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Theresa May à Pékin. Les inconvénients du Brexit, l’impotence européenne et la puissance chinoise
Rares sont les situations où l’article de journal qui les relate prend le pas sur l’événement lui-même. Il arrive alors que le messager dise bien plus de choses que l’information brute qu’il est censé relayer, parfois n’ayant en apparence qu’un lointain rapport avec elle. Mais depuis Lao Zi, les Chinois, experts des « interconnexions » entre les hommes, les situations, les péripéties ou leurs vicissitudes et leur environnement, le savent mieux que nous, rien ne peut être isolé de son contexte.
Le 2 février dernier, le très sérieux Guardian rendait compte de la visite en Chine de Theresa May à Pékin, par plusieurs articles écrits de Shanghai et de Londres où se croisaient une foule de considérations et de sous entendus sur les frustrations britanniques face à la puissance chinoise, le regret du Brexit, l’isolation et l’affaiblissement de Londres et, par dessus tout, contrepoint de ce que les médias perçoivent comme « l’influence grandissante de la Chine en Europe » et le pouvoir incontesté de Xi Jinping, « Président omnipotent », la grande vulnérabilité politique du chef de l’exécutif britannique.
La première férocité des commentaires, dont la tonalité est clairement opposée au Brexit, renvoyait crûment à la politique intérieure britannique et au contraste entre le maigre bilan du voyage de Theresa May comparé à celui de la visite de Xi Jinping à Londres en octobre 2015 enrobée d’un impressionnant faste monarchique.
Lire : Lune de miel entre Londres et Pékin. Le faste monarchique au service du pragmatisme.
Si, à l’époque, dit le journal, le Royaume Uni pouvait se prévaloir de l’appui de l’Europe et espérer apparaître aux yeux de Pékin comme la porte d’entrée vers le vieux Continent, le Brexit le laisse désormais seul face à la Chine et à ses pressions.
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Le Royaume Uni affaibli par le Brexit.
Il est un fait que les 9 Mds de £ (10 Mds d’€) d’accords conclu lors du voyage de Theresa May ne tiennent pas la comparaison avec les 40 Mds de £ (45 Mds d’€) enregistrés lors du déploiement d’apparats de l’automne 2015. Le fond des accords non plus. Avec, en arrière plan, l’intention évidente de dénoncer la « folie du Brexit », laissant Londres désemparé face au « risque chinois », glosant sur la vanité d’une stratégie cherchant à compenser les déficits de la sortie de l’UE par un rapprochement avec Pékin, le journal a beau jeu d’insister sur la pauvreté des résultats obtenus par Londres.
Hormis la promesse britannique d’examiner les conditions d’un accord commercial bilatéral dont Liam Fox, le ministre du commerce a lui-même dit qu’il était peu vraisemblable même à moyen terme, la plupart des annonces publiques de Downing Street étaient concentrées sur des accords hors de la sphère économique directe touchant à l’éducation, à la culture et à l’environnement.
Parmi eux, une campagne pour la promotion de l’Anglais, la promesse de lutter contre le trafic d’ivoire, les droits de retransmission de séries TV concédés par la BBC, à quoi s’ajoutèrent l’engagement chinois accordé comme une compensation de courtoisie, de reprendre les importations de viande de bœuf anglaise et le projet d’exploitation conjointe d’une mine de calcaire dans la région de Tianjin, seul projet industriel envisagé lors du voyage.
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Le reste de l’article qui prit parfois la forme d’un réquisitoire, était un long regret du déficit de cohésion européenne face à la Chine. Stigmatisant aussi l’attitude de Londres - Camerone et Osborne son chancelier de l’échiquier, ayant, avant le Brexit, tenté de jouer comme l’Allemagne, une partition solitaire en Chine -, l’auteur concluait que la rupture avec Bruxelles avait gravement affaibli la capacité britannique à faire jeu égal avec Pékin dans les négociations.
Le Guardian estima aussi que le déséquilibre de puissance ne pouvait pas être compensé par la résistance de Theresa May. Pour se démarquer des enthousiasmes de l’équipe Camerone, elle tarda en effet à donner son accord aux projets nucléaires franco-chinois de Hinckley Point. Se méfiant des arrières pensées d’influence stratégique du projet des nouvelles routes de la soie et, alignée sur les positions des États-Unis, de l’Australie, de la France, de l’Allemagne et de l’UE, elle éluda aussi les requêtes chinoises pour un mémorandum de soutien par Londres.
Rien n’y fit. L’article, soucieux de démontrer que le temps où les Européens pouvaient faire cavalier seul en Chine est révolu, insista au contraire sur la capacité de pression commerciale de Pékin et l’exigence de cohésion politique européenne. Ce n’est pas la première fois que sonne un appel à plus de solidarité européenne sur le marché chinois.
En 2009 déjà, l’Anglais John Fox et le Français François Godement, deux éminents sinologues, avaient signé un article désignant les vulnérabilités européennes, l’incohérence des politiques nationales et les cacophonies des stratégies du « tapis rouge » où les capitales, toutes persuadées de bénéficier d’une relation privilégiée, rivalisent de séductions pour s’attirer les bonne grâces de Pékin. Lire : Chine Europe. Le vent tourne.
Cette fois, le Guardian, tout à sa démonstration, chercha même à toucher la fierté nationale britannique en soulignant les péripéties du voyage où perça une certaine condescendance chinoise.
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La Chine sûre d’elle-même et condescendante.
Les articles du Guardian ont notamment rappelé à quel point Pékin fit pression sur Londres en convoquant l’Ambassadeur britannique à Pékin quand Theresa May hésitait à donner son aval au projet de centrales nucléaires de Hinckley Point, finalement entériné à l’automne 2016 après une mise en garde chinoise sur le caractère emblématique du projet, dont l’échec, précisa le Waijiaobu, aurait de sérieuses conséquences sur les relations bilatérales.
Le 1er février, au 3e jour de la visite, un éditorial du Global Times chapitrait les médias et hommes politiques occidentaux comme Chris Patten dernier gouverneur de la R.A.S, prônant l’ingérence de Londres dans les affaires intérieures chinoises, notamment à Hong Kong où ils critiquaient ce qu’ils appellent, dit l’article reprenant les termes des activistes des droits, « les incessants harcèlements chinois contre les démocrates de l’ancienne colonie. »
Mais, après les mises en garde, vint le satisfécit, qui félicita Theresa May d’avoir fait preuve de « pragmatisme » et de n’avoir jamais évoqué (note de la rédaction : au moins publiquement) les controverses que le Global Times attribua à des éléments « radicaux ». L’éloge public louant l’esprit pratique de l’exécutif britannique avait cependant été précédé d’un avertissement : « Il est certain que May ne prendra pas le risque de perdre le bénéfice d’une coopération bilatérale amicale et fructueuse en obéissant aux injonctions futiles des médias britanniques dont l’agitation bruyante et acariâtre sera emportée par le vent ».
L’impotence européenne.
Dans un contexte où nombre d’experts pointent du doigt la manœuvre oblique de la Chine qui, alors que tout le monde a les yeux fixés sur Moscou, avance tranquillement ses pions en Europe de l’Est et tient, au nez et à la barbe de Bruxelles, des sommets réguliers avec 16 pays d’Europe Centrale et Orientale (appelés 16 +1), la cacophonie européenne aggravée par le Brexit a à nouveau donné à François Godement, cette fois associé à Abigaël Vasselier (Sciences Po Aix en Provence et Council on Foreign relations) l’occasion de fustiger l’impotence de l’UE face à Pékin, dans un rapport au Council on Foreign Relations paru en décembre 2017.
Pour eux, les offres chinoises à l’Europe « ne sont guère différentes de celles faites à l’Afrique ou aux autres pays en développement : un déluge de projets dont la première conséquence est de créer des rivalités entre les États, des prêts aux taux du marché et une pesante insistance pour faire reconnaître ses références identitaires ». Ils ajoutent que, « comme les pays africains, les Européens, notamment à l’est et au sud, sont tombés dans un piège qui profite essentiellement à la Chine ».
Au passage, on remarquera ici que, par rapport au rapport de 2009, l’attitude des pays de l’est et du sud de l’Europe a radicalement changé. A l’époque peu sensibles aux influences chinoises, ils sont devenus aujourd’hui le point d’application principal des projets de Pékin en Europe. Les raisons de ce revirement sont complexes, et probablement différentes pour chaque État.
Mais les points communs sont, sans nul doute, d’abord la capacité de séduction chinoise ayant offert des réponses à court et moyen terme à la crise économique, à quoi s’ajoute, à des degrés divers, l’impact des angoisses identitaires face à la question migratoire ayant induit une méfiance à l’égard des incapacités européennes que certaines élites européennes, comme Victor Orban, comparent à l’efficacité verticale du régime chinois.
Plus loin, F. Godement et A. Vasselier dénoncent la stratégie européenne de Pékin « ciblant ses partenaires, selon ses intérêts directs, souvent en ignorant les normes et les politiques de Bruxelles. Focalisant ses choix à la périphérie plutôt que vers l’Union dans son ensemble, la Chine a tiré profit de la crise pour investir massivement au sud de l’Europe ».
Pire encore, ajoutent en substance les auteurs, par l’habileté et la séduction de ses stratégies, Pékin a, dans un contexte de tensions avec Moscou, trouvé le moyen de persuader les Européens de lui être reconnaissants.
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Dès lors, rien d’étonnant à la conclusion du Guardian rappelant à quel point Londres aura du mal à compenser les dommages du Brexit par des accords avec la Chine, dans un contexte où les Européens ont échoué à se coordonner efficacement, trop souvent tentés pour des avantages à courts termes, de damer le pion à leurs voisins sur le marché chinois. Quant au Royaume Uni, il est évident que Pékin perçoit son isolement et sa vulnérabilité en même temps que son moindre intérêt depuis qu’il n’est plus une porte d’entrée vers l’Europe.
Quoi qu’il en soit, conclut le journal avec cynisme et ironie : « il était sage que l’exécutif britannique ne se présente pas en quémandeur », dans un contexte où, désormais, « les Anglais sont moins perçus comme des invités à la table que comme le contenu de l’assiette ».
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