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›› Editorial

Le grand chassé-croisé sino-américain en Asie. Un apaisement en demi-teinte

Après la visite officielle de Donald Trump à Pékin, le chassé-croisé sino américain en Asie sur fond du sommet de l’APEC à Danang au Vietnam, suivi par celui de l’ASEAN aux Philippines a semblé adoucir les lignes de front de la rivalité entre Washington, Pékin, Tokyo, Hanoi et Manille. La séquence a même jeté une timide lueur d’éclaircie sur les sombres perspectives de la question nord-coréenne.

Mais au-delà des illusions de l’apaisement le fond des divergences demeure.

Le nouveau dialogue des puissances.

A Pékin, c’est peu dire que l’accueil réservé au président Américain par une pompe proto-impériale marquait une volonté d’apaisement à laquelle Donald Trump a répondu, dithyrambes mises à part, exactement dans les termes souhaités par l’exécutif chinois prônant « la nouvelle relation entre grandes puissances » exprimant le respect mutuel des « intérêts vitaux » de chacun.

Ce thème édifiant était rappelé par un éditorial du Quotidien du Peuple du 10 novembre qui plaçait la Chine au même niveau que les États-Unis dans la gestion des affaires du monde : « un nouveau type de relations entre grandes Nations, sans conflit, ni frictions, respectueux les uns des autres, autorisant une coopération profitable à chacun, dans le but de protéger la stabilité du monde et sa prospérité ».

Pour faire bonne mesure et souligner à quel point la relation sino-américaine était devenue complexe et enchevêtrée, l’auteur rappelait que « les entreprises chinoises implantées dans les vieilles zones industrielles en difficulté des États-Unis comme l’Ohio avaient créé, directement ou indirectement, 2,6 millions d’emplois ».

Se gardant de lancer des attaques directes contre les pratiques commerciales chinoises, Trump n’a certes pas renoncé à défendre les intérêts américains. Mais, sous les applaudissements de l’assistance, il a enveloppé son propos d’une appréciation très positive du nationalisme économique chinois cité en exemple, « capable » a t-il dit « de prendre l’avantage sur les autres ». En même temps, il réservait ses critiques à l’administration Obama à qui il reprocha de n’avoir pas su protéger les citoyens américains.

La volonté d’apaisement a également touché la question nord-coréenne récemment portée au rouge par les menaces et les « bruits de ferraille » américains. A Pékin, D. Trump s’est en effet gardé de renouveler la rhétorique agressive et les mises en garde contre Pyongyang, pourtant répétées quelques jours plus tôt à Tokyo, se limitant à féliciter le président Xi Jinping d’avoir, à la conférence de presse conjointe, exprimé la volonté de dénucléariser la péninsule. Là aussi la presse du régime alignée sur la position officielle était dans le ton de l’apaisement confinant parfois à la sédation, argumentant autour de la perspective, pour l’heure complètement hors sol et irréaliste, d’une « dénucléarisation par le dialogue ».

Plus encore, la modération du Président américain affichée à la satisfaction de la Chine qui, sur la péninsule, ne craint rien plus que le chaos d’un conflit militaire, venait après une séquence à Séoul où, prenant le contrepied de récentes déclarations niant l’utilité d’un dialogue, il a appelé Pyongyang à venir à la table des négociations.

Le tout était entouré des bonnes grâces commerciales chinoises célébrées par le ministre Zhong Shan qui qualifia de « miracle » la somme des engagements et des lettres d’intention bilatérales sino-américaines dont le total des promesses était évalué à 253,4 Mds de $.

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Apaisement avec Tokyo et Hanoi.

Avec Shinzo Abe que Xi Jinping a rencontré à Danang, l’alignement des étoiles était tout aussi favorable. S’il est vrai que les sommets de l’APEC favorisent toujours ce type de contact en marge où les médias voient un réchauffement des relations qui ne se réalise jamais, cette fois, la rencontre a débouché sur l’accord des deux pour la reprise à Tokyo, dans le cadre du 40Ie anniversaire du traité d’amitié en 2018, du sommet trilatéral Chine – Japon - Corée du sud en panne depuis 2015, à quoi s’ajouta la proposition du Japonais de venir en visite en Chine dès que possible et d’accueillir Xi Jinping au Japon.

Sur la question coréenne les deux ont, à la demande de Shinzo Abe, affirmé la nécessité d’augmenter la pression sur Pyongyang. Ce qui, au passage, montre à quel point le souci de « tourner la page pour un nouveau départ » - commentaire du Japonais cautionné par Xi Jinping – conduit à adapter le discours à l’interlocuteur.

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Le jeu croisé de la séduction fut encore plus manifeste à Hanoi où, après le sommet de l’APEC à Danang, Xi Jinping marcha littéralement dans les pas de D. Trump, le 12 novembre pour être reçu, comme lui en visite d’État.

Conscient qu’il s’aventurait en terrain miné par les lourdes controverses de souveraineté en mer de Chine du sud autour des Paracel et des Spratly qui, il y a seulement trois ans, provoquèrent une violente réaction nationaliste antichinoise, Xi jinping avait fait précéder sa visite d’un article ponctué de passages chaleureux mâtinés de poésie exaltée, intitulé « Pour une nouvelle vision de l’amitié sino-vietnamienne » publié dans le « Nhân Dân » (en Français « Le Peuple »), organe officiel du Parti communiste vietnamien.

Avant d’aborder le cœur des controverses de souveraineté que les efforts de Pékin n’ont pas réussi à apaiser complètement (lire notre article : Les éclaircies stratégiques de la Chine.), le lyrisme du président chinois a rappelé « la fraternité historique des luttes communistes pour la libération » de leurs deux pays - « voisins connectés par des montagnes et des rivières 山河相连的邻居 » - expression toute faite également utilisée à propos de la Russie ou, dans un passé pas si lointain, de la Corée du Nord,- et souligné la similitude de leurs démarches réformistes « adaptant le communisme aux réalités du temps ».

Puis, traçant une perspective sacrifiant aux dogmes de la dialectique marxiste il a rappelé que leur but commun était « la création d’un pays industriel puissant, moderne, prospère et démocratique ». Puisant dans le réservoir infini des anciennes maximes vietnamiennes et chinoises, il a exhorté ses voisins, toujours méfiants et rétifs, à ne pas « abandonner leurs rames quand montent les vagues » et souligné que « l’adversité rend plus fort, tout comme le polissage fait briller le jade ».

Après quoi, il a déroulé un liste d’impératifs autour desquels la nouvelle relation bilatérale entre Hanoi et Pékin devait s’articuler, depuis la confiance stratégique jusqu’à la coopération sur des projets agricoles, l’aménagement de la vallée du Mékong, l’éducation et la culture, en passant par l’engagement commun dans le projet des « nouvelles routes de la soie » et l’approfondissement des relations entre les peuples et les deux partis politiques.

Abordant le cœur des controverses maritimes à l’origine des effervescences du printemps 2014, il a exhorté les dirigeants vietnamiens à travailler de conserve avec la Chine pour l’établissement d’un « Code de conduite » capable de « préserver la stabilité en mer de Chine du sud ». A cet égard, la vérité oblige à dire que les pourparlers avancent très lentement, prenant pour base la « déclaration sur le Code de Conduite » signée à Phnom-Penh le 4 novembre 2002, qui exhortait à « la mesure, à la compréhension réciproque et excluait les provocations et l’usage de la force. »

La déclaration plusieurs fois violée par des initiatives de Pékin, définissait 5 secteurs de coopération (protection de l’environnement, recherche sous-marine, sécurité des lignes de communication et liberté de navigation, secours en mer, lutte contre le crime organisé, la piraterie et les trafics en tous genres).

A ce sujet, lire l’un des exemples les plus flagrants des provocations de la marine chinoise projetée au printemps 2013 à plus de 800 nautiques de ses côtes, largement à l’intérieur de la ZEE malaisienne par un exercice officiellement présenté comme un entraînement de routine, mais que tous les voisins éclairés par l’attitude des marins chinois ont identifié comme l’occupation de force du récif de James Shoal situé à 50 nautiques des côtes malaisiennes : Vacuité diplomatique et crispations militaires dans le Pacifique occidental.

Un an plus tard, c’est le mouvement dans les parages des îles Paracel revendiquées par Hanoi et clairement à l’intérieur de la ZEE vietnamienne, de la plateforme pétrolière Haiyang Shiyou 981 de China National Offshore Oil Corporation (CNOOC), le n°1 chinois de l’exploration en mer, qui mit le feu aux émotions nationalistes vietnamiennes que le Président Xi Jinping tente aujourd’hui de calmer.

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Pragmatisme de Manille.

Le parti pris d’apaisement était également à l’honneur au sommet de l’ASEAN à Manille du 13 au 14 novembre. Mais les bonnes paroles n’y ont pas masqué les tensions d’un sommet boudé par le n°1 chinois qui préféra se rendre au Laos le 13 novembre, remplacé par le Premier ministre Li Keqiang, et d’où Donald Trump qui eut à affronter des manifestations « anti-impérialistes » où l’on brûla le drapeau américain, s’éclipsa avant le sommet des pays de l’Asie de l’est dont l’horaire avait été retardé.

A cœur de la rencontre, toujours et encore la rivalité sino-américaine en Asie du Sud-est, dont les Philippines sont l’un des enjeux les plus brûlants depuis que le président Duterte a décidé d’abandonner la politique d’alignement sur Washington de son prédécesseur Benignio Aquinio III et d’adoucir ses réactions aux prétentions maritimes chinoises à l’intérieur de la ZEE philippine. A ce sujet lire : Duterte, l’imprévisible, rebat les cartes et s’invite dans la cour des grands. et Mer de Chine du sud. La carte sauvage des hydrocarbures. Le dilemme de Duterte.

Alors que Pékin continue à considérer que Washington n’a aucune légitimité en Asie, mais que nombre de pays de la zone voient toujours les États-Unis comme un contrepoids nécessaire à la puissance montante d’une Chine de plus en plus sûre d’elle-même et déterminée, Donald Trump a du essuyer la rebuffade de Rodrigo Duterte.

Ce dernier ne traita pas le président américain de « fils de p. » comme il l’avait fait en septembre 2016 s’adressant à Obama qui s’inquiétait publiquement des brutalités extra-judiciaires de la lutte contre les cartels de la drogue.

Mais réagissant à la proposition irréaliste du président américain de jouer les médiateurs dans les controverses en mer de Chine du sud, Duterte, avait lors du sommet de l’APEC à Danang, rappelé à Trump à quel point la question était sensible. « Nous devons rester amis et ne pas écouter les têtes brûlées qui voudraient que nous confrontions la Chine sur nombre de sujets (…). Mieux vaut ne pas toucher à la question de la Mer de Chine du sud. Personne ne peut se permettre de se lancer dans une guerre ».

Rien ne pouvait mieux satisfaire Pékin que cette prise de position abrupte du président philippin. Pour faire bonne mesure et sacrifiant par ailleurs à la volonté générale d’apaisement, heureux que Trump ne lui fasse aucune remarque publique sur les manquements au droit de ses très meurtrières campagnes anti-drogue, Dutertre a ajouté que la coopération avec Washington était à nouveau la bienvenue.

Quant à la position chinoise – à rebours de celle de Washington – elle continue toujours à affirmer que les querelles en mer de Chine du sud ne sont ni du ressort de l’ASEAN, ni de celui des États-Unis que le Politburo chinois considère comme un intrus dans la zone, les disputes devant être réglées par des négociations bilatérales de Pékin avec chacun des plaignants. Il reste que les pays de la zone savent bien que, sans contrepoids de puissance opposé à Pékin, un dialogue bilatéral devient une négociation du « fort au faible » où, pris séparément, chaque pays est désarmé face aux prétentions chinoises.

Duterte lui-même vient de mesurer les effets de l’alignement à la Chine quand, le 21 août dernier, il dut sous la pression de Pékin prendre le contrepied de ses militaires et ordonner de détruire un abri pour les pêcheurs philippins construit par la marine de Manille sur l’ilôt Thitu (215 nautiques de Palawan et 500 nautiques de Hainan), dans l’archipel des Spratly que les nationaliste de l’archipel appellent « la mer des Philippines occidentales. ».

Sur le même sujet, l’autre point clé de la réunion de Manille fut la décision rendue publique par l’Association d’entamer les négociations pour un « Code de conduite » jusqu’à présent freinées par la Chine. 15 ans après l’adoption à Phnom-Penh en 2002 d’une déclaration de principe sur le Code de conduite en mer de Chine du sud, revendiquée à 90% par Pékin, la Chine a enfin accepté de négocier un « code de conduite », dont les dispositions seraient légalement contraignantes.

Les hypothèses sceptiques sur ce revirement ne manquent pas. Pour Robert Manning, membre du Conseil Atlantique, ancien du Département d’État et proche du ministère de la défense américain, Pékin, qui aurait monnayé un à un l’appui de chaque pays de l’ASEAN, n’acceptera jamais un code de conduite contraignant. Son accord serait une manœuvre dilatoire.

En attendant, faisant le pari que Washington ne déclenchera pas un conflit pour de simples récifs, alors que la liberté de navigation reste malgré tout garantie en temps de paix, la Chine, imperturbable, avance ses projets d’annexion face à une ASEAN de moins en moins disposée à se heurter à elle frontalement.

Lire : L’ASEAN s’aligne progressivement sur la Chine. Volte face et contrepied américains.

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En arrière plan de ces apaisements en demi-teinte, marqués par les affichages de bonne volonté de Tokyo, les efforts de séduction de Pékin à l’égard de Hanoi, le parti pris de Donald Trump de ne pas critiquer publiquement la Chine, le réalisme de Rogrigo Duterte et la très grande prudence des pays de l’ASEAN, flotte, comme une matrice de la situation, l’idée que, parrains et rivaux stratégiques de la région, à ce point interdépendants et en même temps contraints par leur arsenal nucléaire interdisant toute montée aux extrêmes militaires, les États-Unis et la Chine sont enfermés dans l’exercice obligé d’une coexistence pacifique, de temps à autre perturbée par des crises qui ne se résorbent qu’en apparence, avant d’éclater à nouveau.

Cette fois, l’apaisement qui, par le passé, avait, après un temps plus ou moins long, cédé à de nouvelles tensions, pourrait être entretenu par le choix de l’administration américaine de cesser de confronter Pékin sur la question des droits - une embellie dont bénéficient également R. Duterte et les dirigeants vietnamiens -, à quoi s’ajoute le fait que Shinzo Abe et Xi Jinping dont les positions viennent d’été confortées en interne, disposent d’une marge de manœuvre pouvant faciliter un rapprochement.

Enfin, il n’est pas impossible que le risque nord-coréen, reconnu par tous, ait été un adjuvant à la nouvelle solidarité régionale.

Pour autant, le surgissement cyclique des embellies ne signifie pas que les causes des déceptions, tensions et crises aient disparu. Entre Pékin et Washington, elles s’enracinent dans les facteurs structurels du déficit commercial américain [1] et les abyssales divergences des systèmes politiques, opaque et centralisé d’un côté, éclaté en divers centres de pouvoirs de l’autre diffusant en Chine le sentiment de l’inconstance, parfois même de la duplicité occidentale.

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Sous la surface, les ferments des tensions.

Partout, les braises des désaccords, continuent à brûler sous la surface. Qu’il s’agisse de la persistance du déficit américain à près de 400 Mds de $ par an, depuis septembre en hausse de 6% pour les produits et de 9% pour les services, ou des déceptions commerciales qui viendront après les « annonces miraculeuses » dont certaines comme les commandes de Boeing ou les promesses d’investissements bilatéraux n’étaient que le recyclage d’anciens accords.

Le contexte de fond d’une absence de réciprocité dans la relation n’a pas disparu. Il est marqué par le chantage aux transferts de technologies en échange d’un accès au marché, par l’ouverture insuffisante aux exportations d’automobiles encore taxées à 25% et par les restrictions aux investissements toujours sévèrement contrôlés dans les secteurs des finances, des télécom, des médias sociaux et des transports.

Au-delà des acclamations diplomatiques, ce déséquilibre recèle un fort potentiel de discorde. De même, le système américain de séparation des pouvoirs où le Congrès, exprimant une indépendance totale par rapport à l’exécutif, à mille lieues des alignements sans réserve des assemblées chinoises, produit régulièrement des brûlots très critiques de la Chine.

Le dernier en date ayant suscité une réaction chinoise enflammée publiée le 16 novembre par le Global Times qui s’offusquait de son « hostilité » anti-chinoise et réclamait une « riposte », était un rapport de 600 pages de la Commission d’examen de la sécurité des relations économiques sino-américaines dont les propositions agitaient plusieurs « chiffons rouges » sous le nez du nationalisme chinois.

Le document ouvert au public proposait en effet d’inviter des observateurs taïwanais à participer à des exercices de l’US Navy et de remettre à l’honneur le « Hong Kong Policy Act » voté par le Congrès en 1992, autorisant les États-Unis à continuer à commercer avec Hong-Kong de manière séparée de la Chine même après la rétrocession.

Pour faire bonne mesure, le rapport suggérait de classer les journalistes des médias officiels chinois opérant aux États-Unis dans la catégorie des « agents de l’étranger ».

A l’étage stratégique, une nouvelle inquiétude chinoise se fait jour, après l’émergence du concept de « zone indopacifique » plusieurs fois utilisé par D. Trump lors de son voyage. Ajouté aux promesses de la Maison Blanche de s’attaquer aux pratiques commerciales chinoises contrevenant au marché, la cristallisation d’un front de 3 pays démocratiques asiatiques – Japon, Australie – Inde - réunis autour de Washington à Manille, et largement commentée par les médias indiens, jette de l’huile sur le feu de la discorde entre Pékin et New-Delhi.

Surtout, mettant l’accent sur solidarité démocratique de Tokyo, Canberra, New-Delhi et Washington dont Pékin est exclu, elle relance indirectement les critiques politiques contre le système rigidifié et censuré chinois que Trump avait soigneusement évitées à Pékin, Danang et Manille.

Les arrières pensées de la manœuvre opposent un sérieux contrepoint à la pensée des « caractéristiques chinoises » épine dorsale idéologique du 19e Congrès, qui au nom de la culture et de l’histoire et contre le droit occidental, justifient la revendication de Pékin sur toute la mer de Chine du Sud et le retour de Taïwan au Continent, quels que soient les résultats des scrutins démocratique dans l’Île. Pour l’heure il est légitime et prudent de considérer qu’aucun effort d’apaisement n’éteindra ces deux puissants foyers de discorde.

Fragilité du rapprochement sino-japonais.

Pour le reste des « apaisements » identifiés lors de ce chassé-croisé d’une semaine au pas de course en Asie de l’est et du sud-est, le passé incite également à les considérer avec circonspection.

Le rapprochement entre Tokyo et Pékin reste handicapé par de lourds contentieux psychologiques et historiques que Question Chine avait analysés il y a 10 ans à la veille de la visite du premier ministre Wen Jiabao à Tokyo.

Trois ans plus tard, l’embellie de la relation qui venait elle-même après une puissante campagne antijaponaise orchestrée par le Bureau Politique destinée à discréditer le candidature de Tokyo comme membre permanent du Conseil de sécurité exprimée par le Premier Ministre Koizumi dans un discours à l’ONU 16 septembre 2005, était à nouveau obscurcie par la collision d’un garde-côte japonais avec un chalutier chinois dont le capitaine avait été incarcéré au Japon.

Aujourd’hui, en lisant la prudence des médias chinois, on prend conscience que les obstacles sont toujours là. Le 16 novembre, un article du Global Times, reconnaissait la bonne volonté réciproque exprimée en paroles. En même temps, il soulignait que le déficit de confiance continuait à plomber la relation.

Constatant que ni Tokyo ni Pékin n’était prêt à faire la moindre concession sur les épineuses questions de souveraineté en mer de Chine de l’Est, il accusait même Tokyo de duplicité pour avoir participé à la rencontre quadripartite des démocraties asiatiques à Manille.

La souplesse stratégique de Hanoi.

Quant au rapprochement entre Pékin et Hanoi, il reste tributaire du jeu d’équilibre vietnamien où chaque avancée en direction de Pékin est systématiquement accompagnée d’un pas vers Washington. Au cours du sommet de l’APEC, illustrant à la fois son caractère rétif et son pragmatisme nationaliste, le régime vietnamien signa deux importantes déclarations.

L’une avec Pékin, coulée dans les préoccupations chinoises, rappelait la reconnaissance de la « politique d’une seule Chine » et l’opposition de Hanoi à « toute forme de séparatisme ». Elle appuyait sans réserve les « nouvelles routes de la soie » et les coopérations bilatérales pour des projets d’infrastructure, de restructuration industrielles et d’investissements.

Se référant à l’histoire, le communiqué renvoyait à la proximité idéologique entre Mao et Ho Chi Minh et, dans l’esprit « d’une amitié historique », promettait de « gérer les disputes maritimes » par le truchement de coopérations navales destinées à préserver la paix et la stabilité en mer de Chine du sud.

L’autre communiqué signé avec les États-Unis, réaffirmait le resserrement du « partenariat global » comprenant des lettres d’intention commerciales évaluées à 12 Mds de $ – dont la possibilité d’importer du gaz liquéfié américain -, assortie des assurances de Washington de préserver la liberté de navigation en mer de Chine du sud. A cet égard, en contraste avec les bonnes paroles concédées à Pékin, la déclaration visait explicitement les prétentions de la Chine. Sans la nommer, elle appelait les acteurs de la zone « à clarifier leurs prétentions en respectant la convention de 1982 sur les lois de la mer et à s’y conformer de bonne foi pour résoudre les querelles de souveraineté ».

Pyongyang et Mer de Chine. Ambiguïtés chinoises.

Sur le fond des querelles en mer de Chine du sud, les bonnes volontés exprimées à Manille à propos des négociations sur le Code de conduite cachent en réalité le potentiel de déstabilisation contenu dans l’exorbitante revendication chinoise sur tout l’espace marin vaste comme la Méditerranée compris entre le sud de la Chine et les détroits indonésiens.

Articulée à l’histoire et la culture, elle réfute le Droit de la mer et les réclamations des autres riverains que sont le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, Brunei et Taïwan.

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Sur la question coréenne enfin, à propos de laquelle tous les participants aux sommets ont unanimement exprimé leurs préoccupations, continue à planer l’incertitude sur la volonté de la Chine à aller au bout des sanctions contre Pyongyang.

S’il est vrai qu’à Pékin la dénucléarisation a migré vers le haut des priorités chinoises et que, récemment, le régime chinois a augmenté ses pressions contre son voisin, tandis que les relations avec le dernier rejeton de la famille Kim se sont sensiblement refroidies, Pékin et Washington divergent sur la méthode.

Craignant par dessus tout le chaos d’un conflit militaire qui rebattrait les vieilles cartes d’une situation enkystée depuis plus de 60 ans, mesurant aussi à quel point les démonstrations de force américaines exercent sur elle une pression la mettant au défi d’agir plus contre Pyongyang, Pékin condamne les « bruits de ferraille » de l’alliance et se replie sur la position mise sur la table depuis le printemps dernier, également prônée par Moscou du « double gel » : celui des programmes nucléaire et balistique nord-coréens, à quoi répondrait, en signe de bonne volonté, un moratoire sur les manœuvres militaires des forces conjointes réunissant plusieurs fois par an des unités sud-coréennes et américaines pour des manœuvres sur la péninsule.

Dans un contexte général où le commerce bilatéral entre la Chine et la Corée du nord n’a cessé d’augmenter jusqu’en 2014, avec un premier freinage en 2015, suivi d’un rebond en 2016, Pékin qui affirme vouloir augmenter ses pressions, sans cependant prendre le risque de provoquer un effondrement du régime a, le 17 novembre, pour la première fois depuis 2015 envoyé un émissaire à Pyongyang.

Mais, fidèle à sa stratégie du secret, le Politburo n’a rien laissé filtré des buts de la mission de Song Tao, chef du Bureau des relations internationales du Parti, officiellement en charge de rendre compte au régime nord-coréen - « une routine » dit le porte parole - du déroulement du 19e Congrès du Parti.

Il reste que la reprise des contacts pourrait être une infime indication que les choses ont évolué. Mais les chercheurs chinois eux-mêmes divergent sur l’appréciation de l’événement. Si Cheng Xiaohe de Renmin estime que Song Tao est porteur d’un message sur la nécessité de négocier la dénucléarisation, d’autres comme Yang Xiyu, ancien participant au dialogue à 6, croient que Kim Jong-un commencera par monter les enchères en effectuant un nouveau test balistique ou nucléaire.

En toutes hypothèses, la reprise des contacts avec Pyongyang aura à tout le moins eu l’avantage de procurer à Pékin des informations officielles sur son voisin.

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En haussant l’analyse d’un étage et en faisant preuve d’une bonne dose d’optimisme sur la capacité des hommes à cesser d’attiser les braises d’incendies pouvant les détruire, peut-être pourrait on considérer que les risques réels posés par la Corée du nord seront le ferment d’une solidarité régionale qui, consciente des dangers planétaires de la prolifération, dépasserait les faux semblants tactiques, les querelles de voisinage et le choc des cultures. Hélas, rien n’est moins sûr.

Note(s) :

[1Le déficit commercial n’est pas du à la manipulation de la monnaie ou à des mesures mercantiles spécifiques, mais à la captation par le pouvoir chinois de l’épargne utilisée pour subventionner la production au détriment de la consommation des ménages principal moteur des importations. Une riposte au déficit commercial devrait donc se faire non pas par des mesures tarifaires, mais par l’attraction hors de Chine des capitaux chinois venant de l’épargne des ménages sous réserve que Pékin consente à ouvrir son compte de capital.

 

 

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