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›› Politique intérieure

La force du symbole de Liu Xiaobo et la crainte des influences occidentales

Presque 8 années après sa condamnation pour « incitation à la subversion de l’État » et 7 années après son entrée, à la fureur de Pékin, dans le cercle des prix Nobel de la paix, la figure de Liu Xiaobo refait surface sur un mode tragique dont le parti se serait bien passé à l’approche du Congrès.

Fin mai, à seulement trois ans de l’expiration de sa peine, ses avocats Shang Baojun et Mo Shaoping ont annoncé que, souffrant d’un cancer du foie au stade terminal, Liu avait été hospitalisé à l’hôpital universitaire n°1 de Shenyang.

Le spectre du passé.

La figure emblématique de Liu Xiaobo devenu le symbole des dissidents luttant en Chine et hors de Chine pour la démocratie, ravive dans le sérail politique chinois une collection de souvenirs néfastes dont le premier est celui de la répression de 1989, quand Liu, alors jeune professeur revenu de New-York à l’annonce des manifestations, joua un rôle éminent pour, la veille même de l’intervention de l’armée, avoir incité des centaines d’étudiants à quitter la place Tian An Men. Beaucoup lui doivent la vie.

Autre résurgence, également relayée par de nombreux articles dans les grands médias occidentaux de la planète, la mémoire de son combat pour la réforme du système politique et pour son ouverture à d’autres partis dont les termes furent inscrits dans la « charte 08 » qui lui valut sa condamnation.

Réclamant le multipartisme, l’indépendance de la justice et – de manière très utopique - l’évolution vers un système fédéral, le texte dénonçait également la corruption, les tumultes sociaux et les graves dégradations de l’environnement, effets pervers d’une justice aux ordres, de l’absence de respiration démocratique sous l’égide d’assemblées monocordes n’exerçant aucun contrôle sur les politiques publiques, le pouvoir et son comportement.

Compassion et goût de la liberté.

Ciblant les émotions et la compassion de leurs lecteurs, plusieurs grands médias occidentaux ont évoqué la relation de Liu Xiaobo avec son épouse Liu Xia, photographe, éditrice, poète et écrivain épousée en 1996, également harcelée par la police, vivant en résidence surveillée depuis la condamnation de son mari, elle-même hospitalisée pour des problèmes cardiaques et une dépression chronique.

Le 9 juillet, paraissait sur le site de la BBC un long article intitulé « L’amour qui survécut au camp de travail », description des tribulations du couple pour les droits depuis les années 90 dont l’impact pour l’image de la Chine est détestable.

Dernière réminiscence politiquement très sensible, le souvenir qu’à l’annonce du prix Nobel une longue liste d’intellectuels chinois vivant en Chine publièrent un texte exigeant la libération de Liu. Dans cette adresse aux autorités, figuraient des appels à la réforme du système politique, au respect des droits et à l’adoption par la Chine « des valeurs universelles », assimilées aux « valeurs des démocraties occidentales ».

En pleine préparation du 19e Congrès, le retour au premier plan de ces thèmes touchant à la liberté et aux droits dont l’écho se propage largement en Occident, contribue à créer un arrière plan politique toxique d’autant plus nuisible que les commentaires des médias étrangers sont répercutés en Chine par le canal des expatriés.

Polémique sur l’évacuation sanitaire de Liu à l’étranger.

Depuis que le 8 juillet Pékin a invité 2 cancérologues étrangers (Markus Büchler de l’université de Heidelberg et Joseph Hermann de l’Université du Texas) à ausculter Liu à Shenyang, une nouvelle polémique enfle dans les médias occidentaux autour de l’hypothèse de son évacuation à l’étranger.

L’Allemand et l’Américain ayant estimé, contre l’avis des médecins chinois, qu’un transport du malade hors de Chine était possible, ajoutant même que d’autres traitements, notamment une radiothérapie, pourraient être tentés, une série de déclarations émanant d’organisations des droits réclament le départ de Liu et de son épouse hors de Chine.

L’affaire, on s’en doute, devient politiquement très délicate, au point d’interpeller directement Xi Jinping. Le 9 juillet, le Français Nicolas Becquelin, Directeur d’Amnesty International pour l’Asie de l’Est basé à Hong-Kong, estimait que seul le président chinois avait l’autorité de décider du sort de Liu. « Le régime devrait faire ce qu’il fait d’habitude. Calculer les risques et les bénéfices à laisser partir Liu à l’étranger pour se faire soigner. Il verrait que son intérêt est de le laisser partir ».

L’invitation des médecins étrangers est le signe que le régime se soucie de son image et souhaite tenir à distance toutes les accusations de mauvais traitements volontaires ou d’incompétence. En même temps, le prix Nobel est surveillé par la sécurité d’État pour que l’affaire reste strictement sous contrôle, au moins en Chine, et ne devienne pas un sujet explosif sur les réseaux sociaux.

A l’hôpital où la réception dit ne connaître personne du nom de Liu Xiaobo, la direction a interdit aux médecins, infirmiers et aide-soignants de communiquer des informations à l’extérieur ; elle a prohibé les téléphones mobiles dans la zone où Liu est traité pour éviter la diffusion de photos sur Weibo. A Pékin, les amis de Liu ont été placés sous surveillance et certains activistes connus assignés à résidence. Parmi eux, Shang Baojung, Xie Xiaoling, Gao Yu, Bao Tong ont été sommés de ne rien écrire sur la question et de ne pas accorder d’interviews.

La polémique s’est aussi hissée au niveau des relations diplomatiques avec l’Allemagne. Tout à leur souci interne de prouver leur bonne foi médicale et la qualité des soins prodigués à Liu Xiaobo par les médecins chinois, le parti et la sécurité d’État ont, contrairement aux demandes écrites de confidentialité des Allemands, fait diffuser sur « youtube » - pourtant interdit en Chine – deux vidéos montrant, l’une les deux médecins étrangers invités au chevet du malade et l’autre une conférence entre médecins chinois et étrangers dans laquelle on pouvait voir et entendre le Dr allemand Markus Blüchler expliquer que lui et son collègue américain n’auraient pas fait mieux que les Chinois.

Le 11 juillet, l’ambassade d’Allemagne en Chine a réagi par un communiqué accusant « certaines autorités » d’avoir intentionnellement diffusé sur les réseaux sociaux et à des médias nationaux des extraits sélectionnés de la visite des médecins étrangers, contrevenant ainsi, dit le communiqué, à l’exigence de confidentialité de la relation patient – médecin.

La conclusion, allant plus loin dans les accusations, est de nature à aigrir les relations entre Berlin et Pékin : « il apparaît que les soins à Liu Xiaobo sont plus contrôlés par les services de sécurité chinois que par des médecins. Cette attitude affaiblit la confiance qu’il est possible d’accorder aux autorités en charge du malade qui constitue pourtant un élément clé du traitement. »

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Liu Xiaobo est décédé Le 13 juillet 2017 des suites de son cancer du foie à l’hôpital de Shenyang. Jusqu’au bout il aura défié la puissance du Parti qui craignait par dessus tout son activisme militant pour la démocratie. La Charte 08, nommée d’après la « Charte 77 » écrite par des opposants Tchécoslovaques à la rédaction de laquelle il avait activement participé était une remise en cause radicale du régime. On pouvait notamment y lire ceci :

« Les nombreuses catastrophes politiques qu’a connues l’histoire chinoise sont toutes intimement liées au mépris des droits de l’homme par les autorités au pouvoir. L’homme est la raison d’être de l’État ; L’État doit se mettre au service du peuple et le gouvernement doit exister pour le peuple. »

Le texte complet de la Charte est en annexe.

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Les raisons de l’impitoyable sévérité du Parti.

Alors que le dramatique passage sur terre de Liu Xiaobo touche à sa fin et que, le 10 juillet, le Global times publiait un article accusant « certains éléments extérieurs anti-chinois de politiser la question », tandis que, le même jour, le Quotidien du Peuple rendait compte de l’injonction de Xi Jinping « d’accélérer les réformes de la justice, conformément à l’État de droit aux caractéristiques chinoises » [1], il faut s’interroger sur les raisons de la sévérité des répressions contre certains intellectuels, comme Ilham Tohti ou Liu Xiaobo, exemples parmi d’autres, objets des harcèlements disproportionnés et cruels.

Le premier, un intellectuel Ouïghour militant pour une plus grande autonomie culturelle du Xinjiang, condamné à la prison à vie, le deuxième avocat de la démocratie, mort d’un cancer après 8 années de prison, n’ont en apparence que peu de points communs. Mais à y regarder de plus près, les deux se distinguent pour avoir contesté le pouvoir du parti et avoir reçu des appuis de l’extérieur, notamment des États-Unis.

Peu avant son arrestation, Ilham Tohti avait donné une interview à Voice of America, radio subventionnée par la Maison Blanche où il expliquait non sans raison qu’une grande partie des tensions au Xinjiang provenait des méthodes brutales de la police et des milices peu respectueuses de la culture et des coutumes locales. Quant à Liu Xiaobo, ses relations avec les États-Unis sont encore plus étroites.

L’Amérique, symbole de modernisation et de liberté.

Aux premières années de son engagement politique, en 1988, 10 années après le désastre intérieur de la révolution culturelle, constatant à Hong-Kong le retard flagrant de la Chine encore en proie à l’arbitraire, aux luttes de clans, à la corruption généralisée et à la misère dans de larges portions de la population, il avait, à plusieurs reprises, publiquement estimé que la seule voie possible pour moderniser le pays serait sa conversion complète au modèle politique et culturel occidental.

Plus tard, avocat sans concession de la supériorité de l’Amérique et de son modèle politique, et alors que, pour la Chine dont il mesurait le retard, il prônait une démocratie censitaire dont les électeurs seraient sélectionnés au mérite, Liu était même allé jusqu’à se réjouir des interventions militaires américaines en Irak qu’il voyait naïvement comme un combat pour la justice.

Ces convictions l’auraient même amené, selon le Quotidien du Peuple qui l’accusait d’être un « agent de l’étranger », à être employé moyennant rémunération, par l’ONG (National Endowment for Democracy - NED -), bras armé des actions d’influence politique américaine dans de nombreux pays.

Déjà ciblés par la police et la sécurité intérieure, les dissidents et les critiques le sont avec d’autant plus de brutalité qu’ils reçoivent des appuis extérieurs venant d’organisations vues en Chine comme une menace directe contre le régime et la pérennité du parti.

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Lors de son passage à Hong-Kong pour l’investiture de Carrie Lam et le 20e anniversaire de la rétrocession, Xi Jinping lui-même y avait fait allusion en dénonçant les « tentatives contre la souveraineté et la sécurité nationales, défiant le gouvernement central et l’autorité de la loi fondamentale, ou ayant pour but de mener, par le truchement de Hong Kong, des opérations d’infiltration ou de sabotage à l’intérieur de la Chine. »

Disant cela, Xi Jinping visait particulièrement NED que les services chinois ont clairement identifié à la tête d’un réseau animant des activités politiques financées par le Département d’État américain. Ainsi le professeur de droit Benny Tai, à l’origine du mouvement Occupy Central en 2014 a t-il, selon les « wikileaks » régulièrement reçu des financements de Washington par le truchement de National Democratic Institute (NDI), branche de NED, pour organiser des colloques sur le thème du suffrage universel.

Pour le régime chinois, ces activités que le département d’État considère comme un accompagnement naturel des progrès démocratiques, ne sont que des atteintes à la souveraineté et une menace pour la sécurité du pays. Elles doivent être combattues avec la dernière énergie.

Que la brutalité des répressions transforment les accusés en martyrs internationaux des droits, le parti qui considère jouer son pouvoir et la survie du régime, n’en a cure, d’autant qu’il s’estime victime d’agressions extérieures malveillantes.

Il compte bien que, le temps faisant son œuvre, l’affaire sera bientôt, comme bien d’autres, engloutie par le flot des informations mêlées de propagande sévèrement contrôlées par la censure, tandis que l’attrait des finances et du marché chinois préservera les élans intéressés des chancelleries à son égard.

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Par dessus cette situation flottent deux idées. La première concerne la classique rivalité entre les intérêts et les droits des individus et l’intérêt national et collectif que les pouvoirs estiment représenter justifiant ainsi leur autocratie.

La deuxième renvoie aux valeurs démocratiques hissées au niveau de « valeurs universelles » qu’aujourd’hui la Chine rejette d’autant plus facilement que surgissent ici et là les effets néfastes des systèmes démocratiques où la valeur « individuelle » a pris le pas, souvent de manière égocentrique, sur l’intérêt collectif.

Liu Xiaobo qui a dédié sa vie à un intérêt supérieur qui le dépasse sans aucun profit personnel, ne peut certes pas être accusé d’égocentrisme. Mais le pouvoir chinois qui l’ostracise comme un intrus hostile, utilise cette idée pour le discréditer. Simultanément, il attise le concept confucéen « d’harmonie 和谐 Hexie » revisité par le strict intérêt politique du parti pour rejeter la démocratie « ferment de discordes et d’instabilité ».

Par les temps qui courent où resurgissent de puissantes menaces, il n’est pas étonnant que dans nombre de démocraties, assez souvent chez les électeurs les plus jeunes, réapparaisse l’idée qu’un pouvoir fort, mieux en mesure de préserver la cohésion sociale et politique d’un pays, si nécessaire par la force, serait, dans l’intérêt supérieur de la collectivité, plus à même de faire face aux défis qui s’annoncent.

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ANNEXE

Texte complet de la« Charte 08 »

Cent ans ont passé depuis la rédaction de la première constitution chinoise. 2008 marque également le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 30e anniversaire de l’apparition du Mur de la démocratie à Pékin, et le 10e anniversaire de la signature par la Chine du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques [des Nations unies, ndlr].

Nous approchons également du 20e anniversaire du massacre des manifestants étudiants favorables à la démocratie sur la place Tiananmen.

Le peuple chinois, qui endure un désastre en matière de droits de l’homme et a mené d’innombrables luttes au fil de ces années, voit clairement que la liberté, l’égalité et les droits de l’homme sont des valeurs universelles de l’humanité, et que la démocratie et un gouvernement constitutionnel constituent un cadre fondamental pour préserver ces valeurs.

En s’éloignant de ces valeurs, l’approche du gouvernement chinois vis-à-vis de la « modernisation » s’est révélée désastreuse. Elle a privé le peuple de ses droits, détruit sa dignité et corrompu le cours normal des relations humaines.

Alors nous posons la question : où va la Chine au XXIe siècle ? Poursuivra-t-elle sa « modernisation » autoritaire ou épousera-t-elle les valeurs universelles, rejoindra-t-elle le lot commun des nations civilisées et bâtira-t-elle un système démocratique ? Il n’est pas possible d’éluder ces questions.

Le choc de la rencontre avec l’Occident sur la Chine du XIXe siècle a mis à nu le système autoritaire décadent et marqué le début de ce qu’on appelle généralement « les plus grands changements qu’ait connus la Chine en plusieurs millénaires ».

Un mouvement « d’auto-renforcement » a suivi, mais qui avait surtout pour objectif de récupérer les technologies permettant de fabriquer des navires de guerre et autres objets occidentaux. La défaite maritime humiliante de la Chine face au Japon en 1895 n’a fait que confirmer l’obsolescence du système chinois.

Les premières tentatives d’introduire des réformes politiques ont eu lieu lors des malheureuses réformes de l’été 1898, mais celles-ci ont été écrasées sans ménagement par les ultra-conservateurs au sein de la cour impériale.

Avec la Révolution de 1911, qui a permis de créer la première république d’Asie, le système autoritaire impérial vieux de plusieurs siècles était censé avoir été envoyé aux oubliettes pour l’éternité. Mais le conflit social à l’intérieur de notre pays ainsi que les pressions extérieures ont empêché qu’il en soit ainsi : la Chine se divise en fiefs de seigneurs de la guerre, et le rêve de la république s’évanouit.

Le double échec de ce « mouvement d’auto-renforcement » et de la rénovation politique a amené nos ancêtres à se poser la question d’une éventuelle « maladie culturelle » qui aurait frappé notre pays. Ce questionnement donna naissance, lors du mouvement du 4 mai, à la fin des années 1910, au courant exaltant « La science et la démocratie ». Mais cette tentative échoua, elle aussi, sous les coups de boutoir des seigneurs de la guerre et de l’invasion japonaise [à partir de 1931 en Mandchourie] qui ont provoqué une crise nationale.

La victoire sur le Japon, en 1945, donna une nouvelle chance à la Chine d’évoluer vers un gouvernement moderne, mais la victoire communiste sur les nationalistes, lors de la guerre civile, plongea la Chine dans le totalitarisme. La « nouvelle Chine » née en 1949 proclama que le peuple était souverain, mais mit en place un système dans lequel le Parti était tout-puissant.

Le Parti communiste chinois prit le contrôle de tous les organes de l’État, toutes les ressources économiques, politiques et sociales du pays, et a provoqué une longue succession de désastres sur le plan des droits de l’homme, y compris la « campagne anti-droitiers » (1957), le Grand Bond en avant (1958-1960), la Révolution culturelle (1966-1969), le massacre du 4 juin (Tiananmen, 1989), ainsi que la répression actuelle de toutes les religions non autorisées, la suppression du mouvement weiquan [mouvement de défense des droits civiques tels qu’énoncés dans la Constitution chinoise et dans le Protocole de l’ONU signé par le gouvernement chinois, ndlr].

Pendant toute cette période, le peuple chinois a payé un prix colossal. Des dizaines de millions de personnes ont perdu leur vie, et plusieurs générations ont vu leur liberté, leur bonheur, leur dignité humaine cruellement foulés aux pieds.

Au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, la politique de « réforme et ouverture » du gouvernement a soulagé le peuple des effets de la pauvreté et du totalitarisme de l’ère de Mao Zedong, et a eu pour effet d’améliorer le niveau de richesse et les conditions de vie de nombreux Chinois, ainsi que le rétablissement partiel de la liberté économique et des droits économiques.

La société civile a commencé à se développer, et les appels en faveur de plus de droits et de libertés politiques se sont également multipliés. Alors que l’élite au pouvoir a elle-même opéré un glissement vers la propriété privée et l’économie de marché, elle est progressivement passée d’un refus absolu de tout droit à la reconnaissance partielle de ceux-ci.

En 1988, le gouvernement chinois a signé deux importants pactes internationaux sur les droits de l’homme ; en 2004, il a amendé la Constitution pour y inclure la phrase « Respecter et protéger les droits de l’homme » ; et cette année, en 2008, il s’est engagé à promouvoir un plan national d’action en faveur des droits de l’homme.

Hélas, la majeure partie de ces progrès politiques ne sont pas allés plus loin que le papier sur lequel ils étaient écrits. La réalité, qui est visible à l’oeil nu, est que la Chine a de nombreuses lois, mais pas d’État de droit, elle a une constitution mais pas de gouvernement constitutionnel. L’élite au pouvoir continue à s’accrocher à son pouvoir autoritaire et à repousser toute évolution vers des changements politiques.

Le résultat est une corruption officielle endémique, un affaiblissement de tout État de droit, des droits de l’homme faibles, l’effondrement de toute éthique publique, un capitalisme de copinage, des inégalités croissantes entre riches et pauvres, un pillage des ressources naturelles ainsi que de notre environnement historique et humain, et l’exacerbation d’une longue liste de conflits sociaux, y compris, au cours de la dernière période, une animosité croissante entre les gens ordinaires et les officiels.

Alors que ces conflits et ces crises gagnent en intensité, alors que l’élite au pouvoir continue à écraser et à bafouer en toute impunité les droits des citoyens à la liberté, à la propriété et à la quête du bonheur, nous assistons à une radicalisation de ceux qui n’ont pas de pouvoir au sein de la société : les groupes vulnérables, les groupes qui ont été réprimés, qui ont cruellement souffert, y compris de la torture, et qui n’ont aucun espace pour protester, aucun tribunal pour entendre leur plainte.

Ces groupes sont de plus en plus militants, et laissent entrevoir la possibilité d’un conflit violent qui pourrait prendre des proportions désastreuses. Le déclin du système actuel a atteint un niveau tel qu’il faut une puissante volonté pour en inverser le cours.

Nos principes fondamentaux

C’est un moment historique pour la Chine, et notre avenir est en suspens. En revoyant le processus de modernisation politique du siècle écoulé, nous réaffirmons et acceptons les valeurs universelles de base suivantes :

La liberté. La liberté est au centre des valeurs humaines universelles. La liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de se réunir, la liberté d’association, la liberté du lieu de résidence, la liberté de faire grève, de manifester, de protester, font partie des formes que prend la liberté. Sans liberté, la Chine restera éternellement éloignée des idéaux civilisés.

Les droits de l’homme. Les droits de l’homme ne sont pas octroyés par un État. Toute personne naît avec un droit naturel à la liberté et à la dignité. Le gouvernement existe pour garantir aux citoyens le respect des droits de l’homme. L’exercice du pouvoir de l’État doit être autorisé par le peuple. La succession de désastres politiques dans l’histoire récente de la Chine est une conséquence directe du manque de respect du régime actuel pour les droits de l’homme.

L’égalité. L’intégrité, la dignité et la liberté de toute personne - quelles que soient sa situation sociale, sa profession, son sexe, sa condition économique, son origine ethnique, la couleur de sa peau, sa religion ou ses convictions politiques - doivent être les mêmes pour tous. Le principe d’égalité devant la loi et l’égalité des droits sociaux, économiques, culturels, civiques et politiques doivent être respectés.

Le républicanisme. Le républicanisme, qui prône un équilibre du pouvoir entre les diverses composantes du gouvernement et les intérêts différents, doit être respecté. Il rejoint le concept politique traditionnel chinois qui estime que « tous sont égaux sous le ciel ». Il permet à tous les groupes d’intérêts et aux assemblées sociales, aux gens de cultures ou de croyances différentes, d’exercer leur propre gouvernement de manière démocratique, et de délibérer pour parvenir à des solutions pacifiques à toute question d’intérêt public, sur la base d’un accès égal aux responsabilités et d’une concurrence libre et honnête.

La démocratie. Les principes fondamentaux essentiels de la démocratie sont que le peuple est souverain et qu’il choisit son gouvernement. La démocratie a les caractéristiques suivantes :

1) le pouvoir politique est issu du peuple, et la légitimité d’un régime lui est donnée par le peuple ;

2) le pouvoir politique est exercé à partir des choix faits par le peuple ;

3) les détenteurs des principales fonctions officielles au sein du gouvernement sont choisis au cours d’élections régulières et ouvertes à la concurrence ;

4) tout en respectant la volonté de la majorité, la dignité fondamentale, la liberté et les droits de l’homme des minorités sont protégés.

En d’autres termes, la démocratie est le moyen moderne de parvenir au « pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Ce que nous préconisons

L’autoritarisme est en déclin dans le monde. En Chine aussi, le pouvoir des empereurs et des seigneurs est en train de disparaître. Il est temps que partout les citoyens soient les maîtres de leur État. En Chine, le chemin qui conduit vers la sortie de notre condition actuelle est la libération de ce concept de dépendance contrainte d’un « seigneur éclairé » ou d’un « officiel honnête », et de nous tourner vers un système de liberté, de démocratie, d’État de droit, et vers l’émergence d’une conscience de citoyens modernes pour lesquels les droits sont fondamentaux, et la participation, un devoir. Dès lors, dans cet esprit de devoir, en tant que citoyens constructifs et responsables, nous faisons les recommandations suivantes sur la gouvernance nationale, les droits des citoyens, et le développement social :

1) Une nouvelle constitution. Nous devons réviser notre constitution actuelle, en retirer les clauses qui contredisent le principe selon lequel la souveraineté est détenue par le peuple. Et nous devons la transformer en un document qui garantisse véritablement les droits de l’homme, autorise l’exercice du pouvoir public, et serve de cadre légal à la démocratisation de la Chine. La constitution doit être la loi suprême du pays, ne pouvant être violée par quiconque, individu, groupe ou parti politique.

2) La séparation des pouvoirs. Nous devons bâtir un système moderne de gouvernement dans lequel la séparation des pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, soit garantie. Nous avons besoin d’une loi administrative qui définisse l’étendue des responsabilités du gouvernement, et préserve des abus des pouvoirs administratifs. Le gouvernement doit être responsable devant les contribuables. La division des pouvoirs entre les gouvernements des provinces et le gouvernement central devrait respecter le principe selon lequel le gouvernement central détient tous les pouvoirs qui lui sont spécifiquement conférés par la Constitution ; tous les autres appartiennent aux gouvernements locaux.

3) Une démocratie législative. Les membres des organes législatifs à tous les niveaux devraient être choisis au cours d’élections directes, et la démocratie parlementaire devrait respecter des principes justes et impartiaux.

4) Une magistrature indépendante. L’État de droit doit être au-dessus des intérêts d’un parti politique particulier, et les juges doivent être indépendants. Nous devons instituer une cour suprême constitutionnelle et créer des procédures d’examen le plus rapidement possible. Nous devons abolir tous les comités politiques et légaux qui permettent aujourd’hui aux cadres du Parti communiste de décider de toutes les affaires sensibles hors du cadre judiciaire. Nous devons interdire formellement l’usage de fonctions publiques à des fins privées.

5) Le contrôle public des fonctionnaires. L’armée doit être responsable devant le gouvernement, pas devant un parti politique, et doit être professionnalisée. Les militaires doivent prêter serment sur la Constitution et rester neutres. Les partis politiques doivent être interdits dans l’armée. Tous les serviteurs de l’État, y compris la police, doivent s’acquitter de leurs tâches de manière non partisane, et la pratique actuelle qui consiste à favoriser un parti politique dans le recrutement doit cesser.

6) La garantie des droits de l’homme. Il doit y avoir des garanties strictes de respect des droits de l’homme et de la dignité humaine. Il doit y avoir un comité des droits de l’homme, responsable devant l’organe législatif suprême du pays, qui veillera à empêcher le gouvernement d’abuser de son pouvoir en matière de droits de l’homme. Une Chine constitutionnelle et démocratique doit garantir la liberté individuelle de ses citoyens. Personne ne doit être victime d’arrestation, de détention, d’interrogatoire ou de punition illégaux. Le système de rééducation par le travail doit être aboli.

7) L’élection des officiels. Il doit y avoir un système complet d’élections démocratiques fondé sur le principe « une personne, une voix ». L’élection directe des responsables administratifs à tous les niveaux, du comté, de la ville, de la province ou du pays, doit être systématisée. Le droit d’avoir des élections régulières et d’y participer en tant que citoyen est inaliénable.

8) Égalité villes-campagnes. Le système d’enregistrement des zones de résidence doit être aboli. Ce système favorise les résidents urbains, pénalise les habitants des zones rurales. Nous devons créer un système qui accorde les mêmes droits constitutionnels à tous les citoyens et leur accorde la même liberté d’habiter où ils veulent.

9) Liberté d’association. Le droit des citoyens à former des organisations doit être garanti. Le système actuel pour la reconnaissance des organisations non gouvernementales, qui exige qu’elles soient « approuvées », doit être remplacé par un simple système d’enregistrement. La formation de partis politiques doit être régie par la Constitution et les lois, ce qui signifie qu’il faut mettre fin au privilège spécial accordé à un parti qui a le droit de monopoliser le pouvoir, et nous devons garantir le principe d’une concurrence libre et égale entre tous les partis politiques.

10) Liberté de réunion. La Constitution doit prévoir que les réunions pacifiques, les manifestations, protestations, et la liberté d’expression, sont des droits fondamentaux des citoyens. Le parti au pouvoir et le gouvernement ne peuvent pas être autorisés à confronter ces droits à des obstacles illégaux et inconstitutionnels.

11) Liberté d’expression. Nous devons rendre universelles la liberté d’expression, la liberté de la presse, et la liberté universitaire, afin de permettre aux citoyens d’exercer pleinement leur droit d’être informés et leur droit à contrôler les décisions politiques. Ces libertés doivent être garanties par une loi sur la presse qui abolisse toutes les restrictions politiques imposées à la presse. Le crime d’« incitation à la subversion contre le pouvoir de l’État », qui existe actuellement dans la loi chinoise, doit être aboli. Nous devons cesser de considérer les mots comme des crimes.

12) Liberté religieuse. Nous devons garantir la liberté religieuse et de foi, et instaurer la séparation de la religion et de l’État. Il ne doit pas y avoir d’ingérence du gouvernement dans les activités religieuses pacifiques. Nous devrions abolir toute loi, décret ou règlement local qui limite ou interdit la liberté religieuse des citoyens. Nous devrions abolir le système actuel qui exige l’accord préalable de l’État pour tout groupe religieux ou tout lieu de culte, et le remplacer par un système où l’enregistrement devrait être optionnel, et, pour ceux qui choisissent de s’enregistrer, automatique.

13) Éducation civique. Nous devrions abolir, dans nos écoles, les programmes d’éducation politique et les examens qui s’y rattachent, et qui constituent un endoctrinement idéologique des élèves en faveur du soutien à un parti politique. Nous devrions les remplacer par de l’éducation civique, qui fasse la promotion des valeurs universelles et des droits des citoyens, développe la conscience civique, et mette en avant les valeurs civiques qui servent la société.

14) Protection de la propriété privée. Nous devrions établir et protéger le droit à la propriété privée, et promouvoir un système économique de marché libre et honnête. Nous devrions abolir les monopoles gouvernementaux sur le commerce et l’industrie, et garantir la liberté de créer de nouvelles entreprises. Nous devrions créer un comité des entreprises d’État, responsable devant le Parlement, qui supervisera le transfert de la propriété de l’État vers le secteur privé d’une manière honnête, concurrentielle, et ordonnée. Nous devrions mettre en oeuvre une réforme agraire qui favorise la propriété privée de la terre, qui garantisse le droit d’acheter et de vendre la terre, et permettre à la véritable valeur de la propriété privée de se refléter dans le marché.

15) Réforme financière et fiscale. Nous devrions créer un système de finances publiques régulé de manière démocratique, et contrôlable, de manière à protéger les droits des contribuables, et respectueux de procédures établies. Nous avons besoin d’un système dans lequel les revenus d’un certain niveau de gouvernement - central, provincial, de dictrict ou local - soient contrôlés à ce niveau. Nous avons besoin d’une réforme fiscale qui abolira tout impôt injuste, simplifiera le système fiscal, et répartira le fardeau fiscal de manière juste. Les représentants du gouvernement ne devraient pas être en mesure d’augmenter les taxes ou de créer de nouveaux impôts sans débat public et sans l’approbation d’une assemblée démocratique. Nous devons réformer le système de propriété afin de permettre une concurrence plus grande sur le marché.

16) Sécurité sociale. Nous devrions introduire un système adapté et juste de sécurité sociale pour tous les citoyens, et garantir l’accès de tous à l’éducation, à la santé, à la retraite et au travail.

17) Protection de l’environnement. Nous devons protéger notre environnement naturel, et promouvoir un développement qui soit durable et responsable à l’égard de nos descendants et du reste de l’humanité. Cela signifie que les responsables gouvernementaux, à tous les niveaux, non seulement s’engagent à faire tout ce qui est possible pour atteindre ces objectifs, mais acceptent la supervision et la participation des organisations non gouvernementales.

18) Une république fédérale. Une Chine démocratique devrait agir comme une puissance responsable contribuant à la paix et au développement dans la région Asie-Pacifique, traitant avec les autres dans un esprit d’égalité et d’honnêteté. À Hong Kong et à Macao, nous devrions soutenir les libertés qui existent déjà. En ce qui concerne Taïwan, nous devrions proclamer notre engagement en faveur des principes de la liberté et de la démocratie, et ensuite négocier d’égal à égal, prêts au compromis, afin de rechercher une formule d’unification pacifique. Nous devrions nous pencher sur les conflits dans les zones des minorités nationales de Chine avec une ouverture d’esprit, en cherchant le cadre opérationnel dans lequel tous les groupes ethniques ou religieux pourraient se développer. Nous devrions viser, à terme, l’établissement d’une fédération de communautés démocratiques de Chine.

19) La vérité dans la réconciliation. Nous devrions rétablir la réputation des individus, y compris celle de leur famille, qui ont souffert de persécutions politiques dans le passé, ou qui ont été traités de criminels en raison de leurs pensées, de leurs déclarations, ou de leur foi. L’État devrait leur verser des compensations.

Tous les prisonniers politiques ou prisonniers d’opinion devraient être libérés.

Il devrait y avoir une commission d’enquête Vérité, chargée d’établir les faits concernant les injustices et les atrocités passées, de déterminer les responsabilités, de rétablir la justice, et, sur cette base, de permettre la réconciliation sociale.

La Chine, en tant que pays important du monde, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, membre de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, devrait contribuer à la paix de l’humanité, et à une promotion des droits de l’homme. Hélas, nous sommes aujourd’hui la seule puissance, parmi les principaux pays, qui reste prisonnière d’un concept politique d’autorité.

Notre système politique continue de produire des désastres en matière de droits de l’homme, et des crises sociales, ce qui non seulement handicape le développement de la Chine, mais limite également le progrès de l’humanité entière. Cela doit changer, vraiment. La démocratisation de la Chine ne peut plus être retardée.

Dès lors, nous osons mettre en avant un esprit civique, en annonçant la naissance de la Charte 08. Nous espérons que nos concitoyens éprouveront le même sentiment de crise, de responsabilité et de mission, qu’ils soient au service du gouvernement ou pas, et quel que soit leur statut social, qu’ils mettront de côté leurs petites différences, et accepteront les objectifs généraux de ce mouvement citoyen.

Ensemble, nous pouvons travailler en faveur de changements majeurs dans la société chinoise, et pour la construction rapide d’un pays libre, démocratique, et constitutionnel. Nous pouvons donner corps à ces idéaux et objectifs qui ont été ceux de notre peuple depuis plus de cent ans, et ouvrir la voie à un nouveau chapitre brillant pour la civilisation chinoise."

Note(s) :

[1L’injonction a été formulée par écrit dans une note adressée à la Commission de réforme de la justice réunie en séminaire à Guiyang, capitale du Guizhou, le 10 juillet.

C’est Meng Jiangzhu, membre du Bureau Politique et président de la Commission des lois qui s’est chargé de lire le message du président aux membres du séminaire. Mais, s’il est vrai que l’adresse présidentielle évoque le droit et la modernisation, elle ne dit mot de l’indépendance de la justice.

En revanche, la décision de déporter le séminaire dans la province excentrée et pauvre du Guizhou, fief de Chen Min Er (陈敏 尔) membre du Comité Central, protégé et allié de Xi Jinping ardent défenseur de la moralité publique et du fonctionnement efficace et transparent de l’administration donne une indication sur le sens d’une « modernisation de la justice aux caractéristiques chinoises ».

S’il est vrai que la génération politique aux commandes n’est pas prête à sauter le pas d’un justice indépendante pouvant devenir un contrepouvoir, au moins a t-elle l’intention de la rendre moins opaque, plus professionnelle, plus équitable et – c’est le sens du séminaire au Guizhou – plus attentive aux plus démunis et aux plus faibles.

 

 

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