’histoire d’un ancien militant « du mouvement des tournesols » (lire Taïwan : Craquements politiques dans l’accord cadre. Les stratégies chinoises en question.) qui confronté à la difficulté de trouver un travail à Taiwan s’est installé à Shanghai où son salaire est près de 50% supérieur aux propositions qu’on lui avait faites dans l’Île. 500 000 Taïwanais et 17 000 étudiants sont aujourd’hui installés sur le Continent.

Ces évolutions n’ont pas échappé à Yu Zhengsheng l’un des plus subtils membre du parti, président de la Conférence Consultative du Peuple Chinois, n°4 du Comité Permanent (CPBP) dont les racines familiales croisent celles de Mao – son père fut le premier mari de Jiang Qing - et de Chang Kai-chek par le biais de son fils Jiang Jingguo.

A la dernière ANP en mars, il avait engagé les délégués à developper des liens avec la jeunesse taïwanaise, en dehors des canaux offciels. Selon une source proche des responsables, au Bureau des Affaires taiwanaises du Conseil des Affaires d’État, certains envisagent un ajustement politique prenant ses distances avec les vieilles relations inter-partis entre le PCC et le KMT, pour se mieux se rapprocher de la base.

*

Il reste que quand on observe le cours des événements il est permis de douter que ce courant de pensée contournant les rigidités historiques puisse subjuguer les impatiences nationalistes. Quant aux jeunes Taïwanais, s’il est possible qu’ils soient à l’avenir moins obsédés par l’indépendance, avides de tirer profit des opportunités du Continent, ils n’en seront pas pour autant prêts à la réunification, comme l’indique un récent sondage montrant que plus de 80% des habitants de l’Îe se considèrent plus Taïwanais que Chinois, tandis que 50% d’entre eux seraient favorables à l’indépendance.

 

 

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