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Embardées verbales à l’ONU. Pékin inquiet et à bout d’arguments réagit avec placidité

L’échange fera date aux Nations Unies. Renversant les tables de la bienséance feutrée de l’Assemblée Générale, apportant son appui inconditionnel à Israël, dénonçant les « embarras » de l’accord iranien et les hypocrisies d’une institution coûteuse et inefficace où Washington payait pour les autres sans réelle contrepartie, Donald Trump a traité Kim Jong-un de « Rocket man » sénile et menacé d’aplatir son pays sous les bombes s’il s’avisait d’agresser les États-Unis ;

A quoi Ri Rong-ho le ministre des Affaires étrangères nord-coréen, offusqué par le manque de respect public témoigné à l’égard de Kim le Troisième, dirigeant déifié par la propagande et dernier perturbateur nucléaire de la planète aux ambitions de puissance intouchable protégée par le feu atomique, a répliqué que le président américain, « mentalement dérangé », avait, par son discours, créé les conditions inéluctables d’une frappe nucléaire contre les États-Unis. « Le peuple américain qui en paierait le prix, n’aurait qu’à s’en prendre à son président. »

Ri ajouta que la Corée du Nord qui se considérait désormais comme une puissance nucléaire, s’estimait en guerre contre les États-Unis. Trois jours plus tard il affirma que Pyongyang s’autoriserait à abattre les aéronef américains patrouillant à ses approches [1] et déclarait l’intention de Pyongyang – cependant laissée, dit-il, à la décision de Kim Jong-un - de procéder au test d’une bombe à hydrogène tirée dans l’atmosphère au-dessus du Pacifique.

Les Américains sur le pied de guerre.

L’Amiral Harris commandant en Chef du Pacifique, né d’une mère japonaise et d’un père officier marinier américain, que le Bureau Politique chinois déteste depuis qu’il avait qualifié les extensions artificielles en mer de Chine de « grande muraille de sable », prend la menace au sérieux et a mis la flotte américaine en alerte. Une explosion nucléaire dans l’atmosphère renouerait avec des habitudes oubliées, puisque la dernière qui fut chinoise, eut lieu en 1980, au-dessus du désert du Lop Nor, à 400 km au sud d’Urumqi dans le Xinjiang.

Au total, depuis 1945, il y eut 530 explosions atmosphériques dont la grande majorité furent américaines (217, les 4 dernières en 1963) et soviétiques (219, les 78 dernières en 1962). Les autres furent françaises (50 dont 4 au Sahara en 1960-1961, 46 à Mururoa et Fangatofa, les dernières en 1974), britanniques (21 en Australie, les dernières en 1963) et chinoises (23 dans le désert du Lop Nor, la dernière en 1980). Tous eurent des effets dévastateurs toujours pas complètement résorbés sur l’environnement et la santé des populations limitrophes.

Enfin, l’exercice auquel menace de se livrer Pyongyang, nouvelle étape de ses provocations, constitue une opération techniquement complexe. Au demeurant, les tests nucléaires dans l’atmosphère à partir d’un tir balistique furent très rares dans l’histoire de l’arme atomique. Les Américains se souviennent d’une de leurs armes, tirée en 1962 à partir d’un sous-marin en direction des îles Christmas (400 km au sud de l’île de Java) qui explosa par accident dans l’atmosphère.

Pékin impavide mais déconcerté.

C’est peu dire qu’à Pékin, à trois semaines du Congrès du Parti, le Bureau Politique, constatant que la situation menace de déraper à ses portes, est inquiet. Même si au milieu des échanges insultants et des menaces d’apocalypse Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères a, à New-York, calibré son discours au millimètre, exprimant une distance et une maîtrise de soi qui tranchait avec les invectives, ce qui domine à Pékin c’est le désarroi et la stupeur.

« Nous voulons que le choses se calment » disait sobrement à Reuters Liu Jieyi, ambassadeur à l’ONU, le 25 septembre. C’était un euphémisme.

Comme il se doit dans ce système hiérarchique vertical, le commentaire était strictement conforme au discours apaisant du ministre le 19 septembre. « Les perspectives de paix sont toujours là et nous ne devons pas abandonner l’espoir de résoudre la crise nucléaire », a dit Wang Yi sur un ton neutre, monocorde et sans passion contrastant les diatribes américaines et nord-coréennes.

Avec un brin de nostalgie, refusant de reconnaître à quel point la situation s’était dangereusement enkystée, évoquant l’époque où Pékin pouvait encore espérer jouer les médiateurs avec la famille Kim dont le dernier rejeton considère aujourd’hui les Chinois comme des « traitres », le ministre a refait l’historique « du dialogue à 6 » quand, il y a douze ans, les négociations avaient, dit-il, « tracé la route de la négociation vers la dénucléarisation », option que Pékin dit toujours vouloir privilégier aujourd’hui [2].

Apparemment à bout d’arguments, rappelant les incessants efforts de Pékin pour apaiser la situation, il a exhorté Pyongyang à « ne pas emprunter une route dangereuse – 不要沿着危险的方向 » et, appelé les États-Unis à « tenir leurs engagements à l’égard de la Corée du Nord 我们 呼吁美国把 对朝鲜 提出的“四不“承诺 - que sont les quatre “Non“ » :

Non au « regime change » ; Non aux pressions visant à l’effondrement du régime ; Non à l’accélération de la réunification ; Non au déploiement militaire américain au nord du 38e parallèle, toutes ces injonctions reflétant en réalité les principales craintes de Pékin qui, depuis toujours, rêve du statuquo d’une péninsule coupée en deux et stable.

Le moins qu’on puisse dire est que les ambitions nucléaires de Pyongyang perturbent l’utopie chinoise de l’immobilisme, dans un contexte où la communauté internationale est elle même divisée sur la route à suivre.

Pour l’heure, comme beaucoup, Pékin qui connaît bien son voisin, craint que les menaces américaines accélèrent la nucléarisation définitive de la Corée du Nord. La plus récente mise en garde date du 19 septembre, par le porte-parole du Waijiaobu Lu Kang « l’évolution de la situation telle qu’elle est aujourd’hui montre que les menaces en paroles ou en action ont échoué. Elles ont au contraire contribué à aggraver les tensions et rendu la solution de la question nucléaire encore plus difficile » (…)

« Nous espérons » poursuivait le Waijiaobu « que toutes les parties concernées se conformeront à l’esprit de la résolution 2375 du 11 septembre 2017 » - Note de la rédaction qui prévoit une restriction des exportations de pétrole et de produits raffinés avec compte rendu à l’ONU des livraisons effectuées dans le cadre des quotas humanitaires -.

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Des acteurs divisés.

Mais Washington et Tokyo, ne sont pas en phase avec Pékin et Moscou. Constatant au contraire que l’application des sanctions par la Chine qui précisément tire profit des marges humanitaires pour poursuivre les livraisons, n’est pas efficace, ils préconisent un durcissement des embargos.

Après le survol de l’archipel nippon le 29 août et le 15 septembre derniers par 2 missiles tirés par Pyongyang, Shinzo Abe décidait le 25 septembre, une élection anticipée pour s’assurer, dit-il, du soutien populaire dans la gestion de la crise nord-coréenne.

Alors qu’il bénéficie d’une relative embellie dans les sondages et que l’opposition est éclatée, il a exhorté les Japonais à ne pas céder aux menaces nord-coréennes. Complètement en phase avec D. Trump, prenant le contrepied de la Chine et de la Russie et malgré les hésitations de Séoul, il a plaidé pour des sanctions plus dures, rappelant que le dialogue et la diplomatie n’auront aucun effet sur la Corée du nord, soulignant aussi, par une remarque adressée à Pékin, l’importance d’une communauté internationale unie dans les pressions contre le régime.

Avec Tel Aviv, New-Delhi, Hanoi, Tokyo et quelques autres réfutent les accusations ayant accablé Trump après son discours du 19 septembre.

Comme le général Michael Hayden qui commanda la commission d’armistice à Séoul avant de prendre la tête de la NSA puis de la CIA, ils ne renvoient pas dos à dos Pyongyang et Washington affublés sans nuance de folie partagée également nuisible par un courant de pensée cherchant un bouc émissaire à l’absurde.

Contrairement à ceux qui accusent la Maison Blanche d’agir de manière irrationnelle, ils estiment que l’actuel exécutif américain tente une solution de la question coréenne en acceptant un niveau de risque plus élevé que par le passé et en ciblant Pékin dont, disent-ils, l’attitude ambigüe a jusqu’à présent réduit l’efficacité des sanctions.

*

Toujours placide, la Chine a cependant exprimé son inquiétude, en expliquant en détail comment elle entendait se conformer aux injections de l’ONU lui imposant de réduire ses exportations de pétrole et de produits dérivés à Pyongyang. Le 23 septembre, après avoir rappelé qu’il avait imposé un embargo total sur le gaz naturel et les textiles, le ministère du commerce a annonçait qu’à compter du 1er janvier 2018, il limiterait ses exportations annuelles de pétrole à 2 millions de barils.

Le communiqué précisait en outre que, lorsque les livraisons approcheront de la limite fixée, Pékin fera un point public de la situation. Une fois le plafond atteint, il cessera complètement ses livraisons de pétrole et de produits raffinés. Le 27 septembre, Wilbur Ross le secrétaire d’État au commerce de D. trump se félicitait des mesures annoncées par Pékin dont il considérait qu’elles étaient « un pas de géant ». La remarque faisait également allusion aux récentes injonctions de la Banque de Chine aux banques commerciales de cesser leurs opérations avec Pyongyang.

Il reste qu’en dépit de cette nouvelle transparence et conscients que près de 90% du commerce extérieur nord-coréen se fait avec la Chine, les observateurs restent sceptiques.

Par le passé, les avis publiés sur ce sujet, dans les médias du régime divergeaient. En avril 2017, le Global Times avait déjà avancé l’idée d’un embargo total sur le pétrole en représailles des provocations nord-coréennes. Mais, récemment, après le 6e essai nucléaire, le même Global Times considérait que la mesure serait trop brutale et peut-être inefficace. « Il n’est pas certain », disait l’article, « que même l’arrêt complet des livraisons parvienne à faire plier le régime ».

Pékin et Pyongyang au bord de la rupture ?

En même temps, l’auteur anticipait que, quoi qu’il arrive, la crise couvant entre Pyongyang et Pékin depuis plusieurs années éclaterait bientôt au grand jour, ce qui donnerait un tour nouveau au convulsions vieilles d’un demi-siècle, mais où chacun voit bien que la distance entre la Chine et son allié de la guerre froide ne cesse de se creuser. Si cette fracture dont les premiers craquements sont visibles depuis 2012 se produisait, confirmant les prévisions de l’auteur, la relation entre Pyongyang et Pékin aurait atteint la fin d’un cycle.

Après la période idéologique commencée avec la guerre de Corée achevée en 1992 par l’établissement des relations diplomatiques avec Séoul, la Chine avait tenté de ménager à la fois ses objectifs d’ouverture économique lancés par Deng Xiaoping et ceux de sa vision stratégique d’une Corée du nord État tampon d’une péninsule éternellement divisée, tenant l’armée américaine à distance de sa frontière.

Une rupture de Pékin avec Pyongyang fermerait ce cycle, laissant la Corée du Nord isolée face aux Américains dont, au demeurant, elle a, toujours considéré qu’ils étaient les seuls interlocuteurs pertinents pour mettre fin à la guerre par un traité de paix.

Note(s) :

[1Les incidents de frontières impliquant des militaires américains dont beaucoup perdirent la vie, furent nombreux. En se limitant aux incidents aériens on retiendra que le 27 avril 1965, 2 MIG 17 attaquèrent un appareil de reconnaissance stratégique américain octo-réacteurs de type RB-47 à 80 km des côtes nord-coréennes. L’appareil fut endommagé mais réussit à se poser à Yokota au Japon ;

Le 14 avril 1969, un avion espion non armé de la marine américaine de type EC-121 patrouillant au-dessus de la mer du Japon loin de l’espace aérien nord-coréen, a été abattu par un MIG 21 nord-coréen. L’appareil s’était écrasé à 90 nautiques des côtes nord-coréennes et les 31 membres d’équipage avaient été tués.

A l’époque l’administration Nixon avait réagi de manière mesurée par une démonstration de force et en reprenant les patrouilles escortées par des chasseurs.

Le 17 décembre 1994, un hélicoptère Bell qui avait pénétré par erreur dans l’espace nord-coréen au nord de la ligne de démarcation fut abattu. L’un des pilotes fut tué et l’autre retenu en otage pendant 13 jours.

A mesure que monte la fureur des échanges verbaux, la crainte s’installe que la situation militaire pourrait déraper. Peu après les menaces de Ri en réponse à l’offensive verbale de D. Trump, le Général McMaster, conseiller à la sécurité nationale américain confirmait le refus de Washington de négocier sous le présupposé d’une reconnaissance du statut de puissance nucléaire de Pyongyang.

[2Le « dialogue à 6 » cessa en 2009 après les désaccords sur les procédures de vérification par l’AEIA et un test missile de la Corée du Nord. Depuis, le régime de Pyongyang a déclaré qu’il ne retournerait pas au dialogue et ne se considérait plus lié par les accords conclus en 2005 par lesquels il promettait de mettre fin à son programme nucléaire. Lire Chronology of U.S.-North Korean Nuclear and Missile Diplomacy

 

 

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