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›› Editorial

La puissance explosive des nationalismes chinois et américain

Il fut un temps pas si lointain où le discours diplomatique de la Chine s’appliquait à désarmer les craintes que son développement aurait un versant agressif. Le maître mot du Waijiaobu était alors « 和平崛起 – heping jueqi » (montée en puissance pacifique) ». L’attitude affichant ostensiblement une rassurante modestie était directement héritée des conseils de Deng Xiaoping des années 90.

Exprimant à la fois une subtile prudence et la certitude que la Chine retrouverait une place éminente dans le concert des nations, le pragmatisme du « petit timonier », prônait de « cacher ses talents (et de) cultiver la modestie 掏光养晦 – tao guang yang hui – mot à mot : “dissimuler ses brillances et cultiver l’ombre“ ou plus prosaïquement “garder un profil bas“ ». Cette période est révolue.

Le nationalisme chinois de Xi Jinping.

Depuis 2012, Xi Jinping, le n°1 du Parti reconduit en 2017, construit son magistère en réaction aux risques d’affaissement politique du système miné de l’intérieur par la corruption et attaqué de l’extérieur par les défenseurs des droits qui lui reprochent son déficit démocratique. A cet effet, ses idéologues ont développé une pensée puissamment nationaliste, articulée autour des « caractéristiques chinoises 中国特色 – Zhongguo trese », prônant « la renaissance 复兴- fuxing - » du « rêve chinois 中国梦 – Zhongguo Meng - ».

Ce nationalisme westphalien destiné à protéger le Parti des ingérences politiques extérieures, incorporé à la Constitution lors du 19e Congrès et élevé en sujet d’études politiques dans toute la Chine, développe à l’intérieur, parallèlement au contrôle de l’information et à la répression des dissidents et des corrompus, une stratégie de modernisation et d’innovations technologiques.

Celle-ci tente de compenser l’absence de liberté et de spontanéité réelles des chercheurs, indispensables conditions de l’audace créative, par l’autoritarisme régalien de la concentration des moyens.

A l’extérieur, le nationalisme porte de vastes projets véhiculant une empreinte politique chinoise d’influence économique, commerciale, industrielle et financière ; et, dans la sphère asiatique, des ambitions de plus en plus pressantes de conquêtes territoriales à la fois relais et adjuvants du rêve nationaliste de renouveau.

L’évolution du discours va de pair avec la modification par bétonnage rapide de la structure géologique d’une demi-douzaine d’îlots dans les archipels des Paracel et des Spratly et le renforcement déterminé de la puissance militaire chinoise au moyen d’un budget dont l’augmentation, désormais nettement supérieure à la croissance, provoque des nervosités dans toute l’Asie et a initié une remise à niveau générale des appareils de défense.

Enfin, l’affirmation des « caractéristiques » chinoises s’articulant à une alchimie culturelle et politique plutôt qu’au droit international, constitue l’armature idéologique autorisant la revendication exorbitante de souveraineté sur toute la mer de Chine grande comme la Méditerranée et les projet de réunification avec Taïwan quel que soit le vote des électeurs de l’Île.

Nouvelles perceptions de « la menace chinoise ».

Ces nouvelles assurances visibles depuis le milieu des années 2000, dessinent une image de la Chine de moins en moins perçue comme un partenaire et de plus en plus comme un rival. Naturellement, c’est aux États-Unis où fourmillent les idées d’une compétition de puissance et l’angoisse du déclin de l’Amérique, que se développe un large éventail d’appréciations de la situation de la Chine, de son avenir et du type de relations qu’elle devrait susciter.

Les unes comme celle de David Shambaugh, ancien rédacteur en chef de la revue de sinologie « China Quaterly » anticipent un accident interne qui mettrait le Parti communiste en difficulté (lire à ce sujet : Risques de crise en Chine.) ;

D’autres, telles celles de David Lampton, lui aussi « China watcher », Directeur des études chinoises à l’Ecole des études internationales de l’Université Johns Hopkins, et président de l’ONG Asia Foundation, reconnaissent l’évolution des rapports de forces et anticipent l’aggravation à venir des frictions sino-américaines.

Mais, ils invitent Washington à tourner le dos à l’ancienne stratégie des pressions devenue impossible et à rechercher des compromis avec Pékin, en négociant chaque sujet sur la base des intérêts de chacune des parties.

Les dernières enfin, développent un discours de mise en garde stratégique et martiale dont l’arrière plan spécule, sans toujours le dire clairement, sur la probabilité d’une collision, ou, à tout le moins, sur l’aggravation dangereuse des frictions. C’est le cas de la revue 2017 des relations sino-américaines économiques et de sécurité rédigée par une commission bipartisane du Congrès.

A l’exact opposé du catastrophisme de Shambaugh, le document qui classe la Chine dans la catégorie des puissances « révisionnistes ayant l’intention de façonner le monde contre les intérêts de l’Amérique, son système éthique et ses valeurs », présente, parfois en les exagérant et souvent, en faisant l’impasse sur les fragilités, une revue exhaustive des impressionnantes avancées de la Chine dans de nombreux domaines.

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Les mises en garde du Congrès contre la Chine.

C’est à cette « revue stratégique » de 48 pages que Donald Trump faisait allusion dans son discours sur la sécurité nationale du 18 décembre.

Tout en laissant ouverte la porte de la coopération stratégique avec Pékin, il a clairement insisté sur la primauté de l’Amérique et sur sa détermination à rester la première puissance de la planète : « nous chercherons à construire des partenariats solides, mais toujours en protégeant nos intérêts nationaux (…) Nos rivaux sont coriaces ; ils sont opiniâtres et ont une vision du long terme. Mais nous aussi. Dans cette compétition, notre succès dépendra de notre capacité à utiliser tous les volets de notre puissance nationale ».

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Avec l’idée maîtresse que les élites dirigeantes chinoises ayant perçu une « fenêtre d’opportunité stratégique », tenteront d’augmenter la puissance du pays et d’étendre son influence afin de réunifier Taïwan au Continent et de contrôler les territoires contestés de sa périphérie, les auteurs de la revue stratégique constatent que la Chine n’est plus seulement une « menace asymétrique » ou même un rival doté d’un potentiel presque comparable, mais qu’elle est devenue la puissance militaire dominante de l’Asie.

Sur ce créneau stratégique, la prévalence de Pékin s’est exprimée par l’établissement d’une Zone d’identification aérienne concurrente de celle du japon au-dessus de la mer de Chine de l’Est, la construction « d’un mur de sable » en mer de Chine du sud, le harcèlement agressif, au mépris du droit de la mer, du Vietnam, des Philippines et la création des tensions avec l’Indonésie, à quoi s’ajoute l’augmentation notable des pressions contre Taïwan.

Ailleurs, l’ombre de Pékin s’est étendue jusqu’à Djibouti aux portes de la seule base arrière des armées américaines pour leurs opérations en Afrique, le long des routes de la soie touchant une soixantaine de pays bénéficiant du financement des banques chinoises et de la Banque d’investissement pour les infrastructures.

En multilatéral, la Chine s’est en 2017 engagée avec Moscou dans l’élargissement de l’Organisation de Coopération de Shanghai dont l’influence commence à peser en Asie du sud et au Moyen Orient avec l’arrivée du Pakistan et de l’Inde, tandis que la Russie est un fervent avocat de l’accession de l’Iran. A ce sujet, Medvedev qui s’exprimait, le 3 décembre dernier, à une conférence de presse à l’issue du sommet de l’OCS à Sochi, précisait qu’après l’accord sur le nucléaire iranien, plus rien ne s’opposait à l’entrée de Téhéran dans l’Organisation créée par Moscou et Pékin.

En 2017, encore, Pékin a accueilli le 9e sommet des BRICS et, tandis que les États-Unis tournaient le dos à leur grand projet de Partenariat Transpacifique, elle a continué à négocier son vaste traité de libre échange du « Partenariat économique régional » avec 16 pays d’Asie Pacifique, complément au traité commercial avec les 10 pays de l’ASEAN, rassemblant au total 50% de la population la planète et 30% de son PIB.

La montée en puissance de l’APL.

Surtout, le document ajoute que l’augmentation de l’influence chinoise va de pair avec la recherche par Pékin d’une « rupture stratégique » par l’engagement de moyens importants, non seulement dans l’équipement de l’APL, mais également dans les secteurs de l’espace, de la guerre électronique, des nouvelles technologies de télécommunications et du renseignement dont les ingrédients sont désormais tous chapeautés, pour plus de cohérence et d’efficacité, par la « Force de soutien logistique centralisée » créée en 2015.

Pour les auteurs de la revue, ces percées technologiques amplifiées par un effort d’organisation augmentent l’aptitude de l’APL à détecter et cibler les objectifs militaires américains, notamment les unités aéronavales, à ses approches, en mer de Chine du sud et dans les parages de Taïwan, rehaussant considérablement la capacité militaire chinoise à tenir à distance les forces armées des États-Unis en cas de conflit régional.

Les ruptures technologiques pouvant provoquer un déséquilibre stratégique, éternel cauchemar américain, concernent une série de domaines dont les plus importants vont, entre autres, des techniques de manœuvres des satellites, aux armes spatiales, en passant par les armes Laser et électromagnétiques.

Quelques nuances.

La vérité oblige cependant à dire que ce passage prospectif et alarmiste de la « revue stratégique » manque quelques parties importantes de l’image propres à nuancer les alarmes du Congrès et à relativiser, au moins dans ces domaines, les responsabilités chinoises dans la crispation des relations.

En 2015 et 2016, Question Chine avait déjà exploré en détail ces questions. « La revanche céleste de la Chine » expliquait en effet comment le refus américain d’associer Pékin à la construction de la station spatiale, par crainte des captations de technologies, avait accéléré les programmes spatiaux chinois.

En mai 2015, l’article « Les armes Laser de l’espace, projets chinois et peurs américaines » remettait en perspective, sans la nier, la réalité des menaces chinoises dans un contexte où, tout de même, les Américains dont le budget de la défense est au moins trois fois supérieur à celui de la Chine, sont encore en tête de la recherche sur les armes Laser.

En 2007, déjà, QC alertait sur les tendances américaines à l’exagération des menaces. Aujourd’hui, sans nier l’amélioration des capacités de combat de l’APL ni ses progrès spatiaux, il faut mettre en garde contre les hyperboles sécuritaires qui, in fine, deviennent un facteur de crispations.

Celles-ci deviennent d’autant plus dangereuses qu’elles s’articulent à deux puissants nationalismes adverses portés par la volonté d’influence planétaire autour d’une compétition de valeurs, les unes, américaines adossées avec plus ou moins de sincérité au droit international, les autres, chinoises, que le Parti également préoccupé de sa pérennité politique appuie, non pas au droit, mais à son ancestrale culture.

Réalité et limites du « risque de collision ».

Ainsi se développe un risque de collision entre d’une part le « rêve chinois » articulé aux « caractéristiques chinoises » de Xi Jinping et, d’autre part la ferme volonté de Trump, tourmenté comme toutes les élites américaines par l’angoisse du déclin, de redonner sa puissance à l’Amérique.

Les pessimistes voient dans les tensions qui montent en Asie autour de la mer de Chine du sud, à Taïwan et en Corée où Trump à porté le risque de guerre aux portes de la Chine, les prémisses de cette conflagration, dans un contexte où chacun voit bien que la Maison Blanche tâtonne – mais les hésitations ne sont pas nouvelles - pour trouver le juste équilibre de sa relation avec la Chine, entre confrontation et coopération.

En arrière plan, surnage la vision du rapport entre les puissances de Kissinger, qui fut, à partir de 1972, le principal artisan du rapprochement sino-américain.

Citée par un récent article de « The Diplomat » signé de Roncevert Ganan Almond, juriste proche du système de défense américain, elle exprime un puissant réalisme, mais dessine aussi en creux les conditions de l’apaisement articulées à la reconnaissance de la manière dont la Chine se voit elle-même, n’ayant jamais considéré que sa trajectoire historique devrait s’aligner sur celle de l’Occident : « Aucun pouvoir ne se soumettra à un accord aussi bien équilibré et aussi sûr soit-il, s’il semble totalement nier la vision qu’il a de lui-même ».

Enfin, s’il est exact que la Chine attend des États-Unis qu’ils reconnaissent ses intérêts, il n’est pas exclu que Pékin, échaudé par les provocations nord-coréennes et les risques de contagion proliférante dans la zone, se rapproche sans le dire de la position américaine, au moins sur la question coréenne. Pour le reste, les deux seront condamnés à gérer du mieux possible leur coopération obligée, leurs divergences et leurs rivalités.

 

 

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