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›› Taiwan

Pressions chinoises (suite)

Alors que les derniers sondages de janvier font état d’une nouvelle chute de plus de 4% de la popularité de Tsai Ing-wen (Taipei Times du 29 janvier) qui lui laisse une maigre marge d’opinions favorables inférieure à 30% que la Fondation pour l’opinion publique taïwanaise, auteur de l’enquête, interprète comme une préoccupante hémorragie des soutiens à la présidente au sein du DPP, le Continent dont le régime rigoureusement vertical ayant puissamment renforcé le pouvoir de Xi Jinping ne laisse pas la moindre place à la contestation de l’exécutif, augmente ses pressions sur l’Île.

Compliquant encore une éventuelle riposte de Taipei, le sondage révèle que l’opinion est partagée sur la politique adoptée par Tsai Ing-wen à l’égard de Pékin. Si à peine un tiers de personnes interrogées la juge adaptée, près d’un quart la trouve trop dure, tandis que 29,8% la considère trop faible.

Une chose est certaine, Pékin fait aujourd’hui feu de tous bois pour affirmer à la face du monde sa souveraineté indiscutable sur l’Île et affaiblir la solidarité et la capacité de résistance des Taïwanais.

L’éventail des harcèlements chinois

Récemment, tirant profit de la force de son marché et de l’intérêt des groupes internationaux à développer leurs affaires en Chine, Pékin a chapitré plusieurs marques commerciales célèbres comme la chaîne d’hôtels Mariott, Delta Air Lines, le couturier Zara, l’Américain Medtronic fabriquant d’équipements médicaux, Mercedes et quelques autres pour avoir sur leurs sites internet identifié Taiwan, le Tibet, Hong Kong et Macau comme des « pays séparés ».

Si la correction pourrait, d’un point de vue strictement nationaliste, être considérée comme appropriée, la méthode utilisée, exprimant une brutale mise aux normes par la fermeture des sites incriminés et l’exigence implicite d’excuses publiques, l’est beaucoup moins. Elle renvoie à la tendance du régime à exporter sur la scène internationale les « caractéristiques politiques chinoises » mêlant la menace de répression à l’ancestrale tendance moralisatrice exigeant des prévenus qu’ils se battent publiquement la coulpe.

La vigilance nationaliste dont les Taïwanais font les frais en dépit des scrutins affirmant depuis plus de 20 ans leur quête d’une identité séparée à défaut d’indépendance que la majorité juge explosive, s’accompagne depuis quelques temps d’une stratégie plus subtile de Pékin visant à plus long terme la jeunesse et les talents de l’Île attirés par la nouvelle attractivité économique de la Chine.

Séduire les jeunes talents.

A l’été dernier, un article du Times explorait la question dans le détail expliquant à quel point les 420 000 jeunes Taïwanais vivant sur le Continent tiraient désormais profit de meilleurs salaires que sur l’Île, dans un contexte où, à Taiwan, les mauvaises conditions de l’emploi avaient obligé plus de 700 000 jeunes diplômés à s’expatrier. Du fait de la proximité culturelle et des facilités d’acclimatation offertes par la langue commune, la majorité est partie en Chine.

Ayant clairement perçu cette opportunité, Pékin a récemment augmenté les incitations destinées à attirer les jeunes talents. A la manœuvre Wang Yifu, ancien conseiller de Xi Jinping pour les affaires taïwanaises.

Auteur d’une opération de séduction à l’intention des étudiants dont les règles d’admission dans les universités chinoises auraient ont été assouplies – une initiative ayant éveillé la suspicion du Bureau taiwanais des Affaires continentales -, Wang est aussi la tête chercheuse d’emplois de haut niveau pour les jeunes PDG de l’Île par le truchement de la Fédération en charge des « compatriotes taïwanais » dont il est le secrétaire général.

Ses invitations touchent également les élites locales à Taïwan conviées en Chine pour des visites de zones de développement au cours desquelles ils sont accueillis avec les meilleurs égards.

Tout le monde s’y met. En 2015, Jack Ma le fondateur d’Alibaba annonçait la création d’un fond doté de 330 millions de $ pour aider les entrepreneurs taïwanais. Depuis quelque temps, un prix doté de 400 000 $ récompense la meilleure « start-up » taïwanaise, dont le gagnant est traité comme une star.

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A Taipei, l’appréciation du risque posé par les stratégies chinoises divergent. Certains y voient une menace immédiate directe sur l’équilibre socio-économique de l’Île perturbé par l’hémorragie des jeunes cerveaux à quoi s’ajouterait le danger d’érosion à long terme de l’attachement des jeunes à leur Île.

Un récent article du magazine « The Economist » faisait état d’un sondage exprimant une préférence des jeunes Taïwanais en Chine pour Xi Jinping mieux apprécié par eux que Tsai Ing-wen. Ce qui fait dire à l’auteur que Pékin aurait réussi à créer chez les expatriés une réticence à « mordre la main qui les nourrit ».

L’analyse recoupe celle déjà ancienne de Oxford Economics qui, en 2012, prédisait qu’en 2021 le déficit de talents dans l’Île serait plus élevé qu’ailleurs dans le monde développé. Enfermés dans le dilemme des trop petits salaires et l’absence d’opportunités dans une économie dont la croissance est trois fois moins rapide que celle du Continent, les meilleurs hésitent à fonder une famille et s’expatrient, aggravant le phénomène de dénatalité et le déséquilibre du système des pensions.

Pour Yang Tzu-ting chercheur à l’Institut d’économie de l’Academia Sinica, l’augmentation de la main d’œuvre qualifiée taïwanaise expatriée en Chine constitue « une menace pour la sécurité nationale » pouvant faire basculer l’opinion en faveur de la réunification pacifique.

Logiquement la mouvance politique du DPP tente de relativiser les risques. Lo Chih-cheng, député indépendantiste, considère que la stratégie de séduction chinoise ne fonctionnera pas, du fait que les jeunes taïwanais parviennent à déconnecter leurs intérêts économiques directs de leur identité insulaire.

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Un facteur pourrait jouer en faveur de Taïwan est la détermination inflexible de Pékin à faire rentrer Tsai Ing-wen dans le rang de la reconnaissance du « consensus de 92 ». Comme le souligne Mathieu Duchâtel, dans un article paru en avril 2017 dans la revue du Council on Foreign Relations traitant des relations entre Tsai Ing-wen, Xi Jinping et Donald Trump, la stratégie de pressions contre l’Île ne tient pas compte des efforts de Tsai Ing-wen pour se tenir à distance des déclarations d’indépendance dont elle connaît le caractère toxique pour la relation dans le Détroit.

Tant que la Présidente ne se sera pas pliée au rituel de la reconnaissance d’une seule Chine, Pékin augmentera ses chantages, ses intimidations et ses humiliations, quelles que soient les conséquences sur l’opinion de l’Île.

C’est peut-être dans cette obstination que réside une des fragilités des stratégies chinoises. Le 16 janvier dernier Annie Wu diplômée de journalisme de l’Université de Columbia décrivait dans Epoch Times le harcèlement chinois contre les entreprises taïwanaises sur le Continent, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fait pas le lit d’un amour immodéré des entrepreneurs taïwanais pour le Continent.

Alors que la propagande chinoise cache la réalité, des informations confidentielles font état d’incessants harcèlements contre les entreprises de l’Île allant des coupures d’eau prolongée à des ordres de fermetures temporaires toutes articulées au prétexte de la lutte contre la pollution provoquant de sévères pertes financières ou même des faillites. Ces nouvelles avanies s’ajoutent aux plus anciennes, chantages, extorsions et même passage à tabac perpétrés par les mafias locales, parfois alliées aux bureaucrates, dans le cadre de rivalités d’affaires locales.

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Les dernières pressions exercées sur Taïwan participent de la création dans l’Île d’un malaise de sécurité, ayant récemment fait surgir l’angoisse d’une attaque militaire du Continent.

Le 23 janvier 2018, une dépêche de Reuters faisait état de la crainte de Tsai Ing-wen d’une agression des armées continentales, suggérée par l’augmentation du nombre des exercices militaires dans les parages du Détroit. C’est dans cette phobie sécuritaire que s’inscrit la polémique récemment amplement commentée dans les médias autour de la route aérienne M. 503.

La question est examinée dans le détail par Hugo Tierny qui, sur ce sujet s’est entretenu avec le Professeur Kuo Yujen, universitaire taïwanais. Directeur exécutif de l’Institute for National Policy Research (INPR) à Taipei, Kuo est également professeur à l’Institut d’études de la Chine et de l’Asie-Pacifique à l’Université Nationale Sun Yat-sen à Kaohsiung. Il est aussi un expert des alliances militaires et des enjeux de défense en Asie du Nord-Est proche de l’exécutif taïwanais.

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Il convient cependant de noter que la polémique est enchevêtrée dans quelques malentendus. Les zones aériennes de défense et d’identification (ZADI) ne sont pas règlementées par la Convention de Chicago (CCH) signée en 1944 et entrée en vigueur en 1946.

Leur établissement est donc libre et, à ce jour, une vingtaine de pays, dont les États-Unis, le Canada, la Russie, le Japon, la Corée du sud, Taïwan, le Vietnam, la France, la Grande Bretagne en possèdent, aux limites de leur espace aérien. Compte tenu des vitesses d’approche des avions, ces zones sont conçues comme un « espace tampon » donnant à la défense aérienne d’un pays le temps de réagir face à un appareil hostile se dirigeant vers son espace aérien national.

Il arrive parfois que les ZADI se chevauchent comme c’est le cas des zones de la Chine et du Japon, ou même qu’elles empiètent sur un espace aérien national voisin comme c’est le cas de la ZADI taïwanaise chevauchant l’espace du Continent. La plupart du temps, dès lors quelles ne mordent pas sur un autre espace aérien national, elles sont considérées comme un espace aérien international.

Abattre un aéronef à l’intérieur d’une de ces zones, même s’il ne répond pas aux demandes d’identification, constituerait une infraction flagrante au droit international. Enfin, selon les habitudes internationales en vigueur, seuls doivent s’identifier les appareils qui se dirigent vers l’espace aérien national du pays à qui appartient la ZIA. Ceux qui ne font que transiter ne sont tenus à rien.

Dans le cas du Détroit de Taïwan la route M. 503 transversale n’impose pas aux aéronefs qui l’empruntent de s’identifier, même quand ils transitent dans la zone d’identification taïwanaise d’autant que son trajet reste au-delà de la ligne médiane du Détroit.

En revanche tous les appareils empruntant les routes transversales W 121, 122 et 123 se dirigeant initialement vers l’Île devraient s’identifier. Rien ne dit qu’ils le feront. C’est bien ce qui inquiète les Taïwanais.

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La route M503 et la sécurité de l’Île. H Tierny.

Le texte qui suit a été publié par la revue Asialyst.

Depuis janvier 2018, la République Populaire de Chine (RPC) a, de manière unilatérale et sans aucune négociation préalable avec le gouvernement de Taïwan, ouvert des routes aériennes aux abords de la frontière entre les espaces aériens chinois et taïwanais.

L’affaire intervient dans un contexte tendu : la frontière aérienne officieuse entre la Chine et Taïwan est redevenue un point chaud de la région depuis l’an dernier en raison de l’incessante activité de l’armée de l’air et de la marine chinoise, qui envoient régulièrement son porte-avions mais aussi des bombardiers stratégiques et des chasseurs d’escorte intimider et tester les capacités de défense taïwanaises en menant des exercices autour de l’île.

Plus largement, la Chine a perdu ses derniers soutiens politiques crédibles sur l’île depuis que le Kuomintang (KMT) a été évincé et remplacé, après les élections de 2016, par une forte majorité DPP (Parti Démocrate Progressif) à tradition ouvertement indépendantiste. La présidente actuelle, Tsai Ing-wen (DPP) refuse d’ailleurs de reconnaître le fameux « consensus de 1992 » selon lequel il n’y a qu’une seule Chine et que Taïwan en fait partie. Les dirigeants chinois, pour lesquels la question de l’unification avec Taïwan frise l’obsession, font désormais feu de tout bois et tentent d’isoler l’Île par tous les moyens.

Les quatre routes aériennes qui nous préoccupent sont l’exploitation nord-sud de la route M503, et trois extensions de cette route, W121, W122 et W123, dans le sens est-ouest permettant de connecter la M503 aux aéroports majeurs situés à quelques encablures de celle-ci.

La M503 court le long du Détroit de Taïwan et s’approche en son centre de la frontière officieuse entre espaces aériens taïwanais et chinois ainsi que d’une zone d’entraînement de l’armée de l’air taïwanaise traversant d’est en ouest la Zone Aerienne de Défense et d’Identification (ZADI) taïwanaise. Les couloirs adjacents W121, W122 et W123 sont très proches des îles Kinmen et Matsu, toutes deux contrôlées et défendues par Taïwan. Notons néanmoins que tout cela se situe dans l’espace aérien chinois sur lequel mord la ZADI taïwanaise.

L’ouverture des nouvelles routes aériennes qui, à leurs origines continentales, empruntent un cap se dirigeant vers l’Île dont potentiellement menaçant, a déclenché une vive réaction de la part du gouvernement taïwanais. A Taipei, on parle d’une action irresponsable de nature à remettre en question la stabilité du statu quo entre les deux rives. On craint entre autres à Taipei que la multiplication des vols n’augmente le risque d’accident aérien et ne complique la surveillance du transit dans une zone aussi sensible. Tout cela sera développé par le Professeur Kuo dans l’entretien qui suit.

Le problème de ces routes aériennes n’est pourtant pas nouveau. Les Chinois ont déclaré l’ouverture de la route M503 depuis janvier 2015, mais suite aux protestations taïwanaises, un compromis avait été trouvé entre les deux parties. Dès lors, un vol empruntant la direction nord-sud restait autorisé et la route était déplacée vers l’ouest pour s’éloigner de la ligne médiane du Détroit.

En outre, la Chine devait consulter ses partenaires taïwanais si elle souhaitait ouvrir de nouvelles routes. La décision de janvier 2018 fait donc table rase de l’accord non seulement en replaçant la route M503 vers l’est, mais surtout en autorisant des vols dans les deux sens de circulation et en ouvrant les couloirs est-ouest W121, W122 et W132.

Du côté chinois, on assure que l’ouverture des routes aériennes est due à la congestion du trafic aérien et que ces dernières serviront à améliorer la ponctualité des vols.

Mais le fait que la Chine ait agit unilatéralement et que ses avions empruntaient déjà les nouveaux couloirs aériens le jour même de la déclaration établit un précédent que Taipei juge inquiétant, puisque Pékin se délie à loisir des accords passés avec Taïwan, aidé en cela par l’inaction internationale et le manque de leviers disponibles sur l’Île pour contraindre les Chinois à respecter leurs engagements.

Parmi ces derniers, la promesse par la Chine de ne pas utiliser les nouveaux couloirs aériens à des fins militaires.

Enfin, mettre Taipei devant le fait accompli comporte peu de risques pour les Chinois. L’ouverture des routes répond à une stratégie chinoise classique mais efficace, d’exploiter les zones grises du droit des relations dans le Détroit pour avancer des objectifs politiques. Les Chinois ont dernièrement accusé les Taïwanais de monter la situation en épingle et de se victimiser.

Enfin, les plaintes de Taïwan à l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) ont peu de chances d’aboutir, la secrétaire générale étant une citoyenne chinoise, Dr. Fang Liu, qui a déjà refusé la participation de Taïwan à la dernière édition de l’assemblée internationale annuelle.

Entretien avec le professeur Kuo Yujen.

Le ton de Kuo Yu-jen est assez vif et son point de vue reflète en creux le point de vue majoritaire à Taïwan : le gouvernement chinois se met de lui-même à l’index alors qu’il devrait traiter le gouvernement de l’Île comme un homologue.

1.- Pourquoi l’unilatéralisme de Pékin. ?

Pourquoi la Chine a t-elle agi de cette façon alors que les deux parties avaient négocié un compromis en janvier 2015, qu’est-ce qui a changé ?

Les Chinois ont négocié en janvier 2015 car ils n’avaient aucun intérêt à provoquer une crise avec le gouvernement KMT à Taïwan, dont la ligne politique était plus favorable à la Chine que celle de l’actuel DPP.

La décision unilatérale chinoise est intervenue à la suite du 19e Congrès du Parti Communiste Chinois, durant lequel Xi Jinping a indiqué que les pressions sur Taïwan passeraient à la vitesse supérieure, dans le cas où nous ne nous plierions pas à la volonté de Pékin.

Ensuite, je pense que la décision d’ouvrir les routes aériennes intervient dans un excellent « timing » pour les Chinois, alors que l’attention internationale est rivée sur la Corée du Nord et que la communauté internationale a besoin du soutien de la Chine pour mettre la pression sur Pyongyang. L’ouverture unilatérale des routes aériennes et les protestations taïwanaises ont aussi reçu une couverture médiatique limitée dans la presse mondiale.

Enfin, l’ouverture des lignes bénéficie militairement à la Chine. Alors que cette dernière n’a jamais cessé de menacer Taïwan d’invasion militaire, les nouvelles lignes est-ouest W121, W122 et W123 pourraient servir de couverture à l’armée de l’air chinoise pour acheminer, en les faisant passer pour des avions civils, avions de reconnaissance, d’espionnage, chasseurs ou bombardiers jusqu’à la ligne médiane de Détroit de Taïwan. Dans les faits, cela divise par deux le temps d’alerte de nos forces armées.

2.- Quelle gestion taïwanaise ?

La réaction du gouvernement comporte trois volets.

Le premier est la plainte adressée par notre gouvernement à l’OACI [1].

En principe, toute route aérienne doit s’ouvrir après consultation avec les pays voisins. C’est important car la Chine n’a pas partagé avec nous les informations relatives aux nouveaux vols et nous n’avons pas mis en place de mécanismes bilatéraux pour faire face à d’éventuels accidents et cas d’urgence sur les vols commerciaux concernés. Potentiellement, la situation est donc très dangereuse pour les voyageurs.

Le second est la tentative du gouvernement de Taïwan d’obtenir un appui international, en particulier de la part des États-Unis, du Japon et de l’Union Européenne. Tous ont publié des communiqués appelant nos deux pays à négocier, ce qui est favorable à notre position.

Le troisième est la décision de geler temporairement certains vols additionnels, prévus à l’occasion du Nouvel an chinois, entre Chine et Taïwan. Ces vols devaient être empruntés par de nombreux expatriés taïwanais désireux de se rendre chez eux pour les festivités. Plusieurs médias ont laissé entendre que le gel des vols était une riposte gratuite de la part de Taipei. C’est évidemment absurde, se venger ainsi n’a aucun intérêt et il est inutile de mettre nos concitoyens dans l’embarras.

En réalité, la Chine n’ayant transmis à Taïwan aucune information sur les nouveaux vols, les autorités compétentes ont, pour des raisons de sécurité, été obligées de revoir à la baisse le nombre de vols traversant le Détroit. Souvenez-vous que la Chine a ouvert les vols du sud vers le nord sur la route M503, proche de la ligne médiane du Détroit. La réglementation aérienne internationale stipule que lorsqu’un avion rencontre de sérieuses difficultés, il doit manœuvrer sur sa droite.

Maintenant, imaginez dans ces conditions qu’un appareil civil vole vers l’est et traverse sans préavis la zone d’identification aérienne (ZDIA) de Taipei où les règlements internationaux obligent les appareils à s’identifier. Etant donnée la situation sécuritaire dans le Détroit, un avion entrant subitement dans notre espace aérien nous mettrait dans une situation extrêmement délicate puisque nous ne saurions pas dans l’immédiat s’il s’agit bien d’un appareil civil en difficulté. Moins d’avions, c’est moins de risque d’accident ainsi qu’une probabilité amoindrie de se retrouver dans une telle situation.

La question n’a donc rien à voir avec permettre ou non aux gens de rentrer chez eux. Mais il faut être raisonnable et exiger une sureté optimale pour les voyageurs. La Chine, à l’inverse, s’est permis de compromettre la sécurité des passagers pour renforcer sa pression politique sur Taïwan. Ce n’est pas la marque d’un gouvernement responsable et soucieux de la sécurité d’autrui.

3.- Conséquences sur les relations avec la Chine ?

Ces actions répétées pourraient-elle remettre en question la position modérée du gouvernement actuel de Taïwan à l’égard de la Chine ?

Le gouvernement actuel à Taïwan est patient et constant, il gardera la porte ouverte au dialogue. Comme l’a répété Tsai Ing-wen, il ne fera rien qui puisse fâcher la Chine, comme mener des politiques résolument indépendantistes. Mais il continuera à s’opposer à toutes formes de pressions de la part de Pékin.

La politique inter-détroit du gouvernement reflète d’ailleurs l’opinion dominante à Taïwan. A la fin de 2018 se tiendront les élections locales à Taïwan, que le DPP n’est pas assuré de remporter. Mais je ne pense pas que les forces politiques les plus intransigeantes à l’égard de la Chine l’emporteront. Pour une majorité de Taïwanais, la stabilité dépend de la sauvegarde du statu quo actuel.

4.- Pessimisme sur la capacité de résistance de l’Île.

Certains détectent à Taïwan une montée de pessimisme quant à la capacité de l’Île de résister à long terme aux pressions de la Chine, qu’en pensez-vous ?

Votre question m’étonne, je ne vois pas en quoi Taïwan perdrait sa capacité à résister aux pressions chinoises. Je vois plutôt une certaine résilience. Souvenez-vous du précédent gouvernement de Ma Ying-jeou (KMT, plus favorable à la Chine), les relations inter-détroit étaient très stables, n’est-ce pas ? Cela n’a pas empêché les Taïwanais, inquiets d’un rapprochement politique avec la Chine qu’ils ne souhaitaient pas, d’élire largement le DPP au prix d’un raidissement de Pékin à l’égard de l’île.

Au moins 70% des Taïwanais préfèrent le statu quo, qui correspond à une indépendance de facto. Le gouvernement construit donc sa politique inter-détroit à partir de ce consensus.

Vraiment, je ne me soucie pas de la capacité de Taïwan à passer au-dessus des remontrances de Pékin. Rappelez-vous que la Chine essaie de nous isoler depuis des décennies, par tous les moyens. Et pourtant, je crois que Taïwan fait toujours partie des 20 nations les plus riches du globe.

Taïwan est une toute petite île, mais nous restons puissants économiquement et ce n’est là qu’un volet de notre résilience. Quoi que fasse ou dise la Chine, Taïwan est toujours là, et nous continuons à renforcer notre démocratie.

Nous ne sommes pas une province de la Chine et le gouvernement de Pékin doit apprendre à communiquer avec ses voisins. Il ne pourra pas gagner la confiance des Taïwanais en leur donnant des ordres, il faut de l’interaction.

5.- Quel appui de la communauté internationale ?

L’ouverture des routes aériennes par la Chine a été suivie de très peu de réactions, comment Taïwan peut-il procéder pour alerter la communauté internationale sur sa situation ?

Ce n’est pas tant un problème taïwanais que chinois et la communauté internationale est parfaitement au courant des provocations de Pékin. D’ailleurs, il n’y a pas que nous, la Chine s’est aussi montrée assez agressive avec la Corée du Sud, le Japon, l’Inde, le Vietnam et les Philippines.

En ce qui concerne Taïwan, nous sommes géographiquement distants de nombre d’autres démocraties et nous savons bien que la politique inter-détroit fait rarement la une des journaux de ces pays. Mais nous savons aussi que la Chine, par son comportement négatif, se charge d’attirer l’attention internationale.

A vrai dire, je n’apprécie pas du tout la représentation selon laquelle la Chine malmènerait Taïwan et que nous serions à plaindre par le reste du monde. Dans sa relation à la Chine, Taïwan n’est pas forcément le « faible ». Par exemple, je pense que notre « soft power » est bien mieux articulé et reçu à l’étranger que celui de la Chine. D’autre part, et comme je l’ai déjà dit, d’autres pays ont subi les politiques agressives chinoises. Se concentrer sur les provocations chinoises ferait de nous un objet pathétique, alors que la source du problème est à Pékin.

Nous essayons simplement, et c’est ce que je fais à travers cet entretien, de nous adresser à la communauté internationale en expliquant pourquoi et à quel point l’attitude de la Chine est irresponsable. Dans notre cas, Pékin est prêt à compromettre la sécurité des vols entre Taïwan et la Chine pour des raisons politiques. C’est pour nous un comportement irresponsable, qui manque de civilité et méprise les normes internationales, et nous le présentons comme tel.

Taïwan n’est ni à plaindre, ni sans défense. Si la Chine se comportait de façon professionnelle, respectueuse des normes internationales et de ses voisins, nous ne ferions pas face à de tels problèmes.

Note(s) :

[1En 2016, la demande participation de Taïwan à l’OACI (qui dépend de l’ONU, où Taïwan n’est pas représenté) a été rejetée suite à des pressions chinoises. On peut penser que Pékin a mis cette exclusion à profit pour l’ouverture des routes aériennes qui nous préoccupent ici.

 

 

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