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›› Editorial

Le « Chien de terre » et l’héritage ambigu du Coq. La Chine entre le Droit et l’affirmation culturelle globale

Arrivée à son terme dans la nuit du 15 février, l’année du Coq fut marquée par un puissant resserrement politique interne autour du « rêve chinois - 中国梦 - » et de la personnalité du Président Xi Jinping, tandis que l’international, traversé par des tensions, surprises et retournements, en partie dues aux embardées verbales de la « nouvelle Maison Blanche », resta d’abord marqué par l’ambiguïté des relations sino-américaines.

Sur fond de « l’émergence multipolaire » d’une opposition à l’Amérique et d’une connivence entre Moscou et Pékin qui dure, confortée par la force des contrats d’hydrocarbures et la proximité stratégique née du rejet des intrusions et pressions occidentales, Washington et Pékin envoyèrent des signaux contradictoires sur la nature et l’avenir de leur « pas de deux » global.

Empressons nous de dire que le jeu sino-américain n’est pas la seule et probablement pas la plus pertinente clé du futur d’une planète aujourd’hui secouée par les prémisses des crises à long terme que sont le trop plein démographique, les risques écologiques, la force des migrations, les déséquilibres nord-sud, les nouvelles violences climatiques et les tensions sur les ressources à quoi s’ajoute l’angoissante inconnue portée par les outrances meurtrières de l’Islam radical.

Pour autant, s’il est vrai que l’axe du monde n’est certes pas articulé à leur « duopole », les « rivalités réactives » de Washington et de Pékin s’exprimant sur maints sujets allant de la question coréenne aux différends commerciaux en passant par les tensions latentes en Mer de Chine du sud et dans le détroit de Taïwan, fondent une des clés de décryptage de la situation stratégique mondiale à moyen terme.

Dans ce registre se croisent les angoisses des toutes les élites américaines confondues, inquiètes de l’effritement du magistère de Washington, le discours convenu de Pékin spéculant sur la force apaisante du libre commerce, alors même que surgissent de fortes réticences contre la mondialisation.

Dans le même temps montent en puissance le budget et les capacités de projection de l’Armée Populaire de Libération durablement installée à Djibouti comme en mer de Chine du sud, et, pour la première fois de son histoire, engagée en mission de maintien de la paix au Soudan, non pas dans la gamme sanitaire ou logistique, mais avec des unités de combat. Lire : Mort au combat de deux casques bleus chinois.

Rivalité stratégique entre Washington et Pékin.

Pour baliser la relation sino-américaine à ses extrêmes, on dira qu’elle balance entre deux antipodes, l’un diplomatique fondant l’espérance d’une coopération apaisée et l’autre martial qui nourrit les craintes.

Aux premiers confins des ambivalences, les bonnes paroles et les obligeances réciproques du sommet de Floride en avril, suivi, sept mois plus tard, de celui de Pékin où le couple présidentiel chinois fit à Donald Trump et à son épouse l’exceptionnel honneur de les accompagner longuement dans le site emblématique du pouvoir central chinois qu’est la Cité interdite.

A l’opposé du spectre, la récente déposition au Congrès des États-Unis de l’Amiral Harris, dont les racines familiales directes sont à la fois japonaises par sa mère et américaines par son père lui aussi marin de l’US Navy.

S’adressant aux législateurs américains, l’ancien patron du commandement naval du Pacifique, choisi par Donald Trump pour être son futur ambassadeur en Australie, a, sans s’embarrasser de nuances diplomatiques, sonné une alerte faisant écho aux inquiétudes de l’establishment, tourmenté par le spectre du déclin et la perspective que s’étiole son magistère global.

Pour lui, qui, au moment de sa déposition, était pourtant encore à la tête d’une des plus formidables forces aéronavales de tous les temps, les stratégies chinoises mêlant l’expansion militariste doublée de pratiques économiques et commerciales « prédatrices », assorties de pressions contre ses voisins, constituaient une sérieuse menace.

Baignant partout dans la promotion lénifiante des « caractéristiques chinoises », spéculant en même temps sur la prévalence de la culture sur le droit et sur la force apaisante des échanges commerciaux « gagnant – gagnant », la manœuvre globale de Pékin avait, selon Harris le potentiel d’affaiblir l’ordre international fondé sur le droit, aux dépens des États-Unis et de leurs alliés.

Sans aller jusqu’à dire, comme certains, qu’un conflit avec la Chine était inévitable et exprimant l’espoir qu’il sera évité, Harris a exhorté les États-Unis à s’y préparer militairement et à ne pas devenir un « tigre de papier ».

Cette défiance exprimée par un des plus hauts gradés américains aux racines en partie japonaises rencontre les raidissements de l’exécutif de Canberra où la classe politique a, l’année dernière, été ébranlée par le scandale du sénateur travailliste Sam Dastyari contraint à la démission pour avoir accepté des sommes en liquide d’un homme d’affaires chinois.

Défiances australiennes et européennes.

Les nervosités antichinoises spéculant sur les risques politiques et culturels portés par la vaste manœuvre d’enveloppement des routes de la soie sont non seulement perceptibles en Australie et aux États-Unis, mais également en Europe où elles ont récemment été exprimées dans un document signé de François Godement et d’Abigaël Vasselier - « China at the gate. A New Power Audit of EU-China Relations » publié en décembre 2017 par le Council on Foreign Relations - expliquant que « Comme les pays africains, les Européens, notamment à l’est et au sud, sont tombés dans un piège qui profite essentiellement à la Chine ».

En arrière plan surgit la lancinante crainte que les élans commerciaux chinois finissent, au nom de l’efficacité, par corrompre les systèmes politiques européens articulés à la séparation des pouvoir et à l’indépendance de la justice.

Après ce survol contrasté de l’année du Coq également marquée par de nombreuses autres péripéties [1] dont une des plus importantes fut la tentative de Pékin de reprendre la main dans le dossier nord coréen par sa proposition de mars 2017 du double moratoire (arrêt des manœuvres de l’alliance et des tests balistiques et nucléaires nord-coréens) rejeté par Pyongyang, mais accepté par Washington et Séoul à la faveur des JO de Pyeongchang, Question Chine a choisi d’articuler le bilan international de l’année écoulée autour de la montée en puissance de l’emblématique projet, devenu l’étendard de la politique extérieure de la Chine, sous le vocable一经济带 一 丝绸路 Yi jingjidai yi sichoulu -, raccourci par Yi Dai Yi Lu (une ceinture économique, une route de la soie) traduite en Anglais par One Belt One Road – OBOR- ou encore Belt and Road Initiative – BRI -.

A l’intérieur, où dominèrent les efforts du régime pour restructurer l’économie, contrôler l’évasion de capitaux, freiner sans y parvenir les investissements de relance générateurs de dettes, promouvoir la puissance des grands groupes à l’international, tout en combattant férocement la corruption - objet du 3e point particulier de cette note – le tout au milieu d’une vive offensive de la censure et des répressions politiques contre les dissidents, l’événement majeur de l’année fut, sans nul doute, le 19e Congrès.

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Retour sur les intentions du 19e Congrès.

Puissante mise en scène politique, calibrée par la propagande, étroitement surveillée par la sécurité d’État et la police qui, cette année, filtraient les passants dans un rayon de 2 km autour du Palais du Peuple, le Congrès fut fidèle à ce qu’il a toujours été : un vaste affichage du volontarisme politique et économique du régime, ayant trois objectifs majeurs :

1. Rendre publique la nouvelle composition des organes dirigeants du Parti – comité permanent, bureau politique, comité central et leurs secrétariats, ainsi que celle de la commission militaire centrale et des commissions centrales de discipline et d’organisation -. A cet égard, plusieurs promotions en disent long sur les intentions du régime.

L’entrée au Bureau Politique de Yang Jiechi, ancien ambassadeur à Washington confirme qu’un des axes de la politique étrangère de Pékin sera de résister aux pressions économiques, stratégiques et idéologiques des États-Unis ;

Celle de Wang Hunning, Directeur depuis 2002 du Centre de recherche politique du Comité Central auteur de la théorie revisitée des « caractéristiques chinoises » formulée par Deng Xiaoping il y a 30 ans, mais inscrite dans la constitution en attribuant sa paternité à Xi Jinping, atteste le rejet des valeurs de la démocratie et de la séparation des pouvoirs dont le régime nie l’universalité.

De même la promotion au 10e rang protocolaire du régime de Liu He, économiste réputé et internationalement reconnu, est un signal que le Parti continuera à réformer les structures économiques et industrielles, mettant l’accent sur la bonne gestion des groupes publics, leur transparence financière, la responsabilité ses conseils d’administration et leur indépendance par rapport au pouvoir politique. Ce dernier ayant récemment laissé flotter l’idée que l’ère du sauvetage systématique des groupes mal gérés et en déshérence que le Parti qualifie lui-même de « zombies – 僵尸 jiang shi mot à mot “raides et morts » », était terminée.

Enfin, la nomination de Chen Quanguo au BP valide les politiques du régime au Tibet et au Xinjiang. Aujourd’hui à la tête de la grande province occidentale peuplée à près de 50% de Ouïghour, Chen avait acquis ses titres de gloire au Tibet où, affecté en 2011pendant l’épidémie de suicides de moines par le feu, il avait mis en place un réseau de postes de surveillance policière quadrillant le pays de manière serrée, fermant Internet et imposant une règle s’apparentant à une loi martiale, mise en œuvre avec le concours des locaux.

Au point que les informations sur la province devinrent rares. Simultanément Pékin a accéléré ses efforts de développement. Affecté au Xinjiang en 2016, Chen a appliqué la même stratégie de maillages sociaux, baptisée 社会 网格化管理, dont une des caractéristiques est une omerta totale sur l’information en provenance de la province.

Jessika Blake de la Brookings note que ces tendances formalisées au cours de ces dernières années par l’expression ambiguë « d’innovations dans les domaines ethniques et religieux 民族 宗教 工作创新 » n’ont rien d’étonnant dans un contexte où les préoccupations de sécurité au Xinjiang et au Tibet ont désormais pris le pas sur l’ancienne politique de tolérance des minorités dont le Parti a longtemps fait un des thèmes centraux de sa propagande.

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2. Préparer le rapport final du Comité Central comprenant le bilan des 5 dernières années et la feuille de route du Parti–État jusqu’en 2022, dans les domaines politique, économique, culturel, diplomatique, à quoi s’ajoute la stratégie interne visant à consolider l’emprise du Parti sur le pays et la société, dont la responsabilité incombe à tous mais plus spécialement au département de la propagande et à la Commission d’organisation.

On y retrouve, toujours exprimée par le rapport de Xi Jinping, l’ancienne contradiction sémantique communiste du « respect du droit » et de la « démocratie » mais limités par l’obédience inconditionnelle au Parti, présentée comme un « avantage politique unique des “caractéristiques spéciales“ du socialisme chinois – 我国 社会 主义民族政治的特有形式和独特优势 – » ; la « négociation / consultation - 协商xieshang - » n’étant, dit le rapport, que le moyen de renforcer le rôle dirigeant du Parti 实现 党 的 领导 ».

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3. Réaffirmer que le Parti est la seule organisation politique capable de conduire la Chine sur la voie de la modernisation et de la puissance, avec, en arrière-pensée, jamais bien éloignée, la revanche à prendre sur l’histoire et le temps où la Chine était envahie et dépecée par « l’alliance des huit puissances 八国联军 » (Grande Bretagne, États-Unis, France, Russie, Allemagne, Italie, Autriche-Hongrie, Japon).

Ajoutant une perspective historique aux rapports précédents des 17e et 18e Congrès qui mettaient l’accent sur le rôle positif du Parti dans la lutte contre les inégalités et la pauvreté, celui du 19e connectait aussi le présent avec les 5000 ans d’histoire, depuis les origines jusqu’à la prise de pouvoir par le Parti le 1er octobre 1949.

Au passage, les références aux guerres de l’opium qui, dit le rapport, « plongèrent l’Empire du Milieu dans la honte et la souffrance – 使 中国 陷入 耻辱 和 痛苦 之中 » permettent aujourd’hui encore de justifier l’âpreté de la lutte à venir contre « les forces qui menaceraient la souveraineté de la Chine et tenteraient de créer un fossé entre le Parti et le peuple chinois ». On ne saurait mieux dire pour tenir à distance les critiques qui stigmatisent les manquements au droit du régime et les nouvelles ambitions internationales chinoises.

La quête universelle des « caractéristiques chinoises »

Fidèle à la forme et aux objectifs immuables du parti, le Congrès n’en a pas moins été marqué par plusieurs originalités exprimées par le discours de 3h30 de Xi Jinping. Insérées dans la « vision » du « rêve chinois » - 中国梦 – et de la renaissance - 复兴- de la Nation, les modalités de la modernisation du pays se parent d’un parfum d’épopée que le Parti qualifie « d’ère nouvelle » ; en même temps, elles s’articulent à une trajectoire spécifiquement chinoise culturellement, politiquement et juridiquement différente de l’Occident.

Clairement affirmée durant le Congrès par son insertion dans la constitution, cette pensée - 思想- de Deng Xiaoping, recyclée par l’actuel pouvoir, dite du « socialisme aux caractéristiques chinoises – 有中国特色的社会主义-, séparée de celle de l’Ouest, a conféré à la trajectoire proposée par Xi Jinping une puissante teneur nationaliste, voire ethnocentriste en référence à la « grande renaissance de la “race chinoise“ 中国 民族 伟大 的复兴 ».

Vu de Pékin, son arrière plan culturel affirmé par contraste au légalisme occidental, constitue un levier de contestation des valeurs occidentales du Droit – y compris international - et de la démocratie. Sur le théâtre asiatique, les « caractéristiques chinoises » sont, du point de vue du régime, particulièrement pertinentes pour revendiquer la souveraineté sur toute la mer de Chine du Sud et le retour de Taïwan au Continent, quels que soient les résultats des scrutins démocratique dans l’Île.

Enfin, la référence aux spécificités culturelles affirmant le refus de la Chine de se conformer aux valeurs occidentales notamment sur les questions des droits individuels, rejetant les critiques et intrusions assez souvent américaines, se double d’un discours très articulé sur les intentions socio-économiques à moyen et long terme du pouvoir étroitement recentré autour de Xi Jinping.

C’est dans ce contexte que le n°1 du Parti ayant renforcé son pouvoir en s’entourant de fidèles, ayant aussi abandonné le principe de direction collégiale prôné par Deng Xiaoping pour tenir à distance le culte de la personnalité, a proposé aux Chinois une vision d’avenir articulée et balisée par des étapes précises aux objectifs en partie chiffrés.

Lire : Les chiffres, l’intention politique et le talent de l’habillage.

Il n’est pas anodin de signaler que leur portée et leur fermeté impressionnent ceux qui, en Occident et singulièrement en Europe regrettent les hésitations démocratiques, les débats sans fin et les remises en cause intempestifs par les sondages et les réseaux sociaux qui, disent-ils, plombent l’efficacité politique des exécutifs démocratiques.

La mise aux normes dit Jessika Blake de la Bookings, va aussi à contre courant de l’exigence académique d’objectivité, jusqu’à inciter le monde universitaire chinois à « guider le peuple pour qu’il se forge une vision correcte de l’histoire, de l’ethnicité chinoise, de la patrie et de – sa culture 引导 人 树立正确 的 历史 观, 民族观, 国家观, 文化观 ».

Enfin, sans surprise, le Parti insiste pour que la propagande du Parti augmente sa capacité à diffuser à l’étranger la « vision correcte » de l’histoire chinoise se référant aux trois caractéristiques que sont l’ethnicité « Han », son patriotisme et de sa culture particulière qui doivent, dit le parti, prévaloir dans les échanges internationaux - 以我为主 -.

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L’ambition globale des nouvelles routes de la soie.

Exprimant la légitime ambition chinoise de jouer un rôle éminent dans le monde sur un mode pacifique et coopératif tranchant avec les agressivités américaines les projets Yi Dai Yi Lu sont à la fois connectés au « rêve chinois » et au vieux mythe très positif des « routes de la soie », symbole dans l’imaginaire public des relations apaisées entre l’Europe et la Chine, s’inscrit dans une double réactivité.

Présentés pour la première fois à Astana par le Président Xi Jinping en 2013, ils furent d’abord une riposte au « pivot » américain de Hillary Clinton, quand en 2011, Washington décida de basculer l’épicentre stratégique américain de l’Europe vers l’Asie autour d’un renforcement militaire dans le Pacifique occidental et du projet économique et commercial du Transpacific Partnership (TPP) avec 12 pays riverains du Pacifique, dont la Chine était exclue par la rigueur des conditions d’accès, mais où les grands rivaux de la Chine en Asie que sont le Japon et le Vietnam, étaient accueillis à bras ouverts par Washington. Lire : Le « Trans-Pacific Partnership – TPP - », nouvelle bévue stratégique américaine ?

L’autre origine directe du projet fut plus prosaïque. Alors que Pékin avait immédiatement perçu le TPP et le « pivot » comme des stratagèmes américains destinés à freiner la montée en puissance de la Chine - mais dont il est juste de dire que ses revendications agressives, contre le droit de la mer, sur la totalité de la mer de Chine, avaient attisé la réaction américaine -, la Direction chinoise, confrontée à un ralentissement de la croissance passée entre 2010 et 2013 de 10,4% à 7,5% cherchait des débouchés pour ses groupes nationaux essentiellement dans le secteur de la construction d’infrastructures.

Le point d’orgue du projet eut lieu à Pékin, le 14 mai dernier, lors d’un vaste séminaire organisé par le Parti dont QC avait rendu compte signalant à la fois l’ampleur exceptionnelle de l’entreprise et ses vulnérabilités.

Lire : 一带 一路, le projet pharaonique des routes de la soie à 1700 milliards de $.

Depuis cette date, le Ministre des Affaires étrangères Wang Yi et les médias officiels chinois ayant rivalisé de commentaires hyperboliques, ont connecté le projet avec le « rêve chinois » et l’ambition de jouer un rôle moralement édifiant dans le monde, mais dont l’aspiration universelle et apaisante n’en tranche pas moins avec les vastes prétentions territoriales de Pékin en mer de Chine du sud et l’inflexible projet de réunification avec Taïwan à contre courant des aspirations de statuquo de la population de l’Île.

Une affirmation de prévalence culturelle et morale.

Après le 18 octobre Wang Yi affirmait que les nouvelles routes de la soie étaient « la plus vaste et la plus populaire plateforme de coopération internationale », ajoutant que Pékin était aussi devenu « la force la plus active pour l’instauration d’une gouvernance globale propre à résoudre les défis du monde ».

Dans la foulée il ajoutait que la Chine avait « augmenté son droit de poser les règles du fonctionnement des Affaires du monde », (…) et était désormais « capable de proposer un modèle de modernisation aux pays en développement ». (Wang Yi discours du 19 octobre au lendemain du rapport de Xi Jinping au Congrès).

Tirant profit des doutes causés par les provocations de Donald Trump dans la sphère occidentale, le MAE chinois s’est aussi aventuré sur le terrain de la morale publique, prônant une style nouveau de relations internationales articulées au « respect », à la « loyauté », aux avantages partagés « gagnant – gagnant », tournant le dos à la « loi de la jungle, laissant les faibles à la merci des plus forts ». Disant cela, il dessinait l’image d’une Chine vertueuse donnant l’exemple le plus accompli de « la morale humaniste planétaire ».

Au passage, ciblant directement Washington, il soulignait que la « bénévolence » chinoise contrastait radicalement avec l’égoïsme de « certains », « cherchant la sécurité uniquement pour eux-mêmes » et n’hésitant pas à déstabiliser les autres et à renverser leurs gouvernements par le stratagème des « révolutions de couleur ».

Exemple des effets pervers des stratégies chinoises, le discours sur la menace posée par « les révolutions de couleur » fomentées par Washington et les ONG des droits de l’homme tient aujourd’hui le haut du pavé au Cambodge. Dans l’ancien protectorat français passé sous l’emprise politique et financière de la Chine, le régime de Phnom-Penh animé par l’héritage doublement toxique du communisme vietnamien et des Khmers Rouges dont est issu le premier ministre au pouvoir depuis plus de 30 ans, vient de dissoudre l’opposition qu’il accuse de trahison.

Dans ce contexte, tout contestataire du pouvoir prédateur et meurtrier coutumier des captations de terres distribuées aux investisseurs chinois ou à leurs prête-noms est soupçonnée de « fomenter une révolution de couleur » et risque une lourde condamnation par la justice khmère qui, à l’image de la chinoise, a depuis longtemps abandonné le principe de son indépendance face à l’exécutif.

Déjà l’emprise protéiforme de Pékin, de ses méthodes et de ses affaires provoque la réaction des populations locales dessinant les limites explosives de l’influence chinoise posant des risques homothétiques de ceux explorés pour l’Europe centrale et orientale par François Godement et Abigaël Vasselier cités plus haut.

La dernière occurrence méritant attention dans le bilan de l’année du Coq est la puissance irréductible et tranchante de la lutte contre la corruption dont la violence tous azimuts porte en elle ses propres limites.

Les contradictions de la lutte anticorruption.

Immédiatement après le Congrès, Xi Jinping a proposé d’établir, en plus de la Commission de discipline du Parti une nouvelle structure de lutte contre la corruption désignée sous le vocale de Commission Nationale de Contrôle (国家监督委员会). Dotée de pouvoirs encore plus étendus, toujours en marge du droit constitutionnel chinois et de l’indépendance de la justice, la nouvelle structure permettraient d’élargir la bataille contre les prévarications au-delà du scope du Parti, aux membres des groupes publics et des institutions académiques nationales, dont le nombre, au moins 60 millions, s’ajouterait aux 89 millions de sociétaires du Parti Communiste.

Alors que des dizaines d’avocats bravant la répression, se sont élevés contre le projet dénonçant le danger d’arbitraire, il est probable qu’en l’absence de contre pouvoir au sommet, le projet ira de l’avant perpétuant et accentuant la bourrasque de la lutte contre les corrompus.

Toujours très populaire dans l’opinion publique, la bataille qui s’articule essentiellement autour de dénonciations anonymes installe cependant une psychose paralysante au sein de l’appareil et porte le risque de provoquer « une nécrose intellectuelle et sociale » exactement contraire à liberté d’expression nécessaire l’innovation. « Si toute critique est interdite, pourquoi nous demander notre avis, dit un internaute sur « wechat ». A moyen terme elle porte le risque de dégénérer en lutte de clans.

Dans l’imaginaire astrologique chinois, le « Chien de terre » symbolise non seulement l’intelligence, l’assiduité, la sincérité et l’honnêteté désintéressée, mais aussi un esprit fantasque et aventureux.

De ses vertus, dont chacun espère qu’elles sauront le protéger des penchants lunatiques du Chien, le régime aura bien besoin pour naviguer au milieu des contradictions d’une situation où, à l’intérieur, animé du sentiment honorable de l’urgence et de la nécessité de correction éthique, il se réclame du « droit » tout en le niant par ses initiatives, tandis qu’à l’extérieur, emporté par son rêve patriotique auquel il attribue une portée globale, la puissance de ses manœuvres intrusives provoquent en retour des sentiments adverses de défiance.

- Discours du président Xi Jinping à la clôture du 19e Congrès
- Lire aussi : Les incertitudes de l’année du Coq.

Note(s) :

[1Citons, parmi les plus importantes, le soutien stratégique sans faille de Pékin à la fois à Aung San Suu Kyi et aux militaires birmans, l’offensive chinoise commerciale et politique en Europe de l’Est, les pressions de Washington reprochant à Pékin d’édulcorer les sanctions contre Pyongyang, à quoi s’ajoutèrent les flottements stratégiques en Asie du Sud-est, à Taïwan et au Japon qui, inquiets des incartades de D. Trump, exprimèrent une méfiance à l’égard de Washington et une tendance à se recentrer sur leurs intérêts directs ayant récemment poussé Shinzo Abe à tenter un rapprochement avec Pékin – le premier depuis 2008 -.

 

 

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