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Moon Jae-in, le nouveau président sud-coréen. Un surgissement à contre courant, entre indocilité et pragmatisme

L’homme qui, après la destitution de la fille du général Park, vient d’être élu à la tête de la Corée du sud au scrutin majoritaire à un tour avec 41,4% des voix et une avance de plus de 17% sur ses adversaires conservateurs, incarne les espoirs des Coréens que son mandat permettra à Séoul de faire entendre une voix originale dans le vacarme de la crise nord-coréenne et au milieu des dissonances entre Washington, Tokyo et Pékin.

Moon Jae-in, 64 ans, avocat, défenseur des droits et champion du parti démocrate porte aussi le lourd héritage mis entre parenthèse depuis 2008 de la « politique d’embellie – Sunshine policy » initiée et mise en œuvre avec Pyongyang par Kim Dae Jung, prix Nobel de la paix dont la vision d’apaisement ponctuée d’initiatives emblématiques de rapprochement entre le nord et le sud avait pris à contre pied les conservateurs et les complexes militaro-industriels coréen et américain.

Un héritage exigeant et de formidables défis.

Aujourd’hui, alors que les tensions entre Pyongyang et Washington ont récemment atteint un point haut, l’évocation de l’immense enthousiasme né il y a près de 20 ans, lors de l’investiture de Kim Dae-jung, éternel rebelle aux régimes militaires qui faillirent l’assassiner, rappelle la ferveur pacifique des Coréens du sud et suffit, par contraste, à dessiner les immenses défis qui attendent le nouveau président.

S’il est vrai que durant sa campagne Moon a exprimé l’idée qu’il s’efforcerait d’améliorer les relations avec Pyongyang, la situation est radicalement différente de celle de 1998. Les vastes changements ont pour la plupart contribué à marginaliser Séoul et à remettre en selle Pékin. Ecartée du programme KEDO [1] qui prévoyait la construction en Corée du nord de deux réacteurs à eau légère, la Chine est revenue dans le jeu en 2003 par le truchement du « dialogue à 6 » [2] au moment où le projet KEDO est devenu obsolète avec le retrait de Pyongyang du traité de non prolifération.

Depuis cette date, la Corée du nord a conduit 5 tests nucléaires de plus en plus puissants – le premier ayant eu lieu en octobre 2006, 4 mois seulement après la fin de l’expérience des réacteurs à eau légère -. Simultanément, en dépit de sanctions plus sévères, ses progrès balistiques commencent à s’approcher du potentiel intercontinental et d’une capacité de seconde frappe contre le territoire américain.

Dans le même temps, les États-Unis ont durci leur attitude, fait pression sur la Chine pour qu’elle ferme ses canaux de contournement des sanctions et installé en Corée du sud le système anti-missiles THAAD qui irrite Pékin.

Rassurée, la Chine espère un basculement stratégique.

A Pékin on se réjouit de l’avènement d’un homme dont les racines sont au nord de la Péninsule [3], aux convictions plus portées au compromis avec Pyongyang qu’à l’affrontement, d’autant que, tout en affirmant qu’il saurait « dire non » aux Américains, Moon avait aussi, avant son élection, exprimé son opposition à l’installation en catastrophe du bouclier anti-missiles pendant l’intérim suivant la destitution de Madame Park.

La direction chinoise espère donc qu’ayant en tête le retour à l’époque flamboyante de la politique d’embellie où Séoul avait clairement pris le pas sur les grands acteurs Chinois et Américains de la région, Moon réussira à inverser le processus du THAAD qui, pour les stratèges de Pékin, exprime clairement une aggravation de la mainmise militaire et technologique du Pentagone sur la péninsule.

Mais rien n’est moins sûr. S’il est vrai que le déploiement du bouclier anti-missiles exprime un volet de la pensée conservatrice à laquelle Moon s’est opposé toute sa vie, il est aussi sans conteste la conséquence de la multiplication des essais balistiques de Pyongyang ces dernières années, dans un contexte général où, même la « Sunshine Policy » de Kim Dae-jung et de son successeur au pouvoir jusqu’en 2008, ne réussit pas à freiner le programme nucléaire nord-coréen.

Les fervents de l’ouverture ne peuvent en effet pas oublier que le premier essai nucléaire de Pyongyang eut lieu 6 années après le sommet emblématique entre Kim Dae-jung et Kim Jong-il et une année avant le 2e organisé par le président Roh Moo-hyun, dont l’autorité en faveur de l’apaisement fut gravement affaiblie par la poursuite du projet nucléaire militaire de Pyongyang en dépit de plusieurs résolutions des Nations Unies.

Les chercheurs chinois qui veulent bien débarrasser leur analyse de la simple rivalité sino-américaine reconnaissent que les pressions de Pékin sur Moon pourraient ne pas suffire à inverser la tendance dure à l’œuvre dans les cercles militaires américains et coréens.

Ayant conduit aux récentes démonstrations de forces, ponctuées de menaces d’apocalypse nucléaire proférées par Pyongyang, le raidissement a, pour finir, abouti à l’intrusion très invasive de la « high-tech » militaire américaine sur le sol coréen à quelques encablures de la Chine.

Mais, souligne Lü Chao, Directeur du centre de recherches coréennes à l’Académie des Sciences sociales du Liaoning, la capacité du nouveau président à inverser le déploiement du THAAD dépend clairement de l’opinion coréenne qui, elle même, est sensible à la situation de sécurité sur la péninsule et à la vulnérabilité du pays à une attaque missiles nord-coréenne.

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Une navigation acrobatique.

Dans l’état actuel des crispations, le retour de la « politique d’embellie » au niveau d’il y a 20 ans, paraît, au moins pour l’heure, une perspective chimérique.

Après les secousses politiques internes liées aux affaires de corruption qui conduisirent au suicide du président Roh après son mandat en 2008 et à la destitution de Madame Park 8 ans plus tard, l’autorité de Moon dépendra d’abord de sa capacité à exercer le pouvoir de manière « intègre, compétente et responsable », slogan de la société civile puissamment mobilisée pour chasser du pouvoir la fille du général Park.

Cet arrière plan définit les priorités internes de la nouvelle présidence et son attention à l’opinion. Une première indication de l’ajustement de la nouvelle « Maison Bleue » aux réalités est l’abandon de la promesse de réouvir le complexe industriel de Kaesong, mis en sommeil durant 5 mois par Pyongyang en 2013 et définitivement fermé par Park en 2016.

Un récent article de Troy Stangarone, membre de l’Institut d’économie coréenne dont il est le correspondant au Congrès des États-Unis, souligne que le projet de réouverture de la zone économique spéciale ne serait possible qu’à long terme.

Au fil du temps, le complexe était en effet devenu un des canaux du contournement des sanctions contre Pyongyang. Aujourd’hui les échappatoires sont rendues plus difficiles par les récentes résolutions 2049 et 2321 des NU interdisant notamment les subsides publics qui tenaient la tête du projet frontalier hors de l’eau.

Tenir à distance les pressions de Washington et Pékin.

Moon a bien compris le défi. Synthèse minimum entre les idées conservatrices et celles de son mouvement, sa première et très prudente prise de position politique réaffirme la priorité de la sécurité du pays face aux programmes nucléaire et balistique nord-coréens. Elle appelle aussi à la reprise des réunions des familles séparées par la ligne de démarcation et évoque la participation de Pyongyang aux jeux olympiques d’hiver de Pyeonchang en 2018.

Pour le reste, le nouveau président dont l’attention sera aussi fixée sur les défis internes, dont le plus important sera de réduire le pouvoir d’influence des « Chaebols », devra naviguer à vue entre les pressions rivales de Pékin et Washington, auxquelles se joignent celles du Japon contre qui les Coréens nourrissent encore de profondes rancunes datant de la guerre.

Retrouver une marge de manœuvre autonome.

Dans cette acrobatie, Moon dont le surgissement auréolé de l’image positive laissée par l’héritage de Kim Dae-jung, bouscule les cartes stratégiques de la zone et ne manque pas d’atouts.

Aux Chinois, obsédés par la concurrence américaine du THAAD qui semble passer par pertes et profits la sécurité de son pays, il peut opposer la réalité de la menace missile et le risque nucléaire ; aux Américains, désormais confrontés à un allié moins docile, il a, durant sa campagne, répété que les sanctions même aggravées n’avaient jusqu’à présent conduit qu’à renforcer la détermination de Pyongyang à accélérer son programme nucléaire que le régime considère sans esprit de recul comme sa principale garantie de survie.

Enfin, compte tenu l’héritage laissé par « l’embellie », Moon et sa mouvance démocrate s’estiment les mieux placés pour convaincre Pyongyang de revenir à la table des négociations. Se référant aux deux précédentes réunions au sommet auxquelles se rendirent Kim Dae-jung (2000) et Roh Moo-hyun (2007), Moon a naturellement avancé l’idée d’une rencontre avec Kim Jong-un.

Plus que d’autres et tout en ménageant Pékin, il n’oublie pas que l’objectif de Pyongyang est d’abord la signature d’un traité de paix avec Washington qui garantirait sa sécurité. La paix signée dans la péninsule après 64 ans d’un armistice qui s’éternise c’était aussi le grand rêve de Kim Dae-jung.

Sur son chemin Moon trouvera cependant la méfiance subversive de Kim Jong-un dont les tests missiles et nucléaires nourrissent la rigidité des conservateurs américains appuyés par le Japonais Shinzo Abe pour qui toute négociation ne serait possible que si Pyongyang abandonnait au préalable et sans conditions ses programmes nucléaires et balistiques.

Alors que le nouveau chef de l’État tente de tenir à distance les pressions de ses grands voisins et des États-Unis – s’il est vrai que ses professions de foi éloignent le pays de la stratégie intransigeante et conflictuelle de Washington, Moon n’a jusqu’à présent donné aucune garantie à la Chine qu’il ferait démanteler le THAAD [4] - son état d’esprit est le mieux illustré par cette déclaration de campagne où, après avoir condamné la brutalité du régime nord-coréen, il a appelé ses compatriotes du nord à un projet de réunification pacifique.

« A cet effet » a t-il ajouté « nous devons reconnaître Kim Jong-un comme le dirigeant légitime et un partenaire de dialogue (…) Le but des sanctions est favoriser la reprise des négociations ».

Dans ce contexte, le pragmatisme virevoltant de Donald Trump ayant lui-même récemment lancé, à la surprise de son propre camp, l’idée d’une rencontre avec Kim Jong-un, pourrait constituer un allié inattendu.

La douleur des familles séparées.

Enfin l’image de Moon ne serait pas complète si elle ne renvoyait pas à la sensibilité émotionnelle et romanesque du peuple coréen qui fonde une de ses principales caractéristiques. Interrogé il y a un mois par le Dong-A Ilbo, sur ce qu’il ferait en cas de réunification – un projet qui hante tous les Sud-coréens – il a répondu qu’il « prendrait sa vieille mère par la main pour lui montrer son village natal et ce qu’est devenue sa famille »…Ajoutant qu’il pourrait peut-être y prendre sa retraite.

Note(s) :

[1Les membres étaient les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine, le Chili, l’Indonésie, l’Union Européenne, la Pologne, la République Tchèque, et l’Ouzbékistan.

[2Corée du nord, Corée du sud, Chine, Japon, États-Unis, Russie.

[3Sa famille est originaire de Hamhung à 200 km au nord de la ligne de démarcation sur les rives de la mer du Japon. En 1950, son père, rapatrié au sud par les Américains, avait d’abord travaillé dans un camp de prisonniers de guerre sur l’île de Guojie en face de Pusan.

[4Sur ce sujet ultra sensible qui divise les Coréens Moon a promis de mettre sur pied un commission consultative.

 

 

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