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›› Editorial

La face cachée des « caractéristiques chinoises ». Nationalisme et vulnérabilités

Le 11 janvier, le Global Times, surgeon du Quotidien du Peuple publiait dans sa rubrique « opinions » un article signé de Niall Ferguson, historien britannique proche des « néo-conservateurs » auteur de « Rise and fall of the American Empire » et dont les idées sur la première guerre mondiale bouleversent les mythes patriotiques français.

Elles agitent aussi l’angoisse européenne des secousses migratoires et analysent avec pertinence les sources de la prévalence globale des pays occidentaux que, par analogie aux logiciels modernes des téléphones portables, Ferguson compare à 6 « applications tueuses » (le goût de la compétition ; la puissance des sciences et de la médecine ; la propriété privée protégée par la loi ; l’éthique du travail, vertu de la religion chrétienne et en particulier le protestantisme, encourageant à la fois la lecture et l’épargne.)

Sur le 1er conflit mondial, il affirme qu’après une victoire de l’Allemagne en France en 1915, l’Europe sous domination germanique aurait été protégée des influences communistes et aurait échappé au cataclysme nazi.

A propos des migrations il avait, en 2004, avancé l’idée courant aussi dans les cercles français conservateurs qu’elles provoqueront une guerre civile dont le résultat sera le même que si, en 732, les Maures avaient battu Charles Martel.

Mais les raisons principales pour lesquelles ses idées plaisent au pouvoir à Pékin recoupent la trajectoire actuelle de la pensée politique chinoise récemment affirmée lors du 19e Congrès par le concept des « caractéristiques chinoises ».

A contrecourant de l’idée qu’il existerait « un ordre » mondial de l’après-guerre équitable, reposant sur des institutions internationales financières et politiques efficaces, il compare le surgissement de Donald Trump dans le paysage mondial à l’intrusion d’un chien dans le jeu de quilles de l’ordre libéral créé en 1945.

La chimère de l’ordre international libéral.

Constatant que l’architecture de l’après-guerre en partie influencée par les théories dirigistes de Keynes, figure tutélaire de la macroéconomie moderne, adepte comme Pékin du contrôle par l’État de la monnaie et du crédit, de la connaissance précise des données socio-économique et de leur libre diffusion (c’est une différence majeure avec le goût du secret du Parti) à quoi s’ajoutent le contrôle des naissances, de l’épargne et des investissements ;

Observant aussi qu’après 1945 le monde fut dominé par la guerre froide de deux empires et deux idéologies entre lesquelles le reste du monde devait choisir, Ferguson assène avec une sorte de réalisme jubilatoire l’idée très séduisante pour le Parti communiste chinois que « l’ordre » né de l’après-guerre, si peu libéral et encore moins international, était une chimère.

Après quoi, son analyse du monde d’après la chute de l’Empire soviétique rejoint la quête chinoise de la centralité puisqu’il l’articule à l’existence jusqu’en 2008 d’un « axe sino-américain harmonieux » principal facteur des fulgurants progrès chinois.

Mais, se parant toujours de la vertu du réalisme dont les analyses rejoignent celles des chercheurs chinois, il ajoute que l’attelage est d’autant plus instable que son pilier impérial américain est mal géré. En tous cas, « moins bien que l’empire britannique », ajoute t-il exprimant ainsi la vieille rancœur européenne contre les bévues à l’emporte pièce de l’Oncle Sam.

Les États-Unis montrés du doigt.

Le reste de l’article est la description d’un enchaînement pernicieux qui pousse le monde au bord d’une catastrophe militaire dont les États-Unis sont rendus responsables, tandis les réactions chinoises parées du mérite pragmatique ont réagi avec sagesse aux secousses de la crise financière de 2008 et que le président Xi Jinping a, contre l’évidence, enfilé en 2017 à Davos le manteau édifiant mais improbable du dernier défenseur de libéralisme.

Entre les lignes percent les procès d’intention à l’œuvre entre Washington et Pékin. A l’origine, le dérapage financier, conséquence de la crise des « subprimes » dont les banques chinoises détenaient l’équivalent de 8 milliards de $ et à laquelle, chaussant les bottes de Keynes, et imitant « l’extrême créativité des banques occidentales », la Chine a réagi par une puissante relance budgétaire que les experts américains, adeptes radicaux de la rigueur des comptes, critiquent à longueur d’analyses.

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La genèse d’une rupture.

Vue à Pékin comme une preuve de mauvaise foi anti chinoise et sources d’aigreurs réciproques, les constantes leçons des financiers internationaux infligées à la Chine ont d’autant plus contribué à nourrir les ressentiments que les dirigeants chinois avaient le sentiment que leur réactivité homothétique de celle des banques américaines avaient évité au monde une nouvelle « crise de 1929 ».

Ce sentiment d’injustice fut, avec l’idée des « caractéristiques chinoises », à l’origine de la création, en juillet et octobre 2014, de la banque des BRICS et de celle des Investissements d’Infrastructure.

Marchant clairement sur les platebandes du FMI et de la Banque Mondiale que les émergents et les pays en développement considèrent comme les survivances de l’ordre américain contesté, ces nouvelles institutions financières largement appuyées par de puissantes mises de fonds chinoises, furent clairement un des marqueurs d’une cabale contre Washington et l’ordre mondial de l’après-guerre.

Mais, contrairement à ce que pensent les adversaires de la nouvelle Maison Blanche ce n’est pas Trump qui porta un coup fatal au libéralisme, mais bien la crise financière. En revanche, il est exact que, pour se faire élire, le président surfa habilement sur les désillusions de nombre d’Américains pour le libre commerce et l’ouverture prônées à contre courant et à contre emploi par Xi Jinping, n°1 d’un Parti, en réalité férocement articulé à la défense bec et ongles des intérêts chinois.

Durant la campagne présidentielle, la désignation par Trump de la Chine comme bouc émissaire des déboires américains de la mondialisation heurtait de plein fouet l’image « bénévolente » et ouverte que le Parti voulait donner de lui-même.

Le piège de Thucydide.

La conclusion de Ferguson revient sur la théorie très en vogue aux États-Unis du « piège de Thucydide » analysée par Graham Allison professeur de sciences politiques à Harvard dans « Destined for war – condamnés à la guerre ». Reprenant l’ancestral jugement de l’historien des guerres du Péloponnèse selon laquelle « la guerre devint inévitable dés lors que la montée en puissance d’Athènes provoqua une anxiété à Sparte », la théorie est aujourd’hui transposée à la relation sino-américaine où Washington ressent l’angoisse de la montée en puissance de la Chine.

Dans son livre, Allison explique qu’au cours des 5 derniers siècles, sur les 16 fois où un potentiel rival a remis en cause une puissance établie, la guerre a éclaté 12 fois. Aujourd’hui, alors que Xi Jinping et Trump ont tous deux promis de restaurer la grandeur de leur pays, les perspectives du 17e cas de contestation d’une puissance établie par une autre sont sombres.

« A moins » dit Alison « que Pékin révise ses ambitions à la baisse ou que Washington accepte d’être rétrogradé à la 2e place sur le théâtre pacifique, le risque existe qu’une querelle commerciale, une cyber-attaque ou un incident maritime dégénère en un conflit ouvert.

Aux États-Unis tout le monde n’est pas sur cette ligne fataliste. Arthur Waldron, Docteur en histoire de Harvard et professeur de relations internationales à l’université de Pensylvanie, qui concentre ses recherches sur le développement du nationalisme chinois, critique Allisson et lui reproche son défaitisme.

Défaitisme et impasse sur les vulnérabilités chinoises.

Mettant en garde contre « le piège de Chamberlain » et le « complexe de Munich » dont le recul face aux menaces de Hitler avait conduit au désastre, il préconise pour éviter la guerre non pas de céder aux revendications territoriales de Pékin, mais d’y résister, tout en prenant conscience des vulnérabilités chinoises absentes du livre d’Allison.

Passées sous silence par les adeptes des jugements hyperboliques sur la puissance chinoise, les vulnérabilités du pays devraient pourtant intéresser au premier chef tous ceux faisant profession d’examiner le futur. Les fragilités vont du stress hydrique aux défis énergétique et écologique, obligeant Pékin tout à la fois à importer des quantités croissantes de pétrole et de gaz dont la facture ne cesse d’augmenter et, par souci écologique, à construire un très inquiétant parc de centrales nucléaires y compris une douzaine d’unités flottantes.

Les vulnérabilités chinoises se lisent aussi dans la faible rentabilité du capital et de l’énergie produite. Quand en Chine une unité d’énergie produit une valeur de 33 centimes de $, elle en produit 77 en Inde, 3 $ en Europe et 5,5 $ au Japon. Ces chiffres connus des experts en énergie, mais rarement diffusés attestent que le pays gaspille non seulement son énergie, mais également ses ressources hydriques. Non résolus, ces problèmes dont la solution exigera de considérables ressources financières, pèseront sur le futur du pays.

S’il est vrai que les « caractéristiques chinoises » sont une affirmation nationaliste destinées à protéger le Parti des ingérences extérieures, elles prennent aussi le risque de le priver des coopérations indispensables à la solution de ses grands défis.

 

 

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