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›› Chine - monde

Un porte-avions américain au Vietnam. Symbole des rivalités sino-américaines

Alors que Pékin continue à considérer que les forces armées américaines sont des intrus sur le théâtre du Pacifique Occidental, l’arrivée du porte-avions Carl Vinson ancré à quelques encablures au nord de Danang (« Tourane » du temps des Français) lieu mythique des guerres du Vietnam, (la Française et l’Américaine) qui fut de 1959 à 1975 l’un des plus puissants points d’appui aéronaval de l’armée des États-Unis abritant des unités de reconnaissance aérienne, des escadrons logistiques et des chasseurs de combat, envoie un signal sans équivoque à la Chine.

S’il est vrai que les escales de navires de guerre américains au Vietnam se sont succédées depuis novembre 2003, date de la première escale de l’après-guerre par la frégate Vandegrift, - la dernière d’un navire de guerre classique ayant eu lieu à Ho Chi Minh Ville, le 29 mars dernier - il n’en reste pas moins que la visite, le 5 mars, d’un porte-avions marque une nouvelle étape de la gesticulation militaire américaine sur ce théâtre.

Traversée par les tensions autour de la revendication chinoise sur toute la mer de Chine du sud, la zone est le lieu d’une sincère inquiétude tant pour pour Washington que pour Hanoi. Toujours en conflit direct avec Pékin à propos de la souveraineté sur les Paracel et certains îlots des Spratly, à quoi s’ajoutent les forages off-shore chinois dans sa zone économique exclusive, le Vietnam [1] nourrit à l’égard de Pékin une méfiance enracinée dans l’histoire commune.

Lire : Querelles sino-vietnamiennes. Rivalités des frères ennemis et enjeu global.

Symbole américain de la projection de puissance, le porte-avions qui fut l’arme essentielle de la guerre du Pacifique contre le Japon, constitue pour la Chine un indicateur de la prévalence militaire de « l’US Navy » que, par son arsenal balistique de plus en plus précis Pékin cherche à tenir à distance des éventuelles zones de conflits, tout en construisant sa propre flotte de porte-avions.

Les porte-avions « bêtes noires » de Pékin.

Tout indique que les efforts dissuasifs chinois portent leurs fruits puisque les porte-avions américains, soucieux d’éviter un incident irréparable, se tiennent désormais à l’écart du détroit de Taïwan et des îlots contestés en mer de Chine du sud.

Preuve que le rapport de forces et l’appréciation des risques se modifient, dans le Détroit de Taïwan, ce ne sont plus les PA américains qui croisent, mais le Liaoning, premier porte-avions symbole de la montée en gamme de de la projection de puissance chinoise, faisant peser sur Taipei l’ombre d’une riposte militaire destinée à dissuader l’Île de s’aventurer plus avant sur la voie de l’indépendance.

Il reste que dans le jeu des rivalités régionales, la proximité entre Washington et Hanoi ayant entamé un dialogue stratégique bilatéral - notamment autour du droit de la mer – assorti de plusieurs manœuvres navales communes, complique la stratégie chinoise d’affirmation de souveraineté en Asie du Sud-est.

Lire : Explosion de violences anti-chinoises au Vietnam.

Commentant l’escale du Carl Vinson, l’un des plus grands navires de guerre existant au monde, jaugeant 88 000 tonnes avec à bord 3200 marins et 75 avions de combat, partie d’un flotte de 10 autres unités, l’amiral à la retraite Kirby, ancien porte parole du Département de la défense devenu commentateur de médias, insistait précisément sur les tensions entre Hanoi et Pékin dont la crispation ouvre l’espace stratégique de la réaction américaine contre Pékin dont l’essentiel se réclame du droit de la mer que la Chine bafoue en mer de Chine du sud.

Au passage on notera que le rejet du droit international par Pékin s’inscrit dans l’affirmation politique rendue publique au 19e Congrès que la Chine se développerait désormais selon les « caractéristiques chinoises », inscrivant son rapport au monde non plus au droit international, mais à l’affirmation culturelle et historique de ses différences.

Plus prosaïquement, l’ampleur exorbitante de la revendication sur tout l’espace de la mer de Chine du sud est la manière chinoise de riposter à la présence intrusive des forces américaines en Corée et au Japon sur un théâtre où Pékin dit qu’elles n’ont plus de légitimité.

Lent rattrapage aéronaval chinois.

C’est dans ce contexte de méfiance antichinoise que Washington et Hanoi ont resserré leur coopération depuis 2016, après la levée par Obama de l’embargo sur les ventes d’armes. En dépit de ses déclarations pouvant laisser présager un « repliement américain », D. Trump a au contraire poursuivi sur cette lancée. En novembre 2017, première étape de sa tournée asiatique il était à Hanoi. J. Mattis a suivi peu après pour préparer la visite du porte-avions.

Alors que les rivalités récemment augmentées par la crainte chinoise de la guerre des taxes déclenchée par D. Trump, mais où, pour l’heure, les tensions s’arrêtent à distance des affrontements armés directs, la Chine est engagée dans un rattrapage de puissance militaire, avec cependant encore un long fossé à combler avant la parité militaire.

Le 2 mars, avant l’ouverture des séances annuelles des assemblées, le China Daily publiait une interview de Liu Zheng, PDG des chantiers navals de Dalian. Il affirmait que la Chine avait désormais la capacité nationale de construire par elle-même un porte-avions plus grand doté des dernières technologies aéronavales.

Après le Liaoning (67 000 tonnes en pleine charge) construit à partir du PA soviétique Varyag qui équipait la marine ukrainienne, deux autres unités entièrement chinoises sont en cours de construction, les ingénieurs chinois, précisait Liu, ayant aujourd’hui « la maîtrise de l’élaboration des plans, des technologies modernes et de la production », autant de savoir-faire qui « permettront de construire des unités plus puissantes. » [2]

Autre affirmation de la volonté chinoise de rester dans la course stratégique avec les États-Unis, cette année encore le budget de la défense a été augmenté d’un pourcentage nettement supérieur à la croissance, la hausse de 8% annoncée étant d’ailleurs supérieure aux 7,5% de 2016 et aux 7% de 2017.

Avec beaucoup de précautions pour tenir compte de l’ambiguïté des statistiques chinoises et de l’opacité du système de défense encore plus discret que les autres pans de l’administration, on estime que le budget de la défense chinois 2018 sera de 1040 Mds de Yuan soit 133 Mds d’€ .

Il est vrai que le chiffre publié par l’Institut des Etudes stratégiques internationales (IISS) ne représente que le quart du budget américain et seulement 1,5% du PIB chinois, très inférieur aux 2% requis par l’OTAN pour ses membres. Mais il n’en est pas moins le 2e budget militaire de la planète avant l’Arabie Saoudite, la Russie et l’Inde, en hausse rapide puisque, depuis 2000, il a augmenté de 500%.

Lire : Nouvelle hausse du budget de la défense. Rivalité stratégique sino-américaine.

Etonnant rapprochement du Vietnam avec l’Amérique.

En attendant ce qui frappe les observateurs c’est l’étonnante capacité de réconciliation entre Hanoi et Washington, signalant en creux la force des tensions entre la Chine et le Vietnam.

En apparence du moins, oubliés les défoliants américains déversés sur la forêt, le massacre de My Lai en 1968, le million et-demi de morts vietnamiens, la perte de plus de 58 000 GI, tués au combat, malades ou disparus ; oubliée aussi l’évacuation catastrophique et humiliante de Danang du 27 au 29 mars 1975, submergée par le flot de réfugiés fuyant le Viêt-Cong qui encerclait la base.

Aujourd’hui, la jeunesse vietnamienne née après la guerre joue de la musique et fait des « selfies » sur la plage de Danang à quelques encablures du porte-avions Vinson. Même les marins américains sont étonnés par l’accueil que leur réservent leurs anciens ennemis.

Note(s) :

[1En janvier 2016, le ministère des Affaires étrangères vietnamien protestait officiellement contre les mouvements d’une plateforme pétrolière dans une zone contestée située entre les plateaux continentaux du Vietnam et celui de l’île chinoise de Hainan, dont – dit le communiqué – « les limites n’ont pas arrêtées. ».

La déclaration ajoutait que le Vietnam se « réservait le droit de prendre toutes les mesures destinées à protéger ses intérêts en accord avec la convention du droit de la mer ».

La protestation vietnamienne, rejetée par Pékin, était d’autant plus véhémente que la plate-forme (HYSY- 981) était celle à l’origine du saccage des intérêts chinois au Vietnam en 2014. Les tensions entre les deux se développent également autour de la contestation des zones de pêche et du harcèlement des chalutiers vietnamien par des batiments chinois.

[2Le 2e exemplaire dont la construction a été lancée en 2015 jaugerait 85 000 tonnes, abandonnant le lancement par rampe inclinée. Il est construit par le chantier naval Jiangnan à Shanghai. Sa mis à l’eau est attendu pour 2020. Jiangnan doit aussi construire le 3e exemplaire. Le 4e PA, enfin, sera construit à Dalian. Les commentaires disent déjà qu’il jaugerait 100 000 tonnes.

Pour l’heure, à côté des avions embarqués, la principale préoccupation technologique des ingénieurs est le système de catapulte dont les renseignements disponibles disent qu’il serait électromagnétique avec un exemplaire en cours d’essai sur la base de Huangdicun (Région militaire de Shenyang). Si l’information est exacte, elle signifierait que la Chine aurait mis au point un système de propulsion classique assez performant pour générer la puissance nécessaire à une catapulte électromagnétique qui pour l’heure n’équipe que les PA nucléaires.

 

 

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